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« L'autorité, c'est reconnaître l'autre dans sa faiblesse »

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« Trop longtemps nous avons supporté [...] l'irresponsabilité de certains parents qui ne s'occupent pas de l'éducation de leurs enfants », déclarait Nicolas Sarkozy le 24 mars. Quelques jours avant la tenue des états généraux de la sécurité à l'école, les 7 et 8 avril, les parents « en panne » d'autorité sont une nouvelle fois pointés du doigt. Encore faut-il savoir ce qu'est une autorité réellement éducative, rappelle Daniel Marcelli, psychiatre de l'enfant et de l'adolescent.

Partagez-vous le constat dressé par Nicolas Sarkozy d'une démission croissante chez certains parents ?

La réponse est complexe si l'on ne veut pas qu'elle soit polémique, comme le sont les propos du président de la République. Le rôle des parents consiste à permettre à leur enfant, qui ne dispose pas encore de la plénitude de ses compétences, de devenir progressivement responsable de sa propre vie. C'est le but premier de toute éducation. L'irresponsabilité parentale est donc un facteur de souffrance, voire de pathologie et de déviance pour les enfants. Bien sûr, il y a toujours eu un petit groupe de parents qui, ayant eux-mêmes été carencés ou violentés ou vivant des situations dramatiques, se comportent de manière irresponsable. Mais je ne constate pas d'augmentation du nombre de ces parents. Dire le contraire, c'est de l'agitation politique électoraliste. J'observe que les parents sont plutôt soucieux d'élever leurs enfants selon les normes de la société. On leur dit que le bébé a des compétences, qu'il faut stimuler l'enfant, qu'il faut le laisser faire ses expériences... Toutes choses bénéfiques. Mais dès que l'enfant commence à acquérir des compétences motrices et à découvrir le monde qui l'entoure, il faut lui fixer des limites. Et c'est parfois à ce stade que les parents sont en difficulté. Ils ont pris l'habitude de laisser une grande liberté à l'enfant, et celui-ci supporte mal qu'on lui impose soudainement des limites. Les enfants sont devenus conquérants, dans le sens positif du terme, ce qui ne facilite pas la tâche des parents. Parallèlement, il y a une sorte de lâcheté sociale qui fait que, lorsqu'un enfant ou un adolescent se met à déborder, plus personne ne cherche à le contenir. Les parents, déjà dans des situations de vulnérabilité, deviennent alors des accusés tout désignés.

Les parents d'origine étrangère ont-ils plus de mal que les autres à contenir leurs enfants, comme l'affirment certains ?

Plus on se trouve soi-même dans une situation d'éclatement de ses propres valeurs, ce que le sociologue Emile Durkheim a appelé l'« anomie », plus il est difficile d'aider ses enfants à se construire. Les contenants d'autorité, en lien avec la culture d'origine des familles, sont parfois en contradiction avec ceux de notre société. Ce qui met les parents en porte-à-faux. Par exemple, dans la culture occidentale contemporaine, il n'est pas bien vu d'être violent à l'égard d'un enfant. Ce que je soutiens sans réserve. Il n'en demeure pas moins que, dans d'autres cultures, cette violence peut relever de la tradition. Et lorsqu'un père se voit interdit d'exercer ce qui, pour lui, est un acte d'autorité, il est entravé dans l'exercice de sa position parentale. En outre, les enfants de migrants, confrontés à une hétérogénéité de leurs systèmes de valeurs, souffrent parfois d'une certaine difficulté à hiérarchiser leur culture d'origine et la culture française. Mais toutes les enquêtes montrent que, quand la migration est choisie avec des parents instruits, ils se trouvent en général enrichis par cette double appartenance qui stimule leur intelligence. En revanche, lorsqu'il s'agit d'une migration de pauvreté, de misère sociale, cela aggrave bien souvent leur situation du point de vue éducatif.

En annonçant, en février dernier, la tenue d'états généraux de la sécurité à l'école, le ministre de l'Education nationale entendait « rétablir l'autorité, autour de la notion de tolérance zéro ». N'y a-t-il pas là une confusion entre autorité et autoritarisme ?

Certains adultes nostalgiques pensent qu'avant, c'était plus simple. Mais cette « simplicité » confinait parfois au simplisme, et même à la bêtise. Personne, pas même le ministre de l'Education nationale, n'accepterait de revenir au cadre social d'il y a cinquante ans, marqué par un très fort autoritarisme. De toute façon, on ne rétablira jamais l'autorité comme autrefois, car il s'agit de quelque chose d'éminemment évolutif selon le cadre social. Quant à la « tolérance zéro », c'est un concept américain, fruit d'une société d'une violence extrême et qui relève bel et bien de l'autoritarisme. Il s'agit de réponses par oui ou par non, d'une bêtise affligeante. La « tolérance zéro », c'est de la phraséologie politique destinée à rassurer ceux qui ont peur et qui sont, hélas, de plus en plus nombreux.

