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Les missions locales sous pression

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Le plan « Agir pour la jeunesse » a permis de replacer sur le devant de la scène les missions locales, ces structures centrales de l'insertion sociale et professionnelle des jeunes. Toutefois, à l'heure de sa mise en oeuvre - qui s'accompagne d'une augmentation des contraintes dans un contexte d'aggravation du chômage des jeunes -, la satisfaction initiale a laissé la place à un sentiment plus mitigé.

Rendu public le 29 septembre 2009, le plan « Agir pour la jeunesse » (1) a reconnu les missions locales comme « pivot de l'accompagnement des jeunes », entraînant la satisfaction unanime des acteurs du secteur. « Forcément, qu'un gouvernement se préoccupe de la jeunesse est une bonne chose, comme, d'ailleurs, le fait qu'il s'ouvre aux missions locales et renforce leurs équipes et l'offre de services », note Annie Jeanne, présidente de l'ANDML (Association nationale des directeurs de missions locales) et directrice de la mission locale de Rouen. « C'est une bouffée d'air aussi nécessaire que bienvenue », observe David Bévière, directeur de la mission locale d'insertion (MLI) du Poitou à Poitiers. « La question des jeunes est redevenue une priorité nationale et il faut s'en féliciter », estime pour sa part Dominique Delcroix, directeur de la mission locale de Sambre-Avesnois à Maubeuge (Nord). « On oublie en général le réseau des missions locales, sauf quand ça devient vraiment difficile ! », commente, plus caustique, Serge Papp, secrétaire général du Synami (Syndicat national des métiers de l'insertion)-CFDT. C'est peu dire que les missions locales avaient plutôt l'habitude, ces dernières années, d'être traitées de haut par les pouvoirs publics. Après l'élan des débuts, en 1982, sous l'impulsion de Bertrand Schwartz, pour créer un dispositif novateur (voir encadré, page 25), le soufflé était retombé. Pour preuve, récemment, les velléités d'absorption des missions locales par les maisons de l'emploi, le dédain dont elles ont fait l'objet lors du « Grenelle de l'insertion » et le contrat d'autonomie, mesure phare du plan « Espoir banlieues », confié en 2008 à des opérateurs privés plutôt qu'aux missions locales.

Pour que le gouvernement prenne toute la mesure du rôle des missions locales en matière d'insertion sociale et professionnelle des jeunes, il a fallu la dynamique créée par la concertation sur la politique de la jeunesse menée par l'entremise de la commission Hirsch. A cette occasion, en juin 2009, les organisations syndicales des salariés des missions locales et l'UNML (Union nationale des missions locales), très investies dans la discussion, ont fédéré leurs efforts pour faire valoir leurs spécificités via un « Manifeste pour une politique ambitieuse de la jeunesse » (2). Dans la foulée, le plan « Agir pour la jeunesse », qui constitue la mise en oeuvre du Livre vert pour la jeunesse de juillet 2009, a scellé ce basculement symbolique : le réseau des missions locales est revenu sur le devant de la scène comme acteur central de l'insertion des jeunes. « Pas un seul autre réseau d'insertion en France n'était capable de recevoir un million de jeunes piétinant aux portes du marché du travail », analyse le sociologue Philippe Labbé, qui rappelle que le réseau peut s'appuyer avec efficacité sur près de 500 structures et 11 000 professionnels répartis sur l'ensemble du territoire. « Le gouvernement s'est soudain rendu compte qu'il ne fallait pas casser cet outil opérationnel qui s'adapte très vite à la commande publique », précise Serge Papp. « C'est le seul qui marche vraiment ! », s'exclame-t-on d'ailleurs au CNML (Conseil national des missions locales). En témoignent, malgré le contexte difficile, les (relativement) bons chiffres du CIVIS (contrat d'insertion dans la vie sociale) - au coeur de l'accompagnement proposé par les missions locales depuis sa création en 2005 - qui affichait, en 2008, 51 % d'entrées en formation ou de retours à l'emploi à son terme.

