Verbales, psychologiques, physiques, sexuelles et/ou économiques : les violences perpétrées à l'encontre des femmes dans la sphère privée sont l'une des formes les plus répandues et les moins visibles des violations des droits humains. Mais il y a encore plus invisible qu'une femme maltraitée au sein de son foyer : son ou ses enfants. En effet, si, depuis trois décennies, la cause des femmes en butte à des violences conjugales a été portée sur la place publique, la prise en compte de l'incidence du phénomène sur les enfants ne fait, elle, qu'émerger.
A la différence de la France, « la question des risques, pour les enfants, de l'exposition aux violences au sein du couple constitue, depuis quelques années, une préoccupation [...] récurrente aux niveaux international et européen », constataient en 2007 les membres d'un groupe de travail constitué par l'Observatoire national de l'enfance en danger (ONED) et le service des droits des femmes et de l'égalité (SDEFE) (voir encadré ci-contre). Ainsi, en 2006, le Conseil économique et social européen recommandait que chaque Etat prenne expressément en compte la thématique des enfants dans ses plans de lutte contre les violences domestiques. De son côté, la même année, le Conseil de l'Europe soulignait la nécessité que l'ensemble des organismes de protection de l'enfance soit instruit des dangers qu'entraîne la violence au sein du couple pour le bien-être des enfants.
De fait, si les enfants ne sont pas tous affectés de la même manière et avec la même intensité par les violences conjugales auxquelles ils sont exposés, les recherches - essentiellement nord-américaines - permettent de disposer de données solides sur les conséquences néfastes que celles-ci ont sur eux, explique Andrée Fortin, spécialiste québécoise de cette question (1). Ces effets ne sont pas différents de ceux qui s'observent dans le cas de négligences et mauvais traitements directs. Les enfants peuvent souffrir de troubles psychologiques (repli sur soi, anxiété, dépression, syndrome de stress post-traumatique), de troubles du comportement et de la conduite (agressivité, hyperactivité, violence, toxicomanie, délinquance), de difficultés d'ordre cognitif et scolaire ainsi que de problèmes de santé physique (infections respiratoires, allergies, problèmes gastro-intestinaux, visuels ou auditifs) (2). Il convient d'ajouter à cette énumération les blessures dont les intéressés sont susceptibles d'être victimes quand ils sont présents lors d'affrontements conjugaux ainsi que les risques accrus qu'ils encourent d'être la cible (intentionnelle) de violences perpétrées à leur encontre par l'un et/ou l'autre de leurs parents (3). A l'âge adulte, enfin, ces personnes seraient conduites à reproduire le modèle relationnel inégalitaire et violent connu dans l'enfance, en position d'agresseur ou de victime.
Toutefois, le fatalisme n'est pas de mise et, quand on se préoccupe des enfants, il faut prendre en compte les effets de ces violences sur leur vie présente et pas seulement sur leur devenir, insiste Nadège Séverac, chargée d'études à l'ONED (4). Mais, « alors que des politiques publiques ont été, de longue date, engagées pour décrire, signaler, prendre en considération, traiter et sanctionner les violences dont les enfants sont «directement» victimes, on est amené à considérer qu'une partie de ces violences » - celles dont les enfants sont spectateurs - « a échappé à la vigilance », estiment les sociologues Benoit Bastard et Claudine Philippe. Ainsi, dans les centres d'accueil et d'hébergement pour les femmes maltraitées, comme dans les espaces de rencontre pour le maintien des relations enfants-parents ou dans les lieux de visites médiatisées, les enfants font un peu figure de « victimes oubliées ». La spécificité de leur situation de témoins de violences conjugales passe généralement au second plan, précisent les sociologues, qui ont réalisé, pour l'ONED, une étude sur différents dispositifs d'intervention sociale (voir encadré ci-contre).
Cette invisibilité des enfants - très largement absents des statistiques relatives aux violences conjugales - est sans doute, pour partie, l'effet d'une trop récente prise de conscience des risques auxquels cette forme particulière de mauvais traitements les expose. Mais il faut aussi compter avec le cloisonnement des politiques sociales : la lutte contre les violences conjugales et la protection de l'enfance se sont développées dans des univers théoriques et pratiques distincts.
