«Les personnes sortent rarement de ces lieux autrement que brisées ou révoltées. » C'est ce constat amer sur les prisons françaises que réitère, après maints autres, le contrôleur général des lieux de privation de liberté, Jean-Marie Delarue, en introduction de son deuxième rapport d'activité, rendu public le 10 mars (1). Un document dans lequel il insiste, notamment, sur l'insuffisance de l'offre de travail et d'activités, qui compromet les perspectives de réinsertion des détenus, et sur les principes à suivre pour l'utilisation de la vidéosurveillance.
En 2009, le contrôleur général s'est attaché à visiter « des lieux moins connus mais tout aussi importants » que les prisons, comme les unités hospitalières de soins infirmiers, les lieux de garde à vue les unités de malades difficiles. Il a effectué au total 163 visites, dont 60 dans des locaux de garde à vue 40 dans des établissements pénitentiaires, 24 dans des locaux de rétention administrative et 22 dans des établissements de santé.
Au 31 décembre 2009, les services du contrôleur général comptaient, lui compris, 21 contrôleurs en équivalents temps plein. Des effectifs que Jean-Marie Delarue a jugé insuffisants pour l'année 2009, puisqu'il a été dans l'obligation de recruter « davantage de contrôleurs à temps partiel que prévu ». Et, pour 2010, le problème risque encore de se poser. En outre, s'il est « incontestable » que les contrôleurs ont obtenu toutes garanties pour leurs visites, le contrôleur général regrette toutefois que « tout le retentissement nécessaire n'ait pas été donné à la faculté pour toute personne physique - par conséquent, aux personnes en captivité - de saisir [l'institution] ». En effet, souligne-t-il, « pratiquement aucun des établissements [visités] n'avait modifié [son règlement intérieur] pour y faire figurer cette possibilité de saisine ».
En 2009, « l'accroissement du nombre de saisines [a été] fort, même si une part de cet accroissement trouve son explication dans le fait que l'année 2008 couvrait en fait une période de six mois », indique le rapport (2). Les services du contrôleur général ont en effet ouvert 691 dossiers (au lieu de 144 en 2008), qui émanent notamment des personnes concernées (556), des avocats (48) et des associations (36). Si 87 % des dossiers ouverts en 2009 sont relatifs à des détenus d'établissements pénitentiaires, « on note toutefois l'apparition non négligeable de dossiers de malades hospitalisés sans leur consentement (près de 6 %), en augmentation tout au long de l'année », indique le contrôleur général. Les motifs des saisines sont variés selon les établissements concernés. S'agissant, par exemple, des établissements pénitentiaires, cinq thèmes représentaient à eux seuls 54 % des demandes : des demandes de transfert d'établissement, les conditions générales de détention, l'accès aux soins et les modalités des extractions médicales, la préparation à la sortie et/ou l'aménagement de peine et la demande d'entretien avec un contrôleur.
Le délai moyen de réponse a été abaissé à 16 jours dans les six derniers mois de l'année. 272 saisines ont fait l'objet d'une enquête auprès de divers interlocuteurs et, pour la première fois, trois dossiers ont fait l'objet d'une enquête sur place. Une particularité : Jean-Marie Delarue note que l'année 2009 « a marqué le début nécessaire de «contre-visites», c'est-à-dire de retours dans un établissement déjà visité, pour en vérifier les évolutions mais aussi en approfondir l'examen ».
Comme il a pu le faire au travers de ses diverses recommandations aux établissements visités dans le courant de l'année 2009 (3), le contrôleur insiste de nouveau sur la faiblesse de l'offre de travail dans les établissements pénitentiaires. Par exemple, « globalement, moins d'une personne sur cinq bénéficie d'un emploi en maison d'arrêt ». Pour Jean-Marie Delarue, cette situation s'explique, entre autres, par le fait que « les établissements anciens souffrent d'obstacles structurels », comme l'« absence de zone d'atelier ». En outre, ce travail donne lieu à une « faible rémunération ». En effet, indique-t-il, « les taux journaliers des rémunérations sont extrêmement diversifiés et particulièrement faibles ». En vertu de l'article 103 du code de procédure pénale, ces taux étaient jusqu'à présent fixés par conventions entre l'administration pénitentiaire et le concessionnaire, en référence aux conditions d'emploi à l'extérieur. Autant dire que cette disposition autorisait beaucoup d'interprétation, s'est indigné le contrôleur. Cette situation devrait s'améliorer grâce à l'article 32 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 qui a posé le principe d'une rémunération minimum garantie indexée sur le SMIC (4). Quant à la formation professionnelle, elle est également « faible au regard des volumes de publics concernés », note le contrôleur. Même constat que précédemment : l'offre de formation « se heurte parfois à des obstacles structurels » (absence d'espaces y étant réservés, insuffisance de surfaces dédiées...). A cela s'ajoute, le « déficit d'encadrement ». Rien d'étonnant puisque, selon les indications données au contrôleur, « dans bon nombre d'établissements, le budget de la formation professionnelle est en baisse régulière ».
