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La loi à l'épreuve du terrain

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Le plan national de prévention de la délinquance et d'aide aux victimes vise à renforcer l'application de la loi du 5 mars 2007 sur la prévention de la délinquance, notamment ses dispositions sur le partage de l'information. Atteindra-t-il son objectif ? Déjà, dans certaines collectivités et selon les configurations locales, les acteurs du terrain tentent de composer dans une approche plus ou moins sécuritaire.

La loi du 5 mars 2007 sur la prévention de la délinquance va-t-elle rester un texte de faible portée ? Dans un avis rendu il y a un an, le Conseil national des villes constatait l'« absence quasi systématique » d'application du texte. Parmi les critiques formulées : le manque de concertation préalable et la volonté de réinventer de nouvelles solutions pour des questions abordées depuis 20 ans par les collectivités et pour lesquelles des réponses existaient déjà. Vent debout contre une approche sécuritaire de leurs missions, les travailleurs sociaux s'étaient dès le départ élevés contre la possibilité de transmettre au maire des informations nominatives. Ils avaient vu d'un très mauvais oeil la possibilité donnée aux édiles, consacrés « pilotes » en la matière, d'instaurer un conseil des droits et devoirs des familles (CDDF) pour examiner la situation de mineurs fauteurs de troubles et prononcer des mesures pouvant aller jusqu'à la sanction. Les professionnels du terrain y avaient aussitôt vu un brouillage des compétences et des dispositifs prévus par la réforme de la protection de l'enfance, promulguée le même jour.

Les maires, qui se sont pourtant félicités d'avoir été désignés comme chefs d'orchestre, s'étaient eux-mêmes opposés à ce risque de confusion. Le défaut de la loi est de « faire des maires un maillon de la chaîne pénale, alors qu'ils sont le premier maillon de la vie démocratique et ont besoin d'un climat de confiance avec les habitants », estime Charles Gautier, sénateur maire (PS) de Saint-Herblain (Loire-Atlantique) et président du Forum français pour la sécurité urbaine, qui rejoint la méfiance de Pierre Cardo, premier vice-président (UMP) de l'Association des maires ville et banlieue de France, « à l'égard de ce qui pourrait apparaître comme un tribunal des familles » (1). S'il s'agit de faire travailler ensemble les différents acteurs, « la compétence de chacun d'entre eux doit être respectée », abonde Claude Dilain, maire (PS) de Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), qui juge les instances de concertation locales existantes déjà suffisantes. De la même façon, Patrick Jarry, maire (PC) de Nanterre (Hauts-de-Seine), craint des dérives : « Du rôle de pilote à celui de responsable de la prévention de la délinquance, il n'y a qu'un pas, alors que les maires n'en ont ni les compétences ni les moyens. »

Affichant son volontarisme sur le sujet, le gouvernement s'est attelé à lever les réticences en présentant, le 2 octobre dernier, un plan national de prévention de la délinquance et d'aide aux victimes triennal contenant pas moins de 50 mesures (2), directement inspirées d'un rapport d'inspections interministériel, remis en août mais resté confidentiel. Sa mise en oeuvre, bien que restée discrète, avance. Ce chantier pourra-t-il convaincre, alors que, toutes tendances politiques confondues, beaucoup d'élus estiment la loi inapplicable ? Pour le Comité interministériel de prévention de la délinquance (CIPD), ces derniers ont surtout besoin de pédagogie et d'accompagnement. « Le plan est le chaînon manquant entre une loi complète mais complexe - elle modifie 12 codes - et le terrain qui a besoin d'orientations claires et pratiques pour agir », explique le préfet Philippe de Lagune, son secrétaire général. Depuis le début de l'année, les préfets ont eu pour consigne d'adapter les plans départementaux de prévention de la délinquance au plan national et de réunir les maires afin que les instances locales soient conformes à ses préconisations. Pour favoriser, « dans le respect du secret professionnel », le partage des informations nominatives détenues par les travailleurs sociaux, le nouveau plan prévoit la diffusion d'une charte déontologique type, qui devra être déclinée au niveau départemental.

