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Soigner collectif

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A Toulouse, un centre de santé communautaire propose à des publics divers des prises en charge spécifiques. Et, entre autres, le programme Dedans-Dehors qui assure depuis 2007 aux sortants de prison un suivi social, des actions de prévention et des soins. Reportage à la Case de santé.

Dans la salle d'attente de la Case de santé (1), un centre de santé communautaire installé à Arnaud-Bernard, le dernier quartier populaire du centre de Toulouse (Haute-Garonne), Franck M. patiente. Il a rendez-vous avec Frédéric Forestier, l'un des deux infirmiers du centre, pour un dépistage infirmier, et avec Amina Messabis, l'une des trois travailleuses sociales, pour faire le point sur sa situation. Agé de 38 ans, Franck M. est sorti de prison à la fin 2007, après treize ans derrière les barreaux. Il vient à la Case de santé depuis sa dernière année de détention. « J'ai entendu parler de la Case de santé par Mélanie, une «promoteur de santé» que j'ai rencontrée dans un café lors d'une permission, un an et demi avant ma sortie définitive, raconte-t-il. Elle m'en a expliqué le fonctionnement et m'a proposé d'y venir. J'ai rencontré l'infirmier puis le médecin. Ensuite, elle est venue me visiter en prison. Elle s'est occupée de mon dossier, côté santé, social et moral... Ça m'a préparé pour la sortie, car je ne savais pas quel monde j'allais retrouver, j'étais perdu. »

Franck M. est pris en charge dans le cadre du programme Dedans-Dehors, conçu spécifiquement pour les sortants de prison. Une population habituée de la Case de santé et en mauvaise santé générale. « Chez ceux qui sortent de prison, tous les indicateurs sont au rouge, souligne Charles Hambourg, l'un des médecins du centre. L'hépatite C et le VIH y sont cinq à dix fois plus élevés que dans le reste de la population. Les troubles psychiatriques, le diabète sont également très présents. Ces personnes sont en plus mauvaise santé en sortant de prison qu'en y entrant. Et comme il n'y a pas de lien entre le dedans et le dehors, il y a une rupture de la continuité des soins et une aggravation de l'état de santé à la sortie. » Le programme Dedans-Dehors a démarré en 2007 grâce au soutien financier exclusif du Sidaction. Il a déjà accueilli une cinquantaine d'anciens détenus (dont quelques femmes), avec de multiples problèmes médico-sociaux intriqués. Les trois quarts des sortants y sont suivis un an et demi en moyenne. « Ce projet rentrait dans la stratégie globale de Sidaction qui, depuis trois ou quatre ans, voulait favoriser les actions de lutte contre le VIH en prison, explique Marc Dixneuf, directeur des programmes associatifs de Sidaction. Et particulièrement l'axe dedans-dehors, car le gros problème, c'est la sortie. » Pour Franck M., comme pour d'autres, ce dispositif a constitué un premier pas vers l'extérieur. Ancien toxicomane, souffrant d'hépatite C, sans logement, il a lentement remonté la pente grâce à l'aide de toute l'équipe. « A partir de ma sortie, j'ai eu un suivi régulier, au minimum une fois par mois, avec Aline, Fred, Charles ou Amina [les infirmiers, le médecin et la travailleuse sociale], déclare-t-il. Ici, je n'ai pas besoin de cacher des choses comme à un médecin conventionnel qui pourrait avoir des réticences par rapport à mon parcours. Je sais que je vais être bien accueilli, qu'on va bien s'occuper de moi, qu'on m'appellera par mon prénom et pas par un numéro, que je pourrai parler librement. En sortant de prison, c'est ce dont on a besoin, surtout quand on a fait une grosse peine. »