Traditionnellement, les services sont attentifs à l'aspect de l'usager qui correspond à leur mandat, fait observer Nadège Séverac. Ainsi, « l'intervention et les financements des associations qui accueillent les femmes victimes et leurs enfants ne sont conçus, a priori, que pour traiter la dimension «femme» et la question du retour de celle-ci à l'autonomie, notamment par des actions d'insertion ». Ces dernières peuvent aller jusqu'à revenir sur le vécu de la violence, mais pas sur la maternité de ces femmes, et encore moins cibler l'enfant lui-même ou la dyade mère-enfant. De leur côté, les intervenants de la protection de l'enfance ont tendance à ne pas prendre en considération un parent isolément, mais les liens aux enfants du couple parental à qui ils proposent, éventuellement, de travailler autour de la manière d'être père et mère. Ces professionnels, en revanche, ne vont pas forcément s'autoriser à approfondir les questions jugées relever de l'intimité conjugale - ce qui peut être problématique quand c'est précisément là que se situent les difficultés de l'enfant. Si ce dernier est perçu comme directement mis en danger du fait de violences conjugales, une mesure de placement est susceptible d'être demandée pour le protéger. Mais « peut-on poser les responsabilités des parents à l'égard de l'enfant de manière indifférenciée lorsque le danger, pour celui-ci, résulte d'une relation asymétrique dans laquelle l'un des parents est lui-même en danger ? », s'interrogent Marie-Laure Deroff et Emilie Potin.
Tel est l'un des thèmes de réflexion soulevés par ces deux sociologues dans une recherche, effectuée pour l'ONED, sur la façon dont la question de l'enfant dans les violences conjugales est appréhendée à l'échelle du Finistère. Sur la période 2004-2007, 393 informations préoccupantes (IP) - soit environ 12 % de la totalité de celles qui ont été recueillies dans ce département durant ce laps de temps - évoquent le facteur « conflits de couple, violences conjugales » (5). Les chercheuses ont pu consulter les trois quarts des dossiers sociaux d'évaluation des situations familiales constitués à la suite de ces IP et elles ont conduit une cinquantaine d'entretiens avec des acteurs, publics ou privés, contribuant à la protection de l'enfance ou à la lutte contre les violences conjugales (6).
Dans l'un comme dans l'autre secteur, Marie-Laure Deroff et Emilie Potin mettent en évidence une forme de surexposition des mères. Celle-ci résulte d'une « sur-visibilité des victimes par rapport aux auteurs » et semble se traduire par le fait que les mères se trouvent surinvesties de leurs responsabilités de parent par les intervenants : c'est avant tout la mère qui est « regardée » dans sa capacité à tenir son rôle de parent, expliquent les sociologues. Au stade de la constitution des dossiers sociaux, plus de la moitié des enfants concernés par une information préoccupante vit avec ses deux parents. L'effacement des pères agresseurs n'est donc pas uniquement la conséquence de leur absence physique. D'ailleurs, quand la problématique « conflits de couple, violences conjugales » ne renvoie pas au couple des parents de l'enfant, mais à celui formé par la mère avec un autre partenaire, il n'y a quasiment pas non plus d'informations sur ce dernier dans les dossiers. « C'est à la fois l'auteur (des violences) et le père qui se font absents, alors que la femme est la seule interlocutrice en tant que victime, mais aussi en tant que mère », notent Marie-Laure Deroff et Emilie Potin.
Dans le champ de la protection de l'enfance, les violences conjugales sont bien perçues comme un facteur de risque pour l'enfant, précisent les sociologues. Cependant, il n'est pas possible de déterminer la part spécifiquement prise par cette problématique dans les suites données à l'évaluation de la situation familiale, car dans 80 % des cas, les informations préoccupantes comptent plusieurs indicateurs de dangers.
