Avec le projet de loi relatif à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité, la législation française sur l'entrée et le séjour des étrangers s'apprête à connaître son quatrième grand bouleversement en sept ans. Adopté le 31 mars en conseil des ministres et dévoilé le lendemain devant la presse, le texte est présenté par son instigateur, Eric Besson, comme « équilibré », « généreux sur certains points, ferme sur d'autres ». « Les mesures relatives à l'accueil et à l'intégration [y] sont tout aussi importantes que celles qui concernent la lutte contre l'immigration illégale », a-t-il assuré. Un point de vue qui paraît bien singulier à la lecture du projet de loi - dont le volet consacré à la nationalité et à l'intégration ne comprend que cinq des 84 articles qu'il contient - et loin d'être partagé par plusieurs associations de soutien aux immigrés (voir ce numéro, page 20).
Le projet de loi repose principalement sur trois fondements. Il s'agissait tout d'abord, a expliqué Eric Besson, de tenir compte de certaines des conclusions du séminaire gouvernemental sur l'identité nationale établissant la nécessité de renforcer les politiques d'intégration des étrangers entrant et vivant en France (1). Deuxième « source d'inspiration » mise en avant par le ministre de l'Immigration : le rapport de la commission « Mazeaud » sur la politique des migrations, qui a avancé, en juillet 2008, plusieurs propositions pour améliorer l'efficacité des procédures d'éloignement des clandestins (2). Enfin, le texte traduit en droit français trois directives européennes : sur la « carte bleue » destinée aux migrants hautement qualifiés (bac + 3), sur les sanctions à l'égard des employeurs d'étrangers en situation irrégulière et sur les procédures applicables au retour de ceux-ci dans leur pays.
Le projet de loi met en place une procédure d'accès accéléré à la nationalité française pour les étrangers qui satisfont déjà « manifestement » à la condition d'assimilation posée par le code civil. Pour eux, la durée de présence sur le territoire exigée des candidats à la naturalisation devrait ainsi être réduite de cinq à deux ans. Plus globalement, le texte propose également de conditionner l'accès à la nationalité française pour les naturalisés à la signature d'une charte des droits et devoirs du citoyen. Cette charte « fera l'objet d'une consultation publique dans les prochains mois » et « sera publiée par un décret ». Au passage, le texte porte par ailleurs à deux ans le délai d'enregistrement des déclarations de nationalité souscrites en raison du mariage avec un conjoint français, dans le cas où le gouvernement a engagé une procédure d'opposition pour indignité ou défaut d'assimilation.
Le projet de loi précise encore les critères au regard desquels le respect des stipulations du contrat d'accueil et d'intégration (CAI) souscrit par un étranger doit être évalué. Actuellement, le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (Ceseda) indique simplement que, lors du premier renouvellement de la carte de séjour, « l'autorité administrative tient compte du non-respect, manifesté par une volonté caractérisée, par l'étranger, des stipulations du CAI ». Le projet de loi ajoute que cette analyse se fait « notamment » au regard de l'assiduité, du sérieux du suivi des formations civiques et linguistiques, de la réalisation du bilan de compétences professionnelles et, le cas échéant, de la participation à la session d'information sur la vie en France, ainsi que du respect des principes et valeurs essentiels de la République.
Le deuxième et principal volet du projet de loi concerne la lutte contre l'immigration irrégulière. Le texte réforme notamment les procédures et le contentieux de l'éloignement afin d'« accroître leur efficacité » et d'élever le taux d'exécution des obligations de quitter le territoire français et des arrêtés préfectoraux de reconduite à la frontière (20,3 % en 2009) qui, pour le gouvernement, « reste encore trop faible ».
En premier lieu, le projet de loi allonge de 32 à 45 jours la durée maximale de rétention administrative - c'est-à-dire après deux prolongations (3) -, ceci afin de permettre l'obtention des laissez-passer consulaires « dont l'absence de délivrance dans les temps impartis constitue la première cause d'échec des éloignements », explique l'exposé des motifs. Il s'agit, autrement dit, de laisser plus de temps à l'administration pour organiser les retours contraints. Les deux prolongations du maintien en rétention seront toujours prononcées par le juge des libertés et de la détention (JLD). Ce dernier devrait toutefois intervenir dans la procédure d'éloignement plus tard qu'actuellement. Le projet de loi réorganise en effet l'intervention des magistrats compétents en matière de contentieux de l'éloignement des étrangers : le juge administratif, qui se prononce sur la légalité de la mesure d'éloignement, et donc le JLD, qui se prononce sur la régularité de la procédure et le maintien en rétention. Aujourd'hui, le tribunal administratif, qui doit être saisi dans les 48 heures, dispose d'un délai de 72 heures pour se prononcer. Le juge judiciaire doit pour sa part être saisi et statuer dans un délai de 48 heures. Pour le gouvernement, ce délai de 48 heures imparti au juge judiciaire est trop court. En effet, « il arrive fréquemment que le JLD se prononce sur le maintien en rétention alors que la mesure de reconduite qui en est le fondement va être ensuite examinée et éventuellement annulée ». En conséquence, le projet de loi prévoit que le juge administratif statue en premier. Le JLD n'interviendrait plus qu'au cinquième jour.