Bientôt une charte

Un projet a été élaboré par le secrétariat général du CIPD à partir de chartes locales existantes, avec les ministères concernés (Intérieur, Justice, Education nationale, Santé, Affaires sociales), en concertation avec le Conseil supérieur du travail social (CSTS). Une troisième mouture devrait être présentée en réunion interministérielle le 6 avril. « Il ne s'agit pas de passer en force, mais d'aboutir à un texte incontestable sur le plan juridique et recueillant l'assentiment de tous les participants », précise Philippe de Lagune. Au nom du CSTS, les membres de la « commission éthique et déontologie » consultés ont fait valoir plusieurs arguments et distinctions « qui leur semblent avoir été bien entendus », note François Roche, membre de cette commission. Ils veulent en premier lieu que la charte ne dépasse pas les limites fixées par la loi du 5 mars 2007, qui encadre strictement la notion de partage d'informations à caractère secret, dont le maire peut être destinataire si les professionnels de l'action sociale le trouvent nécessaire et dans certaines conditions. Le plan demande par ailleurs une systématisation des groupes thématiques pouvant être créés au sein des CLSPD (conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance). A cet égard, « les représentants du CSTS ont considéré que la participation des travailleurs sociaux à ces groupes fait partie de leurs missions au titre de leur fonction de veille sociale, à condition qu'ils exigent d'en exclure le partage d'informations nominatives », ajoute François Roche. Ce qui impliquerait que le gouvernement recule sur ses intentions... Toujours pour lever les freins à la mise en oeuvre de la loi, le secrétariat général du CIPD devrait disposer, avant la fin du premier semestre, d'une équipe de préfiguration de soutien et d'appui aux maires. Elle devrait être composée de fonctionnaires de plusieurs ministères (Education nationale, Intérieur, Justice) et intervenir sur place à la demande des maires, en collaboration avec des acteurs locaux.

D'autres mesures du plan sont justifiées par la volonté de responsabiliser les parents. Alors que le décret créant un comité national de soutien à la parentalité est en train d'être finalisé, le CIPD compte développer les CDDF en fournissant aux édiles un guide méthodologique. Une enquête conduite en juin 2009 par l'Association des maires de France met en effet en évidence que, au-delà du risque de chevauchement des compétences, le manque d'information sur la marche à suivre expliquerait la frilosité d'une partie des élus. Si leur démarrage a été timide, le comité interministériel comptabilise déjà 35 instances de ce type et une dizaine en cours de constitution.

