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Proposition de loi sur les stages : la pilule est amère

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En suspendant provisoirement l’obligation de gratification, la proposition de loi adoptée par le Sénat pour apporter une solution à la pénurie de stages suscite l’indignation des organisations étudiantes et d’importantes réserves du côté des associations professionnelles et des centres de formation. Le ressentiment est fort parmi l’ensemble des acteurs.

Si elle prétend apporter une réponse immédiate à la pénurie de l’offre de stages dans les établissements et services sociaux et médico-sociaux privés et ceux relevant de la fonction publique de l’Etat, la proposition de loi adoptée en première lecture par le Sénat et soutenue par le gouvernement, qui veut d’ailleurs la faire inscrire rapidement à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale (voir ce numéro, page 5), est très loin de satisfaire les étudiants et les organisations du secteur. Cette « sortie de crise » par le bas, puisque les étudiants en travail social seraient de fait exclus du bénéfice de la gratification jusqu’au 31 décembre 2012, seule demeurant l’indemnisation des contraintes liées à l’accomplissement de leur stage, est accueillie au pire par la colère et au mieux par la plus extrême vigilance. Le texte lui-même, qui s’inspire de l’exemption de l’obligation de gratification accordée aux étudiants auxiliaires médicaux pour les mêmes motifs dans le cadre de la loi Hôpital, patients, santé et territoires, a fait l’objet de vifs débats avec les sénateurs de l’opposition lors de la discussion publique.

« Un droit ne se négocie pas ! »

Premier à refuser « cette exclusion du système des gratifications », le Collectif national des étudiants en travail social (CNETS). Dès le 22 avril, il avait envoyé une lettre aux sénateurs leur demandant d’annuler cette proposition de loi « qui ne ferait que repousser le problème financier sans proposer de réelles solutions ». « Nous sommes très attachés au principe de la gratification qui permet, d’une part, la reconnaissance et la valorisation de notre travail et, d’autre part, de lutter contre la précarité étudiante », ajoutait-il. Aujourd’hui, il réfléchit aux actions à mener pour « faire entendre son refus » de voir adopter et appliquer cette loi. « Un droit ne se négocie pas, il s’applique ! », défend, plus radicale, l’UNEF (Union nationale des étudiants de France), qui considère que « ce n’est pas aux étudiants de payer pour le manque d’investissement de l’Etat dans la formation des travailleurs sociaux » et demande au gouvernement de revenir sur « cette réglementation d’exception ». Quant au collectif Génération précaire, il se dit « abasourdi » qu’« après la première brèche ouverte pour les orthophonistes, on détricote la maigre avancée pour les stagiaires que représente la gratification obligatoire », soit 417 € par mois. « On est en plein contresens des discours sur l’autonomie de la jeunesse », ajoute-t-il, tandis que l’organisation Promotion et défense des étudiants demande qu’un débat soit immédiatement ouvert au sein du comité « sta-pro » (des stages et de la professionnalisation des cursus universitaires) et qu’une « réelle concertation » ait lieu avant l’examen du texte à l’Assemblée nationale. L’indignation est la même à la FNAS (Fédération nationale de l’action sociale)-FO, pour laquelle « il ne saurait y avoir de raison économique ou budgétaire valable pour empêcher les stagiaires du secteur social et médico-social de bénéficier du droit à la gratification » ou à la CFDT Santé-sociaux, qui invite l’ensemble des étudiants et professionnels du secteur à adresser à leurs sénateurs et députés un courrier type pour exprimer leur opposition au texte (1). Tous, comme la FAGE (Fédération des associations générales étudiantes), réclament le déblocage de moyens par l’Etat, le CNETS demandant la gestion de la gratification par un organisme tiers public.

Si les organisations d’étudiants et les syndicats se disent ulcérés par cette « régression », les associations professionnelles ne sont elles-mêmes guère enthousiastes. Cette proposition de loi n’est qu’« un pis-aller », souligne l’ANAS (Association nationale des assistants de service social), tandis que l’ONES (Organisation nationale des éducateurs spécialisés) se dit extrêmement réservée. « Cette proposition de loi va aider les promotions d’étudiants à partir de septembre et son impact sera très ponctuel », analyse Jean-Marie Vauchez, son président. En outre, la simple suspension de la gratification ne suffira pas, selon lui, à augmenter le nombre de terrains de stage car le problème est beaucoup plus complexe : il tient aussi à la mise en place des sites qualifiants, à la réforme des diplômes ou encore aux nouvelles préoccupations des employeurs comme l’évaluation.