Au-delà de la reconnaissance de leur efficacité, les missions locales, qui ont eu - enfin - le sentiment d'avoir été entendues, ont accueilli avec satisfaction les mesures annoncées dans le plan « Agir pour la jeunesse ». Néanmoins de nombreuses incertitudes apparaissent au fur et à mesure que celui-ci entre dans sa phase opérationnelle. « Sa mise en oeuvre se revèle plus complexe que prévu », constate Annie Jeanne. En tête des motifs d'inquiétude : le financement. L'effort de l'Etat est pourtant perceptible sur ce terrain : aux 40 millions d'euros supplémentaires dégagés en 2010 pour renforcer les moyens humains du réseau - rendant possible l'embauche de deux conseillers additionnels par mission locale en moyenne - s'ajoutent la consolidation des associations régionales des missions locales, qui voient leur budget augmenter de 50 % (ce qui permettra de mutualiser les pratiques et de faciliter l'outillage des missions locales les plus petites), la hausse de l'enveloppe allouée au FIPJ (Fonds pour l'insertion professionnelle des jeunes), dont 30 millions d'euros dédiés principalement aux actions en faveur de la mobilité, ainsi que le renforcement du CIVIS à hauteur de 90 millions d'euros. Mais, issue en grande partie du plan de relance, la manne n'est pas pérenne. « Si la machine repart, l'insertion des jeunes restera-t-elle une priorité alors qu'on sait qu'il existe un phénomène structurel de décalage entre la sortie du système scolaire et l'entrée dans le marché de l'emploi ? », s'interroge Michel Abhervé, professeur associé à l'université de Marne-la-Vallée et spécialiste des questions d'insertion et d'emploi. En outre, selon le Synami, les 40 millions d'euros annoncés dans le plan « Agir pour la jeunesse » ne représenteraient qu'une augmentation de 8,4 % du budget global des missions locales - « ce qui n'a rien d'un changement d'échelle », commente Serge Papp. Selon le secrétaire national du syndicat, cette somme permettra tout juste de conserver les emplois menacés. A ce titre, la comparaison avec les 85 millions d'euros par an alloués au contrat d'autonomie (sur trois ans) peut expliquer l'incrédulité des acteurs du réseau.

Par-delà le montant lui-même, certains ne sont pas loin de voir dans cet abondement un tour de passe-passe. « On nous reprend d'une main ce qu'on nous a donné de l'autre », observe Annie Jeanne. La présidente de l'ANDML constate que les crédits du FSE (Fonds social européen), supprimés en 2010 au motif de leur utilisation abusive (3) et qui devaient être remplacés par l'Etat à l'euro près, ne sont pas au rendez-vous localement. Selon certains acteurs des missions locales, les 40 millions d'euros annoncés en grande pompe dans le plan « Agir pour la jeunesse » serviront au mieux à combler les trous, au pire à jouer le rôle de pare-feu. Car, après cinq ans de stagnation des financements de l'Etat, les missions locales sont dans le rouge. Pour la région Haute-Normandie, ce sont 500 000 € qui manqueraient ainsi à l'appel.

De fait, même si la rallonge de 40 millions d'euros va permettre de recruter des conseillers supplémentaires, il n'est pas certain que cela suffise. Car les besoins sont immenses. Explosion du chômage des jeunes, précarisation des familles qui atténue la solidarité intergénérationnelle, afflux massif de jeunes en difficulté d'insertion sociale et professionnelle... : tout concourt à accroître l'activité. La mission locale d'insertion du Poitou constate une augmentation de 6 % des inscrits entre 2008 et 2009 mais, à l'échelle de la région, cette hausse est de 11 %. A l'UNML, on avance le chiffre de + 30 % de premiers accueils depuis septembre 2008. « Les charges de travail augmentent considérablement et les conseillers sont de plus en plus surchargés par tout un fatras administratif aux dépens de la relation directe avec les jeunes », constate Philippe Labbé, qui dresse un tableau noir de la situation. « Chaque conseiller suit 200 ou 300 jeunes. J'ai même récemment découvert, dans une mission locale, des conseillers en charge de 500 jeunes ! Au niveau national et pour 2009, le tiers des jeunes suivis a bénéficié d'environ quatre entretiens dans l'année. A l'échelle du face-à-face avec le jeune pour définir un projet, orienter, trouver les solutions..., cela n'est ni plus ni moins qu'un entretien par trimestre. Et pour les deux tiers restants, la relation se résume à un entretien, un coup de fil, une lettre voire un texto ! » Et le sociologue de poursuivre : « Ajoutez à cela les difficultés croissantes d'insertion avec un marché du travail atone qui fait qu'il n'y a pas grand chose à proposer aux jeunes, une paupérisation de la jeunesse, des logements inaccessibles... vous obtenez un paysage décourageant. » D'aucuns pronostiquent d'ailleurs une « révolte des missions locales », selon les termes de Serge Papp, si l'abondement de 40 millions d'euros n'est pas reconduit dans les années à venir. Selon Philippe Labbé, la solution n'est toutefois « ni dans un financement au coup par coup, tactique et forcé par les événements, ni dans un financement inscrit dans le marbre qui signifierait qu'on a abandonné tout espoir de laisser derrière nous l'aspect structurel du chômage ». Le sociologue prône plutôt la généralisation des contractualisations triennales pluri-institutionnelles, qui engageraient non seulement l'Etat mais aussi les collectivités territoriales sur le modèle des contrats pluriannuels d'objectifs (CPO) signés avec l'Etat.

