« Il va falloir que l'on retravaille ensemble votre CV et les lettres de motivation. Un CV se lit de haut en bas, et on devrait voir apparaître d'abord vos dernières expériences professionnelles et vos compétences. Vous avez fait beaucoup de choses, mais ce n'est pas mis en valeur. » En ce début de matinée, Chrystelle Benis, 37 ans, conseillère en insertion professionnelle à la mission locale du bassin d'emploi de Rennes(1), reçoit pour la première fois Aurélien. Malgré plusieurs stages comme cuisinier, il ne trouve pas de travail dans sa spécialité et a entendu parler de la mission locale par des amis qui étaient dans la même situation.
En veste noire et jean, le regard un peu fuyant, répondant par monosyllabes, le jeune homme semble hésitant et mal à l'aise face aux questions de la conseillère, qui tente de cerner sa demande. Après avoir exprimé le souhait d'être aidé dans ses recherches d'emploi dans la restauration, Aurélien explique qu'il aimerait refaire une formation dans la boulangerie « pour avoir plus de choix au niveau du travail ». Souriante et essayant de détendre l'atmosphère, Chrystelle Benis lui propose un deuxième rendez-vous pour reparler de son projet de formation. Ils pourront également revoir les possibilités d'accompagnement dont ils ont parlé - un atelier pour apprendre à mieux présenter son CV, ou encore le programme CIVIS (2) qui favoriserait l'obtention de conventions de stage et le déblocage d'une aide financière non négligeable. « Beaucoup de jeunes arrivent ici sans savoir ce qu'ils veulent faire. L'objectif, lors de ces premiers contacts, c'est de réussir à les accrocher pour qu'ils reviennent. Plus il va y avoir du lien, plus ce sera facile d'avancer ensemble. Aurélien, par exemple, ne m'a jamais vraiment regardé en face et il semble manquer de confiance en lui », constate Chrystelle Benis. Elle attendra le prochain rendez-vous pour vérifier la justesse de sa première impression, et pourrait alors proposer au jeune homme un parrain ou une marraine du réseau de la mission locale pour l'appuyer dans ses démarches auprès des entreprises.
L'insertion professionnelle et sociale des jeunes est un domaine que Chrystelle Benis commence à bien connaître. Après un DESS en conduite et gestion des établissements de formation, elle intègre en 1999 une mission locale à Nantes, afin d'encadrer des jeunes issus de quartiers difficiles. Elle en ressort avec une certitude : elle n'est pas faite pour gérer des groupes. Elle embraie alors sur un poste de conseillère technique, toujours à la mission locale nantaise. La charge de travail est titanesque, et les souvenirs plutôt mauvais. « Le matin, quand j'arrivais à 8 h 30, il y avait déjà trois ou quatre jeunes qui attendaient devant la porte. Les premiers temps, je pleurais tous les soirs en rentrant chez moi. »
En 2002, elle est de retour à Rennes, la ville de ses études, pour occuper un poste de chargé de mission « entreprise », après avoir suivi une formation sur la méthode de prospection IOD (intervention sur les offres et les demandes d'emploi). Pour cette jeune femme élégante et dynamique, c'est la révélation : « Cette ouverture sur le monde de l'entreprise m'a beaucoup appris. En allant discuter avec les employeurs, j'ai réalisé, entre autres, que nous utilisions au sein de la mission locale un jargon qui n'était pas très compréhensible pour eux. » Elle apprend surtout à développer des argumentaires solides pour présenter son service et son public, pas toujours bien perçus par les responsables dans les entreprises. « Au début, beaucoup d'employeurs me raccrochaient au nez ou ne me recevaient pas en rendez-vous. J'ai donc beaucoup travaillé pour avoir un discours plus efficace et plus adapté à des employeurs qui pensaient le plus souvent que la mission locale recevait des «cas sociaux». »
En 2008, l'arrêt brutal de sa formation IOD, lié à une baisse des moyens de la mission locale, et l'essor notable du nombre d'usagers amènent la jeune femme à se tourner vers un poste de conseillère en insertion sociale et professionnelle. Mais elle n'a pas perdu cette envie de faire changer le regard que portent trop souvent les employeurs sur les jeunes accueillis dans les missions locales. Et elle se sert de l'expérience acquise au contact des entreprises pour aider de façon plus efficace les jeunes à la recherche d'un emploi ou d'une orientation professionnelle.
