Tous les jeunes adultes ne s'appellent pas Tanguy (1). Ce qui ne les empêche pas d'être nombreux à s'attarder au foyer parental en raison de l'allongement des études et des difficultés à trouver un logement et un emploi. Ainsi, parmi les 18-25 ans, 60 % des hommes et 43 % des femmes vivent toujours au domicile familial, et ils sont dans les deux cas plus de la moitié - 55 % des hommes, 62 % des femmes - à ne pas avoir d'activité professionnelle (2). Pas d'interminables adolescences, en revanche, pour les sortants des dispositifs de protection de l'enfance. Alors même qu'ils sont fragilisés par leur histoire et ne peuvent souvent compter sur aucun soutien familial, ces jeunes sont tenus de voler de leurs propres ailes au plus tard à 21 ans - âge limite de la protection de l'enfance. Pari évidemment difficile à tenir, expliquant que les intéressés soient sur-représentés parmi les populations de sans-domicile fixe (3).
Au niveau européen, le passage de ces jeunes à l'âge adulte devient une préoccupation majeure des acteurs de la protection de l'enfance, souligne Pierrine Robin, chargée d'études à l'Observatoire national de l'enfance en danger (ONED) (4). Plusieurs initiatives témoignent de cet intérêt. Ainsi, en 2008-2009, l'association Amici dei Bambini a réalisé en Italie, France, Roumanie, Bulgarie et Lettonie, une recherche participative avec des jeunes issus des dispositifs de protection de l'enfance. Financé par la Commission européenne, le projet « Life after Institutional Care » a permis de mettre le doigt sur les principaux points faibles des systèmes de prise en charge, notamment, le manque de préparation des jeunes à la sortie et l'insuffisante collaboration des différents intervenants impliqués dans l'accompagnement de ces sortants (5). Depuis l'an dernier et jusqu'en 2011, la fédération SOS Kinderdorf International, qui regroupe les associations SOS Villages d'enfants, conduit une étude comparative, soutenue par le Conseil de l'Europe, sur la transition entre vie en structure d'accueil et vie autonome. De l'Albanie à l'Ouzbékistan en passant par l'Allemagne, l'Autriche et la France - soit, au total, 15 pays européens -, il s'agit de faire un état des lieux des législations et des pratiques sur le soutien des jeunes à l'issue du placement et les moyens de renforcer leurs capacités d'action.
A l'échelle franco-française, l'ONED a effectué un travail de mutualisation des connaissances du même type. L'observatoire a réuni en 2009 des acteurs variés - associations, conseils généraux, chercheurs - pour réfléchir aux modalités d'entrée dans l'âge adulte des jeunes en fin de mesure de protection. Ce groupe de travail a produit un diagnostic très documenté sur la situation des intéressés et les pistes à développer pour les aider à s'insérer (6). La même année, le Haut Commissariat à la jeunesse a dédié l'un des thèmes des premiers appels à projets du Fonds d'expérimentations pour la jeunesse aux actions innovantes pour assurer le suivi après 18 ans des jeunes sortants des dispositifs de protection de l'enfance et de la protection judiciaire de la jeunesse. Par ailleurs, l'Institut national d'études démographiques (INED) a lancé une ambitieuse « étude longitudinale sur l'autonomisation des jeunes après un placement » (ELAP). Un premier volet de ce travail, piloté par Isabelle Fréchon, a été réalisé entre 2007 et 2009. Il a permis de reconstituer, à partir de dossiers, les trajectoires de prise en charge d'une cohorte de jeunes de deux départements ayant atteint 21 ans. La deuxième partie de l'enquête devrait débuter en 2011. Elle suivra un échantillon de 1 000 jeunes à partir de la majorité et durant les cinq ans qui suivent la fin de leur placement. « Notre démarche entend contribuer à répondre aux préoccupations des intervenants [...] travaillant soit auprès de jeunes marginalisés, soit auprès de jeunes placés, notamment en ce qui concerne les processus d'autonomisation (économique, résidentielle, familiale, psychique) de ces jeunes, ainsi que les obstacles qu'ils rencontrent », explique Isabelle Fréchon.
