Le droit à la complexité

Iconoclaste et frondeur, un revigorant vent d'analyse critique anime les contributions sur la démarche qualité réunies par Xavier Gallut et Abdelhak Qribi, formateurs en travail social. Le sociologue Michel Chauvière, qui le préface, donne le ton à l'ouvrage. Ici, pas de langage bien pensant : il s'agit de défaire « l'empaquetage [...] particulièrement soigné » de la démarche qualité pour voir ce que cache ce « totem d'usage très conjoncturel ». S'ils souscrivent à ce propos, les différents auteurs n'en sont pas moins très clairs : ni le souci constant d'améliorer le suivi éducatif et/ou thérapeutique des personnes en difficulté, ni la nécessité qui s'impose aux professionnels de rendre des comptes sur leur activité ne sont en cause. C'est la manière d'y parvenir qui pose question, et notamment l'importance du recours à des outils standardisés qui évacuent l'humain et le débat d'idées. Difficile de nuancer un item ou de relativiser une croix dans une case, commente Olivier Filhol, sociologue et formateur dans le secteur social. « Loin de «contenir le réel», explique-t-il, l'apparente rigueur de ce modèle déposé ne fait (qu'en) dessiner une représentation partiale et floue [...], souvent étrangère à une démarche clinique qui interroge en permanence le sens des pratiques professionnelles. » A cet égard, l'exemple que donne Natalia Tauzia, psychologue clinicienne en milieu psychiatrique, est éloquent. Quand on écrit noir sur blanc un protocole de contention auquel tous les soignants doivent se référer, il n'y a plus à s'interroger sur le bien-fondé de cette pratique, mais seulement sur ses bonnes modalités d'application. Or le « comment » ne doit pas supplanter le « pourquoi », souligne Guillaume Scalabre, adjoint de direction d'un foyer de vie. « Se réapproprier le droit à la complexité, nécessaire au respect d'autrui et à sa compréhension (toujours partielle) », tel est l'enjeu, affirme ce responsable.