«La notion de développement durable combine les aspects environnementaux et les aspects sociaux, même si les premiers semblent l'emporter aujourd'hui dans les préoccupations théoriques. Le premier principe de la Déclaration de Rio (1992) énonce : «Les êtres humains sont au centre des préoccupations relatives au développement durable.» Si l'homme se situe au coeur du concept, il en est également sa finalité. Une politique de développement durable concerne aussi l'environnement des familles, des personnes, elle agit sur le «vivre ensemble». Aborder le «social» comme composante du développement durable, c'est prendre en compte les interfaces entre économie, environnement et social, mais aussi s'interroger en termes de solidarité, de responsabilité, de durabilité et d'autonomie, enjeux qui rejoignent les finalités de l'action sociale et du travail social.
Comme l'énonce Philip Mondolfo (1), entre travail social et développement durable existe «une proximité théorique, éthique et pratique». Reste à donner une visibilité aux contributions des travailleurs sociaux et une reconnaissance au volet social dans la conception de projets de développement durable. Pour François Roche, qui a piloté le rapport du Conseil supérieur du travail social sur « Le travail social aujourd'hui et demain » (2), celui-ci doit avoir pour perspective la recherche d'effets sociaux globaux sur le long terme et être reconnu comme dimension contributive au développement durable. La démarche de développement durable porte notamment sur l'équité sociale, la réduction des inégalités, la cohésion sociale. Les profondes transformations économiques et sociales, et en particulier le développement de nouvelles vulnérabilités sociales, posent la question de la capacité à prendre en compte la complexité de la vie sociale, à se confronter à de nouvelles réalités, à rendre visibles collectivement les enjeux sociaux, de solidarité et d'équilibre territorial, de nouvelle gouvernance locale, fondée notamment sur la participation des habitants, la (re)création des liens de solidarité, l'amélioration des conditions de vie sur le territoire. Dans ce domaine, le travail social a une responsabilité, celle de porter les intérêts des habitants d'un territoire, de faire reconnaître leurs besoins et leurs attentes, de les aider à construire une parole collective force de proposition, d'encourager le développement de leurs compétences, de favoriser leur participation effective aux projets qui les concernent.
La dimension sociale du développement durable permet de rendre visibles des attentes et des besoins sociaux, d'améliorer la connaissance des situations de rupture sociale afin de mieux les prévenir, par une observation sociale partagée et l'évaluation des politiques mises en oeuvre.
A partir d'une recherche menée sur l'élaboration de projets de territoire dans le cadre de la mise en oeuvre de pays et d'intercommunalités (3), nous avons pu analyser la place accordée à la dimension sociale dans les études territoriales. Deux cas de figure se sont présentés : soit les préoccupations sociales ne trouvaient pas leur expression dans le débat initial, soit le territoire concerné connaissait une antériorité dans leur prise en compte, avec des communautés de communes ayant opté pour des compétences sur l'aide à domicile, les transports, l'enfance et la jeunesse, le logement... Dans le premier cas, malgré le constat prégnant d'exclusions sur le territoire, les enjeux sociaux ont dû s'imposer, relayés par des chargés de mission qui ont interpellé les élus, prenant appui sur des travailleurs sociaux ; des groupes de travail ont ainsi pu être mis en place : organisation d'un atelier sur les solidarités sociales et territoriales dans un conseil de développement, création d'une cellule sociale ouverte à l'ensemble des partenaires... Dans le second cas, où des actions sociales sectorielles et catégorielles trouvaient déjà une expression concrète et où des blocages avaient été levés, les questionnements ont pu être élargis et des chargés de mission recrutés afin de traduire en axes de développement pour les territoires des besoins identifiés lors de diagnostics (jeunesse, formation, illettrisme...), ce qui a constitué un acte d'engagement collectif.
Face à la pauvreté, à l'augmentation du chômage, la solidarité et la lutte contre les exclusions deviennent en effet un objectif majeur de l'engagement politique au niveau local. Aussi les réseaux associatifs, familiaux ou de proximité doivent-ils prendre une importance grandissante dans la reconstitution des liens sociaux et du sentiment d'appartenance à la communauté. Un réseau fort d'acteurs professionnels doit accompagner cette démarche dans le sens d'une mobilisation de la population pour la défense de ses droits fondamentaux, humains et environnementaux, avec une mise en évidence des liens entre pauvreté et dégradation de l'environnement dans une visée de rétablissement d'un équilibre entre qualité des conditions de vie et bien-être sanitaire et social (4). Cette démarche de redéfinition des questions sociales contribue à la reconnaissance, dans les projets de territoire, des enjeux sociaux en tant que dimension à part entière du développement durable, les limites de ce dernier étant élargies pour englober l'ensemble des activités humaines dans leur environnement socioéconomique.