Comment fonctionnent les CDDF existants ? Avec quels partenaires, pour quel type d'intervention ? Sur le terrain, force est de constater que, s'ils reposent sur des dispositifs éducatifs ou d'aide à la parentalité déjà mis en oeuvre par les communes, ils n'ont pas tous la même ambition, selon la sensibilité du maire et ses relations avec les acteurs locaux. Mais ils sont rarement sans incidence sur les pratiques éducatives. A Orléans (municipalité UMP), le CDDF est présidé par Florent Montillot, maire adjoint délégué à la tranquillité publique, la prévention, la réussite et l'intégration, très impliqué dans la rédaction de la loi du 5 mars 2007, également précurseur du « couvre-feu » pour les mineurs. L'instance est composée du directeur de cabinet du préfet, de l'inspecteur d'académie, du conseiller municipal coordonnateur du CDDF, du directeur d'une association d'animation sociale et éducative et de celui du service de prévention spécialisée. « Ce dispositif sert parfaitement d'appui aux parents pour asseoir leur autorité auprès de leur enfant », commente Florent Montillot, qui estime que l'articulation avec les compétences du conseil général est organisée selon les dispositions de la loi réformant la protection de l'enfance et celle sur la prévention de la délinquance. Depuis sa création en novembre 2007, le CDDF s'est réuni cinq fois et a convoqué 20 familles. Sur cinq propositions, quatre contrats d'accompagnement parental, qui engagent les familles à accepter les actions proposées (soutien dans le cadre de la réussite éducative, aide à la parentalité, cours d'alphabétisation, thérapie familiale...), ont été signés et sont en cours d'exécution. « De façon positive », considère Florent Montillot. Alors que la réforme sur la protection de l'enfance a institué le département comme chef de file pour l'aide à l'enfance en danger, un refus a tout de même donné lieu à une saisine du procureur de la République. De son côté, Xavier Guimard, directeur du service de prévention spécialisée de l'IPSIS (Institut pour la socialisation, l'insertion et le soin), cofinancé par la ville à hauteur de 20 %, justifie sa présence au sein du conseil : « Les équipes de terrain ne sont pas impliquées dans le CDDF. J'y représente l'association avec l'objectif d'y apporter un regard éducatif. Le conseil n'a encore jamais convoqué un jeune accompagné par les équipes de prévention spécialisée, et si cela devait se produire, le travail réalisé avec lui ne serait pas abordé. » En revanche, le relais vers la prévention spécialisée représente-t-il une remise en cause de l'un de ses principes, l'absence de mandat nominatif ? « La ville ne nous fait pas une demande d'accompagnement, mais elle peut présenter le service à la famille en conseillant au jeune de venir nous voir. Cela peut aussi favoriser une mise en disponibilité de nos équipes, en respectant la libre adhésion », rétorque Xavier Guimard. L'équilibre entre cette manière d'entrer en relation et une prescription est pour le moins fragile, d'autant que la ville peut aussi demander à l'association si le contact a bien eu lieu. Et pour Florent Montillot, les règles sont claires : la prévention spécialisée peut, selon les cas, faire partie d'un accompagnement parental, qui, s'il n'est pas respecté, peut faire l'objet d'une saisine du président du conseil général ou de la justice « après un deuxième rappel infructueux ».

Pour permettre au coordonnateur du CDDF de connaître les mesures dont le mineur fait déjà l'objet, des échanges ont lieu avec le conseil général, notamment dans le cadre de la veille éducative. Mais dans ce cas, il s'agit uniquement « d'apporter une réponse positive ou négative à la question de savoir si telle ou telle situation d'enfant fait déjà l'objet d'un suivi de type contractualisé ou judiciaire », précise Jean-François Kerr, directeur de l'enfance et de la famille au conseil général du Loiret. Six signalements ont été directement adressés au procureur de la République ou au juge des enfants à l'issue d'un CDDF. Quant au contrat de responsabilité parentale, jusqu'à présent, « aucun n'a été sollicité car le CDDF privilégie les contrats d'accompagnement parental, à la fois plus souples et permettant un suivi permanent par les acteurs du terrain », fait valoir Florent Montillot. En tout état de cause, le conseil général, comme beaucoup d'autres, ne recourt pas à cette mesure. « Alors que l'on a tenté de clarifier ce qui relève de la contractualisation et du judiciaire, la mise en oeuvre du contrat de responsabilité parentale est techniquement compliquée », justifie Jean-François Kerr. Un avis que ne partage pas Eric Ciotti, président (UMP) du conseil général des Alpes-Maritimes (3). En neuf mois, une quinzaine de contrats de responsabilité parentale ont été signés dans son département.