Comment aider les bénéficiaires de la protection de l'enfance à prendre un bon départ dans la vie ? Telle est bien la question. Ici et là, des réponses novatrices lui sont données. A la maison d'enfants à caractère social (MECS) Samuel-Vincent de Nîmes (Gard), c'est à partir de 15 ans que les adolescents entrent dans un système qu'on pourrait qualifier d'autonomie accompagnée. Changement d'équipe et changement d'hébergement : les 15-18 ans font désormais partie du service Charlemagne de l'institution - qui fonctionne 365 jours par an - et ils vont successivement expérimenter deux types de logement. D'abord une chambre individuelle dans un appartement pour six personnes situé à proximité du centre-ville - appartement où l'éducateur n'est pas toujours présent et où ils peuvent recevoir des amis. Un veilleur y assure les nuits. Relations avec les voisins, déplacements, loisirs, utilisation des services publics, prise en main de sa santé : il s'agit d'aider l'adolescent à se familiariser avec un mode de vie proche de celui des jeunes adultes. Une autre étape est ensuite travaillée grâce au passage dans l'un des trois studios de l'association, qui sont localisés dans des immeubles distincts, pas très loin de l'appartement collectif. « La distance donne une autonomie quasi complète aux adolescents, mais permet un passage quotidien de l'équipe éducative et une intervention rapide si nécessaire », commente Marc Joubert, responsable éducatif du service Charlemagne et du service jeunes majeurs de la MECS. Se lever le matin pour aller en cours ou au travail, entretenir le studio, gérer ses ressources, suivre les dépenses d'eau et d'électricité par la relève régulière des compteurs, vivre différemment ses relations à sa famille, en pouvant, par exemple, l'inviter chez soi : le studio, c'est la liberté, mais c'est également l'apprentissage des responsabilités et de la solitude. Aussi, les mineurs qui ont des difficultés pour vivre seuls ou gérer un minimum d'autonomie seront plutôt hébergés dans l'un des quatre foyers de jeunes travailleurs de Nîmes. Il arrive aussi au service, en accord avec le juge des enfants, de mettre en place un accompagnement d'adolescents en rupture de ban, qui n'ont pas d'hébergement fourni par le service, mais habitent chez des amis ou dans un squat. « On les rencontre tous les jours à l'extérieur et on essaie de construire quelque chose avec eux, afin de ne pas reproduire l'exclusion », explique Marc Joubert.
La diversité de ces outils doit permettre aux jeunes de se préparer à la majorité sans ruptures ni trop d'anxiété. Ce qui ne veut pas dire que le moment venu, tout soit acquis. C'est pourquoi, avant l'échéance de leurs 18 ans, les ressortissants du service Charlemagne sont nombreux à demander un contrat jeune majeur. Le jour même de leur dix-huitième anniversaire, ils vont alors changer d'équipe et d'appartement : un éducateur du service Charlemagne aide l'ancien adolescent à faire l'état des lieux ; un collègue du service de suite vient chercher le jeune majeur et l'emmène dans son nouveau logement.
Le jeune majeur n'est plus un enfant. Aussi semble-t-il logique de ne plus le traiter comme tel. Pourtant, l'ambivalence des institutions et des professionnels à l'égard des jeunes qui s'acheminent vers leur majorité est indéniable, notent les spécialistes réunis par l'ONED pour réfléchir à la situation des jeunes en fin de mesure de prise en charge. D'un côté, l'autonomie est présentée comme une injonction forte : elle figure dans tous les projets d'établissement et constitue un concept central du travail social. Mais de l'autre, permettre à un jeune que l'on a parfois accompagné des années, avec lequel un lien fort a pu se créer, de s'autonomiser est quelque chose qui peut être difficile, voire douloureux. Même ambivalence chez les jeunes pour qui la prise d'autonomie interroge l'identité. Cette « période de crise où l'adolescent va remettre en cause ses identifications à l'enfance au vu des nouvelles que lui propose la société [...] peut avoir une résonance particulière pour les jeunes sortants de dispositifs de protection de l'enfance, qui ne disposent pas toujours de références stables, ni des mêmes ressources en termes d'identification, de représentation, de ressemblance ou de dissemblance », soulignent les rapporteurs, dans leur étude Entrer dans l'âge adulte .