Plusieurs mesures devraient par ailleurs avoir un impact sur le quotidien des juges judiciaires, dont les décisions, selon Eric Besson, « contribuent prioritairement à faire échec aux reconduites ». C'est ainsi que le projet de loi précise qu'une irrégularité n'entraînera la mainlevée d'une mesure de maintien en rétention (ou en zone d'attente) que dans l'hypothèse où elle est « substantielle ». Il augmente par ailleurs de quatre à six heures le délai imparti au ministère public pour former un appel suspensif contre la décision du JLD refusant la prolongation de la rétention administrative d'un étranger (ou son maintien en zone d'attente). « Cette extension du délai permettra une meilleure appréciation de l'opportunité d'un appel et de sa motivation », justifie l'exposé des motifs.
Toujours au chapitre de l'éloignement, le texte procède à la transposition de la directive « retour » du 16 décembre 2008. La décision sanctionnant le séjour irrégulier devrait ainsi ouvrir un délai de départ volontaire de 30 jours à l'issue duquel l'exécution d'office sera possible. Le gouvernement a toutefois prévu une série de circonstances dans lesquelles l'étranger sera obligé de quitter le territoire sans délai. Tel devrait être le cas par exemple « s'il existe un risque que l'intéressé se soustraie à l'obligation qui lui est faite » de quitter le territoire. A cet égard, le projet de loi vise plusieurs situations dans lesquelles ce risque sera regardé comme établi (4). Autre nouveauté : l'autorité administrative devrait pouvoir assortir sa décision d'éloignement d'une interdiction de retour sur l'ensemble du territoire européen d'une durée de trois ans (si le départ volontaire n'a pas été accordé), prolongeable de deux ans au maximum en cas de retour de l'étranger encore sous le coup de l'interdiction.
Sans rapport avec la directive « retour », le projet de loi ouvre par ailleurs la possibilité au préfet de créer, « lorsqu'il s'avère manifeste qu'un groupe d'étrangers vient d'arriver à la frontière en dehors d'un point de passage frontalier », une zone d'attente temporaire reliant le lieu de découverte des migrants au point où sont normalement effectués les contrôles. Cette zone offrira aux étrangers qui y sont maintenus les mêmes garanties que les zones d'attente permanentes existant actuellement dans les gares, ports et aéroports internationaux. Toutefois, pour apprécier si la notification et l'exercice des droits ont bien été effectués « dans les meilleurs délais possibles », le JLD devra tenir compte des circonstances particulières ayant conduit à la création de la zone d'attente temporaire, et en particulier du temps requis pour l'accomplissement des différentes formalités (disponibilité des avocats, médecins, interprètes) (5).
Eric Besson l'a présentée comme une des mesures « généreuses » de son projet de loi. Le texte ouvre la possibilité à l'étranger qui a été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de 16 et 18 ans de se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention « salarié » ou « travailleur temporaire », dans l'année qui suit son 18e anniversaire. L'intéressé devra toutefois justifier qu'il suit depuis au moins six mois une formation qualifiante. En outre, le titre de séjour devrait lui être accordé sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française.
Comme attendu, le projet de loi modifie par ailleurs l'article L. 622-4 du Ceseda afin de rendre plus explicite l'immunité pénale des personnes qui apportent une aide humanitaire d'urgence aux clandestins. La disposition devrait ainsi faire référence, pour justifier ce régime d'immunité, non plus seulement à la « sauvegarde de la vie ou de l'intégrité physique de l'étranger » mais plus largement à la « sauvegarde de la personne de l'étranger ».
Signalons enfin que le projet de loi prévoit une nouvelle hypothèse d'instruction d'une demande d'asile selon la procédure prioritaire : il s'agit du cas de l'étranger qui fournit de fausses indications, dissimule des informations concernant son identité, sa nationalité ou ses modalités d'entrée en France pour induire en erreur les autorités.
(3) Dans le détail, la durée actuelle de 32 jours correspond à un premier placement de deux jours + 15 jours après une première prolongation + 15 jours après une deuxième prolongation. La durée de 45 jours proposée dans le projet de loi correspond à un premier placement de cinq jours + 20 jours après une première prolongation + 20 jours après une deuxième prolongation.
(4) Par exemple « si l'étranger, qui ne peut justifier être entré régulièrement en France, n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour ».
(5) Une disposition semblable est prévue en matière de rétention, le juge devant ainsi « tenir compte des circonstances particulières liées notamment au placement en rétention d'un groupe d'étrangers pour l'appréciation des délais relatifs à la notification de la décision, de l'information des droits et à leur prise d'effet ».