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« Favoriser la mixité sociale en recréant de la mobilité »

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Promouvoir la mixité sociale par le logement... Tel est l'un des grands objectifs du programme mené jusqu'en 2013 par l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU). Mais ce but est loin d'être atteint, reconnaît le récent rapport du comité d'évaluation et de suivi de l'agence(1). Il faut recréer de la mobilité et équiper les quartiers, estime pour sa part l'économiste Didier Vanoni, qui plaide pour un changement de regard sur la diversité dans les quartiers d'habitat social.

De quoi parle-t-on lorsqu'il est question de « mixité sociale » ?

On s'appuie souvent sur des critères sociaux ou ethniques. La mixité sociale serait censée caractériser une population composée de personnes d'âges, de situations sociales, de métiers différents... Il s'agirait, en quelque sorte, d'une représentation de la composition sociale moyenne du pays. Mais si les mots de « mixité » ou encore de « diversité » évoquent le mélange des populations, il n'en existe aucune définition précise. On ne sait pas mesurer cette mixité ni lui associer des critères clairs. Qui, dans une agglomération donnée, est capable de dire si le niveau de mixité est suffisant ? En revanche, par la négative, on sait lorsqu'un quartier n'est plus dans la mixité sociale. Cela s'appelle des « ghettos », de la « ségrégation spatiale » ou, en termes sociologiques, de la « spécialisation sociale des espaces ». En fait, la diversité est une question de point de vue. Elle existe souvent, mais on ne sait pas forcément la voir. On observe des grandes catégories telles que les chômeurs, les familles issues de l'immigration, les ménages n'ayant pas accès au parc privé... Du coup, on croit que la population du parc social français est homogène. En réalité, sa composition est très diverse et très proche de la structure de la population française dans son ensemble, même si c'est moins le cas dans les ZUS [zones urbaines sensibles]. La seule surreprésentation est celle des familles monoparentales. Je ne dis pas que la situation de certains quartiers n'est pas grave, mais simplement qu'elle n'est pas aussi homogène qu'on le croit.

Mais sait-on si la mixité sociale dans l'habitat est en recul en France ?

Les mesures ponctuelles faites dans des agglomérations montrent que, dans la période récente, les positions dans le logement se sont figées. Il y a moins de personnes qui sortent du parc social, et le parc privé étant devenu rare et cher, il ne joue plus son rôle d'accueil des nouveaux entrants sur le marché du logement. Pour bouger, il faut pouvoir aller chercher le logement là où il se trouve. Ce qui implique d'avoir de l'argent ou de pouvoir emprunter. On observe donc une concentration de la pauvreté là où elle existait déjà. Et plus encore avec le programme de renouvellement urbain : dans certains quartiers, une partie de la population concernée, qui avait besoin de logements peu chers, a été relogée dans des secteurs non rénovés. Le clivage s'est donc accentué et, à l'intérieur même des quartiers en difficulté, on observe une fragmentation entre les parties réhabilitées et celles qui sont restées en l'état. Je ne suis pas sûr que l'on ait ainsi favorisé la mixité sociale.

Le maintien de la mixité sociale demeure pourtant l'un des grands objectifs de la politique du logement en France...

Bien sûr. Et on fait comme si tout le monde était d'accord pour favoriser cette mixité sociale. D'ailleurs, nous sommes tous d'accord pour reconnaître que l'on est riche de la diversité culturelle apportée par l'étranger, par la personne différente. Mais dans la pratique chacun préfère que cela se passe un peu plus loin, pas dans son jardin. Et, dans les actes, je n'ai pas l'impression que tout le monde s'attache à cet objectif, notamment dans certaines communes dont les maires affirment clairement qu'ils ne respecteront pas la loi et refuseront d'accueillir des HLM sur leur territoire.

Le rapport du comité d'évaluation et de suivi de l'ANRU dresse un constat assez négatif lorsqu'il indique que le retour des classes moyennes dans les quartiers bute sur « le principe de réalité que constituent les marchés locaux de l'habitat ». Partagez-vous son analyse ?

