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Insertion des Roms : les contradictions de l'Etat dénoncées

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Alors que des élus de la Seine-Saint-Denis ont tapé du poing sur la table contre le désengagement de l'Etat dans l'accueil des Roms, tous les acteurs s'accordent sur l'urgence de faciliter l'accès aux droits de ces citoyens européens, pour l'heure freiné par la législation.

Après le deuxième sommet européen sur les Roms, les 8 et 9 avril, la déception est grande pour ces 9 à 12 millions de personnes particulièrement exposées aux discriminations et aux difficultés d'accès à l'emploi, au logement, à la santé ou à la scolarisation (voir ce numéro, page 13). La plupart des ministres européens ayant boudé la conférence, que la présidence espagnole avait choisi d'organiser à l'occasion de la journée mondiale des Roms, « on ne peut que regretter le désintérêt évident des gouvernements pour la question », souligne Stéphane Lévêque, directeur de la Fnasat-Gens du voyage, présent au sommet. Autre grand regret : « Alors que les gens du voyage devaient faire partie du débat, la France s'est déplacée sans avoir eu un mot pour ses 400 000 concitoyens, dont le sort relève simplement de l'application de la loi. » Pour le reste, « rien n'a avancé », le sommet n'ayant débouché sur aucun engagement concret.

Pourtant, la situation des Roms se dégrade, notamment en France, où les ressortissants roumains et bulgares, citoyens européens depuis 2007, sont soumis à un régime transitoire pouvant durer jusqu'à la fin de 2013 et qui freine leur accès au marché de l'emploi (1). Les familles continuent de s'entasser dans des bidonvilles. Une situation qui a conduit, le 8 avril, Patrick Braouezec (DVG, ex-PCF), président de Plaine Commune, ainsi que sept maires de cette communauté d'agglomération de la Seine-Saint-Denis (2), à lancer un cri d'alerte. Dans ce département, près de 3 000 personnes vivraient dans des camps de fortune, dont 1 800 pour le seul arrondissement de Saint-Denis. « Même si nous savons que les expulsions à répétition ne sont pas une solution et fragilisent encore davantage ces familles, nous ne pouvons laisser durer l'occupation de ces terrains, parfois réservés à des opérations d'aménagement, ou tout simplement parce qu'il y a danger pour les populations elles-mêmes et pour les riverains », ont-ils fait valoir. Les élus réclament des « solutions pérennes pour que les Roms puissent mieux s'intégrer à notre société et vivre dans la dignité ». Appelant l'Etat à prendre ses responsabilités pour coordonner « un nécessaire effort de solidarité à l'échelle de l'ensemble de la région Ile-de-France », ils réitèrent leur demande d'une table ronde régionale organisée sous l'égide du préfet de région et préconisent la réalisation d'un schéma régional et départemental d'accueil. Au-delà, à l'instar des associations engagées auprès des Roms, ils réclament la fin des mesures transitoires appliquées aux Roumains et aux Bulgares. Et tapent du poing sur la table. « Certains d'entre nous se sont déjà engagés de manière volontariste en coopération avec l'Etat pour la construction et le financement de villages d'insertion à Saint-Denis, Aubervilliers, Saint-Ouen, Bagnolet, etc. », indiquent les maires, expliquant que ces opérations « ont pour objectif de permettre à des familles de bénéficier d'un accompagnement qui doit les mener vers un emploi fixe et un logement social ». Aujourd'hui, ils dénoncent « l'incurie de l'Etat » qui, en contrepartie, « s'était engagé à lutter contre l'installation de camps sauvages et à coordonner à l'échelle régionale l'implantation de villages d'insertion en nombre suffisant ». Considérant que ces promesses n'ont pas été tenues, les édiles concernés veulent suspendre leur effort financier pour les villages d'insertion, « engagement qu'ils sont disposés à reprendre lorsque leurs revendications auront été entendues ».