A Rosny-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), le maire Claude Pernès (Nouveau centre) entend pour sa part « favoriser une dynamique préventive et non répressive ». La ville est la deuxième, avec Le Raincy, a avoir installé un CDDF dans le département de Claude Bartolone (PS), farouchement en désaccord avec la loi du 5 mars 2007. En 2009, 22 situations différentes - troubles à l'ordre public, comportements violents, incivilités - ont été abordées après avoir été signalées par les chefs d'établissements scolaires, les bailleurs ou la population auprès de la coordinatrice de l'instance, également correspondante « ville-justice ». Au-delà d'un rappel à l'ordre, les solutions ont consisté en une orientation vers les structures de la commune - missions locales, services jeunesse, associations sportives ou culturelles -, le service social scolaire, ou encore le programme de réussite éducative. « Avant, nous convoquions les familles et les jeunes mais ils ne venaient jamais. Dans ce cadre officiel, il y a très peu d'échecs », commente Claude Capillon, adjoint au maire à la politique de la ville, aux sports et à la jeunesse, également conseiller général. Dans certains cas, un signalement à l'aide sociale à l'enfance, voire au parquet, a été effectué. Malgré la demande expresse de la ville, le service de prévention spécialisée n'a ici pas voulu s'impliquer dans un dispositif qui sort du cadre légal d'intervention de l'aide sociale à l'enfance. « Notre conseil d'administration a voulu protéger les salariés en refusant la confusion des genres », explique Jean-François Gancel, directeur de l'association Ville et avenir. Ce qui n'empêche pas qu'à Rosny-sous-Bois, également, la prévention spécialisée fasse partie des « dispositifs ressources sollicités » à l'issue d'un CDDF. Preuve supplémentaire que ce champ est de plus en plus soumis à la pression de la commande publique, même s'il s'agit seulement pour la municipalité, relève Jean-François Gancel, de conseiller aux familles de rencontrer les équipes, de demander à l'association si le jeune a déjà fait l'objet d'une évaluation ou de l'alerter sur une situation.

A Fontenay-le-Fleury (Yvelines), près de Versailles, le CDDF est aussi venu légitimer l'intervention du maire (Jean-Jacques Lasserre, UMP) auprès des jeunes signalés par le commissariat ou les établissements scolaires pour des incivilités ou des violences collectives. Le premier volet du fonctionnement de l'instance se veut préventif. « En tant que travailleur social de formation, je suis destinataire des informations, explique Anne Crépin, coordinatrice « prévention de la délinquance et accès aux droits » à la mairie. Je reçois la famille pour examiner les solutions à lui proposer. Cela peut être, par exemple, la recherche d'un mode de garde pour les plus jeunes de la famille lorsque l'aînée doit s'absenter du collège tous les mercredis pour s'en occuper... » La deuxième étape est la convocation au CDDF avec les acteurs concernés - le bailleur ou le principal du collège -, soumis à une charte de confidentialité. Si les services sociaux du département n'y participent pas, des échanges ont lieu avec eux « pour les informer de nos actions et ne pas aller à contresens de leur intervention », souligne Anne Crépin. En 2009, 90 familles ont fait l'objet d'une action « préventive » et huit d'une convocation en CDDF (contre respectivement 145 et 16 en 2008). Mais malgré cette approche qui se veut avant tout éducative, la sanction n'est jamais loin. Trois jeunes mineurs ont été arrêtés après minuit, malgré l'engagement des pères à supprimer leurs virées nocturnes. « L'abandon d'autorité parentale a été constaté », explique Anne Crépin, et « le procureur a pu, en concertation avec le juge, demander au commissaire d'aller chercher les pères pour un placement en garde à vue ». Il n'y a pas eu de sanction à leur égard mais l'événement a eu, selon elle, un impact sur la commune. Les trois enfants, eux, ont été jugés pour les délits commis. L'un d'entre eux a été placé en centre éducatif fermé pendant deux mois. La ville a, par ailleurs, déjà envisagé de demander une tutelle aux prestations sociales pour une famille. Mais « les travailleurs sociaux des conseils généraux font barrage à cette procédure qui a été très mal comprise. Dans ce cas précis, le conseil général a opté pour une mesure éducative. »

François Grosdidier, maire (UMP) de Woippy, dans la banlieue de Metz, n'a pas non plus réussi à attirer les travailleurs sociaux dans son CDDF. S'il juge obtenir des « résultats positifs » grâce à la « solennité et au caractère transversal de l'intervention », il aimerait aller plus loin en instaurant une notion de « confidentialité partagée » avec eux au sein de l'instance. Le respect du secret professionnel est pourtant inhérent à leurs missions et est nécessaire pour recueillir l'indispensable confiance des usagers. Un argument incompréhensible pour l'élu. « Cette défiance à l'égard des maires, également tenus au secret professionnel, est insupportable », fustige-t-il, n'hésitant pas à dénoncer « l'insuffisance » des services sociaux et leur « cloisonnement » source d'« inefficacité ».

