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En restant à l'école...

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Mis en oeuvre depuis 2007 à Meaux (Seine-et-Marne), le dispositif de poursuite de scolarisation (DPS) aide les jeunes exclus de leur collège à continuer leurs études et, à terme, à réintégrer un nouvel établissement. Associant collectivités locales, Education nationale et services judiciaires, cet outil vise à construire une réponse cohérente entre tous les accompagnements éducatifs et sociaux, et à lutter ainsi contre le risque de basculement dans la délinquance.

Le sac des trois élèves assis autour de la table paraît bien vide. « Vous avez vos cahiers ? interroge David Millerou, le professeur d'histoire-géographie, en installant son rétroprojecteur. On va commencer par le cours de 3e. » Les mains dans les poches du manteau qu'elle refuse d'ôter, une grande fille au regard sombre s'est barricadée dans son mutisme. A côté d'elle, un adolescent avec une boucle d'oreille ouvre son livre à la page du cours sur le IIIe Reich. « En attendant, je vais te donner un contrôle sur Louis XIV, lui déclare l'enseignant. Je sais que tu n'as pas révisé, mais il y a une seule date à savoir : 1643, l'arrivée sur le trône. Après, ce sont des questions sur la monarchie absolue, je crois que tu connais ça assez bien. » Pendant deux heures, l'enseignant va ainsi jongler avec les niveaux : 5e, 4e, 3e, dispensant son cours, répondant à une question sur le contrôle, indiquant des dates sur la frise punaisée au mur. Un matin ordinaire, dans la salle de classe du dispositif de poursuite de scolarisation (DPS)(1), mis en place à Meaux (Seine-et-Marne) pour les collégiens définitivement exclus de leurs établissements scolaires.

Restaurer la confiance en soi

Ouvert à la rentrée 2007, le DPS a reçu en octobre dernier le Prix prévention de la délinquance, décerné par le Forum français pour la sécurité urbaine (FFSU). Une distinction soulignant notamment le partenariat noué entre l'Education nationale, la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), la ville de Meaux, le parquet et le conseil général de Seine-et-Marne. Destiné aux élèves de collèges ayant été exclus par un conseil de discipline, le DPS poursuit trois objectifs : faciliter la rescolarisation dans un nouvel établissement, éviter tout décrochage scolaire et prévenir la délinquance. « Le partenariat permet de rassembler les informations éparses sur l'enfant, de faire le point sur tous les services qui gravitent autour de lui, pour construire une réponse cohérente et retransmettre les informations utiles à l'établissement d'accueil », résume Véronique Pinoteau, enseignante et coordinatrice du DPS. Cinq jours par semaine, l'emploi du temps des élèves mêle les activités scolaires - « dans un but de remobilisation cognitive et de restauration de la confiance en soi », précise le dossier soumis au FFSU - et les rencontres avec une psychologue, une éducatrice PJJ ou la déléguée du procureur - « pour travailler sans artifice les compétences psychosociales ».

Elaboré en quelques mois seulement, le dispositif de poursuite de scolarisation s'inscrit dans le cadre du contrat opérationnel de prévention et de sécurité (COPS) de la ville de Meaux, signé en 2007. Parmi d'autres mesures, comme les permanences des délégués du procureur dans les collèges, une aide psychologique proposée aux professeurs ou le développement du dispositif de réussite éducative, l'idée du DPS est née d'un regain de tension dans les établissements scolaires : « En 2006-2007, sur une année scolaire, 2 000 journées d'exclusion avaient été prononcées dans les cinq collèges de la ville, dont 1 200 dans les trois établissements placés en zone urbaine sensible, raconte Azedine Issad, ancien instituteur spécialisé et coordinateur du COPS à la mairie de Meaux. 56 élèves avaient été exclus définitivement, soit 2 % du total des élèves. Pour peu que le conseil de discipline se soit tenu avant les vacances, il pouvait parfois s'écouler dix semaines avant que les jeunes soient de nouveau scolarisés. Et ceux qui fêtaient leurs 16 ans dans l'année ne l'étaient souvent pas du tout. » Une enquête menée alors à la demande de la mairie révèle que huit motifs de renvoi sur dix sont le racket, le jet de produits dangereux ou encore des violences sur des personnes. Et sur les 56 élèves renvoyés, une petite moitié était connue des services de police, un tiers faisait l'objet d'une mesure judiciaire, et les services sociaux départementaux suivaient déjà une famille sur trois. Pour les membres du COPS, la solution ne peut passer que par un partenariat resserré avec les établissements scolaires : « L'école reste le meilleur moyen de s'intégrer dans la société, affirme Azedine Issad. Un élève qui a décroché pendant trois mois ne reprend jamais le chemin des classes. Maintenir ce fil ténu avec le système éducatif, c'est une victoire de chaque jour. »

