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Examen de conscience

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Les auteurs d'abus sexuels font de plus en plus l'objet d'une prise en charge institutionnelle. A Besançon, la protection judiciaire de la jeunesse et le centre de guidance infanto-juvénile, adossé au centre hospitalier de Novillars, expérimentent depuis 2006 un dispositif éducatif et thérapeutique destiné aux mineurs auteurs de violences sexuelles, inspiré d'un programme québécois.

Comme chaque semaine, la séance commence par un goûter. Au choix, du pain et du chocolat, ou une part de gâteau au yaourt, confectionné le matin même au cours d'un atelier cuisine organisé au sein de la Maison de l'adolescent de Besançon. Quatre participants sont déjà présents, le cinquième a prévenu qu'il arriverait en retard. Quatre jeunes de 13 à 17 ans, portant sweat-shirt à capuche et baskets, qui ont apporté de leur village de montagne un soupçon d'accent franc-comtois. Ils sont détendus, plaisantent avec leurs thérapeutes en se balançant sur leurs chaises. Dans quelques minutes, ils changeront de pièce et d'ambiance. Aujourd'hui, leur groupe reçoit la visite d'une psychiatre spécialisée dans la victimologie, qui évoquera les répercussions d'une agression sexuelle sur la vie et le développement des victimes. Une séance difficile mais indispensable pour ces mineurs auteurs de violences sexuelles. Chacun d'eux bénéficie d'un programme de traitement expérimental unique en France, mis en place par la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) et par le centre de guidance infanto-juvénile dépendant du centre thérapeutique de l'enfant et de l'adolescent(1).

Destiné aux mineurs de 13 à 18 ans, le dispositif associe un accompagnement éducatif et judiciaire à une thérapie de groupe, en lien avec les familles. L'objectif poursuivi est double : mettre en oeuvre l'obligation de soins prononcée par la justice, et prévenir la récidive. Depuis son ouverture, cinq groupes se sont succédé et un sixième est en cours de constitution, soit au total une trentaine de jeunes suivis.

Le programme découle d'un constat commun fait par les éducateurs et les psychiatres : celui d'un cloisonnement entre les différentes prises en charge, dans le cadre d'une obligation de soins(2). Début 2005, le docteur Christian Bourg, médecin psychiatre hospitalier et responsable du pôle de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent du centre hospitalier de Novillars, prend contact avec Claude Didiot, à l'époque chef du service territorial éducatif de milieu ouvert (STEMO) de la PJJ du Doubs. « Du côté des éducateurs, nous manquions de retours sur les progrès des jeunes dans les cabinets des thérapeutes, que nous aurions pu communiquer aux magistrats, raconte Claude Didiot, désormais directeur territorial adjoint de la PJJ de Franche-Comté. Nous avions parfois l'impression que certains mineurs s'y rendaient uniquement dans le but d'obtenir leur attestation de fréquentation, et les soignants, eux, admettaient mal connaître les enjeux d'un parcours judiciaire. »

Une méthode en discussion

En mars 2005, une délégation de Besançon se rend au Québec, à Trois-Rivières. Au Centre jeunesse de la Mauricie, le psychologue Alain Perron accompagne depuis une vingtaine d'années victimes et abuseurs, au sein du programme d'évaluation et de traitement des abus sexuels qu'il a conçu. Les psychothérapies proposées aux jeunes comme aux parents visent à la compréhension du passage à l'acte, au développement de l'empathie et à la reprise d'un développement sain de la famille. Le modèle séduit les Français, mais ne peut être transposé tel quel. « Au Québec, les centres de jeunesse ont totalement gommé la frontière entre éducatif et soin, et peuvent prendre en charge indifféremment les deux aspects », explique Claude Didiot. Autre spécificité, les méthodes employées par le programme québécois tiennent de la thérapie cognitive et comportementale, alors que les soignants hexagonaux penchent plutôt du côté de la psychanalyse.

