Attendue de longue date, la réforme de la loi du 27 juin 1990 « relative aux droits et à la protection des personnes hospitalisées pour troubles mentaux » (1) pourrait aboutir dans les mois à venir. Porté par le ministère de la Santé - au grand soulagement des acteurs de la psychiatrie qui craignaient que le ministère de l'Intérieur (2) n'en soit le pilote -, l'avant-projet de loi « relatif aux droits et à la protection des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques et à leurs modalités de prise en charge » est soumis à la concertation avec les organisations professionnelles, d'usagers, de familles, de gestionnaires d'établissements et syndicales.
La principale nouveauté du texte est l'élargissement du principe de l'hospitalisation sous-contrainte aux soins sans consentement : il permet de contraindre un patient à se soigner sans être hospitalisé, c'est-à-dire en ambulatoire. S'il est salué par de nombreuses organisations de professionnels, mais aussi de familles et d'usagers, il fait encore l'objet de remarques et de vives critiques du côté des organisations syndicales.
Sept d'entre elles (3) estiment que cet avant-projet de loi n'offre pas les garanties nécessaires pour les droits des personnes ni de solution efficace pour la qualité des soins. Pierre Paresys, psychiatre et vice-président de l'Union syndicale de la psychiatrie (USP), considère même qu'il s'agit « d'une manière d'externaliser l'asile » en supprimant la liberté des patients « y compris dehors ». Pour la CFDT Santé-sociaux, ce texte ne représente « qu'un simple aménagement de forme », alors que « le dernier plan de santé mentale, dont le financement s'est achevé en décembre 2008, a mis en exergue l'incurie de certains secteurs et l'insuffisance de moyens de la psychiatrie ». Dans ces conditions, « on ne peut pas se contenter de cette loi pour réformer la psychiatrie », estime le syndicat. Mitigé, le Syndicat des psychiatres d'exercice public (SPEP) estime pour sa part, que « la contrainte de soins ambulatoires ne sera pas suffisante en elle-même si elle ne débouche pas sur une alliance thérapeutique, qui exige du temps et des moyens en personnel formé et qualifié au travail psychiatrique de secteur ».
Loin de cette opposition, un collectif de 16 organisations (4) constate avec satisfaction que certaines de ses propositions, formulées en 2007 lors des débats sur le projet de loi sur la prévention de la délinquance, ont été reprises. En premier lieu, « ce texte concrétise un débat ancien qui est la possibilité de mettre en oeuvre des soins ambulatoires sans consentement », se félicite David Causse, coordonnateur du pôle « santé-social » de la FEHAP (Fédération des établissements hospitaliers et d'aide à la personne privés non lucratifs). Il souligne aussi la possibilité, introduite par le texte, qu'en cas d'absence d'un tiers pouvant justifier d'une relation personnelle avec le malade avant la demande de soins (proche, voisin...), un malade puisse être hospitalisé sans consentement sur la base d'un certificat médical. Parmi les autres points positifs, la période d'observation de l'état du malade à l'arrivée à l'hôpital, qui passe de 24 à 72 heures, ce qui permet de définir la modalité de prise en charge la plus adaptée à ses besoins (hospitalisation complète, partielle ou soins ambulatoires). De même, les organisations saluent le passage à un seul certificat médical initial (il faut deux certificats de deux médecins différents actuellement), qui peut être rédigé par le psychiatre hospitalier.
Cependant, les 16 organisations formulent plusieurs remarques et propositions. Elles souhaitent que le texte indique clairement que l'obligation de soins sans consentement, qui est conditionnée à un risque de troubles graves à l'ordre public, soit toujours subordonnée à deux conditions : que la situation de trouble mental soit médicalement établie et que la nécessité de soin de la personne soit légitimée par l'ampleur du trouble. « Il s'agit de rappeler que l'hôpital psychiatrique est un lieu de soins et non une prison », précise David Causse. Cette préoccupation est partagée par les organisations syndicales, qui voient dans ce texte « une évolution vers le sécuritaire et le contrôle des personnes qui s'opposent à la logique de soignants que nous revendiquons être », indique le SPEP. De même, les sept syndicats considèrent que « la dimension sanitaire s'efface devant le renforcement de la référence aux troubles à l'ordre public ».
Le collectif des 16 organisations souhaite par ailleurs que les modalités de l'intervention du juge des libertés et de la détention soient beaucoup plus explicites, notamment pour trancher les divergences entre l'équipe soignante et les représentants de l'Etat, qu'il s'agisse de la levée de la mesure de soins sans consentement ou pour l'aménagement de ces soins selon une modalité différente. « Nous demandons que soit clairement énoncé que, lorsqu'il y a un dilemme, le juge de la détention intervient en arbitrage », précise David Causse. De son côté, la CFDT Santé-sociaux regrette que la demande de soins sans consentement se fasse sans l'implication du juge des libertés dès le début de la procédure. « Or c'est un acte de privation de liberté qui, constitutionnellement, relève de l'ordre judiciaire », défend-elle.
Toutes les organisations s'opposent à ce qu'un cadre administratif fasse partie du collège de professionnels qui décide des levées ou des aménagements des soins sans consentement pour les patients dits « difficiles », c'est-à-dire ceux qui sont passés par une unité de malades difficiles ou qui viennent de prison. Elles demandent à ce que ce collège soit constitué exclusivement de médecins psychiatres. Sur cette question, la CFDT regrette que cette procédure ne concerne que les sorties des malades difficiles et y voit un risque de fichage de ces patients.
Par ailleurs, le SPEP s'interroge sur l'aide qui sera apportée par les services de police ou les pompiers aux équipes soignantes lorsqu'un patient rompt le protocole de soins. Sur ce point, le collectif des 16 organisations propose qu'il soit prévu une convention-type départementale sous l'autorité du préfet qui définisse, en complément de l'intervention du personnel soignant, les conditions d'intervention de la police, des ambulanciers privés, des pompiers et des services pénitentiaires.
Enfin, le collectif rappelle que « les enjeux de continuité de soins, de responsabilité et de sécurité impliquent l'inscription du dispositif de soins sans consentement dans une logique de responsabilité territoriale sectorielle claire ». Pour cela, les établissements de santé ne doivent pas pouvoir choisir de quel territoire ils sont chargés. Elles demandent qu'une répartition précise des rôles sur une base géographique soit clairement déterminée à l'avance.
(1) Cette loi devait être réexaminée tous les cinq ans, soit dès 1995, ce qui n'a jamais été fait.
(2) En novembre 2008, au lendemain du meurtre d'un étudiant à Grenoble par un patient schizophrène, le président de la République avait demandé aux trois ministres de l'Intérieur, de la Justice et de la Santé de préparer sans délai une réforme en profondeur du droit de l'hospitalisation psychiatrique - Voir ASH n° 2582 du 21-11-08, p. 31.
(3) CGT Santé-action sociale, CFTC Santé-action sociale, CFE-CGC Santé-action sociale, SUD Santé-sociaux, Confédération des praticiens hospitaliers, Syndicat des psychiatres des hôpitaux, Union syndicale de la psychiatrie.
(4) Dont l'Union nationale des amis et familles de malades psychiques, le Syndicat des psychiatres français, la FEHAP, la FNAP-Psy, l'Intersyndicat de défense de la psychiatrie publique, la Fédération hospitalière de France...