Sur fond de tensions, le conseil général de la Moselle (présidé par Philippe Leroy, UMP) a pourtant souhaité fixer les conditions de sa participation aux CDDF. D'ailleurs, la loi du 5 mars 2007 confère aux conseils généraux un rôle en matière de prévention de la délinquance dans le cadre de leurs compétences d'action sociale. La réflexion a commencé il y a un an, lorsque la préfecture du département lui a demandé de signer le plan départemental de prévention de la délinquance, qui doit décliner les priorités nationales. Après s'être attiré les foudres des travailleurs sociaux et avoir cherché à convaincre la préfecture de ses exigences, il devrait avaliser au mois de juin prochain un protocole avec l'Etat sur l'implication du département dans le dispositif de prévention de la délinquance. « Notre absence du dispositif étant préjudiciable, notamment parce qu'elle donne lieu à une mise en accusation des travailleurs sociaux, nous serons présents de façon organisée et prudente », explique Jean-Pierre Noël, directeur de l'enfance, de la famille et de l'insertion. Le projet de protocole limite les possibilités de transmission d'informations au maire aux conditions cumulatives prévues par la loi (aggravation des difficultés sociales, éducatives ou matérielles d'une personne et nécessité de l'intervention de plusieurs professionnels) et stipule qu'il appartient à la hiérarchie de divulguer au maire, le cas échéant, les informations confidentielles strictement nécessaires à l'exercice de ses compétences. « En évoquant le professionnel, la loi ne prend pas en compte la réalité juridique du travailleur social, argumente Jean-Pierre Noël. Dans le cadre d'un dispositif institutionnel, ce dernier fait partie d'une chaîne de responsabilité. » Alors que la participation du département au CDDF est facultative, il pourra y être représenté par un élu et un cadre de la direction de l'enfance, de la famille et de l'insertion. Le rôle de ce dernier sera alors d'apporter son expertise dans l'analyse et la compréhension des situations et d'éviter la superposition des mesures. Il devra informer préalablement les familles de sa présence et veiller au respect de leur parole durant les réunions. Le projet de protocole souligne également que les membres du CDDF ne doivent pas déroger au respect du secret professionnel, sous peine de sanctions prévues par le code pénal.

D'autres départements ont été amenés à se pencher sur l'opportunité et les limites de leur contribution. C'est ainsi que le conseil général de la Nièvre (présidé par Marcel Charmant, PS) a créé un poste de coordonnateur départemental des actions de la prévention de la délinquance il y a deux ans. Sa première mission : accompagner l'équipe de prévention spécialisée mise en place à Nevers, cofinancée par la ville, le conseil général et l'Etat. La deuxième est d'animer les partenariats sur des actions de prévention de la délinquance et d'accompagner les communes dans leurs initiatives. « Nous pouvons travailler sur un projet de création de CDDF, en veillant à ce que cette instance ne vienne pas percuter nos interventions », explique Sylvie Ducloix, directrice adjointe à la solidarité chargée des fonctions d'appui. La petite ville de Guérigny, par exemple, prévoit de mettre en place des « convocations des familles au comportement problématique », qui pourraient à terme devenir un CDDF en bonne et due forme. Mais son maire, Jean-Pierre Château (PS), souhaiterait aussi faciliter la circulation de l'information des policiers vers les travailleurs sociaux et de ces derniers vers la ville : « Au moins qu'ils nous disent s'il y a un suivi ou une prise en charge ! », argumente-t-il. A ce jour, aucune organisation n'a été validée par les élus du conseil général.

