Recevoir la newsletter

« La violence homophobe est plus présente qu'on ne croit »

Article réservé aux abonnés

Malgré une reconnaissance accrue des couples homosexuels, liée pour une grande part à l'instauration du pacte civil de solidarité, force est de constater que l'homophobie demeure très virulente en France, en particulier à l'égard des jeunes. Et alors que se tiendra le 17 mai prochain la Journée mondiale de lutte contre l'homophobie, son fondateur, l'universitaire Louis-Georges Tin, dresse l'état des lieux de cette discrimination.

L'homophobie est-elle de même nature que le racisme ou l'antisémitisme ?

Il existe beaucoup de convergences avec le racisme, l'antisémitisme, le sexisme... Par exemple, la domination intériorisée par les victimes, les arguments qui procèdent par la naturalisation de propriétés sociales, le vocabulaire de l'infériorisation souvent animalisant... En revanche, si raciste que soit l'environnement où il naît, un enfant a toutes les chances de grandir dans une famille de la même couleur de peau que lui, et qui ne le rejette pas pour cette raison. Alors que la plupart des homosexuels grandissent dans des familles hétérosexuelles. Ils sont donc exposés à une homophobie sociale, mais aussi familiale. Là réside la véritable différence entre l'homophobie et la plupart des autres formes de discrimination.

On pourrait penser que l'homosexualité est aujourd'hui, sinon acceptée, du moins banalisée. Est-ce réellement le cas ?

On observe des avancées notables, en particulier l'instauration du PACS [pacte civil de solidarité], qui a permis une reconnaissance des couples de même sexe. Mais la stigmatisation et la discrimination restent de mise. Demandez à M. et Mme Tout-le-monde ce qu'ils diraient si on leur annonçait que leur enfant s'apprêtait à convoler avec une personne du même sexe... Je ne suis pas certain qu'ils soient enthousiastes. En dépit des avancées, l'homophobie est très loin d'avoir disparu. Les actes de violence homophobe existent, et ils sont plus nombreux qu'on ne croit. Il faut mentionner aussi la lesbophobie. On croit parfois que l'homosexualité féminine est mieux acceptée. En réalité, les violences faites aux lesbiennes sont un mélange d'homophobie et de sexisme. C'est une double peine qui s'exerce par le « viol correctif » - une expression barbare -, le mariage forcé ou le confinement domestique. Ces pratiques passent inaperçues, alors que, très souvent, le traitement réservé aux hommes est plutôt du côté de l'exclusion publique et du scandale.

Les lois de 2003 et 2004 punissant l'homophobie ont-elles eu un effet ?

Un effet symbolique, probablement, car elles mettent plus ou moins sur un pied d'égalité les propos homophobes et sexistes avec les propos racistes ou antisémites. Un effet concret, certainement pas, puisque la seule occasion de les appliquer, en l'occurrence concernant le député Christian Vanneste(1), s'est soldée par un échec. Leur application reste insuffisante. D'autant que la charge de la preuve est souvent difficile à apporter et que les victimes hésitent à porter plainte.

L'homophobie s'exprime-t-elle davantage dans certains milieux ?

La famille, l'école ou le monde du travail sont des lieux privilégiés d'expression de l'homophobie. En revanche, faire une gradation en fonction des milieux sociaux serait une erreur. On laisserait alors entendre que l'homophobie serait plus forte dans les milieux populaires, les classes aisées, nécessairement intelligentes et supérieures, étant exemptes de ce mal. Il n'en est rien. Il est probablement aussi difficile de parler de son homosexualité dans une famille catholique de Versailles que dans une famille musulmane de Clichy-sous-Bois. Ce qui différencie les classes sociales, ce n'est pas tant l'intensité de l'homophobie que ses modalités. La violence physique est peut-être davantage le fait de jeunes des quartiers populaires. Mais dans les quartiers aisés il existe une autre forme d'homophobie, tout aussi violente. Pendant longtemps, la bourgeoisie française a envoyé les enfants suspectés d'homosexualité chez le psychiatre. La lobotomie ainsi que certaines pratiques chimiques violentes étaient admises. Ce n'était pas beaucoup plus indulgent que des passages à tabac. De même, la surreprésentation des jeunes dans les actes de violence physique à l'encontre des homosexuels cache une surreprésentation de personnes plus âgées dans les autres formes de violence, sociale, morale ou symbolique - comme le harcèlement moral et la discrimination. Tout cela peut avoir des effets très violents, en poussant les gens à la dépression, voire au suicide.

Pour les jeunes homosexuels, la rupture avec leur milieu d'origine est-elle inévitable ?

