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« Habitat social : l'architecte n'a pas toutes les réponses »

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Le logement social est souvent synonyme de barres d'immeubles sinistres et mal conçues. Pourtant, il a toujours constitué un champ de recherches architecturales novatrices, même si les architectes ne peuvent résoudre seuls des problèmes sociaux tels que la ségrégation sociale. Le regard de Jean-Yves Chapuis, sociologue, urbaniste, enseignant en architecture, chargé de l'urbanisme à Rennes Métropole.

Peut-on dater le logement social en tant qu'objet architectural ?

Il y a toujours eu, de façon plus ou moins organisée, des programmes de logements destinés aux populations modestes. Déjà, Pie II Piccolomini, pape de 1458 à 1464, avait conçu l'équivalent de logements sociaux en Italie, à Pienza, sa ville natale. Mais les HLM en tant que telles ne sont nées qu'au début du XXe siècle et se sont très fortement développées après la Seconde Guerre mondiale, en raison d'une demande énorme de logements. Une ville comme Rennes est ainsi passée de 100 000 à 200 000 habitants intra muros.

Le logement social pâtit souvent d'une mauvaise image, les architectes étant suspectés de bâtir à l'économie. Ce reproche est-il justifié ?

Au contraire, les logements sociaux sont souvent mieux conçus et construits que les logements privés. Tout simplement parce que le maître d'ouvrage, à savoir le bailleur social, va continuer à les gérer une fois leur construction achevée. Le bâtiment demeure son patrimoine, et il a donc tout intérêt à ce qu'il soit bien conçu, afin d'éviter des coûts d'entretien trop élevés. A Rennes, nous mettons ainsi en moyenne plus de 22 000 € par logement social. A l'inverse, le promoteur privé vend ses logements, puis disparaît du paysage. Après, c'est aux habitants de se débrouiller. C'est d'ailleurs aussi pour cette raison que les innovations en matière de qualité architecturale ont presque toujours été réalisées dans le cadre du logement social.

Néanmoins, les architectes prennent-ils suffisamment en compte les besoins des occupants des logements sociaux ?

De fait, quand les occupants se plaignent, par exemple, de ne pas trouver de place pour leurs meubles dans leur appartement parce que les cloisons ne le permettent pas, c'est un réel problème. Il est nécessaire de respecter les objets de culture des habitants. Certains architectes, de leur propre initiative, savent prendre en compte cette valeur d'usage, d'autres pas. Mais, en fin de compte, ils ne le feront que si le promoteur social ou l'élu municipal chargé de l'urbanisme le leur demande. C'est à ces responsables de dire ce qu'ils veulent et quel doit être l'usage des logements à partir d'analyses sociétales qui aident à comprendre l'évolution des modes de vie. C'est une question profondément politique, au sens noble du terme, qui va bien au-delà du rôle du seul architecte. Bien sûr, il y a nécessairement des compromis, mais l'homme de l'art doit se conformer à ce qui ressort du débat sociétal. Même si après, sur le terrain, certains le font plus ou moins selon leur caractère, leurs compétences et leur talent.

La question des économies d'énergie est-elle intégrée dans les nouveaux programmes ?

Elle l'est de plus en plus, ne serait-ce que parce que des normes européennes vont imposer des bâtiments à énergie positive. Et ces préoccupations sont heureusement en train de rentrer dans les moeurs. Reste que, dans la pratique, c'est compliqué. Tout ne sera pas possible dans les bâtiments anciens. Ainsi, pour réaliser une isolation externe sur des façades de pierre, il va falloir inventer des techniques adaptées. Là aussi, la dimension politique doit impulser des changements et obliger les acteurs du logement social - et pas seulement les architectes - à se parler entre eux. Il faut que chacun remette en cause son métier pour inventer de nouvelles méthodes que l'on pourra à terme développer à grande échelle à des prix de revient normaux. Même si, au début, il faudra mettre de l'argent pour faire évoluer les choses. Car les logements à énergie positive valent très cher et sont encore destinés à des personnes aisées. A Rennes, nous souhaitons qu'ils soient accessibles aussi aux ménages modestes. C'est pour cette raison que nous avons lancé un programme de bâtiments de basse consommation, pour lequel nous faisons travailler ensemble des promoteurs, des entreprises et des architectes.

On aura beau bâtir des logements de qualité, s'ils se situent dans des zones enclavées, ils ne répondront pas à un objectif de promotion sociale...

