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L'alliance des pairs et des professionnels

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Longtemps critiquées, les communautés thérapeutiques se développent, dans un cadre balisé, pour aider les usagers de substances psychoactives à sortir de la dépendance. Abstinence, suivi global sur la durée, stratégies comportementales... sont au coeur du projet de soin, qui a le groupe pour pivot. Quant aux équipes, elles doivent s'effacer au profit des pairs.

Gaëtan a passé 22 mois dans la communauté thérapeutique du Mas Saint-Gilles (Gard). A 39 ans, il s'apprête à en sortir. « Je vis dans le malaise depuis l'âge de 7 ans ; à 14, j'ai débuté la came. Ici, j'ai voulu mettre fin à 30 ans de fuite... » A Barsac (Gironde), Cédric est un nouveau résident de la communauté du Fleuve : « Polytoxicomane, j'ai dix ans de crack derrière moi. J'ai failli mourir dans la rue. Je viens me reconstruire physiquement et psychiquement, me projeter dans une autre vie. » Même espoir pour Julien, qui s'est mis à boire à 12 ans. Gaëtan, Cédric ou Julien ont choisi, comme d'autres, d'intégrer une communauté thérapeutique pour rompre durablement avec leurs addictions. Ce qui les engage à accepter une discipline exigeante et à s'investir activement durant un à deux ans. Dans ce type de structure, l'abstinence est, en effet, un impératif et le règlement strict. Les stratégies comportementales, la dynamique collective et l'approche communautaire sont les ressorts. « Le groupe est un outil de travail, un espace de confrontation et d'échange », résume Nicolas Spiegel, directeur du Mas Saint-Gilles.

Alors qu'à l'étranger, des communautés thérapeutiques existent depuis longtemps, en France, ce n'est qu'en 2005, après le premier appel à projets de la mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (MILDT), alors présidée par Didier Jayle, que ce modèle tente une percée (1). Jusque-là, seuls SOS-DI avec les communautés thérapeutiques du Mas Saint-Gilles et du Val-d'Adour, et le Sato-Picardie avec celle de Flambermont, avaient osé l'aventure. C'était au milieu des années 1990, à l'heure où l'Hexagone découvrait, enfin, les traitements de substitution et la réduction des risques et où le sevrage n'était plus la priorité. A l'heure aussi où le souvenir des dérives du Patriarche, qui avait créé l'unique communauté thérapeutique française en 1974, hantait les intervenants en toxicomanie.

Depuis, ceux-ci ont fait du chemin et c'est avec leur implication que la MILDT a établi un cahier des charges (2) pour encadrer de nouvelles structures en veillant à « prévenir les dérives autoritaires, le prosélytisme religieux ou sectaire et l'exploitation économique ». Etablissements médico-sociaux expérimentaux durant trois ans, ces lieux de vie communautaires, dont deux ont ouvert en 2007, ont vocation, après évaluation (voir encadré, page 25), à devenir des centres de soins, d'accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA) avec hébergement. D'ici à 2012, une dizaine de structures de 30 à 35 places devraient émailler le territoire, en comptant les pionnières agréées CSAPA.

Les anciennes comme les nouvelles communautés fonctionnent sur un modèle voisin. En premier lieu, toutes acceptent des personnes sous substitution. Ce point, qui, pour les plus récentes, ne faisait pas l'unanimité à l'origine, a abouti à l'adoption d'une position intermédiaire. « Les patients doivent avoir pour projet thérapeutique d'interrompre tous les produits ainsi que les traitements de substitution. Mais il a été admis que la prise de ces derniers ne soit pas un motif de refus d'admission et que l'arrêt soit intégré au projet », explique Ruth Gozlan, coordinatrice du pôle santé et recherche à la MILDT. Du côté des communautés thérapeutiques datant de 1994-1995, le débat a fait long feu. « La substitution fait partie du travail de soin et on prend le temps qu'il faut. Pour autant, notre but n'est pas de stabiliser un traitement, mais d'autoriser des gens à vivre une autre expérience dans un lieu protégé », précise Nicolas Spiegel. Sortir de la substitution se révèle en outre souvent difficile. « Nous recevons de plus en plus de gens que celle-ci a aidés et qui veulent aller plus loin », confirme Jean-Pierre Demange, directeur général du Sato-Picardie.

