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A Marseille, l'unité d'hospitalisation parents-bébé de l'hôpital Sainte-Marguerite accueille des mères en difficulté relationnelle avec leur nourrisson. Des situations de grande détresse prises en charge à l'aide d'un suivi psychothérapeutique intensif et d'un accompagnement à la carte.

« Si j'avais été suivie plus tôt dans cette unité, je n'aurais probablement pas fait de tentative de suicide », résume simplement Wendy H.(1), 35 ans. Jeune maman d'un petit Tom âgé de 8 mois, elle joue avec lui dans le salon de l'unité d'hospitalisation parents-bébé (UHPB)(2) de l'hôpital Sainte-Marguerite, à Marseille. L'enfant est calé sur des coussins et sa mère cherche à le divertir avec des jouets d'éveil. Tous deux rient aujourd'hui, même si les nuages qui ont assombri leur relation ne sont pas totalement dissipés.

L'UHPB propose une prise en charge des familles qui présentent des troubles de la relation mère-enfant à travers une hospitalisation complète ou de jour. Installée au deuxième étage du service de pédopsychiatrie de l'hôpital Sainte-Marguerite, elle comprend quatre chambres. Dans les deux plus grandes, un couple et un enfant peuvent dormir, dans le cadre d'une prise en charge hebdomadaire pour une durée variable (l'unité étant fermée le week-end). Les deux autres permettent à une mère prise en charge à la journée de s'isoler ou de faire une sieste avec son bébé. Outre le poste de l'équipe à l'entrée de l'unité, un salon-salle de jeux et une cuisine servant également de salle d'activités complètent le dispositif. « Au départ, il avait été prévu d'accueillir des mères avec des enfants allant jusqu'à 4 ou 5 ans, se souvient Michel Dugnat, le praticien hospitalier responsable de l'unité. Mais progressivement on s'est orienté vers des enfants de plus en plus petits car c'est dès les premiers mois que les interactions mère-enfant se nouent. »

Les familles sont orientées vers l'unité par des voies très diverses. « La plupart sont recommandées par la PMI, explique Christelle Persini, psychiatre et chef de clinique. Mais des sages-femmes libérales, des services de maternité, des gynécologues-obstétriciens libéraux, des psychiatres d'adultes orientent aussi des femmes vers notre service. » Wendy H. a ainsi consulté un pédopsychiatre libéral pendant cinq mois avant d'aboutir dans l'unité. « Lorsque nous proposons aux femmes de contacter l'unité de Sainte-Marguerite, c'est toujours après avoir entamé un travail d'accompagnement avec nos puéricultrices ou nos sages-femmes, explique Anne Roudaut, pédiatre de PMI à Marseille. Et si après toutes les observations faites à domicile, nous constatons un réel problème de développement, alors je leur parle de ce lieu rassurant où elles vont pouvoir se retrouver. » C'est ce qui s'est passé pour Carole T., que les premières difficultés rencontrées avec son bébé ont directement menée à la PMI. « J'avais déjà commencé à voir un psychiatre en ville pendant ma grossesse, se souvient-elle. Mais j'étais très stressée au retour de la maternité. J'avais des difficultés d'allaitement et ma fille perdait beaucoup de poids. » Comme elle emmenait régulièrement son bébé pour le faire peser à la PMI de son quartier, un matin elle confie à cette équipe « l'angoisse irrationnelle » qu'elle ressent, la crainte permanente qu'il arrive quelque chose à son enfant. Après quelques visites à domicile, les professionnelles contactent l'unité, où la mère et le bébé sont reçus en urgence. Une chance, car cette structure, qui reçoit des patientes de toute la Provence, voire du Var ou du Languedoc-Roussillon, affiche souvent complet. « Je me souviens de beaucoup de douceur, se rappelle Carole T. On m'a laissée arriver, l'infirmière ne m'a pas sauté dessus. Toutes ces dames étaient si naturelles. » Elle passera la journée dans l'unité, puis reviendra le lendemain. « On a mis en place un suivi psychothérapeutique avec le psychiatre et j'ai commencé par venir trois journées par semaine dans l'unité », explique-t-elle. Le tout couplé avec les visites à domicile d'une infirmière libérale.