Le temps d'effectuer quelques travaux, le dispositif de poursuite de scolarisation est installé dans une petite maison d'une zone pavillonnaire de Meaux, propriété de la commune. Il accueille ses premiers élèves dès la rentrée 2007. D'abord limité aux cinq collèges de Meaux, il a été étendu depuis à trois communes limitrophes, soit huit établissements au total. La coordination du dispositif, placé sous la responsabilité administrative et pédagogique du collège Henri-Dunant (en réseau ambition réussite), est confiée à Véronique Pinoteau. Professeure des écoles, elle justifie d'une expérience en section d'enseignement général et professionnel adapté (SEGPA), en zone d'éducation prioritaire (ZEP), et a exercé en province comme chef de projet d'un contrat éducatif local. Secondée pendant un an par un autre enseignant, elle est désormais la seule intervenante à temps plein du dispositif. Pierre Lepère, l'assistant d'éducation, n'est présent qu'à mi-temps ; le professeur d'histoire-géographie, deux heures par semaine ; enfin, la déléguée du procureur, la psychologue et l'éducatrice PJJ n'interviennent que pour de brèves vacations.

Un repérage des difficultés

La scolarisation au sein du DPS dure en moyenne quatre semaines. Chaque décision d'exclusion définitive prononcée par un conseil de discipline est notifiée à ses responsables. « Pour en arriver là, il faut avoir épuisé toutes les alternatives à l'exclusion : réunion d'un conseil éducatif avec les parents, emploi du temps adapté, intervention solennelle d'un délégué du procureur, prise en charge par un adulte relais... », précise Bernard Francia, le principal du collège Henri-Dunant. Chaque exclusion est également signalée au procureur de la République. Au cas par cas, le parquet peut décider de mandater l'éducatrice de la PJJ pour effectuer le recueil des renseignements socioéducatifs, et éventuellement engager un suivi. Très employés au lancement du DPS, ces mandatements ont chuté depuis la rentrée de l'année dernière : 8 dossiers seulement sur 40. Une évolution qui pourrait être liée à des mutations au sein du parquet des mineurs.

Le cas échéant, les travailleurs sociaux concernés peuvent être invités à l'entretien d'accueil organisé avec l'élève et sa famille. « Mais je préfère que cela reste exceptionnel, car cet entretien s'en trouve parfois alourdi », remarque Véronique Pinoteau. Cette première rencontre donne l'opportunité d'évoquer les faits, de reconstituer un historique de scolarité et d'évaluer les acquis de l'élève. Au début, les enseignants s'appuyaient sur les évaluations de la classe de 6e. Constatant la réaction souvent négative des élèves, ils préfèrent désormais utiliser leurs propres exercices de lecture et de mathématiques. « Pour les élèves décrocheurs, les consignes rédigées de façon très scolaire suscitaient beaucoup d'angoisse, raconte la coordinatrice. Nous les avons épurées, pour passer d'une évaluation de niveau à un repérage des difficultés d'apprentissage. » De son côté, Véronique Pinoteau adresse chaque semaine un état des lieux nominatif à tous les partenaires du dispositif - principal du collège support, responsable du COPS, PJJ, éducateurs de la maison départementale des solidarités, service social de l'Education nationale, référent de l'équipe de réussite éducative. Ce qui aide à recenser les différentes prises en charge déjà en cours autour de l'élève ou de sa famille. « Je n'ai pas besoin de connaître le contenu des mesures, mais le DPS constitue un point de rencontre entre les intervenants, souligne l'enseignante. Souvent, les parents ont l'impression que beaucoup de gens tentent de les aider, sans vraiment comprendre le lien entre les différentes actions. Ici, on s'efforce de donner un sens, une cohérence, à l'accompagnement global. »

