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Les centres éducatifs et professionnels en sursis ?

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Nés d'initiatives associatives diverses, les centres éducatifs et professionnels permettent à des jeunes ayant décroché durablement de l'école de construire un projet personnel et professionnel. Alors qu'elles constituent souvent le dernier filet avant la délinquance ou l'errance, ces structures atypiques, qui ont pourtant montré tout leur intérêt, n'ont pas été reconnues par la loi 2002-2 et sont victimes du désengagement financier des pouvoirs publics.

Yohan, 15 ans, confie n'avoir fréquenté les bancs de l'école que par épisodes depuis l'âge de 6 ans : « Ma mère s'en fichait ». Il déroule son histoire le plus naturellement du monde : renvoyé de classe en classe pour troubles du comportement, il déserte complètement le collège vers l'âge de 12 ans, commet « quelques bêtises », avant qu'un juge des enfants, à court de solutions, ne l'adresse in extremis au centre éducatif et professionnel (CEP) où il se trouve aujourd'hui. Dehors, sous une petite bruine, il s'initie au métier d'ouvrier du paysage en compagnie d'autres adolescents envoyés par les services de l'aide sociale à l'enfance (ASE) ou de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ).

Des inclassables

« Avant d'arriver chez nous, ces gamins n'avaient aucune alternative. Tous ont décroché de l'institution scolaire depuis très longtemps. Certains savent à peine lire et écrire. Et comme il n'existe pas de statistiques officielles sur les jeunes déscolarisés avant l'âge de 16 ans, c'est une population qui échappe à toute comptabilité administrative, et donc n'existe pas », commente Julien Roth, directeur général du CEP de Bazeilles, une institution dépendant de la Sauvegarde de l'enfance, de l'adolescence et de l'adulte des Ardennes. A l'image de Yohan, chacun des membres de ce petit groupe dépasse à sa façon les réponses institutionnelles déployées pour les mineurs en difficulté. Si réfractaires à l'école qu'aucune solution académique ne peut être envisagée, tellement déstructurés qu'un soutien temporaire ne leur serait d'aucune utilité, et impossibles à assimiler au public des jeunes handicapés en dépit de lourdes déficiences sociales et psychologiques. Des inclassables au sens propre du terme.

« C'est à partir du moment où ils sont signalés par une assistante sociale ou un éducateur de la PJJ que quelqu'un pense à une orientation en centre éducatif et professionnel. On sait localement que nous accompagnons les jeunes en grande difficulté vers l'insertion professionnelle, même si peu de gens, à commencer par nos tarificateurs, connaissent exactement notre fonctionnement. » De fait, les centres éducatifs et professionnels sont eux aussi inclassables. Absents de la nomenclature des établissements et services de la loi 2002-2, ils comptent parmi ces institutions dont on salue le travail sans que quiconque soit en mesure de dire de quelle tutelle particulière elles relèvent. Leur histoire plonge dans les années 1945-1950, période où des associations gestionnaires d'orphelinats, de maisons d'éducation surveillée ou de structures d'insertion se tournent vers des activités par le travail et acquièrent un savoir-faire dans l'apprentissage des métiers. Cette diversité des racines explique les contours imprécis de ces structures. Portées le plus souvent par des sauvegardes de l'enfance, elles viennent compléter des dispositifs associatifs dédiés au suivi des mineurs en grande difficulté, et adoptent de ce fait des configurations très variables. Ici, un foyer d'accueil qui se dote d'une activité de formation et d'apprentissage, là une association déjà gestionnaire d'une maison d'enfants à caractère social (MECS) ou d'un institut thérapeutique, éducatif et pédagogique (ITEP) qui s'engage dans l'insertion professionnelle de jeunes sous suivi judiciaire. Leur caractéristique principale, en même temps que leur différence avec les divers centres et accueils éducatifs reconnus par la loi 2002-2 (1), tient à la diversité de leur population, des adolescents placés aussi bien par le département, la justice, ou la maison départementale des personnes handicapées. « Notre concept est d'accompagner les jeunes en grande difficulté, quels qu'ils soient, dans une dimension globale associant éducation, pédagogie, soins psychologiques, et apprentissage d'un métier », revendique Julien Roth.