Ce qui est cher dans un logement, c'est le foncier. Dans le VIIIe arrondissement de Paris, l'un des plus onéreux, c'est le terrain qui est cher, pas le bâtiment en lui-même. De ce point de vue, le logement est un bien culturel autant qu'économique. Pourtant, en ville, on a aussi besoin de livreurs de pizzas, de caissières de grands magasins, d'infirmières, de policiers, de femmes de ménage... Tous ces gens de condition modeste ne peuvent pas se loger si on ne leur propose pas des logements sociaux. Certaines villes de l'ouest de la banlieue parisienne bénéficient d'un environnement privilégié qui attire beaucoup de gens aisés, mais lesquels ont du mal à trouver du personnel de service. La responsabilité des élus consiste à organiser cette solidarité, car nous avons tous besoin de tout le monde. Et l'architecte est l'un des protagonistes de cette démarche urbaine qui doit être initiée sous la responsabilité du maître d'ouvrage. Pour reprendre l'exemple de la ville de Rennes, il y a depuis très longtemps 25 % de logements sociaux. Mais la différence entre les années 1960 et aujourd'hui, c'est que, avant, les logements sociaux étaient situés essentiellement en périphérie de la ville, alors que depuis 1997 une politique de rééquilibrage a été menée dans tous les quartiers.

Les barres d'immeubles érigées dans les années 1960 apparaissent aujourd'hui comme des erreurs urbaines. Les projets actuels ne risquent-ils pas de vieillir aussi mal ?

Il est vrai qu'il faut toujours rester modeste. On ne sait pas comment les choses peuvent évoluer. Néanmoins, il faut se rappeler que les barres des années 1960 ont apporté à leurs habitants l'eau chaude, la salle de bain, l'électricité, les toilettes intérieures... C'était un progrès énorme, à une époque où beaucoup de logements anciens ne bénéficiaient pas de ces équipements. Mais si ces barres représentaient un plus, leur équilibre social s'est révélé très compliqué à gérer. Au début, dans les quartiers d'habitat social, tout le monde habitait ensemble, de l'enseignant en université à la femme de ménage. Mais, au bout de vingt ans, ceux qui en avaient les moyens sont partis. Les plus modestes sont restés, et les partants ont été remplacés progressivement par des populations rencontrant davantage de problèmes. Les choses se sont ainsi dégradées.

Aujourd'hui, dans un contexte de pénurie de logements, ne va-t-on pas reproduire les mêmes erreurs ?

Nous essayons de tirer les enseignements des erreurs du passé, mais il est clair que si les quartiers d'habitat social et les banlieues se trouvent dans une situation explosive, ce n'est pas seulement à cause des problèmes urbains. Ils connaissent bien d'autres difficultés, comme le chômage, et les architectes ne peuvent évidemment pas y répondre, quelle que soit la qualité de leur travail. L'architecture n'est qu'un petit maillon de la chaîne. La vraie question c'est : comment faire société ? Comme le dit le sociologue Jacques Donzelot : comment vivre ensemble, alors que beaucoup de gens préfèrent l'entre-soi ? Comment faire face au développement des nouvelles solitudes liées au développement de l'individualisme et au vieillissement de la population ? L'architecte ne peut pas apporter seul des réponses à toutes ces questions.

Ne peut-il pas cependant proposer des solutions nouvelles ?

On voit en effet émerger des idées nouvelles. Ainsi, dans le logement intermédiaire, on construit de plus en plus d'immeubles semi-collectifs où le respect de l'intimité est mieux pris en compte. A Rennes, dans la ZAC de la Poterie, nous avons développé en logement social un ensemble de maisons sur pilotis. Il existe aussi des programmes innovants pour les jeunes, comme ces studios réalisés à base de containers qui devraient voir le jour au Havre. En matière de mixité sociale, l'architecte Jacques Ferrier propose de mixer le logement, notamment social, avec des bureaux, des commerces ou encore des équipements publics, au sein de tours urbaines de nouvelle génération. Ces tours ne devraient pas dépasser une hauteur de 50 mètres, soit 15 à 20 étages. Ce qui autoriserait la création d'un grand nombre de logements tout en préservant la qualité des espaces libres. Cette réponse ne déparerait pas une ville comme Paris et permettrait de retrouver une mixité verticale qui existait au début du siècle dernier dans de nombreux immeubles parisiens.

REPÈRES

Jean-Yves Chapuis est sociologue et urbaniste. Il enseigne à l'Ecole nationale supérieure d'architecture Paris-Val-de-Seine et à l'Institut français d'urbanisme. Il est par ailleurs vice-président chargé des formes urbaines à Rennes Métropole (communauté d'agglomération rennaise) et consultant en stratégie urbaine. Toujours à Rennes, il a été auparavant directeur de l'école d'architecture et adjoint chargé de l'urbanisme à la mairie.

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