Pour étayer les nouveaux adultes dans cette zone de possibles turbulences, l'aide sociale à l'enfance (ASE) du Loiret a créé, fin 2007, une nouvelle fonction : celle de référent spécialisé pour les jeunes majeurs accueillis en établissements ou vivant en complète autonomie (dans une résidence universitaire, par exemple) - soit un total de 80 jeunes sur les 140 bénéficiaires actuels d'un contrat jeune majeur (7). Le rôle de ce professionnel est différent de celui des équipes des institutions qui interviennent auprès des 18-21 ans dont elles assurent l'hébergement. Ces dernières épaulent les intéressés dans la gestion du quotidien. Pour sa part, Isabelle Boismoreau, référente spécialisée, les aide plus particulièrement à affiner des projets d'insertion qui tiennent la route - et à garder le cap. Il s'agit de profiter de l'espace de transition que constitue le contrat jeune majeur pour faire émerger les ressources des jeunes adultes et développer avec eux une relation moins dissymétrique et plus distanciée que celle qu'ils avaient avec les professionnels de l'ASE par le passé, explique Marie-Thérèse Léman, responsable de l'unité protection du conseil général. Ce ne sont plus des enfants en danger à protéger, mais des usagers acteurs de leurs choix - dont celui des rapports avec leur famille, qui ne relèvent plus de l'ASE, et celui de faire, ou pas, une demande de contrat jeune majeur. Ce contrat ne constitue pas une mesure obligatoire, comme le précise Jean-François Kerr, directeur de l'enfance et de la famille : d'autres moyens sont mobilisables - dans le droit commun et, subsidiairement, à l'ASE - pour soutenir les jeunes adultes qui ont uniquement besoin d'aide matérielle. « Certains jeunes ne veulent d'ailleurs pas entendre parler de contrat jeune majeur parce que, arrivés à 18 ans, ils en ont assez de l'ASE, témoigne Marie-Thérèse Léman. Et puis ils reviennent six mois après, beaucoup plus vulnérables et posés, car ils ont connu la galère, ou que leur retour en famille, nourri d'illusions, ne s'est pas déroulé dans les conditions escomptées. On fait alors des contrats sur des positions d'adulte à adulte, ce qui est beaucoup plus pertinent pour les accompagnements. » Les jeunes déjà engagés dans un contrat jeune majeur se voient aussi reconnaître le droit de tâtonner. Il y a des phases de dépression, des déceptions par rapport à une orientation prise. « On peut se tromper, mais je n'accepte pas que les jeunes ne fassent rien et ne me préviennent pas, souligne Isabelle Boismoreau. D'accord pour lever le pied un moment si nécessaire, mais à condition d'en parler et d'être toujours à construire un projet. » Le cas échéant, faute de confiance et de respect mutuels, le compagnonnage prend fin. Libre, cependant, aux jeunes de revenir plus tard s'ils retrouvent intérêt à la prise en charge proposée : la porte de l'ASE leur reste ouverte jusqu'à 21 ans.
Dans les pays nordiques et notamment au Danemark, le financement de l'autonomisation des jeunes adultes est institutionnalisé : une allocation directe et universelle permet tout à la fois aux intéressés de quitter tôt le foyer familial et de prendre le temps de faire les tâtonnements propres à une jeunesse prolongée. La France, en revanche, propose peu d'aides individuelles aux moins de 25 ans, même si certaines mesures en ce sens ont été récemment initiées par le Haut Commissariat à la jeunesse (8). Le coût d'une indépendance de plus en plus tardivement acquise repose pour l'essentiel sur la famille. Quid alors des jeunes qui, pour une raison ou une autre, ne peuvent pas compter sur celle-ci ? A leur intention, le conseil général de Loire-Atlantique a mis en place, fin 2004, un dispositif original. Dans ce département, il n'existe plus de contrats jeunes majeurs, mais un contrat unique visant à aider à s'insérer tous les moins de 25 ans en grande difficulté, issus ou pas de l'ASE. Ce « contrat de soutien à l'autonomie des jeunes » (CSAJ) est intégré au fonds d'aide aux jeunes (FAJ) et géré par les missions locales. Il comporte deux volets. L'un, dit « CSAJ protection de l'enfance », est destiné aux 18-21 ans déjà pris en charge par l'ASE durant leur minorité, ou qui demandent à l'être après 18 ans. Il permet aux intéressés de bénéficier d'un accueil institutionnel et d'un accompagnement éducatif prodigué par l'institution d'accueil ou un référent ASE. L'autre volet, ou « CSAJ insertion », comprend également un accompagnement éducatif - par un conseiller de mission locale ou un travailleur social exerçant sur le territoire, qu'il soit ou non rattaché au conseil général -, mais pas d'hébergement. En revanche, il peut être assorti d'une aide financière d'un montant maximal de 460 € par mois (soit l'équivalent du « RSA socle »), qui est subsidiaire aux allocations de droit commun (comme les bourses