Une approche globale de la santé

La Case de santé a vu le jour mi-2006, sans aucun soutien des pouvoirs publics. Aujourd'hui, son équipe compte deux médecins, un psychologue, deux infirmiers, trois travailleurs sociaux (dont un éducateur spécialisé), deux animateurs communautaires, des personnes en emploi aidé et des bénévoles. Il n'a pas été facile d'obtenir des financements pour un projet qui réalise 30 % de soins et 70 % de travail social, de travail communautaire et d'éducation à la santé, alors que seuls les actes de soins sont couverts par l'assurance maladie (voir encadré page 35). Dans ce lieu atypique, on pratique en effet une médecine différente, inspirée des maisons médicales belges et des centres locaux de service communautaire québécois, en rupture avec la médecine libérale. La prescription de médicaments y est minimale, mais l'écoute maximale. « La Case de santé est née d'une expérience de soignants qui ont pris conscience que la bonne santé ne dépend pas du soin », témoigne Charles Hambourg, qui a transité par la permanence d'accès aux soins de santé (ouverte aux personnes sans couverture sociale) de l'hôpital La Grave, à Toulouse. A l'appui de sa démonstration, il donne l'exemple de la tuberculose, qui a régressé grâce à l'amélioration des conditions de vie, et non aux traitements. « L'idée était de créer un lieu avec autre chose que du curatif, pour avoir une action sur la santé globale, avec du social, du psychologique et de l'écoute de la parole des personnes reçues », décrit-il.

Convivial et décontracté

L'originalité du centre consiste à prendre en charge les problèmes médicaux et sociaux dans un seul et même lieu, en faisant du soin, de la prévention et du travail social, via des entretiens individuels mais aussi des actions collectives et communautaires. La Case de santé reçoit toutes sortes de publics : des sortants de prison, bien sûr, mais aussi des habitants du quartier et des personnes prises en charge par le biais de différents programmes spécifiques : Santé des femmes, Migrants, Santé mentale... Parmi les 900 personnes inscrites ici, 65 % sont en situation de précarité (allocataires du RMI-RSA, avec ou sans la couverture maladie universelle) et 60 % sont des migrants, le quartier comptant beaucoup d'immigrés maghrébins et bulgares. Mais pas question pour l'équipe de « saucissonner » les publics. Ainsi, afin d'éviter toute stigmatisation, le programme Dedans-Dehors tient compte des problématiques spécifiques des sortants de prison tout en s'intégrant dans le déroulement normal des consultations.

A la Case de santé, tout est fait pour favoriser le rapprochement et la convivialité. Les rapports entre usagers, soignants et travailleurs sociaux sont chaleureux et décontractés. « C'est familial. On s'appelle par le prénom, on se tutoie », affirme Franck M. Une fois par mois, une cantine communautaire permet aux usagers de la Case et aux salariés d'y partager un repas. « Faire la vaisselle avec son médecin, ça change la relation ! sourit Charles Hambourg. Nous pensons que la distance n'est pas curative, c'est pourquoi nous essayons de créer un rapport différent avec les patients, plus égalitaire. Et surtout nous prenons le temps : trente minutes par consultation en moyenne. ». De même, au fond du local installé dans une ancienne boulangerie, se retrouve le groupe des « chibanis » (ou vieux migrants). Tous les jeudis, ils préparent le repas ensemble, mangent, jouent aux dominos et assistent parfois à des ateliers sur l'alimentation, le soin des pieds ou le sommeil, organisés en fonction de leurs demandes par Amina Messabis, la référente.

Les activités communautaires sont très importantes pour la Case de santé, car elles aident à tisser les liens entre usagers et soignants. « Il y a une interaction entre les consultations et les groupes communautaires, souligne Charles Hambourg, Le collectif, ça soigne et ça permet de repérer les problèmes. » Pour les sortants de prison aussi, des activités collectives sont proposées. « La prison étant un lieu de désocialisation, nous mettons en place un programme de resocialisation adapté aux sortants, pour les remettre dans le collectif, à la Case de santé ou dans le quartier », développe le médecin. Mais rien n'est obligatoire. Ainsi, malgré plusieurs propositions, Franck M. ne s'y est pas encore rendu. « Je ne me sens pas encore assez solide, s'excuse-t-il. Mais ça viendra... »

Dans le travail d'accompagnement mis en place par l'équipe, les travailleurs sociaux se trouvent en première ligne. Amina Messabis, ancienne « promoteur de santé » de la Case devenue travailleuse sociale, arabophone et issue du monde associatif, est référente sur le programme Dedans-Dehors. Pour elle, il s'agit de construire petit à petit une confiance qui n'est pas forcément présente au départ. « J'accueille les sortants de prison qui sont orientés par nos partenaires - la Cimade, qui va voir les détenus en prison, le SPIP [service pénitentiaire d'insertion et de probation], le service social des prisons, Médecins du monde, le Pôle accueil information orientation ou la veille sociale du 115, précise-t-elle. Je leur présente le fonctionnement de la Case de santé. Je m'assure qu'ils ont une couverture sociale. Ce qui est un gros problème pour les gens qui font des allers-retours entre l'extérieur et la prison. »