Une approche qualitative des dossiers permet néanmoins de dégager trois modèles types de la place donnée aux violences conjugales par les professionnels. Dans le premier, ces violences conjugales se trouvent au coeur des préoccupations : ce sont elles qui sont perçues comme dangereuses pour l'enfant ou risquant de l'être et qui, comme telles, justifient une intervention. Celle-ci visera à faire évoluer la situation conjugale en allant tantôt vers une forme de conciliation entre les membres du couple, tantôt vers la séparation. Le deuxième modèle n'appréhende pas les violences conjugales comme constituant en elles-mêmes un risque pour l'enfant : c'est leur intrication avec d'autres difficultés qui fait considérer la situation familiale comme dangereuse ou potentiellement dangereuse. Cette perception plurielle des risques de danger est source d'un pluri-accompagnement des familles : « Il s'agit d'améliorer la situation dans son ensemble, mais la tâche s'avère souvent fastidieuse (enchaînement de dispositifs, public captif des services sociaux) », soulignent les chercheuses. Enfin, la troisième approche part directement de l'enfant : c'est lui qui se met en danger et signale, par son comportement, l'existence de violences conjugales au domicile familial. Les troubles manifestés étant ceux de l'enfant, c'est à lui que s'intéressera principalement l'action.
La protection physique de l'enfant - et de sa mère - est bien sûr primordiale. Mais il ne faut pas confondre la cessation de la violence avec la cessation de la souffrance de l'enfant, explique Karen Sadlier, psychologue et directrice du département enfant/adolescent de l'Institut de victimologie de Paris. Pour venir en aide aux enfants et à leurs mères séparées de conjoints violents, elle organise, depuis fin 2008, des groupes d'expression à visée thérapeutique. Ces derniers sont conduits dans le cadre d'une recherche-action-formation prévue pour durer trois ans, qui est réalisée en partenariat avec l'Observatoire départemental des violences envers les femmes de Seine-Saint-Denis, les centres d'hébergement et de réinsertion sociale SOS femmes de Seine-Saint-Denis et Le Relais de Sénart (Seine-et-Marne), ainsi que trois structures belges du même type.
S'échelonnant sur six séances, ces groupes de parole sont menés en parallèle : les mères d'un côté, les enfants de l'autre, répartis selon leur âge, 3-6 ans ou 7-10 ans. « En ce qui concerne les mères, notre objectif est de les soutenir en tant que mono-parents et de favoriser la communication avec leurs enfants : si elles peuvent parler avec eux de ce qu'elles ont vécu, les enfants auront plus de facilité pour exprimer leurs émotions », explique la psychologue. Il s'agit aussi d'aider les mères à reconnaître et à gérer les réactions émotionnelles de leurs enfants face à la violence et à ses implications, et de les conduire à identifier et activer autour d'elles de possibles soutiens (logistique, émotionnel, sur le plan de leurs responsabilités parentales).
Si agir auprès des mères, c'est déjà aider les enfants (7), un travail spécifique auprès d'eux n'en est pas moins nécessaire. Victimes à part entière des violences au sein du couple, les enfants doivent être pris en charge au même titre que les conjointes, souligne la clinicienne. Cette prise en charge leur est proposée par Karen Sadlier au moyen d'outils simples, pouvant aussi bien être mis en oeuvre par des travailleurs sociaux que par des psychiatres ou psychologues (8). Au fil des rencontres, les enfant sont conduits à identifier, exprimer ou contenir leurs émotions (peur, colère, tristesse, bonheur) par le biais de « smileys » (cartes figurant des petits visages expressifs) et de différentes activités - par exemple, fabriquer un volcan de colère en mettant des bonbons « mentos » dans du Coca-Cola ou calmer sa peur en modulant sa respiration pour souffler des bulles de savon. « On apprend aussi aux enfants ce qu'est le cycle de la violence avec des boîtes de camembert transformées en horloges, et on les incite à réfléchir au secret et à l'intimité - qu'est-ce que je partage et qu'est-ce que je ne partage pas ? - pour savoir, notamment, que faire devant les questions de papa », ajoute Karen Sadlier. Enfin, il faut que l'enfant sache sur quel soutien il peut compter pour lui-même, quel est celui qu'il perçoit autour de sa mère et quel plan de sécurité mettre en oeuvre en cas de reprise de la violence (comment et où se mettre à l'abri, qui appeler à l'aide).