Vous dites que l'on se focalise sur l'autorité, mais jamais sur l'obéissance...

C'est vrai, alors que l'obéissance est le corollaire naturel de l'autorité. L'éducation consiste à apprendre à un enfant à obéir jusqu'à ce point subtil où, en grandissant, il va pouvoir s'autoriser à désobéir. Or, c'est une évidence, on ne peut désobéir que si l'on a appris à obéir. Quand c'est le cas, le jeune se prend lui-même comme objet de surveillance et ne fait rien qui attente à sa sécurité, voire à celle de la société. En revanche, quand un enfant n'a pas appris à obéir, il peut avoir des comportements dangereux. Curieusement, on n'aime pas beaucoup le mot « obéissance ». Peut-être est-ce en partie lié au fait qu'il provient du vocabulaire religieux et pose problème dans notre société laïque. Il est pourtant très utilisé par les parents lorsqu'ils parlent de leur relation avec leur enfant. Ceux qui ont la tête dans les étoiles, les responsables politiques et les chercheurs, préfèrent parler d'autorité. Ils ont aussi très souvent tendance à confondre soumission et obéissance, qui sont deux notions très différentes. La soumission relève de l'animalité, de la nature, de l'éthologie. Qu'elle procède par la force ou par la séduction, elle vise toujours à amener l'autre à sa merci. Ce n'est jamais une reconnaissance de l'altérité. A l'inverse, dans l'autorité, il y a une reconnaissance de l'autre dans sa faiblesse. Pour moi, une autorité démocratique, c'est lorsque son détenteur se prive des arguments de la force ou de la séduction. Cette définition pourrait permettre de différencier définitivement le pouvoir et la soumission d'une part, l'autorité et l'obéissance de l'autre.

Mais un certain nombre de jeunes échappent à toute autorité, n'ayant tout simplement pas intégré les limites éducatives de base...

Les adolescents, pour la plupart, ont acquis des contenants d'autorité dans leur milieu familial. Lorsqu'ils sont dans l'espace social, ils peuvent alors, comme tout adolescent, chercher à transgresser les règles. En général, on les attrape et on les réprimande. Le plus souvent, cela suffit, surtout si l'on veille à reconnaître le sens de leur acte et à ne pas les humilier. Car assortir la punition d'une humiliation ne fait qu'aggraver les choses. Mais il y a ceux qui n'ont pas bénéficié de ces contenants d'autorité parce que leurs parents se trouvaient en grande difficulté sociale ou qu'ils étaient pris dans des systèmes de valeurs incompatibles avec le nôtre. N'ayant pas intégré ces limites quand ils étaient enfants, ils ont beaucoup de mal à respecter l'autorité. La seule chose qu'ils respectent, c'est le pouvoir de la force et de la coercition. Ce qui pose un réel problème à notre société, qui s'interdit - et c'est tout à son honneur - d'utiliser les arguments de contrainte et de violence jadis en vigueur.

Que l'on soit parent, enseignant ou encore travailleur social, que faire face à ces adolescents très difficiles ?

Il n'y a pas une seule attitude éducative. C'est une action progressive. Lorsqu'on en arrive là, les parents ne sont plus en mesure de contenir leur enfant, devenu plus fort qu'eux et face auquel ils se trouvent dans une position de soumission. Il faut alors souvent en passer par un éloignement de la famille. Il faut ensuite que les professionnels au contact de ces jeunes, tout en exerçant dans une nécessaire relation de pouvoir, fassent en sorte que le respect s'instaure petit à petit. Pas le respect à la manière des jeunes de certains quartiers, qui n'est que le respect de la force. Il s'agit bien du respect humain, qui consiste à prendre en compte la faiblesse de l'autre et à ne pas abuser de sa position. Cette attitude, que l'on doit s'imposer en tant qu'éducateur, est extrêmement difficile à faire accepter à ces jeunes qui ne connaissent que les rapports de domination et de violence, et poussent constamment à bout les adultes. Ils cherchent à provoquer les débordements violents auxquels ils sont accoutumés. Il faut donc que le personnel éducatif soit aidé, accompagné et supervisé. Malheureusement, la paranoïa généralisée instillée actuellement par les responsables politiques n'est pas au service de cette relation d'autorité, qui est d'abord et avant tout une relation de confiance.

REPÈRES

Chef du service de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent au centre hospitalier universitaire de Poitiers, Daniel Marcelli publie Il est permis d'obéir (Ed. Albin Michel, 2009). Il est également l'auteur de L'enfant, chef de la famille. L'autorité de l'infantile (Ed. Livre de Poche, 2006), Enfance et psychopathologie (Ed. Masson, 2009) et Adolescence et psychopathologie (Ed. Masson, 2008).

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