La nature de leur enseignement contribue à ranger les CEP dans une catégorie à part. Préparant à des certifications professionnelles de niveau V délivrées par le ministère du Travail - jugées plus concrètes que les référentiels des CAP attribués par les académies -, ils ne bénéficient d'aucun soutien de l'Education nationale. Selon la CNAPE (Convention nationale nationale des associations de protection de l'enfant, ex-Unasea) (2), une cinquantaine de centres éducatifs et professionnels existeraient sur le territoire, sans que cet intitulé corresponde à un code d'identification particulier (3). Près de 4 000 mineurs seraient placés dans ces institutions non officiellement reconnues.

« Nous commençons à accueillir des jeunes dès l'âge de 13 ans, en internat, semi-internat ou en mesure de jour, et cela sur des durées de placement qui peuvent dépasser quatre ans au final », détaille Julien Roth. Pour les moins de 16 ans soumis à l'obligation scolaire, le CEP dispense un accompagnement éducatif et pédagogique adapté afin de revaloriser et de remobiliser le jeune dans un parcours scolaire. Pour les plus de 16 ans, après une phase préalable de diagnostic puis de découverte des métiers enseignés dans la structure, l'accent est mis sur la formation pré-qualifiante et qualifiante en fonction du choix de l'adolescent. « La pédagogie se fonde sur une alternance de temps d'enseignement en atelier et de périodes d'application dans les entreprises locales, ce qui permet aux jeunes de se familiariser progressivement avec le monde du travail et de valider leur orientation, explique Julien Roth. A la sortie d'un CEP, ils ont acquis des compétences et un savoir-faire technique. Même sans avoir obtenu de diplôme, ils peuvent conserver des contacts avec les entreprises dans lesquelles ils ont effectué des stages, ce qui facilite leur insertion professionnelle. »

Une méthode efficace

Avec 80 % de réussite aux examens professionnels et 50 % d'insertion dans l'emploi, les résultats obtenus en fin de placement attestent de l'efficacité de la méthode. Et cela, se félicite la CNAPE, avec un public qui cumule échec scolaire (plus de 90 % des cas), déscolarisation (50 %), problèmes familiaux importants (90 %), difficultés de comportement (80 %) et troubles psychologiques (20 %). « Un tableau si lourd qu'aucun dispositif de droit commun ne veut d'eux, assure Christophe Treunet, chef de service éducatif au CEP de Bazeilles. Sans nous, le sort de la plupart de ces adolescents, c'est la gradation dans les parcours délictueux, jusqu'au centre éducatif fermé ou à la prison pour mineurs, et pour les autres, s'il n'y a pas derrière un métier, la rue ou l'assimilation à une personne handicapée. »

Pour autant, l'exclusion de la nomenclature des établissements et services de la loi 2002-2 n'est pas sans conséquences. Nombre de professionnels de ces structures expriment le sentiment très vif d'être utilisés comme de discrets filets des politiques publiques. Après avoir dirigé un lycée d'enseignement professionnel agricole en région parisienne, Michel Fondeur, directeur du centre éducatif et professionnel Charles-Péguy à Meslay-le-Vidame (Eure-et-Loir), avoue sa surprise lors de sa prise de fonction, en 2008. « Je m'attendais bien à trouver des jeunes difficiles, mais j'imaginais que tous avaient fait le choix de la formation professionnelle. Or c'est loin d'être le cas. Certains acteurs nous les adressent sans même savoir quelles formations nous proposons. » Côté positif, ce professionnel de l'enseignement voit dans les ateliers des CEP « un support éducatif particulièrement fort, en permettant à ces jeunes en rupture totale par rapport à l'école de s'investir dans des apprentissages concrets. De même, les stages en entreprise leur fournissent une première immersion dans le milieu professionnel. »