Second point, le projet des communautés repose sur un parcours évolutif en trois phases, parfois sous-divisées : accueil et intégration ; maturation ; préparation à la sortie et insertion. D'entrée de jeu, médicaments, argent, portables sont déposés et, au début, sortir seul est impossible. La progression du résident (tâches quotidiennes, gestion de la frustration, confiance en soi, comportement avec les autres...) est finement observée et le changement de phase s'effectue sur critères. A la communauté de Flambermont par exemple, pour être admis en phase 2, il faut « réaliser une courbe de ses consommations en lien avec sa vie, passer un week-end abstinent à l'extérieur, tests à l'appui, intégrer les règles de la maison, postuler et présenter en réunion ses objectifs », détaille Pascale Crosnier, chef de service éducatif. Peu à peu, l'usager est appelé à s'impliquer davantage : on lui confie des responsabilités, y compris vis-à-vis des autres. Les anciens vont ainsi accueillir et soutenir les nouveaux. Leur expérience est mise à profit. « L'autonomisation recherchée en termes d'abstinence, de relations sociales... se double d'avantages comme d'exigences car les anciens servent d'exemples », analyse Xavier Soulan, psychologue à la communauté du Fleuve. Une hiérarchie est instaurée. Ainsi, à Barsac, un résident de phase 2-1 gère le groupe 1 ; et un coordinateur élu, en phase 2-2, chapeaute l'ensemble. Par ailleurs, la vie est rythmée par un planning serré de tâches (élevage, entretien des lieux, travaux domestiques...), d'ateliers d'expression, d'activités liées au corps. A géométrie variable, animées par les éducateurs ou les résidents, des réunions servent à organiser le quotidien ou les loisirs, à réguler le collectif, à inciter les uns à s'exprimer, les autres à écouter ou à prodiguer des conseils... Sont aussi mis sur pied divers groupes de parole ou d'affirmation de soi.

Les professionnels en seconde ligne

Pour les professionnels, gérer le collectif peut être complexe. « Travailler dans ce type de structure, c'est d'abord être à l'aise avec un groupe, pouvoir tenir un cadre tout en maintenant un lieu de parole. C'est délicat car on est face à des adultes au vécu compliqué », témoigne Agnès Guizzardi, éducatrice spécialisée au Mas Saint-Gilles. Le risque est « d'être trop prégnant et dans le paternalisme », pointe son collègue Marcel Bienvenu. Régler les crises est aussi une difficulté. « Les conflits sont mis sur la table. On dit au résident : «Tu me dis ça sur Untel, mieux vaudrait le lui dire», et on prépare cela. Cela modifie les rapports, responsabilise les individus et ôte de la perversion à la structure », analyse Jean-Pierre Demange. Il faut, de plus, savoir s'appuyer sur le groupe. Laisser les résidents trouver les solutions est l'objectif. « Nous n'intervenons pas en première ligne », souligne Xavier Soulan. Ainsi, à Barsac, où un usager avait introduit des produits, le groupe s'est d'abord mobilisé pour l'aider à sortir de cette voie ; ce n'est que devant la répétition du problème et le risque engendré pour d'autres que le chef de groupe a parlé à l'équipe. En outre, malgré la centralité du groupe, l'individu ne doit pas être nié. « Il s'agit de faire vivre une individualité dans un contexte communautaire, pas de l'y noyer », insiste le psychologue. « C'est parce que l'accompagnement est individualisé que la personne se reconstruit », complète Nicolas Spiegel. Des bilans réguliers sont donc faits avec chacun. Une équipe pluridisciplinaire médico-psycho-sociale et un travail en réseau permettent de couvrir l'ensemble des besoins individuels. Cela suppose toutefois de veiller à la cohésion globale. « Si on crée du flou, on provoque de l'angoisse et de l'insécurité et ça se concrétise par des départs », constate Mounir Smaïl, directeur psychopédagogique à Barsac.