Nicolas, 25 ans, veste de cuir noir et cheveux recouverts de gel, est le quatrième jeune à être reçu ce matin par la conseillère. Il a obtenu un master en économie sociale et solidaire, mais n'a pas encore réussi à décrocher un entretien auprès des employeurs du secteur. Bras croisés, jambes qui s'agitent nerveusement, l'assurance du début cède progressivement la place à une gêne palpable. Son CV en main, Chrystelle Benis a du mal à voir exactement le poste qu'il cherche. « Avant de partir d'emblée sur une recherche d'emploi, vous devriez rencontrer les responsables d'entreprise pour avoir une connaissance du réseau dans ce secteur et pouvoir ensuite mieux cibler vos candidatures. » La conseillère évoque également la possibilité de trouver un CAE-passerelle(3), particulièrement adapté à la formation et au projet du jeune homme. Stages préprofessionnels, prestations d'orientation professionnelle, contrats aidés, contrats de travail en alternance... Pour chacun des jeunes qu'elle reçoit, Chrystelle Benis va piocher dans sa boîte à outils afin de trouver le levier le plus à même de le conduire vers une insertion professionnelle. « L'objectif, c'est l'entreprise. Et pour notre public de jeunes de 16 à 25 ans, ce sont les contrats en alternance qui devraient fonctionner le mieux. Le problème, c'est qu'aujourd'hui les entreprises sont réticentes à recruter en alternance. »
Cet objectif d'insertion professionnelle ne lui fait pas oublier pour autant l'attention qu'elle doit porter aux autres difficultés rencontrées par ce public. Ce matin, elle a proposé à une jeune fille un petit job de mise sous plis à l'occasion des élections régionales. Elle peut également donner d'autres coups de pouce financiers pour dépanner des jeunes très démunis ; orienter quelques-uns d'entre eux, en plein désarroi psychologique ou confrontés à des problèmes d'addictions, vers ses deux collègues chargés de la santé ; ou encore faire appel aux partenaires de la mission locale pour essayer de régler des problèmes de logement.
Souffrance psychologique, précarité, errance... La confrontation avec certaines situations difficiles met parfois à rude épreuve les capacités des professionnels de la mission locale à prendre du recul, admet la jeune femme. Elle évoque ainsi la souffrance de conseillers et leur trop grande empathie qui les pousse parfois à dépanner eux-mêmes des jeunes complètement démunis. Elle reconnaît d'ailleurs elle-même s'être précipitée une fois pour trouver en urgence un logement à un jeune qui vivait dans sa voiture. Le jeune homme n'y est jamais allé... « Il y a des histoires qui m'ont marquée, mais il est indispensable de savoir prendre de la distance, explique Chrystelle Benis. On est là pour accompagner et orienter, mais ce n'est pas aider les jeunes que de s'impliquer dans leur histoire au point de vouloir résoudre les choses à leur place. » Une analyse des pratiques serait, selon elle, très utile pour aider les professionnels de la mission locale : « Récemment, un jeune est venu raconter dans mon bureau une situation familiale extrêmement compliquée. Je me suis demandée ce que je pouvais en faire. Je ne suis pas psychologue et, quand je pose des questions à un jeune, il faut que je sois sûre derrière de pouvoir lui apporter la réponse. »
Il est 11 h 30, et le cinquième entretien de la matinée se termine - « un minimum », glisse la conseillère en enfilant son manteau à la hâte. Couvrant la communauté des 17 communes de Moyenne Vilaine et Semnon, ainsi que celle des 8 communes de Maure de Bretagne, elle se déplace beaucoup. Un rendez-vous l'attend avec le directeur de l'école privée Sainte-Anne. Il concerne Angélique, 26 ans, qu'elle suit depuis mai 2009. Cette dernière a le sourire. Elle va signer un CAE-passerelle pour un poste de un an en tant qu'animatrice socioculturelle au sein de la bibliothèque de cette importante école maternelle et primaire de Bain-de-Bretagne. Chrystelle Benis complète le contrat, avant de le donner à signer au directeur et à Angélique. Elle explique une dernière fois à la jeune femme ce qu'est le CAE-passerelle, et sa finalité. Celle-ci devrait commencer son nouveau