Ce coup de semonce a eu l'effet, moins attendu des élus, de relancer la polémique sur les « villages d'insertion » créés dans le cadre de MOUS (maîtrises d'oeuvre urbaines et sociales), très critiqués par certaines organisations, comme La Voix des Roms. Celle-ci assimile ces dispositifs, ouverts seulement à certaines familles choisies après un diagnostic social, à des « camps de réclusion pour 10 % des Roms », dont les chances d'insertion sont compromises par les restrictions créées par le droit français, « les 90 % restants retrouvant le chemin des expulsions à répétition ». L'association en dénonce aussi les effets pervers, dont la part du budget consacré à la surveillance et au gardiennage, qui vise à empêcher l'arrivée de personnes extérieures au dispositif.

Délicat, cependant, de rejeter en bloc les seules solutions proposées pour résorber les bidonvilles, que les élus eux-mêmes ne considèrent pas comme idéales. S'il faut une politique publique globale et cohérente, en attendant « ces expériences ont au moins le mérite d'exister et sont positives en termes d'implication de la puissance publique », estime Agnès El Majeri, directrice de la mission Ile-de-France de la Fondation Abbé-Pierre, qui fait partie du comité de pilotage de la MOUS de Montreuil. Elle considère ces dispositifs comme une première solution pour répondre à l'urgence d'un accueil digne : « Les premières expériences sont récentes, puisque celle d'Aubervilliers a été lancée en 2007. Mais il apparaît qu'elles permettent d'enclencher un accompagnement social, un travail en faveur de la santé et de la scolarisation et d'ouvrir des possibles en facilitant l'accès à l'emploi » (sur la MOUS d'Aubervilliers, voir le site des ASH, www.ash.tm.fr).

Si, au fond, tous les points de vue convergent sur la nécessité de régler le problème majeur de l'accès aux droits des Roms, ce sont bien les injonctions contradictoires de l'Etat - empêcher les bidonvilles et ne pas faire des Roms des citoyens européens comme les autres - qui suscitent la plupart des réserves. Dans ce contexte, la crainte est de voir perdurer une situation où l'on « fabrique le problème des Roms », sans véritable clé de sortie. « D'un point de vue individuel, ces structures sont incontestablement favorables, mais les réponses individuelles et caritatives n'ont jamais constitué une politique, commente ainsi Laurent El Ghozi, président de la Fnasat-Gens du voyage. La recommandation de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité l'a démontré : les difficultés d'intégration des Roms sont liées aux mesures transitoires » qui limitent leur accès au travail. « Les villages d'insertion représentent 27 000 € par famille et par an : en gros le coût d'un emploi à plein temps ! », ajoute-t-il. Xavier Benoist, directeur adjoint de la fédération des PACT, dont celui de Seine-Saint-Denis est opérateur sur quatre sites, il partage cet avis. « Les villages d'insertion sont une formule d'hébergement d'urgence, qu'il ne faudrait pas généraliser comme une solution. » S'il a, au cours d'une réunion avec les acteurs du mal-logement, préconisé une évaluation du dispositif, il insiste : « La question de fond demeure le droit des personnes. » Les membres de Romeurope, très actifs dans l'exigence de lever les mesures transitoires, abondent dans ce sens. Tout en prévenant contre le risque de voir les élus eux-mêmes piégés dans leurs contradictions. « Quels que soient les jugements portés par les uns ou les autres sur les villages d'insertion, pour lesquels une évaluation indépendante est absolument nécessaire, la mise en oeuvre de ceux-ci ne saurait justifier l'expulsion hors du territoire de la commune des familles qui y ont cherché refuge et n'y ont pas été admises », défend Michèle Mézard, membre du collectif.

Notes

(1) Pour obtenir un titre de séjour, les ressortissants roumains ou bulgares doivent trouver un emploi et obtenir une autorisation de travail. Pour qu'ils puissent prétendre à l'un des 150 métiers en tension qui leurs sont ouverts, leur employeur doit présenter plusieurs pièces justificatives et payer une taxe à l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII, ex-ANAEM).

(2) Michel Beaumale, maire de Stains, Michel Bourgain, maire d'Ile-Saint-Denis, Michel Fourcade, maire de Pierrefitte-sur-Seine, Carinne Juste, maire de Villetaneuse, Didier Paillard, maire de Saint-Denis, Gilles Poux, maire de La Courneuve, Jacques Salvator, maire d'Aubervilliers.

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