Teacch, ABA, PECS (1)... Il existe différentes méthodes d'inspiration comportementale destinées à la prise en charge des jeunes qui souffrent de troubles du spectre autistique. Quel est leur fondement théorique ?
Il faut rappeler qu'autrefois l'autisme était considéré comme une pathologie réactionnelle à des difficultés relationnelles. Le sujet était perçu comme mal dans ses relations avec les autres, et la réponse était d'ordre psychothérapeutique. On prétendait travailler avec l'enfant et sa famille pour voir ce qui avait pu engendrer de telles difficultés. L'apport des méthodes comportementales correspond à un changement complet de paradigme. On estime désormais que les troubles autistiques sont d'ordre neurologique lié au développement. Il convient donc d'aborder les enfants avec autisme dans un but de rééducation et de stimulation des fonctions défaillantes. Pour cela, on se situe dans une approche éducative, en s'inspirant de la théorie de l'apprentissage fondée initialement sur le conditionnement opérant. C'est ce que fait une mère qui encourage son enfant quand il a un comportement adapté. Dans la théorie de l'apprentissage, d'inspiration essentiellement nord-américaine, on a systématisé ce principe en vue de compenser des fonctions défaillantes et de relancer, chez les enfants avec autisme, une certaine dynamique de développement.
Qu'est-ce qui différencie ces méthodes entre elles ?
Dans l'ABA, qui est la méthode la plus directement inspirée du béhaviorisme, on utilise le système des essais. L'adulte donne des consignes, et si l'enfant fait bien, il est renforcé positivement. Sinon, on répète la demande jusqu'à ce qu'il présente un début de réponse et qu'on puisse alors le renforcer. De même, on peut utiliser le principe de l'extinction. Lorsque l'enfant présente un comportement perturbateur, l'adulte lui retire son attention afin de ne pas renforcer ce comportement. Il s'agit là de la méthode comportementale stricte. Avec le néobéhaviorisme, on a commencé à assouplir la démarche en intégrant l'idée qu'un enfant apprend d'autant mieux qu'il est motivé et se trouve dans son environnement naturel. Dans l'apprentissage incident, ce n'est plus l'adulte qui donne les consignes. Il est à l'écoute de l'enfant, et chaque fois qu'une velléité de réponse va dans le bon sens il la renforce jusqu'à obtenir un comportement complètement constitué. La méthode Teacch, elle, a ajouté l'idée que l'enfant a un fonctionnement cognitif particulier dont il faut tenir compte pour organiser son environnement d'apprentissage - par exemple grâce à des repères visuels. Teacch insiste en outre sur l'importance de prendre en compte le niveau de développement de l'enfant pour avoir une chance de le faire progresser. Si on vise trop haut, on risque d'avoir un effet réversif. Dans les programmes les plus récents, cette dimension du développement prend de l'importance. Ainsi, pour les petits enfants, plutôt que d'essayer de les faire asseoir à une table pour faire des exercices, on va leur proposer des activités physiques pour apprendre à partager la tension et à être synchronisés sur le plan émotionnel.
Peut-on affirmer que ces méthodes sont efficaces ?
Les études comparatives montrent qu'en général elles apportent un bénéfice. Elles permettent une nette progression du langage. Ce qui est très important pour la suite du développement. Elles favorisent aussi le développement des capacités cognitives et de l'engagement social. L'enfant a davantage envie d'aller vers les adultes et les autres enfants. Elles aident, en outre, à la diminution des troubles autistiques. Maintenant, on ne sait pas à l'avance quel enfant va répondre positivement ou non, sauf pour les enfants qui souffrent d'un déficit intellectuel associé notable. Si l'on veut être honnête, il faut reconnaître qu'il y a des succès formidables, mais aussi des échecs, avec des enfants qui ne progressent pas, voire qui régressent. Ce n'est d'ailleurs pas lié à l'intervention elle-même, mais à certains facteurs propres à l'enfant, comme un trouble neurologique évoluant à bas bruit. Ce qui n'est pas rare chez les enfants avec autisme. Ce n'est donc pas du 100 %, et c'est pour cela que l'on n'a pas le droit de dire aux parents que ces méthodes vont guérir leur enfant. Toute la difficulté consiste à leur donner de l'espoir sans entretenir leurs illusions. Malheureusement, il arrive que des jeunes thérapeutes qui viennent de découvrir ces méthodes parlent aux parents de guérison. On ne peut pas se le permettre, même s'il est important de préserver le dynamisme familial.