Lorsqu'un projet émerge, que la confiance s'établit, vient la phase d'insertion. Les résidents gagnent en autonomie, le règlement s'assouplit. Ils vivent en général dans des lieux à part (parfois, à l'extérieur), ont leurs activités, apprennent à gérer un quotidien... Eviter la dépendance vis-à-vis de la structure est primordial. « On travaille le détachement progressif », insiste Nicolas Spiegel. « On rappelle qu'ils auront à retrouver une place dans la société. Cet espace de «cocooning» ne doit pas devenir un enfermement, poursuit Marcel Bienvenu. Le cahier des charges de la MILDT demande d'ailleurs de prévoir « un travail thérapeutique sur le lien familial ». A Barsac, la volonté de faire de la famille un partenaire privilégié est affichée. Lorsqu'elle existe, celle-ci doit en effet évoluer avec la personne. « On l'aide à changer son regard sur son proche, à reconstruire la confiance », explique Mounir Smaïl. Et quand les liens sont rompus, l'équipe tente de les recréer avec le résident.

Sortir signifie aussi s'insérer au plan professionnel, trouver un logement... Souvent là, le bât blesse. Certains, à 40 ans, n'ont jamais eu d'emploi, d'autres cumulent les handicaps et les structures adaptées ne sont pas légion. « Le volet insertion reste à creuser. Nous avons désormais des gens ayant réalisé des parcours très intéressants à la communauté thérapeutique de Brantôme (3) pour qui la confrontation avec l'extérieur est compliquée. Certains sont partis puis revenus car ils n'y arrivaient pas », déplore François Hervé, directeur du pôle addictions d'Aurore. La communauté de Barsac bénéficie, quant à elle, d'un chantier d'insertion développé par son gestionnaire, le Comité d'étude et d'information sur la drogue et l'addiction. Le responsable du Sato-Picardie envisage, de son côté, de « créer une unité d'insertion par l'économique reliée à la communauté mais distincte, où les gens pourraient rester longtemps ». Enfin, certaines structures ont mis en place un accompagnement juste après la sortie.

Tous les résidents ne vont pas au bout de la démarche. « Certains partent au début, d'autres après un séjour long. On tend à penser que plus le temps passe, plus c'est facile... C'est souvent faux car les questions «est-ce que je veux vraiment changer de vie ? cesser de me défoncer ? abandonner des comportements liés à la toxicomanie ? m'investir dans une formation ? me confronter à la solitude ?» deviennent plus pressantes », observe Pascale Crosnier, pour qui il y a aussi des « miracles ». Entre les deux, les équipes recensent maints départs réussis et des parcours stabilisés sur la durée. « Ça n'a pas de sens de parler de guérison pour la dépendance. Des fragilités demeurent. Mais des gens sont entrés dans le droit commun, c'est déjà beaucoup », estime Jean-Pierre Demange. En outre, ce temps communautaire reste une étape marquante et, « en cas de rechute, ils savent mieux se ressaisir», constate Nicolas Spiegel.

Qu'est ce qui a joué ? Bien sûr, il y a l'implication de la personne et le moment de sa trajectoire, la conviction des professionnels qu'un changement est possible, ce qui est mis en oeuvre pour gérer le manque et « passer de l'espace du besoin à celui du désir », selon Marcel Bienvenu. Il y a aussi la mise à profit d'un temps plus long qu'en post-cure, autorisant à se laisser aller à être bien, d'un espace où les interpellations sont incessantes, où soin et insertion s'articulent. Mais la communauté thérapeutique, c'est aussi un lieu où on renforce une estime de soi dégradée, « où on valorise certaines pratiques, où on apprend à se respecter », explique Jean-Pierre Demange, pour qui il s'agit d'une « structure éminemment éducative ». En outre, pointe-t-il, c'est « un microcosme un peu virtuel, un lieu où on peut faire des expériences sans que ce soit dramatique. Cela peut paraître intrusif car les autres interviennent beaucoup, portent des jugements, mais on risque peu. Au contraire, si on se casse la figure, le groupe aidera. Cela permet de jouer des choses au niveau éducatif comme psychique. » C'est ainsi parce que l'expérience du groupe leur permet de se démontrer leurs compétences que « les usagers en acquièrent de nouvelles les aidant à ne pas reproduire des attitudes à l'origine du comportement addictif », résume Jean-Pierre Couteron, président de l'Association nationale des intervenants en toxicomanie et addictologie (Anitea).