Distinguer les violences conjugales des conflits au sein du couple est essentiel, car les premières appellent une attention spécifique à la protection et au soutien des victimes, souligne le groupe de travail réuni en 2007 par l'Observatoire national de l'enfance en danger (ONED) et le service des droits des femmes et de l'égalité (SDEFE) pour faire un bilan des connaissances relatives à cette problématique et préconiser quelques recommandations pour l'appréhender (9). « On parlera de «violence conjugale» pour rendre compte des situations où les faits de violences (agressions physiques, sexuelles, verbales, psychologiques, économiques) sont à la fois récurrents, souvent cumulatifs, s'aggravent et s'accélèrent [...] et sont inscrits dans un rapport de force asymétrique (dominant/dominé) et figé », expliquent les experts. « On parlera de «conflit conjugal« dans les situations où deux points de vue s'opposent et où il y a réciprocité des interactions, pouvant aller dans les cas les plus extrêmes jusqu'au recours à des actes de violence physique. »
Impératif absolu, la protection de l'enfant se heurte à une obligation susceptible de la mettre en péril : celle du maintien des liens entre les enfants et leur parent violent - le père essentiellement. Comment cette tension entre des exigences contradictoires est-elle concrètement appréhendée ? Pour le savoir, les sociologues Benoit Bastard et Claudine Philippe ont analysé les pratiques de six institutions : deux CHRS (centres d'hébergement et de réinsertion sociale) accueillant des femmes et des enfants victimes de violences conjugales, deux espaces de rencontre pour le maintien des relations parents-enfants et deux lieux de visites médiatisées.
Pour les CHRS, la question de la place du père, récurrente, reçoit des réponses différentes dans chacune des deux structures. Dans un cas, on laisse les pères entrer autant qu'ils le demandent dans la crèche où sont les enfants pendant la journée. « Tout se passe comme si la protection offerte par l'institution permettait de mettre la violence entre parenthèses », commentent les chercheurs. Dans l'autre CHRS, la question du père est uniquement vue sous un angle légal - faire en sorte que la mère ne se mette pas en défaut vis-à-vis de lui -, mais la sécurité de celle-ci prime sur toute autre considération.
Les espaces de rencontre, qui reçoivent l'enfant et le parent non hébergeant dans des situations adressées par le juge aux affaires familiales, opèrent aussi de différentes manières : l'un d'eux s'inscrit dans le courant de la médiation, l'autre est beaucoup plus explicitement préoccupé par la question de la violence masculine.
Enfin, dans les lieux de visites médiatisées qui, en lien avec les juges des enfants et l'aide sociale à l'enfance, organisent les rencontres d'enfants placés avec leurs parents, le travail vise à permettre à l'enfant de se sentir quand même l'enfant de ses parents, en dépit de toutes les difficultés de ces derniers.
A l'exception du deuxième CHRS, l'action des intervenants est généralement guidée par l'idée selon laquelle il vaut mieux que les enfants se confrontent à leur père dans des conditions de sécurité, plutôt que de le diaboliser ou l'idéaliser, expliquent les chercheurs. « Le maintien des contacts avec le parent visiteur apparaît comme un élément favorable au développement de l'enfant, voire comme un impératif qui s'impose même si le parent en question s'est montré violent vis-à-vis de l'autre », précisent-ils.
En comparant les pratiques mises en oeuvre dans les espaces de rencontre et les lieux de visites médiatisées, Benoit Bastard et Claudine Philippe font apparaître une différence d'« horizon » entre ces deux types de dispositifs. « Les espaces de rencontre espèrent que se crée, entre l'enfant et son parent, une relation de proximité qui a pu ne pas exister, notamment s'il y a eu violence. Il s'agit de proposer de nouvelles conditions de relation en vue de permettre au lien de devenir effectif et de se poursuivre sans le soutien du lieu d'accueil. » En revanche, les services de visites médiatisées ont conscience que les parents ne pourront sans doute pas se passer de la structure. « On se propose seulement, selon les dires des intervenants, de faire en sorte que l'enfant puisse «bénéficier de la part de parentalité non abîmée chez son parent«. »
Confrontées à des enfants qui ont été spectateurs de violences entre leurs parents, les institutions étudiées développent différentes façons d'appréhender leur situation. Autrement dit, la spécificité de celle-ci n'est pas ignorée. Cependant, elle n'est pas prise en compte en tant que telle, seulement « d'une manière incidente : ce n'est jamais l'objet principal du travail ».