Il reste que ce fonctionnement implique de trouver des éducateurs techniques, de maintenir un réseau d'entreprises partenaires et d'organiser un suivi des stagiaires qui y sont placés. Or, remarque le directeur, les coûts générés par cet accompagnement renforcé semblent de moins en moins coïncider avec les orientations des pouvoirs publics. « Notre financement passe par un prix de journée acquitté par le conseil général et la PJJ. Mais depuis un moment, on sent que le fait que nos activités de jour incluent la formation professionnelle pose problème. Le conseil général sous-entend que ce n'est plus sa vocation de financer ce qui, désormais, relève d'une compétence de la région. » Un cercle vicieux. Inséparable de leur activité de formation, le mode de financement des CEP les expose à des comparaisons directes avec d'autres institutions réputées moins chères, comme les MECS. « Notre intérêt en tant qu'institution serait d'avoir des jeunes qui manifestent la volonté de se former, reprend Michel Fondeur. Mais dans la mesure où ce public pas trop destructuré est placé ailleurs, je me demande si les adolescents qu'on nous envoie ne sont pas ceux dont on ne sait plus que faire. Nous avons ainsi de plus en plus de demandes émanant de l'administration judiciaire. »

Frédérique Rueda, directrice du Logis, un centre éducatif et professionnel dépendant de l'ADSEA de Seine-et-Marne, affiche également son inquiétude. Mu par un projet associatif très volontariste, cet établissement pratique une politique d'accueil sans exclusive qui le conduit à travailler, par exemple, avec des mineurs étrangers isolés et à déployer une large palette d'outils d'insertion : temps de psychologue, formatrice spécialisée dans l'illettrisme et l'apprentissage du français, parcours d'immersion dans l'emploi avec validation des acquis professionnels obtenus dans les entreprises du département. Dans ce bras de fer contre l'exclusion, les soutiens apparaissent sous-dimensionnés. En 2001, alors que la multiplication des demandes de placement des moins de 16 ans conduisait Le Logis à ouvrir un service spécialisé, la directrice est allée tirer la sonnette de l'inspection académique dans l'espoir d'obtenir un peu d'aide. « J'ai signalé l'existence sur le département d'environ 150 jeunes mineurs déscolarisés suivis par les services sociaux. On m'a répondu que ces élèves étaient toujours inscrits sur les listes académiques, et que, par conséquent, aucun problème ne se posait », raconte Frédérique Rueda. « Les principaux des collèges maintenaient dans leurs effectifs officiels des élèves qui ne venaient jamais. Comme leur absence arrangeait tout le monde, ce fait passait sous silence. » Seul héritage de la politique nationale de lutte contre le décrochage scolaire engagée les années suivantes par l'Education nationale, deux enseignants spécialisés ont été affectés à la structure, « alors qu'un tiers de la centaine d'usagers du Logis continue toujours d'avoir moins de 16 ans ».

Reste que les signaux de désengagement des tutelles se sont multipliés. « Lorsqu'un adolescent était placé par le juge, on recevait jusqu'à présent un prix de journée équivalent à celui de l'aide sociale à l'enfance puisque nous sommes en co-gestion, explique Frédérique Rueda. Cette année, la PJJ a annoncé ne plus pouvoir payer pour les jeunes majeurs. Compte tenu de la longueur des parcours dans nos institutions, cela veut dire qu'on supprime en cours de route le financement qui permet de mener à leur terme un bon nombre de prises en charge et de conduire ces jeunes jusqu'à l'obtention d'un diplôme. » La nouvelle, assortie fin 2009 d'un arrêté de tarification qui réduisait de 150 € à 50 € par jour la part de l'Etat dans la prise en charge des jeunes majeurs, a provoqué la consternation. « On ignore d'où vient cette décision qui n'a fait l'objet d'aucune procédure contradictoire. Toujours est-il que nous ne savons pas comment nous allons continuer à accompagner ces adolescents. C'est d'autant plus rageant que nous étions plutôt dans une démarche de développement compte tenu des besoins d'emplois qui s'expriment dans le département. »