Enterrement de la gratification ?

Certes, la suspension de la gratification n’est que provisoire. Elle s’arrête au 31 décembre 2012, date butoir pour le gouvernement qui devra présenter au Parlement un rapport faisant le bilan de la dérogation et déterminant les conditions dans lesquelles est prise en charge la gratification des stagiaires. Un moratoire aussi long, qui s’achève en outre l’année de l’élection présidentielle, n’est-il pas une façon d’enterrer purement et simplement la gratification ? D’autant que le rapport de la mission commune pilotée par l’inspection générale des affaires sociales et l’inspection générale de l’administration de l’Education nationale pour mesurer les conséquences de la gratification sur l’offre de stages sera rendu avant l’été, a affirmé Nadine Morano, secrétaire d’Etat chargée de la famille et de la solidarité, lors de la séance du 29 avril au Sénat. L’ONES et l’ANAS sont en tout cas dubitatives et bien décidées à obtenir la réduction de ce moratoire – l’ANAS souhaite qu’il s’arrête à la fin juin 2011 – auprès des députés. L’idée en outre que ce délai soit l’occasion, comme l’a évoqué Sylvie Desmarescaux au Sénat, de revoir l’organisation du cursus pédagogique des étudiants fait bondir Jean-Marie Vauchez. « Prenons déjà le temps d’évaluer ce qui vient d’être réformé. Les premiers éducateurs formés dans le cadre de la réforme du diplôme de 2007 ne vont sortir qu’en juin prochain ! » L’ANAS et l’ONES devraient rencontrer les autres associations professionnelles (France ESF et FNEJE) et le CNETS dans le courant du mois.

S’ils comprennent les difficultés de l’Etat à régler les problèmes liés à la gratification, le GNI (Groupement national des instituts régionaux du travail social) et l’Aforts (Association française des organismes de formation et de recherche en travail social) préviennent également « qu’il n’est pas souhaitable de priver durablement les étudiants travailleurs sociaux du bénéfice des dispositions de la loi sur l’égalité des chances : la nouvelle proposition ne règle pas, en l’état, la question de fond de son application ». Ils se disent ainsi « extrêmement vigilants sur les propositions qui seront faites pour rendre applicables, dans les meilleurs délais, l’indemnisation des contraintes liées à l’accomplissement de leur stage et la gratification, comme l’a affirmé Nadine Morano au Sénat ». Ils renouvelaient d’ailleurs en début de semaine leur appel à la mobilisation « pour le maintien et le développement de l’alternance et de la professionnalisation dans les formations sociales » de l’ensemble des acteurs le 6 mai, mouvement auquel ont prévu de se joindre le CNETS et la CFDT Santé-sociaux.

Au final, le sentiment des acteurs est celui d’un immense gâchis. Comment, en effet, expliquer qu’après tous les efforts menés depuis 2008 par les centres de formation et les associations professionnelles pour obtenir les moyens financiers d’appliquer la gratification au secteur social et médico-social (2), qu’après la table ronde organisée le 18 janvier par la direction générale de l’action sociale (devenue direction générale de la cohésion sociale), on en arrive aujourd’hui, pour éviter de payer le coût dérisoire de cette disposition – évalué à 22 millions d’euros par an par les services de l’Etat –, à remettre une nouvelle fois à plus tard les décisions et à priver les stagiaires d’un droit destiné pourtant à lutter contre la précarité étudiante ? « Cela ne viendrait à l’idée de personne de suspendre la gratification pour les élèves ingénieurs », lâche, amer, Christian Chassériaud, président de l’Aforts. « Comment valoriser les formations sociales auprès des jeunes quand leurs étudiants sont eux-mêmes si peu considérés par le gouvernement ? »

Notes

(1) Dossier sur www.cfdt-sante-sociaux.fr.

(2) Depuis le décret du 31 janvier 2008 de la loi du 31 mars 2006 pour l’égalité des chances pour les stages d’une durée minimale de trois mois, durée qui a été portée par la loi du 24 novembre 2009 relative à la formation professionnelle tout au long de la vie à deux mois. Prévue pour les établissements privés, cette gratification a été étendue par le décret du 21 juillet 2009 aux stagiaires accueillis dans les administrations et établissements publics de l’Etat.

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