travail la semaine prochaine. Après avoir poursuivi des études d'histoire et de sciences de l'éducation jusqu'à la licence, elle n'avait trouvé jusqu'ici qu'un travail d'appoint à la médiathèque. Puis elle s'est adressée à la mission locale, où elle a bénéficié, selon ses dires, d'un suivi et d'une écoute qu'elle n'avait pas trouvés au Pôle emploi local. Pour Chrystelle Benis, ces contrats aidés sont l'occasion de mettre le pied à l'étrier à des jeunes qui n'arrivent pas à entrer dans le monde du travail. « Quand le gouvernement a sorti les CAE-passerelles, j'ai saisi cette opportunité d'aller démarcher les entreprises. J'ai toujours un jeune en tête lorsque je vais voir une structure. Je voyais bien qu'avec sa licence Angélique aurait du mal à trouver un emploi sans une première expérience professionnelle. Ce contrat d'animatrice socioculturelle va lui laisser un an pour reprendre confiance en elle et relancer des démarches. Les compétences qu'elle va acquérir sont facilement transférables sur son CV. En plus, ça lui donne une autonomie financière indispensable pour envisager l'avenir de manière plus sereine. »
Le contrat signé, Chrystelle Benis n'a pas le temps de trop s'attarder. Elle doit déjeuner avec des partenaires au restaurant d'un établissement et service d'aide par le travail (ESAT) de Bain-de-Bretagne, pour faire le point sur un stage intitulé « Autonomie et mobilité professionnelle », organisé avec une auto-école locale. A l'instar des autres partenaires - la responsable d'une association intermédiaire et une animatrice locale d'insertion du conseil général -, Chrystelle Benis a orienté plusieurs jeunes vers cette action destinée à développer une réflexion autour du rapport à la loi et à la citoyenneté à partir de l'apprentissage du code de la route. Elle consulte les comptes rendus d'évaluation fournis par Stéphane Gasnier, le responsable de l'auto-école. Certaines fiches remplies par les jeunes contiennent de nombreuses fautes d'orthographe. « Ils ont parfois un niveau CAP ou BEP, et ont beaucoup de mal à écrire. Certains arrivent dans mon bureau sans avoir rempli le dossier qu'on leur demande, parce qu'ils ne savent pas le faire. Ce module me donne donc une idée de leur niveau général. Et je vérifie toujours l'orthographe dans les CV et les lettres de motivation, parce que les employeurs ne laissent pas passer ça. » Stéphane Gasnier tend à la conseillère de la mission locale la feuille de présence pour lui signaler un problème : un jeune Kosovar suivi à la mission locale a signé au mauvais endroit. Les partenaires semblent désemparés face à ce jeune réfugié qui parle très mal le français et voudrait trouver du travail très vite, mais ne semble pas prêt à s'investir dans des actions préalables de formation et d'insertion.
Le déjeuner s'achève. Chrystelle a tout juste le temps de se rendre sur un chantier d'insertion de la ville pour y rencontrer Sabrina, une jeune fille d'une vingtaine d'années qu'elle suit depuis plus de un an, et avec laquelle les relations sont difficiles. Peu valorisée par son entourage familial et manquant de confiance en elle, la jeune fille paraît très indécise quant à son avenir et entretient des rapports conflictuels avec la conseillère. Au milieu d'un grand hangar, Sabrina travaille sur un poste de recyclage de vieux décodeurs. Ses gestes sont précis et rapides pour démanteler les boîtiers en plastique et les éléments des cartes électroniques, avant de les répartir dans des caisses en fonction de leur destination finale. Elle aime ce travail parfaitement séquencé et qui n'implique pas de prises d'initiatives. « On accueille des jeunes de la mission locale qui ne peuvent accéder directement à un emploi en milieu ordinaire. Le but, c'est de mettre une dynamique en place pour qu'ils acquièrent peu à peu une autonomie », explique Pierre Hardy, responsable technique du chantier d'insertion Mod'Récup. Si Sabrina s'est assez facilement pliée aux règles inhérentes au démantèlement de déchets électroniques, en revanche, elle n'accroche pas avec l'autre activité du chantier d'insertion : la récupération, la restauration et la vente d'objets et de meubles.