Au-delà du simple énoncé d'un principe de cohésion sociale dans les axes de développement d'un territoire, l'enjeu est la prise en compte de problèmes sociaux ignorés, occultés ou sous-estimés jusqu'alors, la mise en visibilité de tendances lourdes présentant un danger de cohésion pour les territoires, un nouveau regard porté sur les personnes en difficulté. Les démarches de diagnostic prospectif partagé, au-delà d'un état des lieux des territoires, ont ainsi pour objectif de donner le sens, de mieux connaître le territoire dans ses différentes composantes et de partager cette vision entre ses acteurs. Cette connaissance permet d'identifier des informations importantes qui manquaient et de construire des enjeux collectifs. Elle nécessite l'instauration d'une confiance entre partenaires et d'une éthique partagée ; le diagnostic constitue alors un outil de mobilisation et forme un levier à l'action collective. Ces échanges sur des questions sociales génèrent des changements de regard amenant à débattre progressivement d'un social plus global, au coeur des interactions humaines, favorisant l'ouverture sur d'autres champs d'intervention, et le croisement avec l'ensemble des politiques publiques. Une approche multidimensionnelle est indispensable pour prendre la mesure des questions en émergence et des réponses à adapter aux besoins sociaux.
Les enjeux de connaissance comme révélateur d'enjeux sociaux appellent de nouvelles connaissances et compétences, essentielles aujourd'hui dans le travail social et les interventions sociales pour faire face à ces défis et aux démarches de territorialisation de l'action sociale dans un souci de proximité, d'adaptation aux contextes locaux, de positionnement dans des environnements politiques et institutionnels complexes. La logique territoriale privilégie la coordination et l'approche multidisciplinaire, des capacités d'observation sociale, de pilotage et d'animation en vue de la réalisation d'un projet territorial. Par la complexité et la pluralité de leurs dimensions, les stratégies de développement durable ne peuvent donc être construites que collectivement, avec la participation de tous, à l'échelon d'un territoire. En cela le développement durable constitue une opportunité pour réfléchir à de nouvelles approches et à de nouveaux modes d'intervention au service des besoins et attentes des populations. Emerge alors une fonction nouvelle : le soutien à la constitution de systèmes organisés d'action concertée et territorialisée dans le cadre de la prise en charge de la cohésion sociale et du lien social. Dans ce contexte, le travail social et l'action sociale ont à construire des coopérations, à être force de proposition afin de s'inscrire dans des partenariats de projet, d'affirmer un ancrage local et un positionnement politique sur les questions de lutte contre les exclusions, d'innover au service des populations et des territoires. Pour ce faire, le travailleur social doit développer des compétences en appui, dont certaines répondent à de nouvelles exigences professionnelles, parmi lesquelles figurent l'intervention sociale d'intérêt collectif (ISIC) et l'ingénierie sociale, l'expertise sociale, la communication professionnelle, l'implication dans des dynamiques partenariales, institutionnelles et interinstitutionnelles. Forts de ces compétences, les acteurs du social constituent une ressource pour la connaissance des personnes et des groupes précarisés, une force d'expertise pour la connaissance des territoires et de ses habitants, soutenant une meilleure appréhension des priorités et un enjeu de développement de politiques de prévention des exclusions sous toutes leurs formes. C'est dans cette configuration que l'action sociale contribue à produire de l'intelligence territoriale et peut constituer un enjeu de pouvoir sur/pour les territoires allant vers une affirmation d'un rôle central. Au niveau d'un institut de formation aux métiers du social, l'intégration de ces nouveaux référentiels dans nos activités pédagogiques (cours d'ISIC, diplôme d'Etat d'ingénierie sociale, participation à des groupes de travail dans le cadre d'«agendas 21» locaux visant à valoriser la dimension sociale dans la démarche de développement durable, communications, journées d'étude...) et nos coopérations avec les sites qualifiants contribuent à élargir la vision des réalités sociales et à en décrypter les enjeux sociaux et territoriaux essentiels en vue d'une meilleure inscription de l'action sociale et du travail social dans des dynamiques collectives et partenariales. »
Contact :
(3) « Cohérence territoriale et cohésion sociale, de la formulation d'un projet territorial à l'émergence de nouvelles régulations : politiques sociales et échelle de pays », thèse pour le doctorat « aménagement de l'espace et urbanisme » - Université Michel-de-Montaigne-Bordeaux 3 - Décembre 2006.
(4) « Education à l'environnement et travail social : relations durables » - Le Sociographe n° 29 - Mai 2009.