Une logique de résultats

En attendant, l'inquiétude est d'autant plus grande que l'Etat s'appuie sur les financements supplémentaires du plan de relance pour imposer une restructuration du réseau. En témoigne, çà et là, les choix budgétaires drastiques opérés par les Direccte (directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi, ex-DRTEFP) pour l'attribution des 40 millions d'euros à l'occasion du « dialogue de gestion » annuel (4). La circulaire de la délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle du 21 janvier 2010 relative à la mise en oeuvre du droit à l'accompagnement vers l'emploi des jeunes de 16 à 25 ans dans le cadre du CIVIS (5) l'affichait d'ailleurs sans détours : « Le renforcement des moyens des missions locales en particulier au titre du plan de relance ne saurait être ni automatique ni uniforme. » Autre façon de dire que les moyens seraient « attribués en fonction des résultats des missions locales », comme le stipulait déjà le plan « Agir pour la jeunesse », un principe consacré par la loi relative à l'orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie du 24 novembre 2009 (6). « L'Etat distribue les mauvais et les bons points, ce qui attise les rivalités entre les structures », commente Christelle Tavarès, déléguée générale de l'UNML, qui déplore que l'évaluation des missions locales se limite quasi exclusivement aux chiffres des retours à l'emploi. D'ailleurs, même pour les bons élèves, l'enthousiasme n'est pas forcément au rendez-vous. La raison ? La dotation supplémentaire est assortie d'exigences nouvelles sous la forme d'objectifs chiffrés à atteindre - « bien que nous n'ayons pas toujours la méthodologie ni les moyens pour y parvenir », s'inquiète Dominique Delcroix. « Nous donner plus en nous demandant davantage ne va pas forcément nous placer dans un confort plus grand », regrette également David Bévière. Quant aux mauvais élèves, ils s'enfoncent dans les difficultés - alors même que l'élan donné par le plan pour la jeunesse, en septembre 2009, les avaient poussés à renouveler les contrats à durée déterminée de leurs conseillers d'insertion. En Ile-de-France, les missions locales assistent ainsi à un rééquilibrage brutal de leurs subventions. Bilan : fin mars, plusieurs postes étaient menacés dans deux missions locales de la capitale, qui se retrouvaient avec 100 000 € de déficit prévisionnel chacune, entraînant une grève des salariés, le 18 mars dernier.

Si la problématique parisienne est spécifique (avec un sous-financement chronique de la Ville de Paris), elle fait écho à un contexte globalement morose où, à côté des aléas des financements de l'Etat, les missions locales doivent faire face à l'action démobilisatrice de certains conseils régionaux - la Picardie fusionne le réseau des missions locales avec les maisons de l'emploi, avec pour conséquence l'affaiblissement, à terme, des spécificités de l'accompagnement des jeunes - ainsi qu'à la baisse continue des subventions des conseils généraux (à l'instar de la Seine-et-Marne qui supprime sa dotation à toutes les missions locales pour 2010), pris en étau entre l'inflation de leurs responsabilités et la diminution de leurs moyens (7). Certains regrettent d'ailleurs que la dynamique lancée par le plan « Agir pour la jeunesse » ait accouché de mesures nationales plutôt que d'un appui aux initiatives locales. « C'est pourtant là que l'efficacité est la plus forte », avance Dominique Delcroix.