d'enseignement) et cumulable avec une aide du FAJ et des secours d'associations d'anciens de la protection de l'enfance. Ce « CSAJ insertion » est accessible à tous les jeunes : les 16-25 ans en situation de vulnérabilité économique, sociale et éducative et les 18-25 ans issus de l'ASE - qu'ils aient quitté le giron de l'institution avant 21 ans ou aient bénéficié jusque-là d'un « CSAJ protection de l'enfance ». Dans tous les cas, les demandes des jeunes passent devant une commission d'attribution des aides, présidée par un conseiller général, à qui revient la décision. Cette commission est constituée de professionnels de missions locales, de pôles de l'ASE, de foyers de jeunes travailleurs, de structures d'insertion et d'organismes de logement. « Les professionnels des missions locales apprennent ainsi à mieux connaître les jeunes de la protection de l'enfance, et ceux de la protection de l'enfance à mieux connaître les dispositifs d'insertion », souligne Alice Métois, responsable de l'unité prévention éducative et insertion des jeunes du conseil général. Au total, 869 jeunes ont bénéficié d'un tel soutien en 2009 - soit près de 10 % de plus que l'année précédente -, dont 339 au titre de la protection de l'enfance. Selon une évaluation qualitative faite en 2008 sur 190 bilans de parcours, le CSAJ semble bien remplir son rôle : tous types de contrats confondus, le motif principal de sortie a été pour plus de sept jeunes sur dix l'accès à l'emploi (37 %), à une formation professionnelle (16 %), à un diplôme (13 %) ou à des études (6 %).
En Meurthe-et-Moselle, élargir les perspectives professionnelles des jeunes adultes ayant eu un parcours institutionnel est depuis longtemps une préoccupation forte du département. Cela fait 22 ans que, dans le cadre de sa politique d'insertion, le conseil général conventionne Tremplin, l'association départementale des personnes accueillies en protection de l'enfance (Adepape). Celle-ci est mandatée pour accompagner les 21-26 ans issus de l'ASE dont la situation justifie un coup de pouce éducatif et financier. Tremplin reçoit 170 000 € par an pour épauler les jeunes adultes en lieu et place de parents défaillants. Le montant de l'allocation mensuelle attribuée à chacun se fait à partir d'une évaluation régulière de ses besoins, déduction faite des moyens obtenus des différents dispositifs de droit commun. 60 jeunes sont ainsi soutenus chaque année, ce qui leur permet de ne pas plafonner leurs ambitions faute de possibilités de les réaliser. Par son complet niveau de délégation de l'action, sans que le conseil général intervienne d'aucune façon pour sélectionner les plus de 21 ans qui seraient les plus « méritants », l'expérience de Meurthe-et-Moselle est unique en son genre, explique Jean-Marie Muller, président de la Fédération nationale des Adepape. Lui-même se souvient avoir eu « un bon coup de pied aux fesses à 21 ans, en plein mois de janvier : à partir de demain, [lui] a-t-on dit, on ne te connaît plus. » C'est pour éviter ce genre d'avanie aux jeunes en fin de prise en charge que les bénévoles de Tremplin se font largement connaître des services de l'ASE et des structures d'accueil des jeunes (familles, établissements). L'objectif est que, dès l'âge où les adolescents doivent choisir une orientation scolaire, ils puissent se projeter dans des cursus qui ne seront pas stoppés net par les dates couperets de leur dix-huitième ou vingt-et-unième anniversaire. Il s'agit aussi de leur permettre d'intégrer des écoles privées, dont les frais excèdent largement les aides de droit commun, et d'avoir la latitude d'échouer, alors qu'ils peuvent se voir refuser des bourses universitaires en cas de redoublement. Résultat ? De « 85 à 90 % de réussite aux diplômes, du CAP au DEA, pour les 1 200 jeunes ainsi aidés depuis 20 ans », déclare Abdel Gamouri, aujourd'hui comptable et trésorier de Tremplin - qui, par le passé, s'est lui aussi vu ouvrir le champ des possibles grâce à l'association. « Ce n'est pas la même approche que celle des professionnels de la protection de l'enfance : là, pas d'éducateurs, pas d'assistantes sociales, on sent qu'on sort enfin de ce système d'aide et on a d'autres modèles de réussite sous les yeux », commente-t-il. Mais tous les conseils généraux ne sont pas aussi engagés dans l'insertion des anciens de l'ASE. L'heure serait plutôt aux coupes claires dans le soutien aux jeunes majeurs. « Est-ce qu'on préfère différer l'aide de quatre à six ans - qui sont, pour les jeunes, autant d'années de galère - et retrouver demain les mêmes «clients» au RSA ? », s'interroge Jean-Marie Muller. En tout état de cause, note l'ONED, les pouvoirs publics, qui ont assumé des actions de suppléance familiale vis-à-vis de ces enfants, ont une responsabilité particulière à leur égard pour préparer et accompagner leur départ.
