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« Les outils de gérontechnologie ne remplaceront pas l'humain »

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Alors que Nora Berra, la secrétaire d'Etat aux aînés, vient de lancer une mission visant à favoriser le maintien à domicile des personnes âgées dépendantes(1), les chercheurs expérimentent des solutions technologiques adaptées. Auteur d'études sur le sujet, le psychologue Marc-Eric Bobillier Chaumon analyse le contexte de cette évolution.

Certains pays, tel le Japon, investissent fortement dans les technologies destinées aux personnes âgées dépendantes. Est-ce le cas en France ?

Une réflexion importante est en cours dans ce domaine car, avec l'augmentation du nombre de personnes âgées dépendantes, les besoins en matière d'accompagnement vont fortement augmenter. Et pour réduire les coût sociaux et économiques, on réfléchit à des solutions technologiques. Ces initiatives s'inscrivent dans ce que l'on appelle la « gérontechnologie », qui se développe un peu partout en Europe. Mais nous n'en sommes qu'au stade des expérimentations car il y a un réel manque d'orientations politiques. De même, du côté des industriels, les réalisations restent, pour la plupart, de simples adaptations d'objets de grande consommation. Peu d'entre eux essaient réellement de produire des environnements ou des outils spécifiques, conçus à partir des besoins particuliers des personnes âgées. Des outils existants, comme les ordinateurs ou les téléphones portables, sont adaptés aux contraintes des personnes dépendantes. Par exemple, plutôt qu'un clavier, on va proposer un écran tactile et utiliser des systèmes graphiques et iconographiques différenciés. Mais cela reste limité. De ce point de vue, on est plus dans du « techno push » que du « techno pull ». Autrement dit, la technologie est pensée de façon descendante et non remontante. Or il est nécessaire de prendre en compte le niveau de dépendance de la personne et ses capacités ou restrictions individuelles, mais aussi son environnement social. Sinon on va développer des outils standard qui se révéleront finalement peu adaptés à ses besoins réels.

L'appellation « nouvelles technologies » réunit des outils très divers. Comment peut-on les classifier ?

On trouve d'abord les technologies d'assistance ou compensatrices, qui visent à rééquilibrer un désavantage acquis. Elles soulagent la souffrance par la correction de la fonction déficitaire. Ce sont les fauteuils roulants ou les prothèses, plus ou moins perfectionnés. Il existe aussi des technologies curatives, qui aident à la guérison ou facilitent les soins de la personne, comme les systèmes de diffusion automatique de médicaments. Un autre grand domaine est celui des technologies palliatives, qui atténuent l'expression du handicap sans agir toutefois sur sa cause. D'apparition plus récente, on rencontre également les outils de stimulation, à l'image de ces jeux sur console censés maintenir, voire renforcer, les fonctions cognitives ou les habilités motrices. Enfin, une dernière catégorie regroupe tout ce qui touche à la veille ou à la surveillance. Au Japon, on a mis au point des systèmes qui perçoivent si une personne âgée fait une chute et lancent une alerte.

Percevez-vous de nouvelles tendances ?

La plupart des nouvelles technologies viseront à maintenir la personne âgée à son domicile en lui offrant des environnements qui anticipent et répondent au mieux à ses besoins. Mais aussi, à terme, à améliorer ses capacités ou à compenser ses déclins, en intégrant les nanotechnologies et les biotechnologies aux fonctions humaines cognitives, sensitives et motrices. Ce courant, appelé NBIC, fait de l'individu un homme techniquement « augmenté ». Déjà, à un stade expérimental, des implants cérébraux peuvent commander des fauteuils roulants, stimuler les muscles de personnes handicapées ou gouverner des extensions telles qu'une main bionique. Parmi les systèmes susceptibles d'assister les individus à domicile, on trouve les technologies « pervasives » ou « ambiantes », c'est-à-dire très présentes tout en se fondant dans l'environnement. Elles deviennent moins visibles. Car l'un des inconvénients de tous ces systèmes d'aide est leur aspect envahissant et stigmatisant. Entre autres, le collier d'alerte, qui prévient les secours quand on appuie dessus, fait souvent l'objet d'un rejet. Les personnes âgées n'apprécient pas non plus que l'on bouscule leur environnement pour installer des câbles et des appareils. Chaque chose doit rester à sa place. De ce point de vue, la nouvelle génération de technologies se montre un peu plus transparente. Par exemple, la vie des personnes âgées est très ritualisée, avec le lever, le repas, le coucher... Ce qui permet de mesurer leur consommation électrique journalière et de déclencher une alerte si les pics de consommation ne sont pas conformes à ces rituels. Une autre évolution possible est le développement des technologies « persuasives » (ou Captology), visant à modifier le comportement de la personne âgée compte tenu des circonstances. Il peut s'agir de lui faire prendre ses médicaments à telle heure, ou de lui rappeler de s'hydrater lorsqu'il fait chaud. Nous avons également travaillé sur un bouquet de téléservices Internet, accessible via la télévision, pour désenclaver la personne âgée de son domicile et lui offrir des moyens de connexion permanents avec son environnement social et familial.

