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Mères en apprentissage

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A Nice, le centre du Mont-Boron reçoit des femmes isolées, mères depuis peu ou en passe de l'être. Son originalité : héberger parmi elles, depuis 2008, un tiers de mineures. Un suivi spécifique est mené pour aider ces très jeunes femmes à acquérir leur autonomie et à mieux vivre leur maternité.

« Une souris verte qui courait dans l'herbe... » chantonnent une adolescente et une petite fille à l'arrière de la voiture de Brigitte Da Silva Cabral, la directrice du centre maternel du Mont-Boron, à Nice. L'une, Nilza, 17 ans, est la mère de l'autre, Elizangela, 2 ans et demi(1). Elles profitent de la voiture de Brigitte, qui se rend sur le second site de l'établissement, pour regagner leur studio du quartier de Bon Voyage. « Quand je suis arrivée ici, j'avais 14 ans, j'étais enceinte. Etre mère, je ne savais pas ce que ça voulait dire, résume la jeune maman d'origine capverdienne. Ils m'ont aidée avec ça, et m'ont montré que j'avais la vie devant moi, et pas derrière. »

Créé par l'association ALC(2), le centre maternel du Mont-Boron(3) existe depuis trente-cinq ans. A l'origine lieu d'accueil pour femmes isolées, l'établissement a beaucoup évolué. « Au fil du temps, nous nous sommes adaptés à l'évolution du contexte social, avec le développement des prestations familiales et le changement dans les méthodes éducatives. » Toujours installé sur les hauteurs de Nice, dans une jolie villa d'un quartier résidentiel, le centre a inauguré en 2008 un deuxième service, dans un immeuble du quartier de Bon Voyage, afin d'augmenter sa capacité d'accueil. « Cela nous permet aussi de développer des modes d'hébergement différenciés », précise Brigitte Da Silva Cabral. Dans ce nouveau lieu doté de 13 studios meublés indépendants, sont installées des femmes qui, après avoir passé quelque temps au Mont-Boron, apparaissent plus autonomes dans leur gestion du quotidien ou ont progressé dans leur projet de vie. « Elles peuvent y recevoir le père de leur enfant, s'il se manifeste, pour qu'il participe aux soins. Ce qui n'est pas possible avec l'hébergement en chambres. » Par ailleurs, le service de Bon Voyage gère quatre appartements en ville, pour aider les familles à préparer leur sortie du dispositif.

Au total, l'unique centre maternel du département des Alpes-Maritimes dispose d'une capacité d'accueil de 28 familles, dont un tiers en moyenne de mineures - une part qui fluctue fortement selon les périodes. Une famille se compose d'une mère et de son ou ses enfants de moins de 3 ans. « A Bon Voyage, certains peuvent être un peu plus âgés, mais nous estimons que la promiscuité n'est pas bonne pour des enfants au-delà de 5 ans », note la directrice de l'établissement. Enceintes ou déjà mères, les femmes - dont beaucoup ont subi des violences familiales - sont orientées vers le centre par la circonscription d'action médico-sociale. « Après une première rencontre et une présentation du centre, l'attaché de l'aide sociale à l'enfance décide d'accorder ou non la prise en charge », détaille Brigitte Da Silva Cabral. Les femmes y sont accueillies par périodes de six mois renouvelables. Quant aux mineures, leur prise en charge est accordée par année, et reconduite au moins jusqu'à leur majorité. « L'avantage, c'est que nous avons davantage de temps pour mettre en place des projets, explique la responsable. Cela permet à ces très jeunes femmes de faire des expériences, de se tromper, de prendre une autre direction. »

Un suivi assuré en binômes

La durée moyenne effective du séjour, de sept mois pour les majeures, atteint onze mois pour les mineures. Ces dernières sont soit accueillies dans le cadre d'une mesure d'action éducative impliquant un placement judiciaire auprès de l'aide sociale à l'enfance, soit confiées par leurs parents. « Lorsque nous avons ouvert notre second service, nous nous sommes interrogés sur la possibilité de spécialiser l'un des deux pour cet accueil spécifique, se rappelle Brigitte Da Silva Cabral. Mais je m'y suis refusée, afin de conserver un certain équilibre. Elles peuvent se soutenir entre elles, s'entraider pour des choses du quotidien. » Actuellement, l'institution reçoit des femmes âgées de 17 à 41 ans, parmi lesquelles quatre mineures. L'équipe de 49 salariés réunit, entre autres, 11 éducateurs spécialisés, 9 auxiliaires de puériculture, des éducatrices de jeunes enfants, des conseillères en économie sociale et familiale, des psychologues, une infirmière-puéricultrice, une pédiatre, une sage-femme et une assistante sociale.