Pas de profession dominante

L'équipe de l'unité est composée de puéricultrices, d'infirmières, d'auxiliaires de puériculture et d'aides-soignantes. « Elles sont surtout «accueillantes» avant d'être infirmières, puéricultrices ou autres, résume Françoise Varraud, la psychologue de l'unité. En fonction de ses compétences propres, l'une pourra être plus facilement interrogée sur les maladies du nourrisson et l'autre sur les soins du corps. Mais il est important qu'aucune des professions ne soit en position dominante. » Seuls les « soignants du bébé », comme les appelle Michel Dugnat, sont présents en permanence dans l'unité. Ceux qui s'intéressent plus directement à la femme ou au couple parental (psychiatre, psychologue) reçoivent dans leur bureau des étages inférieurs, même s'ils ont toujours l'occasion de passer dans l'unité pour faire le point sur une situation avec l'équipe ou saluer les jeunes mères. « Il nous est aussi arrivé de faire des consultations en chambre, mais nous préférons qu'il y ait un espace spécifiquement dédié à l'entretien où nous recevons les mamans de la manière la plus régulière possible », explique Christelle Persini, psychiatre, chef de clinique de l'unité. Pendant une hospitalisation complète, les entretiens psychothérapeutiques sont en effet quotidiens.

L'unité bénéficie aussi de l'action de Viviane Recanzone, l'assistante sociale du service. « A l'entrée, je vérifie toujours que chacune a sa couverture sociale, voire une mutuelle, explique-t-elle. Après, c'est en fonction des besoins des unes ou des autres. » « Même si les patientes de l'unité parents-bébé ne sont pas particulièrement en situation de précarité », précise Michel Dugnat. L'an passé, 11 patientes de l'UHPB ont transité par le bureau de l'assistante sociale... Recherche d'un logement, montage d'un dossier, si l'état de santé le justifie, auprès de la maison départementale des personnes handicapées, transfert d'un dossier administratif... L'assistante de service social va parfois au-delà du rôle qui lui est généralement dévolu en service hospitalier. Comme avec cette patiente phobique qu'elle a accompagnée pour des promenades en extérieur : « Elle plaquait son bébé contre elle, et s'accrochait à mon bras comme à une bouée de sauvetage. Mais ce n'est qu'une aide que je leur apporte, raconte Viviane Recanzone. L'idée est toujours qu'elles apprennent à faire les choses par elles-mêmes. Mon intervention d'assistante de service social peut aussi les aider à se revaloriser. »

Reconnaître le bénéfice du suivi

Ce matin-là, Michel Dugnat reçoit dans son bureau, situé au rez-de-chaussée, une jeune mère présentant des troubles bipolaires. La jeune femme évoque ses relations difficiles avec sa belle-mère, parle de son compagnon, de son traitement médicamenteux, des relations avec ses propres parents... Jusqu'à présent elle n'a pas souhaité être hospitalisée dans le service. « C'est l'une des caractéristiques de sa pathologie, explique le praticien. Bien que sa petite fille de six mois soit passée à deux doigts du placement, sa maman, qui était dans une phase maniaque, disait qu'elle se sentait super bien et qu'elle n'avait pas besoin du passage en unité. » Après son troisième rendez-vous, pourtant, la jeune mère reconnaît un certain bénéfice à ce suivi : « En sortant des entretiens avec le docteur, je me sens plus calme, apaisée, tranquillisée », admet-elle. De son côté, Michel Dugnat, avec le soutien de la PMI, a commencé à tisser un petit réseau autour d'elle. La jeune femme reçoit les visites d'une puéricultrice de quartier et d'une TISF à domicile. Avec le médecin, elle évoque même la possibilité d'un suivi avec un psychiatre proche de chez elle. Le médecin lui propose de se mettre en contact avec ce dernier pour voir si une collaboration peut être tentée.

Pendant ce temps, dans l'unité, un atelier couture débute. Dans la grande cuisine, deux jeunes femmes sont penchées sur leur ouvrage : elles découpent des morceaux de tissu pour confectionner chacune un doudou, sous les conseils avertis de Nathalie Bonnes, l'art-thérapeute du service de pédopsychiatrie de l'hôpital. Wendy B. a choisi une sirène et Sylvie R. une grenouille. Les deux mamans ont laissé leurs enfants le temps de la sieste dans les chambres voisines. « L'art-thérapie tend à mettre en place une parole autour d'un objet et de donner du sens à cette parole, résume Nathalie Bonnes. Autour de cet atelier, elles évoquent ce qu'elles ont choisi comme objet à confectionner, et pourquoi. Cela peut les aider à formuler des sentiments qu'elles ne pourraient pas émettre dans une consultation... » Ainsi Nathalie a-t-elle pu entendre des jeunes mères confier leur désir de violence envers leur bébé. « Cela peut être dit en riant, sur le ton de la plaisanterie, explique la thérapeute. Mais elles ne pourraient pas le confier à notre psychologue de la même façon. » Un atelier comptines et un atelier cuisine sont également animés par une puéricultrice de l'unité. « Pour ce qui est de la cuisine, on est clairement moins dans le soin psychique, même s'il s'y joue quelque chose d'important qui peut être retravaillé ensuite en entretien », souligne Michel Dugnat.