Amina Messabis utilise le score Epices (2) afin d'évaluer la vulnérabilité sociale des usagers, leur éloignement du soin, leur situation de logement... La question du logement se révèle particulièrement cruciale : 80 % des sortants de prison sont à la rue. Pour eux comme pour toutes les personnes qui se présentent pour la première fois à la Case de santé, la solution est recherchée en équipe. « Nous sollicitons le réseau, en partenariat étroit avec toutes les structures médico-sociales de Toulouse », explique la jeune femme. En deux ans, la vulnérabilité sociale de Franck M., mesurée par le score Epices, est passée de 70 à 50 (plus on se rapproche de 100, plus on est fragile). Il ne vit plus chez des amis et a trouvé un appartement. « Ta situation s'est améliorée », conclut Amina, après lui avoir indiqué qu'elle a envoyé son dossier de renouvellement de CMU. « Elle va s'améliorer encore, car je risque de trouver du travail », se réjouit Franck M., à qui il ne reste que 278 € pour vivre, une fois payé son loyer. De fait, pour lui, ce double accompagnement - social et soins - s'est montré payant, et sa santé s'est améliorée parallèlement à sa situation. « Depuis que je viens ici, je prends mieux soin de moi, raconte-t-il. Avant, j'avais du mal à m'endormir, j'avais des vertiges à cause du manque de sommeil, de la mauvaise alimentation, du café. Aline m'a fait un questionnaire dépistage-sommeil, m'a donné des conseils adaptés et une fiche conseil-sommeil. Depuis, je dors beaucoup mieux ! »

A la quête du dossier médical

Comme lors de son arrivée à la Case de santé après sa sortie de prison il y a deux ans, l'ancien détenu va passer aujourd'hui un « dépistage infirmier ». Frédéric Forestier, l'infirmier, a son dossier médical entre les mains. La récupération de ces dossiers auprès des établissements pénitentiaires est un travail long et complexe. Pour Franck M., cela a pris six mois. Depuis trois ans, l'équipe essaie de mettre en place un circuit de récupération des dossiers afin de réduire les délais et les démarches. Sans grand succès... « Théoriquement, les détenus doivent sortir de prison avec leur dossier, mais ce n'est jamais le cas », regrette Aline Adam, l'autre infirmière du centre. L'équipe s'est rendu compte que le plus important était la préparation de la sortie. « Malheureusement, on est peu sollicités par les gens de l'intérieur », regrette Charles Hambourg.

Aujourd'hui, Franck M. répond avec bonne humeur aux questions de Frédéric Forestier sur ses vaccins, son alimentation, ses prises de risques. « Tu as plusieurs partenaires ? Tu te protèges avec un préservatif ? » L'infirmier lui propose de rentrer en contact avec l'Association pour la réduction des risques et l'information sur la sexualité (Apriss), qui assure deux mardis par mois des consultations individuelles à la Case de santé, afin d'évoquer les risques liés à la sexualité. A sa grande surprise, l'homme accepte, car ce sont plus souvent les femmes qui se portent volontaires pour ce genre d'entretien. « Tu injectes ? », continue le soignant. « Plus du tout », répond Franck, qui est également suivi au centre dans le cadre du programme de substitution, d'échange de seringues et de réduction des risques liés aux injections intraveineuses. C'est l'animateur communautaire Yannick Lapeyre, ancien toxicomane passé ensuite par le milieu associatif chez Aides, qui propose son soutien pour ce programme. En revanche, Franck se montre moins à l'aise lorsque l'infirmier aborde la question de son traitement de l'hépatite C. Il n'a pas eu le courage de se rendre à un rendez-vous à l'hôpital, et s'inquiète de ce que va en penser Charles Hambourg. « C'est normal quand on a une pathologie d'avoir peur », le rassure l'infirmier, en lui programmant un nouveau rendez-vous.

