Conséquence des effets de la crise sur la demande sociale des ménages et de la mise en oeuvre du revenu de solidarité active (RSA) depuis le 1er juillet 2009, les caisses d'allocations familiales (CAF) sont au bord de l'implosion. La convention d'objectifs et de gestion (COG) de la branche famille 2009-2012 avait bien prévu 1 257 postes supplémentaires - un chiffre bien en deçà des besoins estimés par la caisse nationale des allocations familiales (CNAF) - et un moratoire sur les non-remplacements des départs à la retraite jusqu'en juillet 2010. Mais compte tenu du délai nécessaire à leur formation, les nouveaux effectifs de techniciens conseils ne seront stabilisés qu'après l'été. L'équilibre entre les charges et les moyens, alors que les CAF avaient subi des réductions de personnels lors de la précédente COG, est aujourd'hui bel et bien rompu. « La situation des caisses semble s'aggraver dangereusement et à très vive allure en ce début d'année 2010 », alerte Jean-Louis Deroussen, président du conseil d'administration (CFTC) de la CNAF, dans un courrier adressé le 26 février à Xavier Darcos, ministre chargé des affaires sociales.
Deux jours auparavant, il avait été reçu par le cabinet du ministre pour demander l'application de la « clause de revoyure » de la convention d'objectifs et de gestion, qui prévoit une révision des moyens alloués à la branche famille en fonction des charges réelles. « Face à une fin de non-recevoir, j'ai solennellement saisi le ministre par écrit. Les CAF ne peuvent pas s'entendre dire que la surcharge va progressivement se résorber et la situation s'apaiser, explique-t-il. Alors que chaque semaine des caisses sont contraintes de fermer leur accueil pour résorber les retards, que les motions d'interpellation se multiplient et que la quasi-totalité ne remplissent pas leurs engagements de service, nous n'avons pas reçu une écoute attentive du ministère. » Il est prévu qu'à la fin de la COG, la branche famille rende ses effectifs supplémentaires, avec un solde positif de 80 postes. « On ne pourra pas honorer la convention si le non-remplacement des départs à la retraite s'enclenche en juillet, poursuit Jean-Louis Deroussen. Nous demandons donc une prolongation du moratoire et, dans l'immédiat, une aide ponctuelle de 15 millions d'euros pour nous permettre d'embaucher des contrats à durée déterminée et de rétablir la situation. » Un effort indispensable, souligne-t-il, pour conforter l'institution dans son rôle d'amortisseur social. « En cas de blocage, le conseil d'administration est prêt à faire entendre sa voix un peu plus fort... »
Sur le terrain, le service se dégrade et la tension est maximale. « Si la priorité est donnée au traitement des minima sociaux, cela se fait au détriment des autres aides », explique Jean-Louis Deroussen. « Je n'ai jamais vu ça, témoigne Bernard Delannoy, de la CFDT-protection sociale. Le degré de ras-le-bol des personnels, assez fiers de la mission qu'ils portent, est très préoccupant. On nous signale chaque jour de multiples incidents aux guichets. » Selon Jean-Claude Mancipoz, président de l'Association des directeurs de CAF (Adircaf), les caisses ont reçu plus de 40 % d'appels téléphoniques supplémentaires en 2009 et le nombre d'accueils physiques a augmenté de 15 %. « La moyenne nationale est d'environ huit jours de retard dans le traitement des dossiers, mais avec des grandes disparités, explique-t-il. Certaines CAF qui n'avaient aucune difficulté se retrouvent avec 10 à 15 jours de retard. » Voire beaucoup plus, dans certains endroits. Certes, le RSA monte lentement en puissance, « mais on ne peut pas corréler la charge de travail au nombre de bénéficiaires » (600 000 pour le RSA « chapeau » et 1,1 million pour le « RSA socle »). Selon la CNAF, le nombre de dossiers instruits serait en effet trois fois plus important que les attributions. A cela s'ajoutent la complexité de la gestion due à l'appréciation trimestrielle des ressources des bénéficiaires, la mise en oeuvre des mesures de chômage partiel qui ont une incidence sur les droits à prestations, et le poids des procédures liées à la maîtrise des risques et à la lutte contre les fraudes... Outre la fermeture de leurs accueils, les caisses récupèrent des moyens provisoires en recourant aux heures supplémentaires, aux rachats de RTT, à des postes en contrat à durée déterminée financés sur leurs ressources internes. Dans certains cas, les travailleurs sociaux sont même appelés à suppléer au manque de personnels pour l'accueil des publics, au détriment de leurs propres missions. « Le total de ces mesures cumulées revient à plus de 1 000 équivalents temps plein », indique Jean-Claude Mancipoz. Un chiffre qui montre bien que le moment est mal venu pour mettre les caisses au régime sec et que ce mode de gestion exceptionnel ne peut se pérenniser. Même si la branche s'engage dans un processus d'optimisation, « la charge de gestion que représentent les prestations individualisées ne peut pas être balayée d'un revers de main », martèle le président de l'Adircaf.
D'autant que de nouvelles charges s'annoncent pour la branche en 2010. Le décret sur la trimestrialisation du traitement des ressources des bénéficiaires de l'allocation aux adultes handicapés, initialement attendu pour janvier, devrait être publié au second semestre. La gestion de la prévention des impayés de loyers par les CAF, au sein des commissions départementales de coordination des actions de prévention des expulsions, devrait intervenir d'ici à janvier 2011. « Les anciennes commissions départementales des aides publiques au logement mobilisaient 200 équivalents temps plein de fonctionnaires de l'Etat », souligne Jean-Claude Mancipoz. A cela s'ajoute le « RSA jeunes », qui pourrait être mis en oeuvre en septembre et dont la gestion peut se révéler complexe au regard de ses conditions d'éligibilité...
L'Adircaf s'apprête à remonter au créneau en appuyant la demande du président du conseil d'administration de la CNAF auprès de Xavier Darcos. La CFDT et la CGT, qui appelaient à la grève le 2 mars, tandis que les débrayages locaux se multiplient, ont obtenu qu'une séance de travail sur le sujet soit organisée le 30 mars sous l'égide de l'Instance nationale de concertation de l'Union des caisses nationales de sécurité sociale.