Le coût de ces prises en charge peut-il être assumé par toutes les familles ?
C'est effectivement assez cher, tant il est vrai que la prise en charge de l'autisme doit être individualisée. Certaines familles vont pouvoir payer des intervenants pour travailler avec leur enfant de manière individuelle, tandis que d'autres, malheureusement, ne peuvent pas suivre. Il arrive que des MDPH [maisons départementales des personnes handicapées] débloquent des compensations pour financer ces intervenants, mais pas à la hauteur de ce qui serait nécessaire. Je crois cependant qu'il faut relativiser la question des moyens et rester dans ce qui est réalisable et réaliste, sans culpabiliser les parents. Beaucoup de travaux sont en cours, notamment aux Etats-Unis, dans lesquels des groupes de professionnels initient le travail avec les enfants et forment les parents pour que ces derniers, dans leur vie quotidienne, puissent continuer le travail enclenché en lui donnant du sens. C'est ce que l'on appelle l'apprentissage incident. On ne demande pas aux parents de faire faire des exercices à l'enfant de manière systématique, mais plutôt de lui consacrer du temps et d'être attentifs aux comportements qui peuvent émerger. Cela demande une formation spécifique, car il ne faut pas passer à côté des signes parfois ténus de communication. C'est pour cette raison que les pratiques actuellement en vogue qui font appel à de nombreux bénévoles se succédant pour stimuler l'enfant sont, selon moi, insuffisantes. On ne peut pas remplacer le qualitatif par le quantitatif.
Pourquoi le débat entre les promoteurs de ces méthodes comportementales et ceux qui défendent une approche d'inspiration psychanalytique est-il d'une telle virulence ?
C'est lié à la conception de l'autisme. On sait aujourd'hui qu'il est d'origine neurobiologique, avec une forte composante génétique. Il existe d'autres facteurs dont l'intervention est encore mal cernée, mais qui ne sont certainement pas psychologiques, même s'il peut y avoir, avec l'autisme, des complications psychologiques. L'approche psychanalytique n'a donc pas de sens. D'autant qu'elle s'appuie sur l'interprétation et que les personnes avec autisme ont difficilement accès au symbolique. On ne peut plus être d'accord avec cette démarche, qui a laissé des enfants dans le non-développement. On se doit au contraire de leur apporter la stimulation nécessaire pour relancer leur développement. Certains disent que les méthodes comportementales s'apparentent au dressage. Ils ont sans doute observé ceux qui pratiquent un comportementalisme pur et dur. Les problèmes surviennent lorsqu'on vulgarise à l'excès et que l'on forme trop rapidement trop de gens. On court alors le risque d'une baisse de qualité, avec des adultes qui ne font qu'appliquer du conditionnement opérant. Bien sûr, les enfants avec autisme apprendront, mais de manière rigide. Ils ne sauront pas généraliser aux situations de la vie courante. L'accusation de dressage est alors fondée. En revanche, elle ne l'est pas lorsque les intervenants ont une bonne connaissance de l'autisme ainsi que du modèle cognitivo-comportemental, car, en même temps qu'ils apprennent des choses à l'enfant, ils s'efforcent de donner du sens à ce qu'ils font. Ils n'en restent pas au niveau du conditionnement.
Comment se positionnent les travailleurs sociaux dans ce débat ?
Un certain nombre d'éducateurs ont été formés à l'école psychanalytique et résistent à ces approches différentes. Mais les jeunes travailleurs sociaux tendent à s'ouvrir aux méthodes comportementales, qui peuvent susciter une adhésion et un projet d'équipe. C'est gratifiant, car cela demande de la motivation et la compréhension de ce que l'on fait tout en permettant d'observer des résultats au quotidien. Les professionnels peuvent ainsi avoir le sentiment d'être utiles.
Professeure de psychopathologie du développement à l'université de Toulouse-Le Mirail, Bernadette Rogé dirige le Centre d'études et de recherches en psychopathologie (CERPP) et est responsable scientifique du Centre régional d'éducation et de services pour l'autisme en Midi-Pyrénées. Elle intervient en outre pour le ministère de la Santé sur la validation d'une échelle de dépistage de l'autisme. Elle est notamment l'auteure d'Autisme, comprendre et agir. Santé, éducation, insertion (Ed. Dunod, 2008).
(1) Teacch : Treatment and Education of Autistic and Related Communication Handicapped Children. ABA : Applied Behavioral Analysis. PECS : Picture Exchange Communication System.