Lever les mécanismes défensifs

Au sein du DPS, les cours ne visent pas tant un rattrapage des connaissances qu'à redonner confiance aux jeunes. « Je m'efforce surtout de rapprocher les élèves de la matière, de leur redonner des repères, témoigne David Millerou, le professeur d'histoire-géographie. La plupart ont une grande curiosité de savoir, mais ne sont pas scolaires au sens où on l'entend habituellement. Au collège, la classe et le rythme du programme les empêchent de suivre. En petit groupe, la relation est privilégiée. » Le groupe : c'est souvent la principale difficulté des élèves exclus. Les adolescents eux-mêmes ont bien analysé le problème. « Ici, on peut discuter avec les profs ou le surveillant, estime cet élève de 4e, entré au DPS dans le cadre d'une mesure exceptionnelle pour éviter justement une exclusion. Comme on est moins nombreux, on est plus intéressants. » Ce matin, il n'a pas hésité à citer Colbert ou Mazarin. En classe, il n'aurait même pas levé le doigt. « Les jeunes que nous recevons ne ressemblent pas du tout à ceux que l'on nous décrit, constate Siham Kabous, la psychologue du dispositif. Au collège, il faut choisir son groupe : celui des bouffons, les bons élèves, ou celui qui intègre le plus facilement, les perturbateurs. Leur identité est celle du mauvais élève. Quoi qu'ils fassent, ils ont l'impression qu'on ne reconnaît que cela en eux, donc, ils développent une capacité à provoquer le rejet. Sur le DPS, le petit groupe permet une autre gestion des émotions, de lever les mécanismes défensifs. »

La psychologue, clinicienne et thérapeute cognitive et comportementale, propose aux élèves des ateliers de groupe trois heures par semaine. Photolangage, questionnaires ou échelles d'auto-évaluation incitent à libérer la parole sur la violence, la sexualité, l'école, l'estime de soi... Deux règles encadrent les échanges : le respect et le non-jugement. A chaque séance, le lien est établi avec la classe, son fonctionnement, la place de l'élève dans le groupe. Les interventions collectives de Pélagie Kouang-Libam, éducatrice de la PJJ, et de Marie-Antonine Bézier, déléguée du procureur, poursuivent un but comparable, mais à l'échelle d'une société dont les jeunes se sentent souvent exclus. Thème du jour pour la déléguée du procureur : les mineurs et l'autorité parentale. « Si un élève arrive au collège avec un chewing-gum ou une casquette, qu'il est puni et que ses parents ne sont pas d'accord, que se passe-t-il ? », interroge l'intervenante. « Le règlement l'emporte, parce qu'on l'a signé », répond un élève de 4e. Perplexe, l'ado à la boucle d'oreille lève la main : « Et si je ne suis pas d'accord avec ce qu'il y a dans le règlement, et qu'on me dit de le signer ? » Marie-Antonine Bézier sourit. « Tu as le droit de ne pas être d'accord dans ta tête, mais tu dois t'y conformer. » Particulièrement animée, la discussion débouche progressivement sur le code civil et le devoir des parents de procurer à leurs enfants sécurité, santé et moralité. Une manière de présenter la loi comme le ciment de la société, facteur de protection pour chacun, et pas seulement une source de sanction.