En 1975, au lendemain de l'abaissement de l'âge de la majorité civile à 18 ans, les pouvoirs publics ont instauré des mesures d'aide judiciaire et administrative pour les 18-21 ans sans ressources ou soutien familial suffisant - mesures prioritairement conçues pour les jeunes majeurs issus du dispositif de protection de l'enfance, mais également accessibles à leurs contemporains n'ayant pas été protégés durant leur minorité.
Aujourd'hui, l'Etat s'est désengagé de la prise en charge judiciaire des jeunes majeurs et la disparition de celle-ci est programmée pour fin 2011 (9). Ce retrait ne s'étant accompagné d'aucun transfert financier, les départements n'ont pas pu absorber l'ensemble des mesures auparavant exercées par la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). C'est pourquoi le groupe de travail de l'ONED sur l'entrée dans l'âge adulte (10) des sortants de la protection de l'enfance se dit préoccupé par la « situation des jeunes, dans certains départements, qui se voient refuser un contrat jeune majeur au motif qu'ils sont issus d'un suivi ou d'une prise en charge au pénal, ou, tout simplement, qu'ils ont fait l'objet d'une mesure PJJ ».
Dans le champ administratif, la loi de 2007 réformant la protection de l'enfance a confirmé le principe d'un soutien des jeunes majeurs, qui incombe aux conseils généraux. Mais le caractère obligatoire et les conditions de mise en oeuvre de cette aide sont source de controverses, font observer les spécialistes réunis par l'ONED. « En effet, l'article L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles relatif aux prestations de l'aide sociale à l'enfance prévoit la prise en charge des jeunes majeurs comme une possibilité, mais laisse imprécis les critères d'attribution du contrat jeune majeur. » Ce qui explique la grande hétérogénéité des pratiques en la matière - et notamment, la tendance de certains départements à limiter le nombre de contrats jeune majeur et/ou à en réserver le bénéfice aux jeunes qui ont fait l'objet d'une protection durant leur minorité.
A l'heure où l'accompagnement des jeunes majeurs est au centre de nombreux débats, Nathalie Guimard et Juliette Petit-Gats proposent un instructif retour en arrière sur l'évolution de la mesure de protection des 18-21 ans depuis sa création. Les sociologues ont analysé le contenu de 210 lettres écrites entre 1975 et 2008 par des jeunes alors placés dans quatre foyers éducatifs de Paris ou de sa région : les intéressés s'adressaient à des juges pour enfants ou à des inspecteurs de l'ASE pour leur demander une prise en charge « jeune majeur » (11). Jusque dans la moitié des années 1980, ces lettres sont rares : d'après les travailleurs sociaux, les demandes étaient faites oralement auprès de qui de droit par les éducateurs et les directeurs d'établissements, expliquent les chercheuses. Les missives des jeunes sont ensuite de plus en plus présentes. Le contenu des lettres varie selon les périodes et les structures d'accueil, mais avec un thème qui traverse les ans : celui de l'insertion professionnelle (scolarité, formation, emploi). L'évocation de cette dernière, néanmoins, change au fil du temps : réduite à quelques lignes dans les décennies 1970 et 1980, elle prend par la suite la forme d'un curriculum vitæ développé. Dans les premiers temps de la mesure, « les jeunes témoignent aussi de leur besoin, de leur envie de rester dans les structures d'accueil pour les relations qu'ils ont pu tisser avec le groupe et les éducateurs », constatent Nathalie Guimard et Juliette Petit-Gats. Puis, plus que les liens d'attachement, ce sont davantage les compétences que le jeune peut acquérir grâce à l'accompagnement éducatif qui sont mises en avant.
