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Face à leurs déficits, les départements sont prêts à saisir le Conseil constitutionnel

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Sept présidents de conseil général proposent d'utiliser la voie législative et de soulever la question prioritaire de constitutionnalité pour obliger l'Etat à compenser les transferts de charges. Cette offensive intervient dans un climat de polémiques sur l'origine du déficit des budgets des départements.

Alors que les départements doivent boucler leur budget avant le 15 avril, sept présidents de conseil général - cinq de gauche et deux de droite (1) - veulent engager une procédure contre l'Etat pour l'obliger à rembourser l'intégralité des dépenses liées aux trois allocations de solidarité nationale (allocation personnalisée d'autonomie, prestation de compensation du handicap, revenu de solidarité active). Ils s'appuient sur l'étude sur la compensation des charges de l'Etat transférées aux départements de 2002 à 2009, rendue publique le 6 avril, qu'a réalisée dans leurs départements pour l'Assemblée des départements de France (ADF) Dominique Rousseau, professeur de droit à l'université de Montpellier-I. Cette étude montre que le principe constitutionnel de l'autonomie financière des départements, reconnu par la révision constitutionnelle du 28 mars 2003, est menacé par le défaut de compensation financière de l'Etat. Elle constate que « les transferts opérés depuis 2002 pour financer les trois allocations individuelles de solidarité ne sont pas suffisamment compensés et que, de ce fait, l'autonomie financière des départements s'en trouve largement affaiblie ». Elle propose donc de mobiliser deux voies juridiques contre l'Etat : la voie législative, « sans doute la plus efficace à long terme » car elle permet « de faire modifier l'ordonnancement législatif afin de réévaluer les compensations actuelles et à venir » ; la voie constitutionnelle, qui peut être complémentaire de la première, rendue possible depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 et en vigueur depuis le 1er mars 2010. Cette dernière est la question prioritaire de constitutionnalité qui permet aux justiciables (personnes physiques mais aussi personnes morales de droit public comme les départements) de faire constater une atteinte à un principe protégé par la Constitution lors d'un procès (2). Les sept présidents de conseil général comptent bien explorer ces deux possibilités. « Des propositions de loi de gauche comme de droite vont être déposées sur le bureau du Parlement avant l'été pour revoir les modes de compensation. Si nécessaire, nous utiliserons la question prioritaire de constitutionnalité pour saisir le Conseil constitutionnel, explique Arnaud Montebourg, président du conseil général de Saône-et-Loire. Ce n'est pas une bagarre de droite ou de gauche, c'est un combat des territoires contre le gouvernement. Nous sommes dans une situation impossible : nous sommes obligés de distribuer des prestations nationales et, faute de financement suffisant de l'Etat, de lever des impôts pour les financer. Dans le même temps, l'Etat nous supprime des impôts locaux comme la taxe professionnelle ! » Pour les élus locaux, ce n'est pas aux ménages de payer les charges qui relèvent de la solidarité nationale. Coincés entre la hausse de leurs charges sociales et la baisse de leurs recettes, certains présidents de départements, pour boucler leur budget, n'ont pas hésité à augmenter la pression fiscale, comme l'a fait Arnaud Montebourg en créant un impôt local baptisé « 5e risque » (3). D'autres taillent dans leurs politiques en supprimant les subventions aux associations sportives ou culturelles. Dans la Meuse, le président du département, Christian Namy (UMP), a baissé de 25 % les subventions aux associations.

Au-delà de ces mesures de survie, les départements multiplient les recours contentieux contre l'Etat pour obtenir l'argent qu'il leur doit. En 2009, la Seine-Saint-Denis et la Saône-et-Loire avaient formé deux recours devant le Conseil d'Etat, qui, en décembre, a enjoint le Premier ministre de publier le décret créant le fonds national de financement de la protection de l'enfance dans un délai de quatre mois (4). Une trentaine de recours ont depuis été intentés par des départements sur la même question. Le projet de décret relatif au fonds de financement est en cours de finalisation, selon le gouvernement. De son côté, Claude Bartolone, président du conseil général de Seine-Saint-Denis, a déposé, le 29 mars, un recours auprès du Conseil d'Etat sur le financement de la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) au motif que l'Etat doit au département 1,4 million d'euros. « Cette somme correspond aux montants avancés pour créer les 56 postes indispensables à l'exercice d'un service public de qualité », explique Claude Bartolone. De même, le département de Paris vient de saisir en référé l'Etat devant le tribunal administratif de Paris au titre de sa dette envers la MDPH.

Face à la pression des élus et à la suite du « Mémorandum en faveur des départements en difficulté » que lui a remis l'ADF le 6 janvier - qui évaluait à 3,8 milliards d'euros le déficit annuel de compensation relatif aux trois prestations (5) -, François Fillon avait alors lancé une mission de diagnostic et de propositions sur les départements jugés fragilisés du fait de la croissance de leurs dépenses d'action sociale induite par la crise économique. Son rapporteur, Pierre Jamet, directeur général des services du département du Rhône, devrait lui remettre sa copie le 15 avril. Reste que les divergences d'appréciation au sein de la classe politique sur les raisons du déficit des collectivités locales restent profondes : Jean-François Copé, président du groupe UMP à l'Assemblée nationale, a ainsi estimé, le 7 avril, que « l'essentiel de l'explosion des dépenses des conseils généraux et régionaux n'est absolument pas liée à la décentralisation mais à des dépenses folles qui ont été engagées de manière totalement irresponsable ».

DES BUDGETS EN DÉSÉQUILIBRE EN SIGNE DE RÉVOLTE

Dans la Seine-Saint-Denis, le président du conseil général, Claude Bartolone (PS), qui estime que la dette de l'Etat vis-à-vis de son département s'élève à 640 millions d'euros depuis 2004, devait, le 8 avril, présenter un budget en déséquilibre, qualifié de « budget de révolte » contre l'Etat. Une démarche interdite par le code général des collectivités territoriales, qui vaudra au département d'être placé sous tutelle du préfet, a aussitôt averti Alain Marleix, secrétaire d'Etat aux collectivités territoriales. Le groupe UMP-Nouveau Centre du conseil général a aussitôt demandé la démission du président Claude Bartolone « en raison de son incapacité à présenter un budget départemental en équilibre ». Soutenu par Claudy Lebreton, président de l'Assemblée des départements de France, Claude Bartolone l'est aussi par Michel Berson, président (PS) du conseil général de l'Essonne, qui note que « ce sont tous les départements de France qui sont touchés et vont être à brève échéance dans l'impossibilité de présenter un budget en équilibre ».

Notes

(1) Yves Ackermann, président (PS) du conseil général du Territoire de Belfort, Michel Dinet, président (PS) de la Meurthe-et-Moselle, Christian Favier, président (PC) du Val-de-Marne, Arnaud Montebourg (PS), pour la Saône-et-Loire, Christian Namy, président (UMP) du conseil général de la Meuse, et Gérard Roche, président (divers droite) de la Haute-Loire.

(2) Le justiciable peut alors saisir indirectement le Conseil constitutionnel au cours du procès via la juridiction de première instance ou d'appel - Voir ASH n° 2649 du 5-03-10, p. 19.

(3) Voir ASH n° 2648 du 26-02-10, p. 20.

(4) Voir ASH n° 2640 du 8-01-10, p. 5 et 26.

(5) Voir ASH n° 2648 du 26-02-10, p. 20.

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