Chrystelle Benis ne sort pas très satisfaite de la rencontre. A l'écart, dans un bureau du chantier d'insertion, elle fait le point avec le responsable technique et la jeune femme chargée du suivi des jeunes de la mission locale sur le chantier d'insertion. « Je ne sais vraiment pas comment aborder les choses avec Sabrina. Elle voit les personnes qui l'accompagnent comme un obstacle, et j'ai l'impression avec elle de repartir à chaque fois à zéro. Je pense que ça prendra beaucoup de temps pour qu'elle avance. »
Du temps, c'est pourtant ce qui manque le plus à Chrystelle Benis. Pour l'ensemble du bassin d'emploi de Rennes, le nombre de jeunes accueillis par la mission locale a augmenté de 30 % l'an dernier, et le nombre de demandeurs d'emploi de moins de 26 ans a explosé, avec une augmentation de 55 % de mars 2008 à mars 2009. Cette hausse impressionnante s'est répercutée sur l'activité de la conseillère, qui suit aujourd'hui pas moins de 198 dossiers actifs... Travaillant sur deux secteurs géographiques, elle doit jongler entre les suivis des jeunes répartis sur un total de 25 communes, les réunions d'équipe à Rennes, les contacts avec les partenaires et les entreprises, et les relations avec les élus locaux, auxquels elle présente régulièrement des bilans d'activité. « Il faut posséder de bonnes qualités relationnelles pour bien travailler avec tous ces interlocuteurs et être plutôt bien structuré pour maîtriser les différents temps de cette activité. »
Il faut aussi veiller à ne pas trop se laisser happer par une logique du chiffre, qui tend à prendre le pas sur un accompagnement global des jeunes. S'il est difficile de ne pas prendre en compte cette logique de rentabilité en termes d'insertion, il est hors de question, assure la jeune femme, de laisser de côté les difficultés sociales auxquelles sont confrontés de plus en plus de jeunes. « Les missions locales ont du mal à expliquer et à valoriser le travail qu'elles font auprès des jeunes, surtout quand il faut parfois plus de un an pour les sortir d'une situation générale très difficile. Les élus préfèrent voir des chiffres dans mes bilans d'activités et faire des ratios, mais j'essaie de concilier ces deux logiques en leur montrant que, derrière ces chiffres, il a aussi des parcours qui ne sont pas forcément très linéaires. »
De retour à la mission locale, Chrystelle Benis va lire ses courriels et consulter les messages que les jeunes ou des partenaires ont laissés sur sa boîte vocale. Après, elle devra encore saisir sur son ordinateur tous les comptes rendus des entretiens de la matinée. Un emploi du temps chargé, mais qui ne doit pas empiéter sur une disponibilité auprès de son public, qu'elle juge essentielle. « A une époque où l'on demande en permanence aux jeunes de s'adapter coûte que coûte, la seule chose vraiment importante pour moi, c'est de me dire qu'un jeune aura pu trouver ici une écoute. Et cela ne pourra jamais être comptabilisé ».
(1) Mission locale : Centre administratif de Bain-de-Bretagne - 17, rue de l'Hôtel-de-Ville - 35470 Bain-de-Bretagne - Tél. 02 99 43 86 50.
(2) Contrat d'insertion dans la vie sociale.
(3) Le CAE-passerelle est un contrat d'accompagnement dans l'emploi de droit commun qui s'adresse uniquement aux jeunes âgés de 16 à 25 ans rencontrant des difficultés d'accès au marché du travail. Il intègre les jeunes diplômés souhaitant acquérir une première expérience ou effectuer une réorientation, ou pour lesquels une période d'emploi favorisait leur stabilisation sur le marché du travail. Les employeurs sont en priorité les collectivités territoriales. L'Etat prend en charge le CAE-passerelle à hauteur de 90 % du taux horaire brut du SMIC par heure travaillée.