Un tel fonctionnement repose sur un subtil équilibre et oblige à une révision profonde des pratiques, parce qu'il suppose la reconnaissance des savoir-faire des usagers. « On passe de communauté à communautaire. Tout le cheminement réalisé avec la réduction des risques [RdR], qui admet l'expertise des usagers, peut servir à construire une vision moderne de la communauté thérapeutique », s'enthousiasme Jean-Pierre Couteron. Reste à y parvenir. « Cette approche est très intéressante, mais les professionnels ont du mal à lâcher des fonctionnements appris à l'école, avec lesquels ils ont toujours oeuvré, reconnaît François Hervé. Ils ont l'impression de ne rien faire ou de laisser faire. »

Il s'agit en effet d'être là tout en étant en retrait par rapport au travail s'opérant entre pairs, de n'intervenir que si le groupe en a besoin. Ce positionnement sort de la démarche habituelle même groupale. Cette orientation suppose malgré tout de rester vigilant, d'autant que certains souffrent de comorbidités psychiatriques, et invite à l'humilité. « Globalement, quand on confie des décisions à un groupe avec une majorité de résidents, on s'aperçoit qu'elles ne sont ni meilleures ni pires qued'autres, il y a toujours de l'arbitraire... », remarque François Hervé. Cela suppose enfin de faire accepter aux équipes de ne pas craindre de perdre du pouvoir, car « rester dans le cercle autour du groupe, se centrer sur la sollicitation, l'observation et l'accompagnement à l'individuel, redonne une place noble au métier d'éducateur », affirme Mounir Smaïl. Pour aplanir les difficultés, un volet formation a été prévu par la MILDT. « Nous voulions faire passer l'idée d'une approche réellement communautaire. Comme c'est complexe à expliquer et à comprendre, nous avons financé une formation et des stages d'immersion », explique Ruth Gozlan. Des sessions théoriques ont été montées par l'Anitea ; et le réseau T3E (Toxicomanie Europe Echanges Etudes) a organisé des séjours en Belgique. Pour développer leur savoir-faire, les équipes ont aussi accès à un réseau international d'échanges de savoirs et de stages, ECEtt (4), créé à l'initiative de la communauté thérapeutique belge Trempoline.

La réalité de la dimension communautaire est toutefois remise en question par certains. « Dans une communauté thérapeutique pur jus, concept anglo-saxon, toute la hiérarchie doit être occupée par les pairs. Ce n'est pas le cas en France, où les intervenants médico-sociaux jouent un rôle prégnant », conteste Fabrice Olivet, directeur d'Autosupport des usagers de drogues. « Le modèle proposé ne donne pas la communauté aux usagers, admet Jean-Pierre Couteron. Elle leur en confère la responsabilité dans un lien avec les professionnels, qui ont à rendre des comptes. Il y a sans doute des évolutions à faire, mais notre souci a été d'assurer que le fonctionnement soit vraiment démocratique. » Autre point d'achoppement : le recrutement d'ex-usagers. « On est en retard sur cette question ; il faut cesser de brandir l'étendard du communautaire. Il est très compliqué en France d'être un professionnel du médico-social en arguant de son passé de toxicomane. Pourtant, l'intérêt en a été démontré », s'insurge Fabrice Olivet.

Ce modèle thérapeutique relance enfin la réflexion sur le soin résidentiel, puisque, en visant le sevrage, il évacue la logique du tout-médicament au profit d'une recherche de modification des comportements. Parce qu'il vient combler un manque criant de places, il suscite aussi certaines interrogations. Ainsi, en 2006, Michel Castagné, alors directeur de l'Association pour la recherche et l'information sur les toxicomanies (5) se demandait s'il n'y avait pas en partie « un repli par défaut vers ce type de travail parce que les places d'hébergement sont, en France, tellement rares et les moyens pour en créer tellement exceptionnels qu'il est impératif, pour se doter de moyens nouveaux, de sauter sur toute opportunité ». Quoi qu'il en soit, les communautés thérapeutiques complètent avec intérêt la palette des offres en la diversifiant et, pour les professionnels, il n'y a pas à opposer ce soin au suivi ambulatoire. « Elles ne doivent surtout pas être un instrument anti-substitution, anti-RdR. Il faut en faire une étape possible sans rien renier », insiste Jean-Pierre Couteron. Les gestionnaires disposent d'ailleurs en général, ce qui est plutôt rassurant, de dispositifs appartenant aux deux registres.