La connexion de l'équipe

Pendant l'entretien, Frédéric Forestier consulte parfois l'ordinateur posé sur son bureau. Tous les membres de l'équipe communiquent en temps réel par le biais d'un logiciel de discussion instantanée. Amina Messabis l'informe que l'ami de Franck M. commence à s'impatienter dans la salle d'attente. La consultation dure depuis déjà une heure. De fait, les dix salariés de la Case de santé travaillent de façon collective. Logique, pour une structure fonctionnant en autogestion... Les réunions en petits groupes ou en équipe rythment la semaine. Chaque matin, de 9 heures à 9 h 30, tout le monde se réunit pour aborder la prise en charge des patients de la journée. Le lundi après-midi se tient le débriefing sur les problèmes rencontrés, avec l'évocation des questions liées à chaque programme par ses référents. Le jeudi après-midi est consacré aux échanges sur la pratique. Deux fois par mois, les médecins se retrouvent entre eux, de même que les infirmiers et les travailleurs sociaux ; une fois par mois, médecins et infirmiers se répartissent les protocoles pluridisciplinaires ; et, le dernier jeudi du mois, toute l'équipe examine un cas particulier, qui aide à avancer sur un programme - il peut s'agir d'un avortement, dans le cadre du programme Santé des femmes, d'un problème psychiatrique lourd, dans celui du programme Santé mentale, etc. Sans compter, une fois par mois, la réunion organisationnelle de la structure...

Les dernières discussions autour du programme Prisons ont abordé la stratégie à mettre en oeuvre pour récupérer les dossiers auprès de l'unité de consultations et de soins ambulatoires (UCSA) - antenne hospitalière implantée en milieu pénitentiaire -, ainsi que les problèmes de logement, prioritaires par rapport au travail sur la santé... « On vérifie qu'on a bien appliqué ce que l'on a dit, on fait un retour sur nos pratiques », précise Aline Adam. Ces réunions mensuelles viennent alimenter un « wiki-santé » (un site collaboratif) où sont réunis tous les protocoles de la Case de santé, validés par l'équipe puis par des experts extérieurs. « L'idée est que tous les travailleurs ici soient interchangeables », explique Charles Hambourg.

Portée à bout de bras par des professionnels passionnés et dévoués, la Case de santé fonctionne bien et est reconnue par la population. Elle va même agrandir ses locaux en gagnant sur le premier étage. De plus en plus d'institutions la soutiennent, mais elle aurait besoin de financements plus pérennes, et pas seulement fondés sur des programmes spécifiques. « La Case de santé est une manière remarquable de faire de la santé, s'enthousiasme Monique Durieu, adjointe au maire de Toulouse en charge de la santé publique. Il en faudrait partout ! »

RESSOURCES
Un financement toujours précaire

A la mi-2006, la Case de santé a commencé avec un prêt bancaire et beaucoup de bonnes volontés. Son fonctionnement est totalement atypique dans le panorama médico-social français : il est associatif et autogéré, ce qui ne simplifie pas la tâche pour convaincre les autorités. Les décisions sont prises de manière collective par les dix salariés de l'équipe, qui se sont répartis les tâches (budget, commandes, suivi des subventions...). L'absence de soutien des pouvoirs publics et de financement pérenne a failli lui être fatale en 2008. Heureusement, la Case de santé a reçu l'appui du Sidaction, présent depuis 2007 sur les programmes Prisons, Santé des femmes et Dépistage (80 000 € en 2009, dont 34 000 € sur le programme Prisons), ainsi qu'une aide d'urgence de la mairie de Toulouse et du conseil général de la Haute-Garonne. L'an dernier, l'agrément « centre de santé » est enfin arrivé, permettant d'obtenir l'aide de la CPAM et de la Fondation de France. En 2009, le budget a atteint 280 000 €. La mairie apporte 20 000 € pour soutenir les actions de prévention et d'éducation à la santé. « Avec la mairie et le conseil général, on travaille sur une convention sur plusieurs années, explique Charles Hambourg. Ils comprennent que le hors-soins fait partie de leur champ de compétences et s'engagent fortement. »

Notes

(1) La Case de santé : 17, place Arnaud-Bernard - 31000 Toulouse - Tél. 05 61 23 01 37 (service médical) et 09 50 31 21 87 (service social) - www.casedesante.org.

(2) Le score Epices (évaluation de la précarité et des inégalités de santé pour les centres d'examens de santé) est un outil de mesure conçu afin de prendre en compte toutes les dimensions de la précarité.

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