« Vous voulez changer d'hôtel pour être dans celui de votre copine. Ça, je l'ai bien compris. Mais vous ne respectez pas vraiment le règlement, là ! », s'emporte Caroline. De l'autre côté du bureau, Zahra, une jeune Erythréenne, répond que, étant enceinte de huit mois, il lui est pénible de rester seule dans son hôtel, où il faut descendre quatre étages pour arriver aux toilettes et à la cuisine. Le traducteur rapporte les propos. Mais, dès que la jeune demandeuse d'asile quitte la pièce, il s'énerve : « J'ai jamais vu une assistante sociale engueuler quelqu'un qui demande à changer d'hôtel ! C'est pas possible de traduire ça... » « J'ai été trop agressive ? », s'interroge Caroline, troublée.
Caroline est l'une des assistantes de service social de la Coordination pour l'accueil des familles demandeuses d'asile (CAFDA), une plate-forme d'urgence parisienne gérée par le Centre d'action sociale protestant (CASP), où l'action du film Les arrivants prend place. Les familles qui viennent demander l'asile en France y sont accueillies par des travailleurs sociaux qui doivent leur trouver une chambre(1) puis les aider dans leurs démarches, jusqu'à ce qu'elles obtiennent, ou non, le statut de réfugié.
En raison de son appartenance politique, la famille Kaneshamoorty a frôlé la mort au Sri Lanka. Zahra a connu les geôles libyennes et le naufrage du radeau qui devait l'emmener vers la France. Elle risque d'être renvoyée à Malte, où elle a finalement transité. Les Mulugheta, quant à eux, n'en peuvent plus d'être pourchassés en Europe comme des criminels, alors qu'ils fuient l'Ethiopie et les persécutions religieuses. En France, ils ont faim, la CAFDA ne dispose pas de bons de repas pour toutes les familles. Comme si les violences passées ne suffisaient pas : en France, les « arrivants » continuent à manquer de tout. Caroline, Colette et les autres réagissent comme elles peuvent, cherchant les solutions les moins terribles dans cet univers kafkaïen, qui affiche une volonté d'accueil tout en pratiquant le rejet. De quoi rendre fou.
Caroline, qui sort de l'école, craque parfois. Parce que, ici, se rencontrent tous les jours l'histoire brute des guerres, des exactions, et une administration aux moyens limités, aux règles strictes, aux bonnes volontés dépassées. Ce que le documentaire de Claudine Bories et Patrice Chagnard montre avec justesse, sans un mot de commentaire, sans chercher à émouvoir ni à militer, simplement à montrer. Montrer l'inextricable.
Les arrivants - Claudine Bories et Patrice Chagnard - 1 h 53 min - Sortie le 7 avril
(1) Le documentaire a été tourné à la mi-2009. Depuis janvier 2010, la CAFDA a cédé sa mission d'hébergement au SAMU social de Paris. Voir l'article du 22-12-09, sur le site Internet des ASH, rubrique Etrangers.