«Les difficultés qui traversent aujourd'hui notre champ carcéral nous obligent à trouver des solutions originales et innovantes », explique Paul-Roger Gontard, doctorant en droit pénal et sciences criminelles à l'université d'Aix-en-Provence, dans un rapport qu'il a remis le 1er avril au secrétaire d'Etat à la justice (1). Il y prône le développement du régime ouvert de détention et plus particulièrement des « prisons ouvertes », largement présentes chez nos voisins européens (Danemark, Suède, Autriche...) (2) et auxquelles s'intéresse de près Jean-Marie Bockel. Actuellement, la France ne compte qu'un seul établissement de la sorte, celui de Casabianda (Corse), qui accueille 190 détenus. Pour Jean-Marie Bockel et l'auteur, ces prisons, dont la création est encouragée par les textes internationaux et l'Organisation des Nations unies, sont « plus que jamais pertinentes » car elles permettent non seulement le respect des droits fondamentaux des détenus et la lutte contre la surpopulation carcérale, mais aussi une « économie de moyens » en termes de coût immobilier et de fonctionnement (taux d'encadrement et de sécurité moindre).
Pour Paul-Roger Gontard, une « prison ouverte » est un établissement pénitentiaire ouvert reposant sur trois éléments fondamentaux. Le premier consiste en l'« absence de moyens passifs de sécurité » (barreaux aux fenêtres des bâtiments de détention, miradors, serrures ou emploi de gardes supplémentaires). Toutefois, précise-t-il, l'encadrement de surveillance est « complété par d'autres agents [de l'administration pénitentiaire] participant aux activités laborieuses des détenus, et par le personnel des services socio-médicaux ou administratifs affecté à la prison », ainsi que par de la vidéosurveillance à détection de mouvement. « Pour matérialiser plusieurs espaces distincts, des grillages et, plus rarement, des murs peuvent faire office de limite pour chaque unité de la prison. » La réussite d'un tel projet passe aussi, selon l'universitaire, par une démarche volontaire du détenu. « Tout manquement à la règle entraînera [donc] une limitation de liberté individuelle [...] pouvant aller dans les cas les plus graves [...] jusqu'au transfèrement du contrevenant dans un établissement fermé », explique-t-il. Dernier élément important : le travail. Les détenus doivent en effet être occupés à une activité rémunérée, permettant ainsi de « lutter contre l'oisiveté et le marchandage », de favoriser leur réinsertion et resocialisation (3) et de constituer le pécule servant à l'indemnisation des victimes.
En l'absence de dispositions réglementaires prévoyant le contraire, « rien n'interdit l'exercice de ce régime à l'intérieur de notre champ pénitentiaire national », estime Paul-Roger Gontard, qui s'appuie en outre sur quelques « dispositions fondatrices » de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 faisant référence à la nécessité de préparer l'insertion ou la réinsertion du détenu (4). Afin de définir le cadre d'utilisation du régime ouvert de détention, il propose de modifier l'article 717-1 du code de procédure pénale relatif aux modalités de répartition des condamnés dans les prisons, en y insérant l'alinéa suivant : « les condamnés peuvent être placés dans un établissement pour peine avec un régime de détention ouvert. Cette affectation n'interviendra qu'à l'issue d'une période [d'observation] pluridisciplinaire. »
Quant à la configuration de ces structures, leur taille pourrait « varier d'une dizaine de places dans certains cas à plusieurs centaines dans d'autres. Une différence qui s'explique le plus souvent par le caractère indépendant, autonome ou exclusivement rattaché à un autre établissement pénitentiaire », souligne l'auteur. Pour le secrétaire d'Etat à la justice, « ces prisons ouvertes devraient prévoir un maximum de 150 à 200 places ».
Selon l'étude, le placement dans une « prison ouverte » pourrait être envisagé soit immédiatement après la condamnation, soit après une première période de détention dans un établissement fermé, soit encore après un parcours dans plusieurs établissements fermés au régime de détention de moins en moins rigoureux. Quoi qu'il en soit, les « prisons ouvertes » doivent être vues plus comme « un complément aux autres régimes de détention ou d'aménagement de peine que comme un concurrent à ces régimes », indique Paul-Roger Gontard. Soulignant que le régime ouvert de détention doit offrir un « environnement le plus proche possible des réalités de la vie libre ». Ce qui implique « peu d'entrave à la communication entre l'intérieur et l'extérieur » et moins ou pas de contrôle lors des visites des familles.