Dans son bureau, Nathalie Garnero, chef de service au Mont-Boron, présente l'établissement à une jeune maman qui souhaite l'intégrer. « Il y a un environ un mois et demi d'attente avant qu'une place se libère », explique-t-elle. Actuellement hébergée dans un centre d'accueil parents-enfants du Var, la candidate est accompagnée de son assistante sociale et d'une puéricultrice de secteur venues l'aider à présenter son projet : devenir auxiliaire de vie pour subvenir à ses besoins et à ceux de sa fille, et se rapprocher de son département d'origine. Lors de cet entretien, obligatoire pour les mineures comme pour les majeures, Nathalie Garnero présente l'accompagnement mis en place par son service. « Nous ne proposons pas seulement un hébergement, résume-t-elle. Ici, chaque famille est suivie par un éducateur et une auxiliaire de puériculture référents. »

Ce binôme est l'une des spécificités du centre maternel. « Il permet de faire évoluer la situation dans l'intérêt de la femme comme dans celui de l'enfant », résume Brigitte Da Silva Cabral. « On connaît ainsi un peu mieux l'enfant que l'on a en référence, ajoute Josée Fiorello, auxiliaire de puériculture. Et lorsque les mamans ont des questions à poser sur les soins, le développement de leur enfant, elles s'adressent à l'auxiliaire référente en priorité. » Sachant que son rôle consiste également à observer les comportements de l'enfant, avec ou sans sa mère. « Ensuite, les occasions d'échanger entre éducateurs et auxiliaires sont quotidiennes, que ce soit en réunion ou de manière plus informelle, quand ils se croisent dans les couloirs, précise de son côté Odile Luciani, éducatrice de jeunes enfants. Nous sommes aussi là pour faire remonter nos observations à la maman et à l'éducateur. » Avec ce dernier, les jeunes femmes préparent plutôt leur projet de vie, l'organisation du quotidien, les relations avec leur environnement... Quant aux autres professionnels, ils interviennent à la demande. « La règle veut que le référent éducatif, lorsqu'il accueille la jeune femme, présente aussi les différents intervenants, résume Sylvie Mari, assistante sociale de l'établissement. Mais comme on travaille beaucoup sur le relationnel, on se croise souvent dans les locaux et, pour ma part, je déjeune tous les lundis avec celles qui sont présentes. »

A l'écoute des crises

Au Mont-Boron, le bâtiment est organisé en fonction des nécessités de la prise en charge. Les bureaux de la conseillère, de l'assistante sociale et de la psychologue sont ainsi disséminés dans les trois étages de l'hébergement, au niveau des chambres. « Les jeunes femmes viennent nous voir plus aisément, parfois juste pour discuter, quand elles n'ont pas envie d'être seules, observe Isabelle Février. Parfois aussi, nous passons les voir spontanément. » Autre atout de cette disposition des bureaux : dans des locaux très sonores et avec des portes le plus souvent ouvertes, on perçoit aisément les altercations et manifestations d'énervement dont peuvent faire preuve les jeunes femmes hébergées, y compris à l'encontre de leurs enfants. « Parfois avec les très jeunes mères, tout se passe bien pendant la grossesse et dans les premiers jours du post-partum, explique Brigitte Da Silva Cabral. Puis très vite elles montrent qu'elles n'en peuvent plus, manifestent de l'agacement. C'est pourquoi, au Mont-Boron, nous recevons aussi en priorité, quel que soit leur âge, les femmes en difficulté relationnelle avec leur enfant. »

De leur côté, les auxiliaires de puériculture règnent au rez-de-chaussée et au premier étage du bâtiment, qui abritent les deux niveaux d'une crèche comptant 34 places. Les enfants y sont accueillis en fonction du projet individuel de leur famille. « Pour les mamans adolescentes, cet accueil est quasiment systématique, et nous insistons sur une forme de coéducation qui nous amène à expliquer à la mère tout ce que nous faisons avec l'enfant et tout ce que nous observons de ses comportements », précise Odile Luciani. Le plus souvent, les mères confient leurs enfants le matin pour vaquer à leurs occupations ou faire des démarches administratives, et les reprennent l'après-midi. « Mais la crèche est ouverte, les mamans vont et viennent beaucoup, note Josée Fiorello, auxiliaire de puériculture. Les plus jeunes sont peut-être un peu plus envahissantes, plus dans une exigence. » « Elles sont aussi plus angoissées, ajoute sa collègue Claire Gatto. Elles viennent souvent nous interroger parce qu'elles craignent que leur bébé ne boive pas bien, pas assez... »