« C'est la totalité des CEP qui sont aujourd'hui sous pression », confirme Julien Roth, l'un des premiers directeurs a être monté au créneau. « En 2005, le conseil général et la direction de la PJJ des Ardennes nous ont, par exemple, fait savoir qu'ils ne souhaitaient plus qu'on maintienne notre activité de formation professionnelle. Ce qui revenait à supprimer tout l'intérêt que les jeunes trouvent à leur placement ici. » Afin de convaincre de sa spécificité, l'établissement a produit une évaluation du profil des jeunes à l'admission, en montrant les difficultés dans lesquelles ils se trouvaient, les programmes d'accompagnement qui étaient mis en place, et les raisons d'une si faible rotation des places. La décision est pour l'heure suspendue. « Les tutelles ont compris l'utilité du projet, mais ensuite on entre dans les méandres des compétences respectives de chaque niveau. Le conseil général et la PJJ sont habilités pour l'hébergement et la prise en charge éducative, mais pas pour la formation professionnelle ou l'accompagnement scolaire. La région, quant à elle, se dit prête à financer la formation professionnelle et le plateau technique, mais à condition que l'Education nationale finance l'accompagnement scolaire. »

Le sécuritaire contre l'éducatif

Cet imbroglio administratif a contraint des dizaines de CEP à abandonner leur pôle professionnel dans les dernières années en se transformant en centres éducatifs de droit commun ou en MECS. D'autres encore ont simplement disparu, victimes de mesures administratives. La fermeture vivement contestée, en décembre 2007, du CEP de Guénange, une institution centenaire de Moselle, pour « risque potentiel de maltraitance », en est une illustration. Aurélie Filippetti, députée (PS) de Moselle, qui a bataillé contre cette décision, avoue son « incompréhension » devant les raisons invoquées par les autorités. « Les informations que j'ai pu recueillir montrent que le rapport très sévère à l'encontre du travail de la direction et des éducateurs [à l'origine de cette fermeture] semble avoir été un prétexte venant appuyer une décision prise antérieurement. Beaucoup d'éléments accréditent ce soupçon, à commencer par les restrictions budgétaires des tarificateurs et par l'ouverture d'un centre éducatif fermé dans le département », assure la députée, qui s'étonne de « cette volonté de réduire l'offre de prise en charge des mineurs les plus en difficulté, au moment même où cela devient un souci majeur pour l'ensemble du corps social ».

Formulée ou non, la crainte d'un abandon pur et simple des pouvoirs publics est présente dans tous les esprits. « C'est un peu la bataille entre une politique de protection de l'enfance opposant le sécuritaire à l'éducatif, confie Frédérique Rueda. Actuellement, si la PJJ se retire de nos financements, c'est qu'elle privilégie le développement des centres éducatifs renforcés et des centres éducatifs fermés. Elle conserve bien une politique d'insertion, mais voudrait nous caler sur des mesures temporaires de six mois, qui rendraient impossible tout parcours de professionnalisation. »

Pour sortir de cette spirale dangereuse, un groupe de travail monté par la CNAPE a abouti, en mars 2008, à un premier cahier des charges visant la reconnaissance officielle des CEP en tant qu'établissements sociaux et médico-sociaux (4). Pour la CNAPE, « les centres éducatifs et professionnels ont vocation à compléter le dispositif de prise en charge des mineurs au titre de la protection de l'enfance ou de l'ordonnance du 2 février 1945 sur l'enfance délinquante », ce qui les fait entrer « de plein droit » dans le champ de la loi 2002-2. La CNAPE estime par ailleurs que les CEP pourraient être de précieux auxiliaires des politiques publiques. « Le concept d'accompagnement global développé depuis des années dans les CEP est en effet susceptible d'évoluer pour prendre en compte les besoins de nouveaux dispositifs. » Ainsi, des partenariats pourraient être développés avec l'Education nationale en accueillant, de manière ponctuelle ou prolongée, des jeunes décrocheurs scolaires. « L'objectif de cet accueil serait de réaliser une évaluation de l'élève et de lui faire découvrir deux ou trois formations professionnelles pour l'orienter vers une classe adaptée ou le maintenir en CEP selon un projet personnalisé. »

Un partenariat similaire pourrait être développé avec les écoles de la deuxième chance, en permettant par exemple à des jeunes de découvrir des référentiels métiers à l'occasion de stages d'initiation. Les mesures d'activités de jour, créées par la loi du 5 mars 2007 sur la prévention de la délinquance et introduites dans l'ordonnance du 2 février 1945 (actes de réapprentissage scolaire ou d'insertion professionnelle) ou encore les obligations de formation professionnelle accompagnant la composition pénale de certains mineurs, pourraient également, toujours selon la CNAPE, servir de tremplin aux CEP.