C'est un phénomène qui s'auto-entretient. Quand l'image d'un quartier est mauvaise, les investisseurs viennent moins et la demande extérieure est moins forte. Du coup, le quartier demeure peu attractif et on ne peut y loger que ceux qui y viennent par prescription sociale. Reste que cette idée de faire venir les classes moyennes dans les quartiers paraît assez curieuse. Certains quartiers sont des sortes de ghettos dans lesquels ne vivent que des pauvres qui n'arrivent pas à en sortir. Pour que ça marche, il faudrait que de nombreux ménages de la classe moyenne soient volontaires pour habiter ces quartiers et les tirer vers le haut. Or la société française reste pyramidale, avec davantage de personnes pauvres ou modestes que de personnes aisées. Je ne vois donc pas comment cela peut fonctionner à grande échelle. En outre, dire que grâce à une offre de logements de meilleure qualité, construits dans le cadre d'opérations de réhabilitation de quartiers en ZUS, on va améliorer la mixité sociale me paraît être un pari risqué. Quand on fait un produit plus cher, on s'adresse à des gens capables de fournir l'effort financier pour y accéder. Il faudrait alors une conjonction de facteurs particuliers - l'école, le niveau de service ou encore la situation géographique - pour que l'avantage comparatif paraisse suffisamment intéressant pour les convaincre de s'y installer. Mais quand on a démoli 7 % à 8 % du parc de logement social pour le remplacer par le même volume de logements, je ne suis pas certain que l'on ait modifié grand-chose et que l'on ait développé des avantages comparatifs de manière significative.

Ne risque-t-on pas de voir certains quartiers se ghettoïser, un peu à l'image des Etats-Unis ?

Les zones de non-droit existent, on ne peut pas dire le contraire. Mais pour quelles raisons ? Il y a bien sûr des délinquants, des gens qui ont des pratiques condamnables. Je ne sous-estime pas le problème, mais lorsqu'on observe pourquoi une telle situation émerge dans un endroit précis, on comprend assez vite qu'il y a aussi un fort déficit de l'organisation publique. Quels sont les transports publics ? Qui ramasse les poubelles ? Comment gère-t-on l'espace ? Quels sont les moyens dévolus aux écoles ? Voilà les questions qu'il faut se poser. De plus, depuis le temps que l'on tire le signal d'alarme sur le risque de ségrégation, des quartiers entiers devraient être devenus des ghettos. Or ce n'est pas le cas. Beaucoup de personnes habitant ces zones en sortent. Le turn-over dans les ZUS se situe aux alentours de 8 % par an. En cinq ans, 40 % des habitants bougent. On voit que les quartiers d'habitat populaire drainent et recyclent les populations, et on aurait tout intérêt à les considérer également comme des lieux de promotion, de ressources sociales. Pour moi, par exemple, la Seine-Saint-Denis s'apparente à une véritable machine à insérer qui fonctionne pour l'ensemble de l'Ile-de-France, même si elle n'est pas reconnue en tant que telle. Il y a là toute une population que l'on retrouve non seulement dans les emplois de service mais aussi dans les clubs sportifs et le secteur culturel.

Comment, finalement, peut-on favoriser la mixité sociale dans l'habitat ?

La première réponse est qu'il faut recréer de la mobilité. J'aime à dire qu'un quartier où l'on est bien, c'est un quartier dont on peut partir mais où l'on souhaite rester, plutôt qu'un quartier dont on voudrait partir parce qu'on ne le supporte pas ou dont on vous chasse car il n'est plus pour vous. Mais recréer les conditions de la mobilité, cela implique de desserrer l'étau du logement, car il n'y a tout simplement pas assez de logements en France et on n'a pas planifié le développement des grandes agglomérations. Tout est bloqué. Pour passer du logement social au logement privé récent, la part de reste à payer, de 300 à 400 € , grimpe à 600 ou 700 € . Un coût trop élevé par rapport au revenu médian, qui est de 2 000 € . Il faudrait produire des logements coûtant aux alentours de 500 € par mois, soit un taux d'effort d'environ 25 % pour un ménage. L'autre solution consiste à veiller à ne pas reconstituer des zones d'habitat social concentré, dont on sait qu'elles ne marchent pas bien. Bien sûr, il y aura toujours des quartiers populaires, mais faisons l'effort d'y implanter des équipements - écoles, transports, services, commerces - qui soient à la hauteur de l'enjeu. Desserrer l'étau du manque de logements et équiper les quartiers sont pour moi les deux grandes solutions en vue de favoriser la mixité sociale. Après, la diversité se fera toute seule, par choix, par affinité sociale ou culturelle, ou en fonction des évolutions et des accidents de la vie. Sachant que le logement ne peut évidemment pas résoudre tous les problèmes des gens.

REPÈRES

Economiste et spécialiste des politiques du logement, Didier Vanoni dirige le cabinet d'études et de recherches FORS-Recherche sociale. En 2007, il a publié avec Christophe Robert Logement et cohésion sociale. Le mal-logement au coeur des inégalités (Ed. La Découverte).

Notes

(1) Voir ce numéro, p. 10.

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