Les parents ne sont pas absents du DPS. Après l'entretien d'admission, l'équipe reste en contact permanent avec eux afin de revenir sur le conseil de discipline, d'évoquer les progrès de leur enfant ou de préparer l'admission dans un nouvel établissement. La psychologue peut être aussi amenée à les rencontrer de façon approfondie. « Nous prenons les jeunes dans leur globalité, explique-t-elle, et la plupart vivent dans des familles très précarisées. Les parents expriment une vraie détresse vis-à-vis des actes de leurs enfants. Je m'aperçois souvent que des histoires personnelles jamais évoquées sont transmises de façon inconsciente et interfèrent dans leurs relations. » Pour ceux qui le désirent, le processus thérapeutique peut être poursuivi à l'extérieur, dans le cadre anonyme et gratuit de l'association Insertion Développement Emploi, où exerce aussi Siham Kabous. Intervenant également auprès des enseignants, la psychologue s'efforce des deux côtés de travailler le lien avec l'institution scolaire. Car le but du dispositif reste la rescolarisation des élèves. Alors que, avant la création du DPS, l'échange d'informations se limitait à la transmission du dossier scolaire entre chefs d'établissement, Véronique Pinoteau rencontre l'équipe éducative, présente le parcours de l'élève, propose des pistes pour sa prise en charge... « Cela facilite l'intégration, parce que l'élève n'est pas resté livré à lui-même, estime Bernard Francia, du collège Henri-Dunant. Toute une réflexion a été menée avec lui, et le DPS délivre un vrai regard éducatif et pédagogique. »

Les partenaires du dispositif ont cependant dû apprendre à partager les informations et à composer avec les différentes cultures professionnelles. « L'école peut avoir du mal à accepter l'idée qu'une sanction judiciaire puisse avoir une valeur éducative et, à l'inverse, certains services conçoivent difficilement qu'un chef d'établissement bien informé de la situation globale d'un jeune sera mieux à même de l'accompagner », illustre Véronique Pinoteau. Tous soumis au secret professionnel, les intervenants du DPS échangent surtout oralement : « Je ne transmets que ce qui me paraît utile pour la relation, indique la psychologue, et j'insiste pour qu'il n'y ait pas d'écrit. Il n'est pas question de coller des étiquettes à ces jeunes alors qu'ils sont en voie d'évolution. » Le partage avec les enseignants suscite, lui, plus de difficultés. « Nous ne sommes pas vraiment formés pour recevoir des informations précises sur la situation des familles, et cela peut parasiter la relation éducative », estime la coordinatrice, qui cite l'exemple d'un professeur informé du placement en foyer d'une élève « et qui s'en était servi au cours d'une altercation avec elle ».

Une accalmie dans les collèges

Au total, 73 jeunes ont déjà été accueillis sur le DPS, dont 40 depuis la rentrée 2009. Une évaluation menée sur la première cohorte a établi qu'un quart des élèves seulement s'étaient ultérieurement rendus coupables de délits. La formule ne permet pourtant pas de régler toutes les situations. Azedine Issad regrette en particulier la trajectoire d'un élève de 14 ans scolarisé dans un collège du centre-ville après son exclusion. Doué en basket, soutenu par sa mère, il avait intégré une section sport-étude, abandonnée ensuite pour le lycée professionnel, et avait finalement atterri en prison après de multiples actes de délinquance. « On a beau tenter de gagner du temps, de tricoter les solutions les plus fines possibles, certains jeunes mettent tout ce qu'on leur propose en échec, déplore-t-il. Un dispositif, si innovant soit-il, ne peut pas résoudre tous les problèmes. »

La question se pose désormais de la pérennisation du dispositif. Deux ans et demi après sa création, les statistiques montrent une accalmie dans les collèges. Et le foisonnement de réflexions menées en 2006 sur la place de l'élève, l'utilisation de l'exclusion ou les mesures alternatives semble être un peu retombé du côté des enseignants. « L'instinct de survie oblige à l'intelligence, résume Azedine Issad. A partir du moment où la situation des établissements s'assainit, on rentre dans une logique d'acquis. Pourtant, les élèves demeurent des Cocotte-Minute, avec des familles qui vont souvent très mal. » Un chiffre, pour alimenter la réflexion, le coût du fonctionnement du DPS : 142 000 € par an, dont 127 000 € de masse salariale supportée par l'Education nationale et la PJJ. A comparer avec un autre, cité par Azedine Issad : 260 000 € . Le coût, par jeune, de la construction de l'établissement pénitentiaire pour mineurs qui aurait dû ouvrir ses portes à Meaux-Chauconin, et qui a finalement été affecté à d'autres détenus.

Notes

(1) DPS : 11, rue du 11-Novembre-1918 - 77100 Meaux - Tél. 01 64 34 30 03 - dispositif.poursuitesco@orange.fr.

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