Géraldine Leroy Dudal, puéricultrice, vient prendre son service de l'après-midi. Elle passe d'abord au poste de garde où ses collègues du matin, Monique Garcia, aide-soignante, et Mireille Gilles, infirmière, lui transmettent les dernières informations concernant les deux mères reçues l'après-midi dans le service. Wendy H. est la seule en hospitalisation complète cette semaine. Son cas est particulier. Elle est hospitalisée depuis six semaines avec son enfant et... sa mère. « La grand-mère a un peu pris la place de la mère dans les soins à l'enfant, du fait de l'état dépressif et de la tentative de suicide de Wendy, résume Monique Garcia. Notre travail est donc de revaloriser la maman et de tenter d'éloigner la grand-maman. » D'ailleurs, cette dernière est partie la veille, et pour la première fois depuis qu'elle est hospitalisée, Wendy passe sans elle toute une journée et deux nuits. Autre information à transmettre : les difficultés d'endormissement du petit Tom, qui obligent sa mère à le confier à l'équipe de nuit. Trois professionnelles assurent en effet la permanence entre 21 heures et 6 heures du matin. Après avoir salué les mères dans la cuisine et commenté leurs travaux de couture, Géraldine Leroy Dudal part chercher l'un des bébés qu'elle a entendu pleurer. Elle le dorlote jusqu'à la fin de l'atelier couture. Ensuite, Wendy H. doit recevoir la visite de son frère. Les mères hospitalisées peuvent évidemment avoir des visites. « Moi, il m'est également arrivé de faire venir ma fille aînée, explique Carole T. Pour qu'on déjeune ensemble et qu'elle sache où je suis quand je ne suis pas à la maison. » De même, les femmes sont libres de sortir se promener. « Elles ne sont pas en hospitalisation sous contrainte, précise Monique Garcia. Et nous pouvons d'ailleurs les accompagner. »

Une structure ouverte aux pères

L'unité est évidemment ouverte aux familles, et surtout aux pères. « A la différence de nombreuses autres unités mère-bébé(3), notre unité a vraiment été pensée pour que le papa de l'enfant y prenne sa place, en fonction de ce qu'il souhaite investir dans ce suivi, se félicite Michel Dugnat. Même s'il est rare qu'il soit présent en journée, car le plus souvent les pères travaillent. Mais ils peuvent dormir ici. Nous les recevons eux aussi en entretien, seuls ou avec leur compagne. » Ce soir, le compagnon de Wendy est venu participer au coucher de son fils. Ce n'est, encore une fois, pas chose gagnée. Après l'avoir bercé, assis sur un ballon, il passera finalement la main à la puéricultrice de nuit, Sylvie Pastor. Il habite loin et, fatigué, préfère passer la nuit chez lui. L'équipe s'interroge discrètement : pourquoi ne reste-t-il pas dormir, au lieu de reprendre la route à plus de 21 heures ? « En général, la nuit dans l'unité est un moment particulier, explique Lydie Brasse, l'infirmière. De nombreuses angoisses peuvent ressortir. C'est un moment plus intime aussi. Mais nous essayons de ne pas trop remuer les choses pour que les mères ne soient pas trop mal avant de se coucher. »