Néanmoins, des tentatives demeurent. Ainsi, en février 2009, trois députés (UMP) rendaient public un rapport qui défendait le tout-sevrage et évacuait grossièrement les avancées permises par la substitution. Estimant que « la question du sevrage doit désormais être au coeur des actions de lutte contre la toxicomanie », déplorant le « gaspillage humain et financier » lié au dispositif actuel, ils concluaient que « seul un séjour dans une communauté thérapeutique permettrait à l'usager de s'affranchir de la toxicomanie » (6). Or, rappelle l'Anitea, ces lieux de vie communautaires « n'ont d'intérêt que proposés à un public adapté et à un moment adapté du trajet de soins ». De son côté, Ruth Gozlan observe que « le parcours des usagers de drogues est compliqué. Il faut qu'ils aient accès à ce dont ils ont besoin quand ils en ont besoin. Parfois, il ne s'agit que de RdR, parfois, que de substitution, parfois que d'une démarche d'abstinence, et, pour certains, une prise en charge longue et plurielle est nécessaire. On n'impose pas, on met à disposition pour les aider à progresser. »

Diversifier les projets

Plus qu'un essor forcené des communautés thérapeutiques, les acteurs souhaitent leur diversification. « On ne doit pas s'arrêter à un modèle unique. Divers projets doivent éclore pour répondre à des profils distincts », estime Nicolas Spiegel. Ce que défend également Ruth Gozlan : « Les associations ont des projets variés, mais il serait bon que, à terme, certaines en développent de spécifiques : par exemple, il existe à l'étranger des communautés accueillant les «doubles diagnostics», qui cumulent addictions et problèmes psychiatriques lourds ; d'autres ne reçoivent que des personnes sous main de justice... La question des mineurs aussi est à travailler. » D'ores et déjà, à Barsac et à Brantôme, des unités d'accueil mère-enfant sont en route. Par ailleurs, Aurore, qui doit ouvrir une communauté en 2010 à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), innovera en l'implantant en milieu très urbain. « Elle aura l'inconvénient de se situer à proximité des lieux de consommation, mais l'avantage d'être proche de ceux d'insertion. Le projet évoluera avec les publics rencontrés mais il sera très axé sur ce volet avec la présence de conseillers spécialisés. Et si besoin, une mise au vert sera possible à Brantôme », explique François Hervé. Ces lieux de vie communautaires s'adresseront-ils un jour aux joueurs addictifs, comme le prévoient des programmes canadiens ?

UN DÉVELOPPEMENT SOUS CONTRÔLE

La mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (MILDT) a confié à l'Office français des drogues et des toxicomanies (OFDT) l'évaluation des quatre communautés thérapeutiques autorisées en 2007. Toutefois, deux d'entre elles n'ayant pu ouvrir à temps, la recherche, qui a débuté en avril 2008, se limite à Brantôme et Barsac. « L'évaluation doit durer 24 mois. Les résultats devraient être connus fin 2010 », estime Cristina Diaz-Gomez, responsable du pôle « Evaluations des politiques publiques » à l'OFDT.