Une crèche disponible nuit et jour

Lorsqu'une situation l'exige ou qu'une jeune mère a besoin de repos, les enfants peuvent aussi être reçus la nuit à la crèche, ouverte 24 heures /24. « De toute façon, nous devons pouvoir suppléer la maman lorsque c'est nécessaire », résume Brigitte Da Silva Cabral. Après 20 heures, cinq auxiliaires de puériculture de nuit s'y relaient. En ce moment quatre enfants sont concernés, dont Matthias, 18 mois, et son frère Luca, 6 mois, tous deux hébergés à la crèche depuis quarante-huit heures. Gillian, 15 mois, réside également à la crèche pour quelques jours. Sa mère était entrée au centre maternel à l'âge de 14 ans, enceinte. Après avoir récemment fugué et multiplié des conduites à risque, elle a dû être hospitalisée en pédopsychiatrie.

Une autre jeune en errance, qui atteindra sa majorité dans quelques semaines, s'est également enfuie du centre en y laissant Leïla, sa petite fille de 18 mois : « Nous avions demandé une mesure de protection pour Leïla, explique Brigitte Da Sylva Cabral. En attendant, elle devait être confiée systématiquement à la crèche, le matin et le soir. » Le téléphone sonne. C'est la très jeune mère qui appelle. Claire Gatto, son auxiliaire de puériculture référente, lui réexplique posément les règles de la maison et le contrat de prise en charge qu'elle n'a pas respectés : dormir chaque nuit au centre, sauf autorisation contraire, respecter les horaires définis pour la dépose en crèche... Gillian et Leïla seront finalement placés en pouponnière. « Leurs mamans n'ont pas respecté les projets successifs élaborés ensemble, explique Nathalie Garnero. Il y a un moment où l'intérêt de l'enfant est d'être séparé de sa mère. »

L'un des objectifs de l'accompagnement mis en oeuvre par l'équipe consiste à préparer la future sortie de l'établissement. Pour cela, une éducatrice spécialisée, Marjolaine Chabrier, est chargée plus spécifiquement de l'insertion professionnelle et de la formation. « Je rencontre chaque nouvelle arrivante pour faire le point sur son parcours scolaire et éventuellement ses expériences professionnelles », explique-t-elle. Toutefois, une réinsertion à l'école ou une remise à niveau en mission locale est rarement tentée, vouée la plupart du temps à l'échec, même pour les mineures soumises à l'obligation scolaire. Catapultées trop tôt dans le rôle de mère, les jeunes femmes ont des priorités plus immédiates. « En général, elles veulent travailler tout de suite, même si leur projet d'insertion est loin d'être réaliste et qu'elles ont du mal à se projeter dans leur quotidien avec un boulot et un enfant », précise l'éducatrice.

Vers l'indépendance

Le suivi vise aussi à préparer les femmes à l'autonomie en apprenant à gérer les minima sociaux qu'elles perçoivent déjà - en général, le revenu de solidarité active, auquel les mineures peuvent également prétendre en remplacement de l'ancienne allocation de parent isolé. « Nous leur demandons de verser chaque mois une participation de 115 € pour les frais d'hébergement et d'épargner 300 € qui serviront à payer la caution d'un futur logement et à l'équiper, résume Sylvie Mari. Cette somme représente à peu près ce qu'elles auront à dépenser pour un loyer lorsqu'elles quitteront le centre. » Cette incitation à l'autonomie se traduit aussi dans la vie quotidienne du centre. Ainsi, les jeunes femmes peuvent prendre leur repas de midi sur place, mais doivent s'organiser elles-mêmes pour le petit déjeuner et le dîner, grâce aux cuisines installées à chaque étage. Isabelle Février, conseillère en éducation sociale et familiale, propose à celles qui en ressentent le besoin de les épauler dans la gestion de leur budget. « Pour certaines, c'est un rendez-vous mensuel, pour d'autres, je les accompagne faire leurs courses - à leur demande, bien sûr. » Pour d'autres, enfin, qui sont en difficulté ou trop immatures pour gérer leurs finances, une mesure de tutelle se révèle parfois nécessaire. « Le budget du téléphone est souvent une catastrophe », sourit la CESF. Sans compter que les ressources de certaines mineures sont parfois ponctionnées par leurs parents, que ceux-ci aient autorité sur leur compte bancaire ou se fassent « prêter » de l'argent en début de mois.