Au final, s'inquiète Jean-Marie Delarue, tout cela « rend a priori difficile la mise en oeuvre des dispositions de l'article 27 de la loi pénitentiaire [...] relatif à l'obligation pour les condamnés d'exercer au moins une activité proposée en établissement ». « Si cette obligation devait être prise au sérieux, elle supposerait évidemment la mise en oeuvre de moyens nouveaux, d'effectifs supplémentaires et aussi, sans doute, une autre conception de la discipline qui consisterait à laisser davantage d'initiatives et de responsabilités aux détenus et autoriserait davantage leurs regroupements. Faute de quoi, insiste-t-il, elle risque de conduire à beaucoup de faux-semblants et à amener des condamnés à avoir des activités qui n'en sont pas ou ne sont d'aucune utilité pour leur retour à la vie sociale » (5).
Par ailleurs, le contrôleur général regrette que « la concertation avec les détenus sur le choix des activités [socioculturelles et sportives soit] quasi inexistante ». En outre, les critères retenus pour y participer sont « opaques », ce qui occasionne un « sentiment d'arbitraire pour les détenus ». Le développement de ces activités se heurte là encore au manque de salles ou à leurs faibles superficies.
Le même constat d'oisiveté peut être fait pour les patients des services de psychiatrie, un fait que le contrôleur avait déjà critiqué, conforté dans son analyse par un récent rapport du Sénat (6). Cette situation s'explique aussi par le fait que non seulement il y a « absence de salles dédiées aux activités [et] du matériel nécessaire » mais aussi que, lorsque ceux-ci existent, il sont « sous-utilisés ».
Au-delà, le contrôleur général des lieux de privation de liberté a mené une réflexion sur l'articulation entre la nécessaire vidéosurveillance des lieux de privation de liberté et le respect des droits fondamentaux, tels que le droit au respect de la vie privée et familiale prévu par l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme. Pour lui, la mise en place de la vidéosurveillance ne doit « pas être un phénomène de mode [...] mais apporter une véritable valeur ajoutée, proportionnée aux objectifs poursuivis », c'est-à-dire : prévenir la délinquance, surveiller les personnes présentes dans les lieux, garantir la protection physique et juridique des personnels et faire face aux réductions d'effectifs (7). Malgré la mise en place de ce type de dispositif, les contrôleurs ont observé que les fonctionnaires chargés de regarder les écrans de surveillance n'étaient pas mobilisés qu'à cette seule tâche (contrôle d'accès, de tenue des registres...) : au final, « le temps passé à la vision est extrêmement réduit ». Autre limite, il y a « nécessité de maintenir le contact humain », estime Jean-Marie Delarue, qui déplore que « les centres pénitentiaires «modernes» [soient] l'illustration du recul de l'«humain» ». En outre, les images sont parfois trompeuses. Par exemple, dans les cellules de dégrisement, la caméra ne permet pas au fonctionnaire d'apprécier l'état de dangerosité potentielle de la personne captive : l'individu retenu dort-il simplement ou s'enfonce-t-il dans un coma éthylique ? « La caméra n'est pas plus efficace que le regard d'un agent effectuant une ronde : [...] elle l'est même plutôt moins. »
Pour conclure, Jean-Marie Delarue précise que la vidéosurveillance doit être conciliée avec l'impératif du respect des libertés individuelles, ce qui doit déboucher sur la détermination des locaux devant échapper à toute vidéosurveillance. D'ailleurs, le rapport en propose une liste (locaux dans lesquels se pratiquent les examens médicaux ou les fouilles, les unités de vie familiale, les toilettes, etc.).
(1) Ce rapport sera prochainement disponible sur le site de La Documentation française.
(2) En effet, n'ayant été nommé qu'en juin 2008, Jean-Marie Delarue n'a pu que présenter un bilan d'activité sur six mois.
(5) Au-delà, précise le contrôleur, la réalisation de cet objectif appelle une « recherche accrue des «offreurs» d'activité, autrement dit un rééquilibrage entre l'offre et la demande » .
(6) Voir respectivement ASH n° 2617 du 10-07-09, p. 16 et n° 2638 du 25-12-09, p. 19.
(7) Sur ce dernier point, Jean-Marie Delarue indique que « l'emploi de la vidéosurveillance peut contribuer à la rationalisation de l'emploi des fonctionnaires mais ne doit pas pallier un manque de personnel » .