Les réactions sont également partagées concernant le CIVIS. Certes, le plan « Agir pour la jeunesse » l'a renforcé « en objectifs et en moyens », comme le précise la circulaire du 21 janvier 2010. Côté moyens, le CIVIS a droit à 35 millions d'euros supplémentaires au titre du plan de relance. Côté objectifs, il s'agit d'atteindre le chiffre de 200 000 contrats en 2010, soit 40 000 de plus que les années précédentes, avec un taux d'accès à l'emploi durable de 40 % à la sortie du dispositif. « C'est une petite déception dans la mesure où nous aurions préféré conserver le même nombre de bénéficiaires en augmentant l'allocation de façon à ce qu'elle soit un vrai coup de pouce dans le parcours d'insertion du jeune », explique Christelle Tavarès. Un décret vient certes de relever le plafond annuel de l'allocation à 1 800 € par an et par jeune (au lieu de 900 € ) (8)l'enveloppe dédiée au CIVIS. Les missions locales seront donc soumises à un choix cornélien dans la mesure où elles devront procéder à un arbitrage entre l'augmentation de allocation pour tel ou tel jeune et l'accroissement du nombre global de bénéficiaires.

Bien que l'accent mis sur l'insertion professionnelle se justifie dans un contexte d'aggravation du chômage des jeunes, d'aucuns déplorent le peu de cas qui est fait par les pouvoirs publics du volet social de l'insertion des jeunes - le logement est le grand oublié du plan pour la jeunesse. « L'Etat dit désormais haut et fort que les missions locales doivent faire des prescriptions et du placement alors qu'avant c'était des mots tabous », constate Christelle Tavarès. Reste que l'accord-cadre signé en janvier 2010 entre Pôle emploi et les missions locales (9) rappelle à plusieurs reprises que le volet professionnel de l'accompagnement des jeunes est indissociable du volet social. Même si la sous-traitance de Pôle emploi au privé est plus importante que sa co-traitance avec les missions locales, cet accord est également salué dans la mesure où il va dans le sens d'une plus grande coordination des programmes de la politique de l'emploi et met fin à la chasse gardée de l'ancienne ANPE sur les entreprises en instituant un « périmètre de travail conjoint, a minima concerté » avec les missions locales. Pour Michel Abhervé, c'est une « façon de reconnaître que, pour les publics en difficulté, les missions locales sont plus adaptées ». Mais, là encore, « reste à ce que ce nouvel accord soit éprouvé sur le terrain », avance Philippe Labbé, qui se souvient des tensions récurrentes entre l'ANPE et les missions locales. Pour Christelle Tavarès, le risque est d'ailleurs grand que les exigences de résultats des missions locales en matière de placement n'entraînent une « concurrence directe avec Pôle emploi ».

L'inquiétude porte aussi sur la mise en place du service civique. En 2010, 10 000 jeunes de 16 à 25 ans devraient être concernés (75 000 d'ici à cinq ans) par cet engagement dans une mission au service de la collectivité et de l'intérêt général. « Cet axe entre salariat et bénévolat est une solution tout à fait intéressante pour les jeunes et les missions locales vont bien entendu être parties prenantes de ce dispositif », note Annie Jeanne. Si la présidente de l'ANDML salue le caractère très ambitieux des chiffres annoncés, elle se montre néanmoins perplexe face à « l'insuffisance de l'ingénierie » pour accompagner la mise en oeuvre du dispositif : « Les directions chargées de la jeunesse et des sports qui s'en occupent sont exsangues », explique-t-elle.

En fait c'est surtout le « RSA jeunes » qui laisse un goût amer. « Une escroquerie », lance, sans détours, Michel Abhervé. Prévu pour entrer en vigueur en septembre prochain, il ne touchera vraisemblablement qu'une minorité de jeunes (seulement 2 % de ceux fréquentant les missions locales, selon les estimations de l'Association régionale des missions locales du Nord-Pas-de-Calais), qui ne sont pas les plus en difficulté et, par conséquent, pas le public cible des missions locales. Les conditions d'accès sont en effet extrêmement contraignantes : pour en bénéficier, il faudra que les jeunes aient travaillé deux ans (en réalité 3 600 heures, soit 26 mois) au cours des trois dernières années alors qu'ils sont largement habitués à l'intérim et aux CDD. Quant à l'alternance, elle ne sera pas retenue dans le calcul des périodes travaillées. Dans ces conditions, beaucoup doutent que le chiffre de 160 000 jeunes bénéficiaires annoncé dans le plan pour la jeunesse soit atteint. En outre, le « RSA jeunes » se résumerait, selon les estimations de Philippe Labbé, à 200 à 300 € mensuels : « On est très loin d'un viatique minimal, d'un revenu d'existence pour s'en sortir ! » Pour David Bévière, on est même « dans le registre du symbolique ».