Jusqu'au seuil de la décennie 1990, les lettres sont concises et directes : « c'est avant tout un droit que les jeunes demandent ». Ensuite, les intéressés vont de plus en plus se justifier. Par le passé, ils évoquaient parfois leurs projets au pluriel, ils parlent désormais de leur projet au singulier. « La demande des jeunes majeurs repose alors sur l'élaboration d'un projet individualisé visant leur insertion sociale et professionnelle, s'apparentant à un projet de vie », commentent les sociologues. Ce projet envisage différentes dimensions de l'existence. Il reprend les thèmes qui étaient déjà présents auparavant - insertion, relations éducatives, soutien matériel - et en ajoute d'autres. C'est le cas du lien à la famille, de plus en plus fréquemment abordé par les jeunes de certains foyers, qui évoquent le caractère inadapté d'un retour en famille. Le besoin de soutien thérapeutique peut aussi être avancé pour expliquer des défaillances personnelles momentanées et le fait de ne pas être inscrit dans un parcours scolaire ou professionnel. Présenté comme un moyen de changer, le suivi psychologique peut même se substituer à des objectifs professionnels et justifier à lui seul l'aide à laquelle prétend le jeune. « Enfin, l'épargne est un thème qui apparaît à partir des années 2000, devenant aujourd'hui un des objectifs incontournables de la prise en charge », soulignent les chercheuses. Il s'agit pour le jeune d'anticiper sa sortie du système de protection.
Parallèlement à cet élargissement des thématiques, le terme de « contrat » fait son entrée dans le vocabulaire des requérants au début des années 1990. Dix ans plus tard, son utilisation est systématique : que les jeunes s'adressent à l'administration ou à la justice, ils ne parlent plus d'aide ou de protection mais uniquement de contrat jeune majeur. « Dans les années 2000, nous observons aussi des formulations tout à fait nouvelles nous rappelant étrangement des expressions de contrats et de classiques lettres de motivation », observent les auteures. Ainsi, cette candidate de 2002 qui s'« engage à être assidue et à respecter les clauses du contrat à la lettre », avant d'assurer rester « dans l'attente de [la] réponse favorable » de son correspondant.
Construit dans une logique de protection, le dispositif de soutien des jeunes majeurs a progressivement évolué vers une logique de contractualisation. Les jeunes doivent désormais se montrer actifs et responsables de leur processus d'insertion. Ce qui pose la question de ceux qui ne sont pas à même de porter des projets cohérents. Faire appel à la seule responsabilité de ces jeunes adultes, les juger selon leur attitude, « c'est oublier les raisons qui les ont amenés à être pris en charge dans les établissements éducatifs et négliger leur parcours », soulignent Nathalie Guimard et Juliette Petit-Gats.
(1) Héros d'un film d'Etienne Chatiliez ( Tanguy , 2001) qui, à 28 ans, ne se décide pas à quitter le nid familial.
(2) Source : enquête « Histoire de vie » réalisée en 2003 par l'INSEE - Voir le dossier sur l'autonomie des jeunes - Politiques sociales et familiales n° 97 - CNAF, septembre 2009.
(4) Lors d'une journée organisée par l'ONED le 11 décembre à Paris sur la préparation et l'accompagnement des jeunes en fin de mesure de protection.
(5) On peut demander le document à filippo.agostino@ amicideibambini.it.
(6) Entrer dans l'âge adulte - Rapport téléchargeable sur
(7) Sur les 60 autres titulaires d'un contrat jeune majeur, 40 sont des jeunes majeurs étrangers isolés qui bénéficient de l'accompagnement d'un autre référent spécialisé, au fait de leurs problèmes particuliers.
(8) Ainsi, la création d'un RSA pour les moins de 25 ans et l'expérimentation d'une dotation d'autonomie consistant à transférer des aides publiques versées à leurs parents (comme les allocations familiales).
(10) Rapport téléchargeable sur
(11) Voir « Ecrits de jeunes en quête de statut » publié dans Recherches familiales n° 7/2010 sur « La réforme de la filiation » - Disponible auprès de l'UNAF : 28, place Saint-Georges - 75009 Paris - Tél. 01 49 95 36 00.