A Besançon, certains professionnels manifestent des réticences : ils craignent à la fois un brouillage des fonctions, une intrusion dans leur pratique professionnelle et le risque que la thérapie de groupe constitue pour les jeunes une violence supplémentaire. « Les mineurs auteurs de violences sexuelles sont particulièrement vulnérables et exposés, reconnaît Christian Bourg. Certains ont pu être très malmenés durant les premières années de leur vie, et l'acte commis leur attire à coup sûr l'opprobre général. Les risques sont importants de basculement dans la toxicomanie, la violence, le suicide. On pouvait redouter que la mise à nu les fragilise davantage, ou qu'ils vivent le groupe comme une stigmatisation. » Elaboré avec l'appui des soignants, éducateurs et magistrats intéressés, le dispositif de traitement est finalement entériné par une convention liant la PJJ et le centre hospitalier de Novillars. Parallèlement, le laboratoire de psychologie de l'université de Franche-Comté s'engage dans une démarche de recherche-action (voir encadré page 40). Le premier groupe est constitué en mai 2006.

Au préalable, reconnaître les faits

Le programme s'adresse à des mineurs ayant commis des agressions sexuelles ou des viols - dont le nombre croît, en partie du fait de la judiciarisation des actes commis. Ainsi, sur les quatre départements de Franche-Comté, 77 mineurs ont été poursuivis l'an passé pour des infractions à caractère sexuel. Il s'agit d'affaires très variables : relations sexuelles plus ou moins consenties entre adolescents du même âge, agressions collectives, attouchements sur un enfant... L'entrée dans le dispositif s'effectue sur la base d'un contrat fondé sur l'obligation de soins et sur l'engagement du jeune et de sa famille. Plusieurs mesures judiciaires peuvent amener le jeune auteur à fréquenter le groupe thérapeutique, soit en présentenciel (investigation d'orientation éducative, contrôle judiciaire, liberté surveillée), soit en postsentenciel (sursis avec mise à l'épreuve, suivi socio-judiciaire).

Un préalable reste indispensable : la reconnaissance minimale des actes commis, dont les professionnels de la PJJ doivent s'assurer, avant de suggérer au magistrat l'intégration dans le groupe. « Dans beaucoup de familles, on préfère ne pas parler des faits, a fortiori quand ils ont été commis sur un frère ou une soeur, parce que revenir sur le sujet apparaît comme dangereux, remarque Jean-Charles Duquet, chef de service éducatif, directeur de l'établissement de placement éducatif (EPE) de Besançon. De fait, si on en parle n'importe comment, ça peut faire des dégâts. » Le déni total - à l'image de cette mère affirmant que son fils poursuivi pour exhibitionnisme présentait « une excroissance » - peut être travaillé en amont par les équipes de la PJJ. « Nous étudions également les modalités pratiques de la participation au groupe, signale Frédéric Parra, directeur du STEMO. Avec 30 séances au programme, il s'agit d'un dispositif assez lourd. Il faut que les jeunes et leurs familles puissent se déplacer pour assister aux différentes rencontres. » Chaque intégration dans le groupe est soumise au docteur Bourg, qui s'assure de la pertinence de l'orientation. Les partenaires rencontrent ensuite le mineur et sa famille, ensemble et séparément, pour préciser leurs rôles et leurs relations. « Nous leur expliquons que le contenu de la thérapie restera confidentiel, et que nous n'échangerons que les informations qu'ils jugeront utile de transmettre », détaille Christian Bourg.

La prise en charge thérapeutique s'étale sur 30 séances hebdomadaires de deux heures, hors vacances scolaires : dix de plus que pour le premier groupe constitué, pour tenir compte de la durée des procédures judiciaires. Avec l'expérience, les thérapeutes ont fixé à six le nombre idéal de mineurs dans un groupe. Au-delà, il est impossible de consacrer du temps à chacun ; en dessous, l'absence d'un seul participant peut briser la dynamique. Les jeunes sont accueillis par un couple de thérapeutes, Christian Bourg, pédopsychiatre, et Sylvie Aymonier, psychologue. « Outre le renvoi au couple parental et aux représentations des genres, se retrouver face à une femme permet d'évoquer la sexualité avec plus de souplesse et de retenue », affirme Christian Bourg. Pour les thérapeutes, le binôme aide également à affronter plus sereinement des paroles et des charges émotionnelles parfois fortes.