Des mesures insuffisantes

Pour améliorer durablement la situation des jeunes en France, le chantier de leur autonomie financière reste donc à mener. A ce titre, l'expérimentation sur la « dotation d'autonomie » va dans le bon sens (voir encadré, page 26). « S'attaquer à la pauvreté des jeunes en difficulté en leur donnant de l'argent est une affaire compliquée. Le faire par le biais d'expérimentations est sage », note Serge Papp. La méthode ne correspond toutefois pas à l'ampleur des besoins. « Bien qu'on en ait beaucoup parlé, cette question n'est toujours pas réglée et les jeunes qui fréquentent les missions locales en seront finalement assez peu bénéficiaires », regrette Annie Jeanne. Elle s'inquiète plus globalement de ce que l'ensemble des mesures du plan « Agir pour la jeunesse », certes intéressantes, se révèlent finalement, pour la plupart, « très insuffisantes en volume ». Se livrant à une appréciation plus générale, la présidente de l'ANDML met en garde : le plan « ne doit pas laisser entendre que le problème de l'insertion des jeunes est réglé. Les perspectives ne sont pas bonnes et il est temps de déployer un programme d'envergure pour les jeunes qui s'enfoncent dans la pauvreté la plus austère. » Sa déception n'est pas isolée. Dans un autre registre, et malgré les avancées manifestes du plan, de nombreux acteurs des missions locales redoutent que la pression qui s'accroît sur les structures ne favorise in fine une « logique de guichet » et un formatage de l'accompagnement des jeunes aux dépens d'une prise en charge globale dans le cadre d'un parcours d'insertion individualisé. Les dispositifs doivent rester des outils à adapter à chaque jeune et non l'inverse, observent-ils.

Dans ce contexte, la vigilance est donc toujours d'actualité. « Nous restons sur le qui-vive », met en garde David Bévière. D'autant que le timing joue en défaveur des missions locales : au regard du retard pris par l'Etat dans la signature des avenants aux CPO, la situation financière des missions locales ne sera stabilisée qu'à la fin du mois d'avril. Le temps de redéployer les moyens, la plupart d'entre elles ne seront véritablement prêtes qu'en septembre 2010. « Elles n'auront que très peu de temps pour atteindre les objectifs fixés par l'Etat », anticipe Christelle Tavarès. D'ici là, pour accompagner au mieux les missions locales, l'UNML organise une série de rencontres entre elles et les services de l'Etat jusqu'à la mi-juin. L'occasion de faire un premier bilan des difficultés rencontrées sur le terrain. Et de prendre le pouls du gouvernement après le départ de Martin Hirsch et la nomination de Marc-Philippe Daubresse au poste de ministre des Solidarités actives et de la Jeunesse.

QU'EST-CE QU'UNE MISSION LOCALE ?

Créées à la suite du Rapport sur l'insertion professionnelle et sociale des jeunes rédigé en 1981 par Bertrand Schwartz (10), les 427 missions locales et 55 permanences d'accueil, d'information et d'orientation (PAIO) accueillent un million de jeunes par an grâce à près de 11 000 professionnels (11). Reconnues comme actrices du service public de l'emploi, elles sont guidées par une philosophie : adapter les dispositifs aux individus plutôt que de faire du traitement de masse. Qu'il s'agisse d'élaborer un projet professionnel, de construire un parcours qualifiant ou d'accompagner à la recherche d'emploi, les missions locales cherchent une réponse individualisée et globale qui prenne en compte la santé, le logement, l'accès à la culture... Elles s'appuient sur une approche territoriale de l'insertion qui permet, grâce à l'implication des élus locaux qui en assurent la présidence (la plupart des missions locales sont des associations loi 1901), de s'adapter aux situations locales. Revers de la médaille : elles dépendent des financements publics, ce qui en fait le bras armé des politiques publiques et freine leur indépendance et leur capacité d'innovation. Cela n'empêche pas certaines missions locales de continuer à batailler pour faire vivre les aspirations originelles du mouvement. A l'instar de la mission locale d'insertion du Poitou qui mène, avec quelques autres missions locales, une recherche-action afin de redonner la parole aux jeunes dans la définition de leur parcours d'insertion.