L'autre élément clé du suivi au centre du Mont-Boron consiste en la réunion de projet. L'objectif premier, pour les jeunes ou futures mamans mineures ou majeures qui poussent la porte du centre, c'est d'avoir un toit sur la tête et un emploi à la sortie. « Nous entendons ce souhait pour l'avenir et nous l'écrivons dans le projet individuel, souligne Jean-Paul Strebler, éducateur spécialisé. Mais nous fixons également des objectifs à court terme qui prennent en compte la femme et l'enfant. » « Alors toutes les six semaines, nous nous réunissons autour de la jeune femme et faisons le point sur sa situation, ses objectifs, les évolutions observées », explique Nathalie Garnero qui anime ces réunions. L'éducateur et l'auxiliaire référents de chaque mère sont présents, ainsi que la psychologue et le travailleur social « répondant » (celui qui a déclenché l'orientation). « Si besoin, l'une de nos conseillères en économie sociale et familiale, l'assistante sociale ou encore un parent responsable peuvent également être associés... », ajoute Jean-Paul Strebler.

Pour Elodie, 17 ans, qui sort de sa toute première réunion et doit accoucher dans les 15 prochains jours, Nathalie Garnero a noté dans son projet : « Se retrouver en sécurité, être plus autonome, trouver son espace de mère, poursuivre la préparation à l'accouchement entamée à la maternité, mettre en place un travail sur le budget avec la CESF... » La jeune femme, qui vient d'une maison d'enfants à caractère social, semble apprécier ses premières semaines au centre. « Je voulais mon truc à moi, raconte-t-elle. Avec ma mère, les relations sont compliquées, et la famille de mon copain voudrait trop s'occuper de l'enfant. » Au cours de la réunion, elle a souligné l'implication de son compagnon dans la grossesse, le fait qu'il recherche du travail. « Mais habiter avec lui maintenant, ce ne serait pas possible, on ne peut pas faire tout de suite. » Elle parle également des avertissements que lui ont lancés les autres jeunes mères : la crainte, toujours, du placement des enfants. « Mais ça, je sais que c'est leurs histoires, leurs problèmes, je ne veux pas me mettre là-dedans », assure Elodie. L'équipe tente de la rassurer : « Notre démarche est la même pour tout le monde, souligne la chef de service. Si nous observons des comportements dangereux, nous intervenons. Mais, dans certaines limites, les choses sont toujours discutées. » « De toute façon, tu es d'abord là pour apprendre, explique Nabila Chabbi, son éducatrice référente. Et il n'y a aucune raison pour que cela se passe mal. Rien n'arrivera sournoisement, le tout est de demander si tu te sens en difficulté. Nous sommes là pour ça. »

Josefa, pour qui la prise en charge touche bientôt à sa fin, résume simplement son projet : « Dès que j'ai 18 ans, je pars vivre avec le père de ma fille à Lyon, où j'entamerai ma formation d'aide-soignante. » Une première fois, ce départ lui a été refusé par l'ASE. « C'est la raison pour laquelle nous lui avons proposé de s'installer dans un des studios de Bon Voyage, précise Roselyne Gagliardi, son éducatrice réferente. Normalement nous n'y accueillons pas de mineures, mais elle était tellement déçue... » C'est aussi l'occasion d'évaluer ses compétences dans la gestion du quotidien. Il lui faut en effet s'organiser pour déposer sa fille à la crèche du Mont-Boron, se montrer assidue et ponctuelle sur son lieu de stage, apprendre à vivre seule, loin de la collectivité... Malheureusement, n'étant pas née en France, la jeune femme risque à sa majorité de se retrouver sans papiers. Son éducatrice référente ne cache pas son inquiétude. « Josefa vit en France depuis sept ans, mais sa mère n'a conservé aucun justificatif de séjour. Nous espérons que ses trois années de prise en charge par l'ASE seront prises en compte pour obtenir sa régularisation. » Histoire de vraiment quitter le centre en toute sécurité.

Notes

(1) Les prénoms ont été changés.

(2) Accompagnement lieux d'accueil, carrefour éducatif et social.

(3) Centre maternel du Mont-Boron : 173, boulevard du Mont-Boron - 06300 Nice - Tél. 04 93 89 34 85.

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