Les premières séances sont consacrées à la construction d'une alliance avec les jeunes. « Nous travaillons sur la responsabilisation, le retour à plus de confiance et de maîtrise sur sa propre vie, en passant par des récits difficiles. Cela exige un cadre contenant et chaleureux », indique le psychiatre. La gravité des actes commis n'est pas éludée pour autant : elle est rappelée à chaque séance. Dès le premier jour, les participants doivent énoncer à voix haute, devant les autres, pourquoi ils sont là, de quels faits ils se jugent responsables, comment ils ont vécu le dévoilement des faits et ses conséquences sur l'entourage, la vie personnelle, sociale et familiale. Contrairement aux craintes de départ, s'exprimer devant les autres n'expose pas les jeunes à une violence supplémentaire. « C'est vrai qu'au début, c'est difficile. Parfois, on n'a pas très envie de parler, confie l'un d'eux. Mais on sait que les autres ont vécu les mêmes choses. » Pour les chercheurs de l'université de Franche-Comté, « les attitudes compréhensives des soignants » jouent particulièrement dans l'appropriation positive du dispositif. « Nous affirmons que, quoi qu'il arrive, nous croyons en leur humanité, résume Christian Bourg. Notre objectif est de leur redonner confiance en eux, pour se responsabiliser et développer leurs compétences psychosociales. » Aux éducateurs de la PJJ de rechercher, parallèlement au travail de soin, les facteurs favorables et défavorables à l'évolution du jeune. Une fois par mois, un comité de pilotage réunissant les équipes de la PJJ et du centre de guidance offre l'opportunité d'échanger les informations utiles pour la prise en charge des différentes situations, la cohérence de l'ensemble rassurant les familles et donnant du sens à la sanction.

Décortiquer le passage à l'acte

Plusieurs temps forts rythment le déroulement du processus thérapeutique. Tout d'abord, jeunes et soignants s'efforcent de démonter ensemble la mécanique du passage à l'acte. « Ils disent souvent qu'ils ont agi sur une impulsion, un coup de tête, observe le psychiatre. En fait, nous les amenons à identifier les motivations qu'ils ont éprouvées, les barrières internes et externes qui ont sauté, et la façon dont ils ont vaincu les résistances de la victime. » A l'aide de films - l'éprouvant Festen, de Thomas Vinterberg, L'ombre du doute, d'Aline Issermann -, de supports comme le Jeu de lois, conçu par le juge des enfants Jean-Pierre Rosenczveig, le groupe aborde la justice, les enjeux moraux, l'amour, la violence dans les relations, etc. L'intervention de Dominique Frémy, psychiatre au sein de l'unité de victimologie du centre hospitalier de Novillars, vise pour sa part au développement de l'empathie. « En une heure, je dois leur expliquer les dégâts qu'occasionne l'agression sur une victime, explique-t-elle. Surtout si l'enfant était petit, ils ont l'impression que ça ne va pas laisser de traces. Ils disent, par exemple, que ça n'a pas empêché le petit frère ou la petite soeur de revenir jouer avec eux le lendemain... A moi de leur montrer que, même si la victime ne semble pas avoir compris, l'agression reste emmagasinée quelque part et ressortira de toute façon. »

Chaque groupe consacre également une séance par jeune à la reconstitution de l'arbre généalogique familial. Prétexte pour aborder les relations au sein de la famille, il ouvre de nouvelles voies à la compréhension du passage à l'acte. « Très souvent, et même dans les familles qui semblent stables, on s'aperçoit que des histoires refoulées, enfouies, qui relèvent du passé du parent, entretiennent un brouillage sur le sexuel, la relation aux autres, déclare le psychiatre. Les enfants s'imprègnent d'un non-dit qui flotte au-dessus d'eux, et sont susceptibles de remettre cela en scène. » Pour preuve, il relate l'histoire de ce garçon qui a agressé sexuellement sa petite soeur et dont la mère, dans son enfance, avait elle-même subi de tels agissements. « Elle disait l'avoir oublié, mais inconsciemment elle posait des gestes en rapport avec ce vécu ancien, par exemple en laissant ses enfants la voir nue dans la salle de bains, ou en les embrassant sur la bouche. »

Une fois par mois, les thérapeutes rencontrent les jeunes avec leur famille. Le travail porte alors essentiellement sur les relations familiales, les bouleversements induits par l'acte commis et sa révélation, les passifs inconscients. Au cas par cas, si des parents le souhaitent, ils peuvent également être accompagnés séparément, entre autres pour évoquer leur sexualité ou leur relation de couple. Les adolescents, eux, accordent une grande importance à l'implication de leurs parents : elle signe la reconnaissance du travail profond qu'eux-mêmes ont entrepris.

A long terme, quels effets ?