Faudrait-il, pour autant, faire de l'exposition aux violences conjugales une nouvelle catégorie de l'intervention publique ? Benoit Bastard et Claudine Philippe ne le pensent pas. Selon eux, il est indispensable d'intensifier la lutte contre les violences conjugales, d'élargir le regard porté sur l'enfant dans les centres d'accueil des femmes et de renforcer la formation et la coordination de tous les professionnels concernés. Mais, « attention à ne pas faire de cette question un point nouveau d'entrée dans le contrôle des familles ».
Au CHRS SOS femmes Dordogne à Périgueux (10), la détresse des enfants qui ont vécu dans un contexte de violences conjugales n'est pas une découverte récente. Cela fait 17 ans, c'est-à-dire depuis l'ouverture de l'établissement, que ces derniers font l'objet d'une attention particulière. Très novateur - et encore très peu fréquent (11) -, ce travail auprès des enfants est fondé sur un constat simple : « Nous accueillons beaucoup plus d'enfants que de mamans et ces enfants sont en grandes difficultés », résume Eliane Isnard, fondatrice et directrice du CHRS. « Il nous est arrivé de recevoir des femmes après qu'une mesure de protection a été prise pour leurs enfants, car ces mères n'étaient pas jugées suffisamment protectrices », explique Véronique Jalicot, psychologue à temps plein dans la structure. « De tels placements - dont les pères agitent d'ailleurs souvent la menace pour que leur épouse ne parte pas - constituent une si grande violence pour les mères que, sauf lorsque cette décision s'avère incontournable, nous demandons aux travailleurs sociaux d'amener les intéressées avec leurs enfants : ici, nous travaillons avec les seconds comme avec les premières », précise la psychologue. Un partenariat important a, par ailleurs, été développé avec les centres de PMI du secteur, ainsi qu'avec des centres de soins plus spécialisés vers lesquels, avec l'accord de leur mère, les enfants peuvent être dirigés en fonction de leurs besoins (centre d'action médico-sociale précoce, centre médico-psycho-pédagogique, etc.).
De jour comme de nuit, l'enfant qui arrive au CHRS de Périgueux est reçu avec sa mère par l'éducatrice de permanence. Outre un cadeau de bienvenue, il se voit donner des explications sur le lieu où il arrive et les raisons de sa venue. Support à la parole, le livret d'accueil, qui lui est remis, précise que tous les enfants et les mères vivant au centre s'y sont rendus pour les mêmes raisons que lui - et que les pères n'y viennent pas, car ce n'est pas chez eux. Ce premier contact est destiné à rassurer le nouvel arrivant qui se sent souvent responsable du départ du foyer, explique Véronique Jalicot. Peu de temps après, l'enfant sera accueilli, seul ou avec sa fratrie, dans un pavillon spécialement dédié aux enfants. C'est là que des activités par petits groupes, réunis selon les âges et les affinités, sont proposées aux jeunes résidents par Annabelle Durand, éducatrice spécialisée affectée à cet accompagnement spécifique. Dans ces ateliers créatifs, l'enfant peut dire sa souffrance et sa colère, son amertume, ses craintes, sa culpabilité. Il lui est également possible de parler de son père et de bénéficier d'informations claires sur l'organisation de sa nouvelle vie. « Cet espace d'expression et d'écoute permet aux enfants de s'ouvrir de leurs difficultés, faute de quoi c'est avec leurs «maux» - régression, somatisation, passage à l'acte - qu'ils sont amenés à parler », commente Annabelle Durand.