Ce n'est pas toujours le cas mais c'est très fréquent. La trajectoire des jeunes homosexuels est souvent marquée par un moment d'exil et de rupture nécessaire et parfois libératoire, même s'il n'est pas forcément définitif. Car les liens avec la famille peuvent être reconstitués. Je constate d'ailleurs aujourd'hui une meilleure acceptation de l'homosexualité des jeunes par certaines familles. Je crois que c'est lié à l'apparition du PACS et à la reconnaissance des couples homosexuels. On s'est aperçu que les homosexuels ne sont pas que dans la sexualité, qu'ils peuvent former des couples et aspirer à constituer des familles avec des enfants.

Le suicide est nettement plus fréquent chez les jeunes homosexuels que chez les autres jeunes...

Les jeunes homosexuels ont en effet 5 à 15 fois plus de risques de commettre des tentatives de suicide que les autres personnes de leur âge. C'est lié surtout à l'environnement homophobe, en tout cas hétérosexiste, dans lequel ils vivent. A la télévision, dans la littérature, dans la publicité, au cinéma... tout renvoie à l'hétérosexualité considérée comme la norme universelle. Pour ces jeunes, c'est une forme de poison. C'est ce qui crée un climat favorable au suicide, sans doute davantage que l'homophobie en tant que telle. Lorsque les homosexuels se cachent, ce qui est souvent une stratégie de survie nécessaire, ils contribuent d'ailleurs eux-mêmes à renforcer cet hétérosexisme.

Dans son ouvrage Retour à Reims, Didier Eribon écrit qu'il est « un produit de l'injure », « un fils de la honte ». Est-il possible, pour un jeune homosexuel, d'éviter cette honte ?

Je ne connais aucune personne homosexuelle qui n'ait un jour traversé cette honte à son corps défendant. Certaines, heureusement de plus en plus nombreuses, parviennent à la surmonter. C'est un apprentissage souvent difficile, mais ceux qui le font en tirent bien souvent une force et une légitimité sociale. Le plus souvent, cela ne passe pas par la famille. Il faut des rencontres, des lectures, des recherches personnelles, un travail que l'on entreprend sur soi-même... Bien entendu, les actions politiques et les manifestations publiques collectives contribuent aussi à faire sortir de cette honte, qui est un sentiment qui isole.

Ne faudrait-il pas développer des actions de prévention de l'homophobie ?

Le ministère de l'Education nationale, pour ne parler que de lui, se montrait jusqu'à très récemment totalement sourd à ce type de propositions, se contentant, dans le meilleur des cas, de produire des circulaires sans impact(2). En outre, les manuels et les programmes scolaires ne disent pas un mot sur ces questions. Le comité IDAHO(3), que je préside, a lancé une campagne pour que les programmes scolaires intègrent cette dimension, comme c'est le cas dans d'autres pays. Si les enfants sont victimes de racisme, de sexisme ou d'homophobie, vous pourrez enseigner les plus belles choses, le message ne passera pas. Il faut d'abord établir le vivre-ensemble pour ensuite aborder le savoir.

Les travailleurs sociaux vous paraissent-ils suffisamment formés à l'écoute des jeunes homosexuels ?

Je crains que non, malgré leur bonne volonté dont je ne doute pas. Ce n'est pas vraiment leur faute, dans la mesure où, dans leur formation initiale, peu de choses se rapportent à ces questions. Il existe un établissement à Montpellier, le Refuge(4), qui accueille les jeunes homosexuels rejetés par leur famille. C'est le seul que je connaisse, alors que de très nombreux jeunes gens sont chassés de chez eux en raison de leur homosexualité et se retrouvent sans ressources, livrés à la prostitution ou à la misère.

REPÈRES

Docteur ès lettres, Louis-Georges Tin est maître de conférences à l'université d'Orléans. Il enseigne également à l'Ecole des hautes études en sciences sociales. Il a dirigé la rédaction du Dictionnaire de l'homophobie (Ed. PUF, 2003) et a publié L'invention de la culture hétérosexuelle (Ed. Autrement, 2008). Il est par ailleurs vice-président et porte-parole du Conseil représentatif des associations noires (CRAN) et fondateur de la Journée mondiale contre l'homophobie.

Notes

(1) Christian Vanneste, député UMP du Nord, a été condamné en 2006 et en 2007 pour avoir tenu des propos homophobes. Puis ce jugement a été annulé en 2008 par un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation, qui a estimé que ces propos ont « pu heurter la sensibilité de certaines personnes homosexuelles » , mais que « leur contenu ne dépasse pas les limites de la liberté d'expression » .

(2) Le ministre de l'Education nationale, Luc Chatel, a cependant annoncé, le 16 avril, le lancement, dans les établissements du secondaire, d'une campagne de promotion de la ligne Azur, service téléphonique destiné à écouter et à soutenir les adolescents qui s'interrogent sur leur orientation sexuelle.

(3) De l'anglais International Day Against Homophobia .

(4) Voir ASH n° 2528 du 26-10-07, p. 29.

Rencontre

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur