Les associations de défense des droits des étrangers, comme les magistrats et les avocats, condamnent le projet de loi relatif à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité présenté en conseil des ministres le 31 mars (voir ce numéro, page 5). « Derrière la technicité du texte », dont l'objectif affiché est de transposer trois directives européennes, « se cachent des dispositions qui portent une atteinte grave aux droits des migrants », alerte un collectif qui réunit notamment le Groupe d'information et de soutien des immigrés, le Syndicat des avocats de France, l'Association nationale d'assistance aux frontières pour les étrangers et la Cimade. Cette énième retouche des textes relatifs à l'immigration « renforce encore l'arbitraire », s'indigne de son côté France terre d'asile, soulignant que, « dans une société démocratique, toute mesure de privation de liberté doit être justifiée et proportionnée à la faute commise ». Appelant également les parlementaires à ne pas valider ces dispositions, Forum réfugiés dénonce des « reculs importants du droit sur un sujet aussi délicat que celui des libertés fondamentales ».
Dans le détail, les organisations fustigent la possibilité de placer « ipso facto » les étrangers dans des zones d'attente créées là où ils franchiraient la frontière. Autre restriction des droits : le « bannissement » que représenterait l'interdiction de retour sur le territoire prononcée pour une durée pouvant aller jusqu'à cinq ans. Elles s'opposent également à l'allongement de la durée de rétention administrative à 45 jours, au lieu de 32 actuellement, « alors que 80 % des retours sont effectués au cours des 17 premiers jours », relève Forum réfugiés.
Pour le Syndicat de la magistrature, l'ensemble des dispositions du projet de loi relatives au contentieux judiciaire est destiné, « pour les unes, à éviter à l'administration le désagrément d'avoir à soumettre la régularité de ses procédures au contrôle du juge judiciaire et, pour les autres, à réduire ou neutraliser les pouvoirs de contrôle de ce dernier ». Ainsi, avec le report de deux à cinq jours du délai dans lequel l'administration doit saisir le juge des libertés et de la détention, de nombreuses reconduites d'étrangers pourront être effectuées sans qu'ait été vérifiée la régularité de leur arrestation ou des conditions de leur rétention, conteste le syndicat. Le pouvoir d'appréciation du juge serait en outre restreint par de nouveaux paramètres imposés par le projet de loi, tant pour la prolongation de la rétention ou du maintien en zone d'attente que pour le constat d'irrégularités de procédure. Autre recul pointé du doigt : le texte prévoit une nouvelle hypothèse d'instruction de la demande d'asile en procédure prioritaire, dans le cas où l'étranger aurait dissimulé des informations sur lui-même ou ses modalités d'entrée en France.
Les associations peuvent néanmoins se réjouir de quelques avancées, parmi lesquelles la traduction législative de l'« immunité humanitaire » protégeant de la sanction d'aide à l'entrée et au séjour irréguliers. Celle-ci concernerait désormais notamment les « actes nécessaires à la sauvegarde d'un étranger en situation irrégulière », et non plus seulement celle de sa vie ou de son intégrité physique. Si elles représentent aussi un progrès, les dispositions prévoyant un titre de séjour pour les jeunes arrivés en France entre 16 et 18 ans et confiés à l'aide sociale à l'enfance (ASE) suscitent en revanche un accueil mitigé. Auparavant, seuls ceux pris en charge avant 16 ans pouvaient prétendre à un titre de séjour « vie privée et familiale », sous certaines conditions restrictives. Reste qu'au vu des exigences auxquelles elle est soumise, la possibilité ouverte par le projet de loi pour ceux arrivés après 16 ans est « en trompe l'oeil », analyse le centre de ressources sur les mineurs isolés étrangers Infomie. Pourraient en effet, à leur majorité et à titre exceptionnel, bénéficier d'une carte de séjour temporaire « salarié » ou « travailleur temporaire » ceux pris en charge par l'ASE après 16 ans et attestant suivre depuis au moins six mois une formation destinée à leur apporter une qualification professionnelle, et, comme pour ceux arrivés avant 16 ans, sous réserve du caractère « réel et sérieux » du suivi de leur formation, de la nature des liens avec leur famille restée dans leur pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur leur intégration. En l'état, le texte exclut de nombreux jeunes d'une chance de régularisation, conclut Infomie, « sans pour autant véritablement sécuriser le parcours juridique des quelques jeunes qui pourraient en bénéficier, puisque l'on reste dans le cadre du pouvoir discrétionnaire de l'administration ». Pour l'organisation, ce texte constitue « une régression par rapport à la circulaire du 2 mai 2005, qui, elle, n'exigeait pas un type et une durée de formation particuliers, ni de mode spécifique de prise en charge (en l'occurrence dans le cadre de l'ASE exclusivement) ». Il est même moins protecteur que la jurisprudence des tribunaux administratifs lorsqu'ils sont saisis de décisions de refus de séjour assorties d'une obligation de quitter le territoire français, ajoute-t-elle : « Dès lors que ces derniers peuvent justifier d'un début d'insertion et démontrer peu ou pas de liens avec leur pays d'origine, les juges administratifs annulent le plus souvent les décisions préfectorales pour erreur manifeste d'appréciation, en les assortissant d'une injonction de délivrer une carte «vie privée et familiale», certains tribunaux commençant même à reconnaître l'atteinte portée à la vie privée de ces jeunes. »