D'autres conseils généraux veillent simplement à ce que les orientations nationales ne viennent remettre en cause ni les modes de partenariat existants, ni les pratiques des professionnels. Le conseil général de Gironde (présidé par Philippe Madrelle, PS) signait ainsi depuis 1994 des contrats triennaux de prévention de la délinquance avec la préfecture, qui débouchaient sur le cofinancement d'actions éducatives et de prévention, sur les thèmes de la citoyenneté dans les collèges, de la lutte contre l'errance des jeunes ou bien de la prévention de la récidive. Il vient de décider de ne pas renouveler ce contrat, signifiant par cette décision politique la volonté de se démarquer des orientations du nouveau plan départemental de prévention de la délinquance, qui lui semblent plus sécuritaires. Des actions pourront toutefois encore être cofinancées, dans le cadre de conventions spécifiques, et les services du département préparent une charte visant à préciser la place des professionnels de l'éducatif et du social dans les dispositifs de prévention de la délinquance.

Dans les collectivités, la loi n'a donc pas été sans effet. Certaines initiatives vont même au-delà du cadre législatif. Comme dans le Loir-et-Cher, où l'Etat, le département et l'association départementale des maires ont signé une convention créant un poste de « coordinateur départemental » cofinancé par l'Etat, dans le cadre du fonds interministériel de prévention de la délinquance, et le conseil général. Michel Coutant, ancien directeur de la sécurité de Blois et initiateur de la démarche, est ainsi le référent « prévention de la délinquance » pour les maires ne disposant pas d'un CLSPD. Il a pour mission d'aider les élus à « s'approprier les mesures déclinées dans la loi du 5 mars 2007 » et à mettre en oeuvre les priorités fixées par le préfet. Dans ce cadre, il accompagne les maires dans l'organisation de groupes thématiques sur la prévention de la délinquance. Huit groupes ont déjà été lancés, dont un comporte un « sous-groupe » sur la parentalité, qui a vocation à étudier des situations individuelles. Dernier projet en date : une convention avec le procureur de la République, qui permettra à ce dernier de saisir les maires du département pour la mise en oeuvre d'un « rappel à l'ordre ».

UN DISPOSITIF PÉNAL BROUILLÉ

Procédure de présentation immédiate, élargissement de la palette des sanctions, composition pénale pour les mineurs d'au moins 13 ans, possibilité d'écarter l'excuse de minorité pour les plus de 16 ans... Si son volet pénal est diversement appliqué selon les ressorts, « la loi du 5 mars 2007 n'a fait que renforcer une tendance forte vers la systématisation des poursuites, les procédures rapides et le renforcement du pouvoir des parquets », estime Catherine Sultan, présidente de l'Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille (AFMJF). La création de mesures pouvant être prononcées à différents stades et l'extension du champ d'application de celles existantes a en outre complexifié le système : « La technicité et l'aspect procédural ont pris le pas sur l'individualisation, ce qui aboutit à la dénaturation des mesures », ajoute-t-elle. L'activité de jour, qui fait de l'insertion scolaire ou professionnelle une contrainte judiciaire, en est, selon elle, un exemple.

La composition pénale, peu adaptée à des mineurs et voisine des autres mesures alternatives aux poursuites, à la différence près qu'elle est inscrite au casier judiciaire, n'est quant à elle quasiment pas ordonnée, commente, pour sa part, Jacquemine Farge, directrice départementale de la protection judiciaire de la jeunesse à Paris. La possibilité de lever l'excuse de minorité reste elle aussi peu utilisée. Cette protection « est tellement ancrée dans la justice des mineurs que cette disposition n'a quasiment pas d'incidence », constate-t-elle. Preuve que les juges ont conservé une certaine capacité de « résistance » contre la tendance à rapprocher la justice des mineurs de celle des majeurs.

ÉRIC LENOIR
« Améliorer la culture partagée »

Directeur du service « citoyenneté et prévention de la délinquance » de l'ACSé et coauteur, avec Richard Bousquet, de La prévention de la délinquance (4)

Quels sont, selon vous, les spécificités de la loi du 5 mars 2007 ?