Le succès des « prisons ouvertes » dépend de la sélection des détenus, estime Paul-Roger Gontard : « Ce doit être des détenus dont la personnalité présente un risque limité [d'évasion] et qui ont une démarche volontaire. » Seront notamment écartés de ce régime « les détenus ayant commis une infraction en lien avec la criminalité organisée ou dans un contexte collégial », « les détenus sujets à des addictions non efficacement traités », « les détenus pour des faits de violences gratuites ou de dégradations volontaires [qui] ne pourraient pas être suffisamment encadrés et contrôlés ». A contrario, souligne l'auteur, « les détenus dont l'objet de l'infraction a disparu ou est inaccessible à proximité de la détention seront des publics a priori plus favorables ». Il en va ainsi des auteurs d'infractions sexuelles intrafamiliales ou des infractions économiques et financières, ainsi que des auteurs d'atteintes aux biens sans violences ou d'homicides sur conjoint. En outre, devraient prioritairement pouvoir bénéficier de ce régime les détenus dont le reliquat de peine est supérieur à un an. D'après le rapport, au 1er février 2010, 4 221 personnes pourraient être concernées, la plupart d'entre elles ayant été condamnées pour une atteinte aux biens. « Nous pouvons raisonnablement estimer dans une évaluation basse que 10 % à 15 % de cet efffectif serait effectivement en mesure de bénéficier du régime ouvert », a estimé l'auteur. « Un objectif de 10 % [pouvant] être fixé à terme », a ajouté le secrétaire d'Etat à la justice.
L'orientation des détenus pourrait, comme aujourd'hui, être assurée par les directions interrégionales et le centre national d'observation (CNO) placé au sein de la maison d'arrêt de Fresnes (Val-de-Marne). Ce dernier, estime l'auteur, est « l'outil le plus performant en cette matière », en ce qu'il réalise un bilan pluridisciplinaire du détenu, une synthèse de détention et son bilan psychologique afin d'aider l'administration pénitentiaire dans sa prise de décision. Paul-Roger Gontard préconise même la création de centres annexes en région, ce qui aurait le double avantage « de pallier le manque futur de places du CNO de Fresnes (5) et de permettre aux agents de se spécialiser dans la connaissance des prisons de leur secteur ». En outre, à défaut de formation spécifique des agents du CNO, il suggère de « programmer une formation complémentaire en criminologie ».
Selon l'étude, les « prisons ouvertes » devraient être « en retrait d'un centre urbain adjacent » afin de « faciliter une maîtrise foncière suffisante pour déployer les activités en prison, de limiter les tentations directes qui pourraient solliciter les détenus et de limiter le voisinage immédiat, facteur parfois de difficultés dans la phase préparatoire à l'installation d'un nouvel établissement pénitentiaire ». Au final, conclut Paul-Roger Gontard, pour que la création des « prisons ouvertes » soit socialement acceptée, trois critères s'imposent au-delà de la sélection rigoureuse des détenus. Tout d'abord, cela nécessite une « répartition cohérente » de ces établissements sur le territoire « afin de faire accepter par les détenus un éloignement raisonnable de leurs proches tout en tirant profit des atouts pour leur réinsertion apportés par ces établissements ». Cette répartition doit ensuite tenir compte d'une double contrainte : « le besoin d'un accès nécessairement aisé aux services publics sociaux et de santé, tout en préservant un éloignement raisonnable des grandes infrastructures de transport ».
D'après les estimations de l'auteur, au moins trois ou quatre « prisons ouvertes » pourraient être utilement implantées en France. Des préconisations qui vont être examinées dans le cadre du programme immobilier 2012-2017 du ministère de la Justice, qui prévoit de créer 5 000 places de prison supplémentaires par an à compter de 2015, a précisé Guillaume Didier, son porte-parole, au journal Le Monde le 3 avril dernier. Au préalable, a indiqué le secrétaire d'Etat à la justice, la chancellerie va confier une mission d'expertise à la direction de l'administration pénitentiaire visant à étudier les modalités de création de ces « prisons ouvertes » « en lien ou non avec les établissements existants » et à identifier leurs lieux d'implantation. Quoi qu'il en soit, a ajouté Laurent Marcadier, son directeur de cabinet, « il faut que des propositions soient faites avant la fin de l'année ».
(1) Rapport disponible sur
(2) Par exemple, au Danemark, le nombre de places en régime ouvert de détention représente 35 % du nombre total de places dans les prisons du pays, contre près de 0,4 % en France. En outre le nombre d'établissements avec un régime ouvert de détention représente 16 % du nombre total d'établissements du pays, contre un peu plus de 0,5 % en France.
(3) Il peut s'agir d'activités orientées vers les services aux communautés et collectivités, d'activités de production en lien avec le tissu économique environnant...
(5) En effet, son activité devrait augmenter du fait de la politique active du gouvernement en matière d'aménagement de peines, notamment pour les libérations conditionnelles, et de l'évaluation des détenus dans le cadre de la rétention de sûreté.