Toutefois, aussi urgent que la garantie d'une existence juridique, l'abandon d'un prix de journée acquitté par les conseils généraux ou la PJJ reste une priorité. « Ce mode de financement pour une prestation globale est devenu obsolète au regard des nouvelles compétences dévolues à l'Etat et aux différents acteurs territoriaux. Un nouveau mode de financement par nature de prestation serait une solution plus adaptée à la configuration actuelle, en prenant en compte les champs de compétences du département et de la justice pour l'hébergement et l'éducation, de l'Education nationale pour l'accompagnement scolaire, du conseil régional pour la formation professionnelle, et de la DDASS pour les soins. »

Reste que le cahier des charges élaboré par le groupe de travail a été remis à divers ministres et secrétaires d'Etat concernés, « sans que le dossier avance », déplore la CNAPE. Invité le 9 novembre dernier à visiter le CEP de Bazeilles, Martin Hirsch, Haut Commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté et à la jeunesse, a manifesté son intérêt pour la structure. Une première dans l'histoire des CEP. Pourtant, sollicité par les ASH, son cabinet indique que ce sujet « dépasse le champ de compétences du Haut Commissaire ».

« L'existence de ce type d'institutions est devenu finalement symbolique d'une forme de résistance au tout répressif, puisqu'elles évitent à des gamins d'atterrir en CER ou en CEF, voire qu'elles permettent de les récupérer à la sortie de ces centres, commente Julien Roth. Sachant qu'une journée en CEP coute 200 € , contre 750 € en CEF et 450 € en CER, et qu'on sort de ces structures au bout de quelques mois sans avoir reçu de formation ni avoir de perspective d'insertion. »

MICHEL FRANZA
« Les révélateurs d'un dysfonctionnement des politiques publiques »

Directeur général de la CNAPE (Convention nationale des associations de protection de l'enfant, ex-Unasea)

Comment expliquez-vous l'absence des centres éducatifs et professionnels de la loi 2002-2 ?

Cela tient autant à un législateur très précautionneux qu'à la nature des CEP, qui s'inscrivent dans des dispositifs d'ensemble établis par les associations pour l'insertion des jeunes, et n'ont donc pas forcément été mis en avant. De plus, ce sont des structures complexes très différentes les unes des autres. Nous avons connu nous-mêmes quelques difficultés à référencer auprès de nos adhérents celles qui correspondaient à l'image d'un CEP. La principale difficulté est que, si les porteurs de projet partent de la même nécessité de développer des actions d'insertion vers l'emploi, les solutions à l'arrivée sont fonction des différents services existants au sein de l'association. Il est ainsi possible de trouver ici des dispositifs dans lesquels l'accueil va être différencié de l'accompagnement professionnel alors qu'ailleurs, de véritables institutions vont se mettre en place. Certains vont être plus ou moins occupationnels, tandis que d'autres ne vont fonctionner que dans la relation à l'entreprise.

L'autre raison, c'est la complexité des financements. Lorsqu'on considère un foyer d'accueil éducatif ou une maison d'enfants à caractère social, par exemple, on sait tout de suite quel est le financeur. Avec les CEP, nous sommes face à une population très diverse, avec des parcours institutionnels et des modes de placement eux-mêmes très divers. Le public peut être accueilli au titre de la justice des mineurs, de l'aide sociale à l'enfance, du soutien et de l'accompagnement à l'insertion des adolescents handicapés. La multiplicité des catégories de jeunes concernés, en même temps que les conditions de leur placement, font qu'aucune administration ou collectivité ne veut se dire compétente.

Ce premier cahier des charges des CEP que vous avez réalisé peut-il débloquer la situation, notamment en permettant demieux préciser ces dispositifs ?