Elle permet, pour la première fois, de donner un cadre législatif à la politique de prévention de la délinquance, en complémentarité des politiques de répression dans le cadre d'une politique globale de sécurité. Ce, dans un contexte de mondialisation du sujet, près de 40 pays ayant également développé de telles politiques locales, partenariales et intégrées de prévention. Auparavant, les orientations relevaient de circulaires, même si les conseils communaux de prévention de la délinquance ont été créés en 1983 par décret et que les contrats locaux de sécurité ont été pour la première fois référés dans la loi relative à la sécurité quotidienne du 15 novembre 2001. La loi confirme le rôle du maire comme pilote de la prévention sur le territoire de sa commune, en lien avec les compétences d'autres acteurs, dans le fil des démarches locales qui se sont développées dans le contexte de la décentralisation et du rapport de Gilbert Bonnemaison de 1982. Elle consacre aussi une composante judiciaire de la prévention de la délinquance et affirme le rôle de coordination de celle-ci par le procureur de la République. Elle encadre et donne une reconnaissance à un certain nombre de dispositifs - comme celui des intervenants sociaux en gendarmerie et en commissariat -, et offre un cadre légal à l'échange d'informations, une pratique qui jusqu'ici existait hors la loi ! Autre spécificité : l'octroi de moyens financiers, au-delà des crédits de la politique de la ville, par la création du fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD).

Il est reproché à ce fonds d'être utilisé surtout pour développer la vidéosurveillance...

S'il y a une nette progression du financement de la vidéoprotection en 2010 (60 % des crédits, contre 44 % en 2009), une décision du CIPD vient d'augmenter de 13,7 millions d'euros le montant de ce fonds, le portant à près de 50 millions d'euros, afin de soutenir la nécessaire poursuite des actions de prévention éducative et sociale. Une part des crédits de la politique de la ville gérés par l'ACSé est également mobilisée en soutien à des actions de prévention éducative et sociale dans le cadre des contrats urbains de cohésion sociale (environ 15 millions d'euros).

L'équilibre entre prévention et répression, qui fonde l'approche du rapport de Gilbert Bonnemaison, est-il toujours d'actualité ?

La loi comporte des dispositions qui dépassent le champ de la prévention, puisque le support législatif a permis de créer de nouvelles infractions, mais l'équilibre est globalement maintenu dans les intentions et les dispositifs. Il y a eu cependant une évolution depuis le milieu des années 90. Alors que cette politique relevait jusque-là majoritairement de la prévention sociale primaire (éducation à la citoyenneté, accompagnement des jeunes...), qui a ensuite été plus ciblée sur des actions et des publics prioritaires (prévention de la délinquance des mineurs, mesures d'accompagnement parental, prévention de la récidive, prévention des violences intrafamiliales...), on assiste depuis à la montée en puissance de la prévention situationnelle, centrée sur la dissuasion du passage à l'acte, la protection des cibles potentielles et la gestion des tensions dans l'espace public. Cette dimension correspond à une volonté de mettre en oeuvre des réponses plus visibles, plus rapides. Mais ces outils de court terme ne peuvent pas suffire et remplacer la nécessaire intervention en matière sociale et éducative. Pour cette raison, il est important d'expliquer aux villes qui investissent dans la vidéoprotection que ce n'est pas la seule solution et qu'elle doit nécessairement être articulée avec un renforcement de la présence humaine (médiation notamment) et des actions de plus long terme à caractère éducatif.

Les partenariats ne sont-ils pas rendus plus difficiles par le chevauchement de compétences et de dispositifs entraîné par la loi ?