L'EXPÉRIMENTATION : UNE MÉTHODE PLÉBISCITÉE

Bien que lourde et chronophage pour les missions locales les plus en difficulté, la méthode des expérimentations prônée par Martin Hirsch rencontre un écho favorable. Elle entre en effet en résonance avec les valeurs défendues par le réseau depuis son origine : inventer et s'adapter aux besoins locaux et aux parcours des jeunes. Dans un communiqué daté du 16 octobre 2009, l'Union nationale des missions locales encourage d'ailleurs « le réseau des missions locales à se positionner sur les deux expérimentations » du plan « Agir pour la jeunesse », à savoir d'une part celle concernant la mise en oeuvre d'un « parcours d'insertion contractualisé avec chaque jeune, associant droits et devoirs » dans le cadre d'un nouveau fonds d'aide aux décrocheurs et qui devrait concerner 6 000 jeunes et, d'autre part, celle concernant la « dotation d'autonomie » qui permettra à 8 000 jeunes volontaires de bénéficier d'une partie des aides publiques attribuées à leurs parents. Le plan pour la jeunesse annonce également l'expérimentation d'un « revenu contractualisé pour améliorer l'accès à la formation et l'emploi » pour 8 000 jeunes âgés de 18 à 25 ans.

QUE FAIRE DES « DÉCROCHEURS SCOLAIRES » ?

Le plan « Agir pour la jeunesse » met l'accent sur le décrochage scolaire des 16-18 ans et annonce la création d'un service public de l'orientation (12). Même si des partenariats existent déjà sur le terrain entre l'Education nationale et les missions locales, ces mesures de longue haleine dont les effets ne se feront pas sentir tout de suite sont plutôt bien accueillies par les missions locales. Pour mieux prendre en charge les 120 000 jeunes qui sortent chaque année du système scolaire sans diplôme ni qualification, le plan annonce notamment la généralisation de « plateformes de suivi et d'appui aux «décrocheurs» » au niveau régional pour la rentrée 2010. « On ne sait pas encore ce qu'on attend de nous exactement ni comment on va s'y prendre pour s'intégrer à ce dispositif », constate néanmoins Dominique Delcroix, qui avoue que les missions locales n'ont pas l'habitude de s'adresser à des mineurs - même si la sienne doit faire face, depuis quelques années, à une augmentation nette de ce public (elle suit actuellement près de 300 jeunes âgés de 16 à 18 ans). « Cela pose la question de l'adaptation de l'accompagnement proposé par les missions locales aux 16-18 ans », reconnaît Michel Abhervé. Sans compter la faiblesse des outils proposés, pointe le Synami (Syndicat national des métiers de l'insertion)-CFDT : effondrement des contrats d'apprentissage avec la crise, nombre limité de places dans les écoles de la deuxième chance (11 900 au total), contrats d'accompagnement formation pris d'assaut, difficultés de mise en place des 80 000 contrats aidés (CIE et CAE « passerelles ») ouverts à la prescription des missions locales depuis avril 2009... Il ne faudrait pas oublier que les missions locales « ne raisonnent pas sur 120 000 jeunes, fussent-ils «décrocheurs», mais sur plus d'un million, et potentiellement bien plus ! », rappelle le syndicat. « S'il y a des marges de progrès, on doit être conscient que le problème de ces jeunes en décrochage ne trouvera que des réponses partielles », avance pour sa part Philippe Labbé. Le sociologue invite d'ailleurs à la pondération pour que les mesures annoncées ne produisent pas l'effet inverse que celui souhaité, à savoir la tentation pour certains jeunes de quitter précocément l'école sachant qu'ils seront pris en charge par les missions locales.

Notes

(1) Voir ASH n° 2626 du 2-10-09, p. 5.

(2) Voir ASH n° 2615 du 26-06-09, p. 13.

(3) Voir ASH n° 2637 du 18-12-09, p. 9.

(4) Le « dialogue de gestion » vise à ajuster les objectifs des contrats pluriannuels d'objectifs (CPO) signés entre l'Etat et les missions locales pour 2008-2010.

(5) Voir ASH n° 2644 du 29-01-10, p. 5.

(6) Voir ASH n° 2651 du 19-03-10, p. 41.

(7) En 2008, le financement des missions locales se répartissait comme suit : 39 % Etat ; 19 % régions ; 5 % départements ; 23 % communes et établissements publics de coopération intercommunale ; 8 % Fonds social européen ; 6 % autres organismes publics et privés.

(8) Voir ASH n° 2653 du 2-04-10, p. 13.

(9) Voir ASH n° 2645 du 5-02-10, p. 7.

(10) Rééd. Apogée, 2007 - Contact : andml@andml.fr.

(11) Chiffres d'activité 2008, CNML - www.cnml.gouv.fr/IMG/pdf_Chiffres_2008_Activite_ML.pdf.

(12) Voir ASH n° 2626 du 2-10-09, p. 5.

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