En binôme avec une sage-femme, l'éducatrice organise aussi des petits groupes mères-enfants, qui sont surtout destinés aux mamans d'enfants de moins de 3 ans - s'agissant des plus grands, le soutien à la parentalité se fait plutôt sur un mode individuel. En plus d'assurer leur survie, les femmes victimes doivent composer avec les difficultés qu'expriment leurs enfants. Mais ayant été très souvent dénigrées par leur conjoint, elles ne sont pas toujours psychiquement disponibles pour les intéressés. Aussi, l'objectif de cet étayage du lien mère-enfants est surtout d'aider les femmes à reconnaître leurs propres émotions et celles des tout-petits et à prendre conscience des conséquences de la violence sur elles-mêmes et sur leurs enfants pour entrer en relation avec eux. Egalement présente dans ces groupes, une sophrologue conduit les mères à se recentrer sur elles-mêmes et à se détendre. « C'est un réel moment de bien-être pour les mamans et les enfants », souligne Annabelle Durand. A la demande de l'aide sociale à l'enfance, des femmes et des enfants confrontés à une problématique de violences conjugales, mais extérieurs au CHRS, sont régulièrement intégrés à ces groupes mères-enfants ou, pour les enfants plus grands, aux ateliers d'expression animés par Annabelle Durand. Les groupes de parole organisés par Véronique Jalicot pour les femmes sont également ouverts à de non-résidentes. De leur côté, depuis fin 2008, des auteurs de violences conjugales peuvent aussi être adressés au CHRS par la justice dans le cadre d'une peine alternative. Les hommes dirigés vers ce service « Halte violences » - quasiment jamais les compagnons de femmes connues du CHRS - participent à un groupe de responsabilisation conduit par deux psychologues. Celui-ci se réunit deux heures le samedi pendant sept semaines. Inutile de dire que ce travail avec les auteurs ne fait pas l'impasse sur leur rôle de père et les effets de la violence sur des enfants.
(1) Voir le dossier « Les violences conjugales » - Empan n° 73, mars 2009 - Ed. érès - 16 .
(2) Voir « Etat des lieux des recherches sur les enfants exposés à la violence conjugale » par Nathalie Savard et Chantal Zaouche-Gaudron in Neuropsychiatrie de l'enfance et de l'adolescence (2009)
(3) Le taux de concomitance moyen des violences conjugales et des mauvais traitements directs aux enfants se situerait entre 30 et 60 %.
(4) Lors d'une journée d'étude à Paris, le 4 décembre 2009, sur l'enfant face à la violence du couple - ONED : BP 30302 - 75823 Paris cedex 17 - Tél. 01 58 14 22 50.
(5) Cette catégorie « conflits de couple/violences conjugales » n'existe plus : c'est l'une des variables cliniques ayant été supprimées des données à transmettre à l'ONED, à la demande des associations de professionnels qui la jugeaient dangereuse pour le droit des personnes - Voir ASH n° 2614 du 19-06-09, p. 23 et n° 2643 du 22-01-10, p. 22.
(6) Ces entretiens ont été réalisés avec des travailleurs sociaux du conseil général, des magistrats et avocats, des cadres de santé hospitaliers, des gendarmes et policiers ainsi que des accueillant(e)s, juristes et psychologues d'associations d'aide aux femmes en difficulté et de centres d'hébergement.
(7) Voir « Aider les enfants exposés à la violence conjugale : une action diversifiée », contribution d'Andrée Fortin au n° 59/2008 de L'observatoire -
(8) Des formations comportant une présentation de ces outils sont proposées par Karen Sadlier dans le cadre de la Fondation pour l'enfance - Institut de victimologie : 131, rue de Saussure - 75017 Paris - Tél. 01 42 27 57 98.
(9) Ce rapport sur Les enfants exposés aux violences au sein du couple est téléchargeable sur
(10) CHRS SOS Femmes Dordogne : 120, boulevard du Petit-Change - 24000 Périgueux - Tél. 05 53 35 03 03.
(11) L'ONED a entrepris de recenser les structures d'accueil des femmes victimes de violences qui organisent une prise en charge des enfants dans le cadre de l'hébergement. L'observatoire s'emploie également à répertorier les outils pouvant être mis à la disposition des professionnels.