Il faut améliorer la culture partagée entre les professionnels des champs éducatif, social, de la sécurité, de la justice ou encore de la gestion urbaine sur ces questions. A la suite d'un groupe de travail constitué par le Centre national de la fonction publique territoriale et l'ACSé, en lien avec le CIPD, une offre de formation pluri-professionnelle en matière de prévention devrait être expérimentée dans quelques régions au cours du dernier trimestre 2010. Elle sera ouverte aux agents territoriaux, aux autres professionnels et acteurs locaux qui travaillent sur un même territoire au sein des instances et dispositifs partenariaux, qu'ils relèvent des administrations de l'Etat, du monde associatif ou des organismes privés chargés d'une mission de service public (bailleurs, transporteurs). Par ailleurs, il faut sans doute aller plus loin dans la clarification de l'articulation des compétences. Ce n'est pas forcément du ressort de la loi, car il s'agit surtout de préciser les conditions de la complémentarité des interventions, comme dans le cas de la mise en oeuvre des conseils pour les droits et devoirs des familles. Dans le champ de la prévention spécialisée, les recommandations élaborées par le Conseil technique des clubs et équipes de prévention spécialisée en 2004 (5), qui incitent le secteur à évoluer pour s'impliquer dans les partenariats locaux, concourent à cet effort.

PROPOS RECUEILLIS PAR M. LB.

À LILLE, UNE COOPÉRATION « DANS L'INTÉRÊT DES USAGERS »

Une manière d'aller à l'encontre des préjugés de certains élus, de rendre visible le travail social, de clarifier son rôle, mais aussi de coordonner les interventions : depuis près de dix ans, à Lille, les travailleurs sociaux sont associés au contrat local de sécurité. L'association de prévention spécialisée Itinéraires a proposé d'y apporter une approche purement sociale par la mise en place, par convention avec la ville, de cinq « groupes socio-éducatifs » (GSE) de quartier qui permettent aux professionnels de l'action sociale - du département, de la PJJ, du secteur associatif, intervenants des centres sociaux ou conseillers en insertion des missions locales -, tous soumis à une charte de confidentialité, d'échanger sur des situations familiales ou individuelles. Les usagers sont préalablement informés du fait que leur situation va être abordée. « Cela permet d'être plus efficaces, plus coordonnés, plus complémentaires, explique Slimane Kadri, directeur général d'Itinéraires. Par ailleurs, nous nous étions aperçus que les interventions étaient souvent juxtaposées, voire contradictoires. »

Le chef de service de prévention spécialisée, animateur du GSE, participe en outre à la cellule de veille, qui réunit notamment, également dans le cadre du conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance, des représentants de la police, des bailleurs sociaux, du parquet et de la ville sur les problèmes d'incivilités et de troubles à l'ordre public. Dans ce cas, pas question de transmettre des informations nominatives. Il s'agit d'expliquer l'existence et le sens d'une intervention sociale sur une situation ou un événement. « Cela permet de rassurer les élus, qui ont tendance à considérer que des délinquants sont laissés sans solution. A propos de la sortie de prison de jeunes résidant dans le quartier, par exemple, notre rôle a été, sans donner d'information individuelle, de leur dire qu'ils bénéficiaient d'un accompagnement et qu'ils n'étaient pas lâchés dans la nature », explique Slimane Kadri. « L'objectif est de faire valoir une alternative éducative et sociale à une approche purement sécuritaire » de la prévention de la délinquance, avec des « formes de coopération motivées dans l'intérêt de l'usager », défend-il. Pour Roger Vicot, adjoint au maire à la sécurité et à la prévention de la délinquance de Lille, également conseiller général du Nord, « cela ne change rien à la nature des missions du travail social qui génèrent des conséquences positives en matière de prévention de la délinquance ». Les GSE ont essaimé, le conseil général en ayant notamment initié d'autres dans la métropole lilloise.

Notes

(1) Voir ASH n° 2627 du 9-10-09, p. 22.

(2) Voir ASH n° 2627 du 9-10-09, p. 5.

(3) Eric Ciotti a été le rapporteur du projet de loi « d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure », adopté en février à l'Assemblée nationale, qui prévoit, outre de donner un corps législatif au couvre-feu pour les mineurs, d'étendre les possibilités de recours au contrat de responsabilité parentale.

(4) PUF - Collection « Questions judiciaires » - 2009.

(5) Voir ASH n° 2391 du 21-01-05, p. 39.

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