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Politique de la ville : aménagement urbain ou droit de cité ?

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Mise en oeuvre prolongée d'un « droit de retrait » par les enseignants d'un lycée où une bande venue de l'extérieur avait blessé gravement un élève ; grève de chauffeurs de bus brûlés ou caillassés à la suite de l'intervention médiatique de la police pour démanteler un trafic de drogue au coeur d'une cité... Ce ne sont là que deux des manifestations les plus récemment médiatisées du « malaise récurrent des banlieues », comme on euphémise habituellement. Certes, les émeutes urbaines de l'automne 2005 ne se sont pas reproduites, même si à plusieurs reprises, çà et là, des quartiers ont commencé à s'embraser. Mais les tensions, à fleur de peau, explosent quotidiennement avec violence à partir d'incidents mineurs, les difficultés socio-économiques qui s'y concentrent s'aggravent encore avec la crise économique, la pauvreté devient parfois purement et simplement misère.

Les rapports s'accumulent qui mettent de fait en lumière les résultats décevants des programmes mis en oeuvre ces dernières années. L'Observatoire national des zones urbaines sensibles a souligné, à l'automne dernier, que l'objectif n'avait pas été atteint de ramener en cinq ans ces quartiers à la moyenne des autres(1) : le revenu des habitants demeure inférieur de 40 % à celui qui est constaté dans le reste de leur agglomération, le chômage y est toujours particulièrement élevé - plus du double de ce qu'il est ailleurs -, les résultats scolaires ne s'améliorent qu'à la marge. Tout dernièrement, le comité d'évaluation et de suivi de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine a dressé un constat contrasté des opérations de rénovation urbaine qui devaient y attirer de nouvelles populations dans un habitat requalifié par la reconstruction de plus de 200 000 logements et la réhabilitation de 400 000 autres(2). Si, sur le plan quantitatif, les objectifs sont en voie d'être atteints, il n'en va pas de même au regard de la mixité sociale qui peine à s'imposer, quand parfois même elle ne recule pas.

Bien sûr, il s'agit de processus de relativement long terme, et sans doute faut-il accepter que les dynamiques sociales ne s'inversent que progressivement malgré un effort financier massif. Mais la ghettoïsation n'a pas été enrayée, loin de là. Et les résultats pour le moins limités au regard d'une ambition très volontariste interrogent la conception de la politique de la ville qui la sous-tend. La requalification urbaine d'un quartier sensible est devenue le levier majeur de la mixité fonctionnelle, par l'apport d'activités dans des zones jusque-là uniquement réservées à l'habitat, de la diversification sociale, par l'arrivée de nouvelles populations, et de la mise en relation avec le reste de la ville, par la redéfinition des accès et des transports. Le but étant d'en faire un quartier comme les autres, maillé sociologiquement, économiquement, géographiquement avec tout le reste de l'agglomération. Mais le risque serait d'oublier que l'essentiel est moins dans l'aménagement urbain de tous les quartiers que dans le même droit de cité de tous leurs habitants. Autrement dit, qu'il s'agit fondamentalement moins de recréer des citadins que de reconnaître des citoyens au coeur de territoires qui se sentent oubliés de la République. Surmonter la fracture urbaine ne peut se limiter à ravauder le tissu troué de la ville, mais suppose de retisser le lien social déchiré pour rendre à chacun des habitants un avenir qui ne soit pas de simple assignation, en agissant simultanément et puissamment sur tous les leviers de l'éducation, de la formation, de l'emploi, et pas seulement de la sécurité - si indispensable qu'elle soit. Voilà longtemps, certes, que les plans et dispositifs prolifèrent, avec en dernier lieu « Espoir banlieues ». Mais on se berce de mots et d'incantations : les moyens n'ont rien à voir avec ceux qui sont consacrés à la rénovation urbaine, ils sont dispersés, au lieu d'être concentrés sur les quartiers véritablement les plus difficiles, les dispositifs s'empilent sans vue d'ensemble ni coordination. Les récents constats de la Cour des comptes sur l'absence d'articulation entre les dispositifs de la ville et l'Education nationale sont consternants : juxtaposition, redondances, défaut de ciblage volontariste aboutissent à ce que les collèges les plus en difficulté et les élèves les plus fragiles soient parfois les moins soutenus.

Mais la remise à plat qui s'impose d'urgence ne saurait être seulement technique. Revoir les zonages pour concentrer les efforts sur les quartiers les plus abandonnés et les villes les plus défavorisées et évaluer l'apport réel de dispositifs sédimentés ne suffiront pas. Il y faut une volonté politique qui se traduise en actes et en signes. Il est arrivé dans un passé pas si lointain que le Premier ministre soit en même temps ministre des Finances. Il n'y aurait rien d'incongru qu'il soit désigné comme ministre de la Ville. Moins parce qu'il s'agit d'une politique interministérielle par nature que parce que ce qui est en jeu, c'est notre République même.

Notes

(1) Voir ASH n° 2635 du 4-12-09, p. 10.

(2) Voir ASH n° 2654 du 9-04-10, p. 10.

Le Point de vue de...

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