L'âge est-il nécessairement un frein à l'utilisation des nouvelles technologies ?

Tout dépend de l'intérêt de la personne, et de la perception qu'elle a des bénéfices ou des coûts que peuvent représenter l'adoption de ces technologies, en termes d'efforts, de ressources, de temps requis... Nous avons réalisé une étude dans plusieurs EHPAD [établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes] afin de comprendre les effets psychosociaux de l'usage des nouvelles technologies sur des personnes âgées de plus de 80 ans. Nous leur proposions l'accès à une messagerie, la publication d'un journal assisté par ordinateur, des activités de stimulation cognitive... sur un environnement spécifique. Certaines y étaient très favorables, car c'était une façon de démontrer leur jeunesse d'esprit, et de développer une meilleure estime de soi. Pour d'autres, le fait de pouvoir communiquer plus souvent avec leurs familles était perçu comme bénéfique. A l'inverse, certaines personnes, plus fatalistes, ne voulaient pas se former à ces technologies, estimant que cela ne valait pas le coup d'y investir de l'énergie. Le suivi dans l'appropriation de ces outils est très important. Les familles peuvent jouer un rôle positif, en achetant du matériel à leurs aînés, en leur apprenant à s'en servir, en les utilisant régulièrement avec eux... C'est aussi une façon de partager un vocabulaire commun avec les plus jeunes. De même, lors de notre étude, nous avons vu que les personnes âgées se sont senties valorisées lorsque les professionnels de la résidence ou leurs proches leur ont renvoyé des signes positifs sur l'usage des outils technologiques. A l'inverse, une autre étude, réalisée cette fois au domicile de personnes âgées, a montré que la famille ne comprenait pas toujours l'investissement dans l'outil technologique. Il s'agissait en l'occurrence du bouquet de services transitant par la télévision. Les proches ont eu l'impression que leurs aînés passaient leurs journées passivement devant l'écran. Cela a abouti au rejet du dispositif par plusieurs personnes. Il faut en outre veiller à ce que, en proposant des outils adaptés à la dépendance, on ne se focalise pas davantage sur le manque d'autonomie des utilisateurs que sur leurs aptitudes. Par une sorte d'effet pervers (ou « effet miroir »), du fait qu'elles utilisent des outils d'assistance, le regard porté sur ces personnes risquerait d'accentuer leur handicap ou leurs défaillances.

Jusqu'à quel point ces solutions peuvent-elles - ou doivent-elles - remplacer une aide humaine ?

Ces systèmes ne peuvent évidemment pas remplacer une aide humaine, mais tout dépend du contexte. Certains pourraient accepter une assistance technique pour ne pas avoir à subir la présence d'une tierce personne chez elles. Néanmoins, il me paraît assez peu vraisemblable que la génération actuelle des personnes âgées utilise massivement ces aides techniques. Elles ont été assez éloignées des environnements technologiques, et seront sans doute réticentes à les utiliser au quotidien. D'autant qu'il faut prendre en compte le coût humain, social et financier que représentent ces techniques. En revanche, la génération suivante, plus accoutumée avec des environnements technologiques et qui communique déjà beaucoup via des interfaces médiatisées, sera sans doute plus à même d'accepter des supports techniques à domicile ou en EHPAD.

Les professionnels qui assistent les personnes âgées sont-ils à l'aise avec ces outils ?

Clairement, non. Ils ont encore une grande méconnaissance de ces technologies. Ce qui ne leur permet pas vraiment d'aider les personnes dont ils s'occupent à se les approprier. En revanche, ils se montrent en général prêts à les encourager et à gratifier l'utilisation de tels équipements. Et ce nouveau regard porté sur les personnes âgées aide celles-ci à se sentir davantage reconnues.

REPÈRES

Marc-Eric Bobillier Chaumon est maître de conférences en psychologie du travail et ergonomie à l'université Lumière-Lyon-2. Il est directeur adjoint du laboratoire GREPS (Groupe de recherche en psychologie sociale) et coresponsable du master « Travail coopératif-travail en réseau ». Il a mené plusieurs études sur l'utilisation des nouvelles technologies au service des personnes âgées.

Notes

(1) Voir ASH n° 2648 du 26-02-10, p. 6.

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