C'est ce que nous souhaitions. Ce cahier des charges est déjà lui-même le fruit d'une réflexion des acteurs sur l'harmonisation des CEP. Au cours de nos dernières rencontres ministérielles, nous avons systématiquement remis ce sujet sur la table, car il nous paraît essentiel. Nous avons écrit à Xavier Darcos, lorsqu'il était ministre de l'Education nationale, pour qu'un partenariat efficace s'engage entre les CEP et son ministère. Nous avons pris contact avec le cabinet de Xavier Bertrand, lorsqu'il était ministre du Travail, des Relations sociales et de la Solidarité, celui de Nadine Morano, chargé de la famille et de la solidarité, celui de Martin Hirsch, chargé de la jeunesse. Mais chacun se renvoie la balle. Nous avons aussi contacté les représentants de certaines régions, auxquelles incombe la responsabilité de la formation professionnelle. Leur réponse est qu'ils reconnaissent être un des acteurs du dossier, mais qu'ils n'ont pas à payer puisque les jeunes sont placés sur décision administrative ou judiciaire. Encore récemment, dans le cadre de la préparation des mesures du « livre vert » pour la jeunesse, initié par Martin Hirsch, nous avons essayé de réinvestir le chantier en pointant le cas des 16-18 ans en rupture d'insertion. L'idée que nous défendions est que les CEP, de par leur ancrage territorial et leur professionnalisme, pouvaient constituer un point d'entrée intéressant dans le cadre d'une politique d'insertion renouvelée et orientée sur des publics cibles. Peine perdue, le document final n'aborde même pas la question.

Vous pensez qu'il s'agit d'un manque de volonté des pouvoirs publics ?

C'est davantage de la cécité. Quand le sujet de l'insertion professionnelle des jeunes est évoqué, on entend toujours parler des mêmes publics, c'est-à-dire de ceux qui sont en rupture d'accessibilité à l'emploi à l'issue de leur scolarité. Le débat se focalise sur l'inadéquation de leur formation, sur l'école de la deuxième chance et sur la formation qualifiante, mais personne ne pense à ceux qui partent de zéro. Le mineur de 13 ans en rupture familiale, qui ne va plus à l'école, ne sait quasiment pas lire et écrire, qu'on raccroche tant bien que mal à un processus de formation et à qui on arrive petit à petit à donner le goût d'un métier, celui-là reste absent des discussions. On a l'impression qu'une fracture existe entre le jeune en difficulté provisoire et celui qui est en rupture totale. C'est très paradoxal alors que le discours public de l'Etat tend justement à mettre l'accent sur ces questions et que chacun sait qu'un nombre considérable de jeunes se trouve dans cette situation.

Du coup, on comprend mieux pourquoi les CEP sont restés en marge des dispositifs de droit commun...

En fait, ils sont révélateurs d'un dysfonctionnement. Cela fait des décennies que les politiques fonctionnent sur une représentation globale de la jeunesse, en feignant d'ignorer que cette image recouvre des populations très différentes. Le problème est qu'à force de regarder les difficultés d'insertion sous le seul angle de l'inadéquation de la scolarité, ceux qui sont sortis du système finissent par ne plus exister, puisque les politiques publiques ne sont orientées que par rapport à la sacro-sainte Education nationale. Résultat : nous sommes aujourd'hui en train d'accumuler les échecs auprès de toute une partie de la jeunesse. Et penser qu'il sera toujours possible de raccrocher ces jeunes, ne serait-ce qu'en subvenant à leurs besoins essentiels, serait une illusion : s'il ne sont pas pris en charge, nous les condamnons à l'exclusion ad vitam æternam. C'est en ce sens que des institutions comme les CEP représentent un élément de la solution.

PROPOS RECUEILLIS PAR M. P.

Notes

(1) Il s'agit des centres éducatifs et techniques (CET), des centres éducatifs spécialisés (CES), des centres éducatifs et de formation professionnelle (CEFP), des centres éducatifs et d'insertion professionnelle (CEIP), des accueils éducatifs et professionnels (AEP).

(2) CNAPE : 118, rue du Château-des-Rentiers - 75013 Paris - Tél. 01 45 83 50 60.

(3) D'où le caractère non exhaustif de ce chiffre, indique la CNAPE. En effet, l'absence de code d'identification spécifique fait que des établissements fonctionnant comme des CEP peuvent être inscrits en tant que MECS ou tout autre intitulé.

(4) Les centres éducatifs et professionnels, une expérience qui mérite d'être confortée - Mars 2008 - Disponible sur www.cnape.fr - Rubrique « Rapports et études ».

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