Au fil des jours et des nuits, la mission de l'équipe réside dans l'observation et l'accompagnement de ces mères vulnérables, en évitant l'omniprésence. « Ici, nous apprenons à n'intervenir qu'au moment utile, résume Monique Garcia. Il s'agit d'aider la mère, sans la remplacer. » Pourtant, en cet après-midi calme, la situation manque soudain de tourner au drame : le petit Paul, âgé de 2 ans, s'est brûlé le torse en saisissant un gobelet de café tout juste sorti du four à micro-ondes. Sa mère et une autre patiente présente dans la cuisine paniquent. « Oh ! là là ! mais quelle incompétente je suis ! C'est pas possible, se culpabilise la mère du garçonnet, passant subitement aux remontrances. Tu vois pourquoi je te dis de ne pas toucher quand c'est chaud. » Assistée de l'autre mère, elle précipite le petit sous le robinet d'eau froide, pendant que Monique prévient le docteur Persini. Calmement, l'équipe appelle le SAMU, tandis que les deux femmes annoncent qu'elles vont plutôt partir aux urgences. Sans s'opposer à cette décision, l'aide-soignante propose d'administrer du Doliprane à l'enfant pour calmer sa douleur, tandis que la mère continue de s'énerver et repousse la seringue, s'inquiétant de la réaction du père de l'enfant, s'en prenant aux soignants, qu'elle estime à présent incapables. « Comment pouvez-vous ne pas avoir de tulle gras ? Mais c'est pas possible, ça ! » Finalement, d'agitation en accusation, déshabillant puis rhabillant l'enfant en larmes, la maman finira par attendre le SAMU, soutenue par la psychologue de l'équipe, qui tente d'apaiser son angoisse. Wendy, que les pleurs inquiètent, s'est réfugiée dans sa chambre dans l'attente du retour au calme.

Pour évoquer tous les événements de la vie de l'unité et faire le point sur les situations suivies, l'équipe se réunit chaque lundi après-midi. « C'est important, car nous apportons chacun un regard sur la femme et la relation avec son enfant, de par nos formations et nos approches différentes », résume Géraldine Leroy Dudal. Les interventions au domicile que les psychiatres ou les membres de l'équipe soignante peuvent être amenés à effectuer aident aussi à compléter le tableau. Au besoin, l'équipe de PMI impliquée dans une situation pourra aussi être présente. Car même en hospitalisation complète, elle n'interrompt pas son suivi. « Pour nous, il est important que les femmes sachent que nous ne nous déchargeons pas d'elles sur l'unité parents-bébé », précise le docteur Anne Roudeau. D'autant qu'elle retrouvera probablement ces femmes après leur sortie de l'unité.

Une durée adaptée au cas par cas

Dans l'unité, les familles sont suivies de six mois à un an en moyenne. « Les prises en charge les plus longues peuvent se poursuivre jusqu'à deux ans, en passant parfois d'une hospitalisation à temps plein à des journées ou demi-journées, indique Christelle Persini. Mais il nous est aussi arrivé de suivre une maman seulement pour une semaine à temps plein. Chaque situation est vraiment un cas particulier. » Quelquefois, une situation sociale plus précaire ou l'isolement affectif d'une mère pourra amener à prolonger une prise en charge. Pour Carole T., les hospitalisations de jour sont passées de trois à deux journées hebdomadaires, complétées par les visites à domicile d'une des puéricultrices de l'unité. « Et j'ai pu reprendre mon activité professionnelle en mi-temps thérapeutique, ce qui pour moi signifie beaucoup en termes d'amélioration de mon état de santé. »

Les signes qui mènent à l'allégement, voire au terme du suivi, sont évidemment la diminution ou la disparition des symptômes observés à l'arrivée, que ceux-ci concernent la mère, l'enfant ou la relation mère-bébé. « Un signe important est ce que j'appelle la «bascule», note Françoise Varraud. Souvent, les femmes arrivent ici en étant très distantes vis-à-vis de leur enfant. Elles lui apportent les soins nécessaires mais sans affection. Puis, un jour, la bascule va se faire, elles vont vraiment se tourner vers leur enfant, et c'est aussi ce qui fait qu'elles iront mieux. » A l'issue du passage dans l'unité, il est systématiquement proposé aux mamans de poursuivre les entretiens psychothérapeutiques. « Nous avons quelques belles réussites, s'enorgueillit Michel Dugnat. Certaines interventions précoces ont permis d'éviter un placement de l'enfant - même si tel n'est pas notre objectif. Mais quand une maman arrive très mal dans la relation avec son enfant, puis progressivement va mieux, se sent mère, c'est plutôt pas mal pour elle et l'avenir de son bébé, non ? »

Notes

(1) Les prénoms ont été changés.

(2) Unité d'hospitalisation parents-bébé : hôpital Sainte-Marguerite - 270, boulevard Sainte-Marguerite - 13274 Marseille cedex 09 - Tél. 04 91 74 40 70.

(3) Actuellement, il existe 20 unités mère-bébé qui proposent une hospitalisation à temps plein en France.

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