L'achèvement du programme donne lieu à des bilans de groupe, individuels et en famille. En accord avec cette dernière, les progrès et perspectives du mineur sont restitués à l'éducateur PJJ, qui les transmet au magistrat chargé du dossier. Ces rapports plus complets, plus fouillés, éclairent le juge dans son travail de décision. Pour les mineurs ou les parents qui le souhaitent, l'accompagnement peut être poursuivi de façon individuelle.

Quatre ans après la création du dispositif, il demeure difficile d'en mesurer les effets sur le long terme. A partir des témoignages des jeunes, les psychologues chercheurs soulignent néanmoins que le groupe non seulement « lève les inhibitions à s'exprimer », mais « ouvre sur une quête de soi, de son identité relationnelle ». Première étape d'une institutionnalisation souhaitée par les professionnels, le programme devrait bientôt s'étendre sur le ressort de la direction territoriale de la PJJ de Franche-Comté, soit quatre départements. Et un second binôme, constitué de Dominique Frémy et de Nicolas Tardy, éducateur spécialisé, devrait être affecté à la Maison de l'adolescent. Au ministère de la Justice, Christian Bourg a rencontré le psychiatre attaché à la direction nationale de la PJJ, pour tenter de passer « d'une expérience ponctuelle de collaboration à une culture de travail reconnue qui pourrait rentrer dans le cadre des pratiques ».

Certains aspects du partenariat doivent cependant être retravaillés, comme l'équilibre entre le centre de guidance et la PJJ. « Au Québec, les groupes sont animés par un thérapeute et un éducateur, rappelle Claude Didiot. Avec des moyens spécifiques dédiés, nous pourrions affecter un de nos professionnels à ce partenariat, mettre en place un groupe de parole pour les parents, ou consacrer plus de temps au lien avec la famille. » En outre, un risque affleure, lié à l'orientation sur le dispositif en présentenciel : que les thérapeutes et les magistrats traitent en direct, sans passer par les éducateurs. Au final, pour dépasser l'expérimentation et favoriser l'appropriation du dispositif par l'ensemble des professionnels, il reste à mener une phase de formalisation de l'action et de son cadre de pensée.

FOCUS
Une évaluation dynamique

Depuis sa création en 2006, le dispositif est évalué par le laboratoire de psychologie de l'université de Franche-Comté. Par une convention tripartite signée avec la PJJ et l'hôpital de Novillars, quatre chercheurs se sont engagés dans une démarche de recherche-action. « Nous portons sur le dispositif un regard extérieur, critique et constructif, résume Jean-Pierre Minary, professeur de psychologie et directeur du laboratoire. Il ne s'agit pas de valider ou non le programme, mais de permettre aux praticiens d'apprécier sa pertinence et ses effets sur le travail quotidien. » Sur les cinq premiers groupes, les chercheurs ont réalisé des bilans psychologiques des jeunes à l'entrée et à la sortie du programme, et des entretiens individuels, toujours à l'extérieur de la Maison de l'adolescent, pour marquer une séparation. D'autres entretiens ont été menés avec les professionnels, pour comprendre les intentions initiales des partenaires, les éventuels blocages et les satisfactions. Plusieurs rapports ont été publiés, base de travail utilisable pour poursuivre l'élaboration du dispositif. Aujourd'hui, cependant, les chercheurs se trouvent face à une double difficulté, éthique et méthodologique. « Nous souhaiterions poursuivre par un travail sur les familles, mais sans interférer avec les prises en charge, explique Jean-Pierre Minary. De même, il faudrait pouvoir réinterroger les jeunes dans six ou sept ans. Mais nous nous sommes engagés à les laisser reprendre leur vie privée et anonyme après leur participation à l'évaluation, et il paraît difficile de reprendre contact avec eux ultérieurement sans reprendre la parole donnée. Pourtant, cela aiderait à mieux cerner les effets du programme sur le long terme. »

Notes

(1) STEMO-PJJ : 44, rue de Belfort - 25000 Besançon - Tél. 03 81 88 95 60. Centre thérapeutique de l'enfant et de l'adolescent : 13, rue des Jardins - 25000 Besançon - Tél. 03 81 60 72 33.

(2) L'obligation de soins peut être prononcée dans le cadre d'une alternative aux poursuites, d'une composition pénale, d'un contrôle judiciaire, d'une peine d'emprisonnement avec sursis et mise à l'épreuve, d'un suivi socio-judiciaire ou d'un aménagement de peine.

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