L'enquête, menée par l'université Victor-Segalen Bordeaux-2-CHU de Bordeaux/CH Charles-Perrens, concerne tant la mise en place des structures - ce volet implique les équipes et les représentants des pairs - que l'évolution des situations socio-sanitaires des résidents même s'ils ont quitté les lieux. « Les évaluations cliniques se font à l'entrée puis tous les six mois », précise Cristina Diaz-Gomez. Sont examinés des aspects liés à l'usage de substances, l'état physique et psychologique, la situation au regard de l'insertion, de la justice... Selon son cahier des charges, l'évaluation apportera des éclairages sur la cohérence du projet mis en place par rapport aux objectifs, la manière d'améliorer le fonctionnement des structures, l'efficacité de cette approche. Elle doit de surcroît examiner « si la prise en charge est plus efficace que celle en CSAPA ». « L'étude doit éventuellement permettre de distinguer le sous-groupe qui tire le plus avantage de cette approche et celui à qui elle profite le moins, commente Marc Auriacombe, psychiatre chargé de l'évaluation. Les gens allant en communauté thérapeutique en tire des bénéfices, il n'y a pas de doute, mais il s'agit d'un dispositif lourd et coûteux. Il faut donc savoir si un autre suivi, que ce soit en résidentiel ou en ambulatoire, serait plus adapté. » Les résultats viendront nourrir la réflexion sur l'avenir du dispositif. Toutefois, souligne Ruth Gozlan, coordinatrice du pôle santé et recherche à la MILDT, « cette évaluation a été davantage conçue pour accompagner les professionnels dès l'ouverture que comme un couperet ».

GEORGES VAN DER STRATEN
« Créer une écologie thérapeutique »

Directeur général de Trempoline, il a élaboré un réseau européen d'échanges entre intervenants en toxicomanie et a participé à la mise en place des communautés thérapeutiques en France.

On parle parfois de « vraies » et de « fausses » communautés thérapeutiques. Qu'en est-il ?

L'authenticité d'une communauté thérapeutique tient, à mon sens, à la réalité du principe d'auto-aide. Parfois, il y a bien une vie collective, une animation et des techniques de groupe, mais ce qui a trait à la dynamique de ce dernier reste entre les mains des professionnels et les résidents ont peu de responsabilités. L'équipe doit garantir un processus de groupe mais l'acteur principal pour le changement, c'est l'usager et ses semblables. Elle a pour rôle de créer les conditions de cette « écologie thérapeutique » entre patients.

Comment cela se met-il en oeuvre ?

Il faut lâcher des présupposés en termes de contrôle, se faire discret, renvoyer le résident vers ses pairs... Bien sûr, le groupe n'a pas réponse à tout et certaines décisions, comme donner ou ôter une responsabilité, relèvent des professionnels. Il faut suivre jour après jour, via le résident-coordinateur et les patients ayant des responsabilités organisationnelles, l'avancée de chacun, les réponses proposées pour résoudre les problèmes. Même si la solution envisagée n'est pas la meilleure, tant qu'il n'y a pas danger, il faut laisser faire. Les usagers ont besoin d'apprendre, de se tromper et d'en assumer les conséquences.

Qu'est-ce qui se joue là ?

N'ayant pas appris à faire avec ses émotions, le patient commettra des erreurs, en minimisant une responsabilité, en cherchant à s'en décharger sur un autre, en mentant... Cela lui reviendra à la figure. Le groupe lui dira que c'est inacceptable, lui adressera des reproches précis, l'obligera à tenir ses engagements ou à dire sa difficulté mais à ne plus dissimuler. Cette confrontation est un miroir où la personne voit l'effet de ses comportements sur les autres. C'est une éducation à la relation et à la gestion des émotions. Dans des groupes de rencontre, à Trempoline, on fait aussi ressurgir les peurs pour s'en libérer, on pratique le cri primal. Ces personnes sont dans une douleur terrible, qu'elles ne savent verbaliser. Faire cette catharsis émotionnelle sans passer par l'intellectualisation permet ensuite de mieux mettre des mots.

En France, les équipes peinent à intégrer d'anciens toxicomanes, qu'en pensez-vous ?

L'implication d'anciens nous a beaucoup apporté. Intuitivement, ils savent pousser quelqu'un dans ses retranchements. Ils osent aller là où des professionnels s'arrêtent par souci éthique. Cette confrontation produit des choses étonnantes, il faut néanmoins veiller à ce qu'elle reste respectueuse. Quand nous engageons un ex-toxicomane, nous exigeons qu'il ait quitté le centre depuis deux ans et qu'il suive, en travaillant, une formation qualifiante de trois ans.

Quels sont les résultats ?

En moyenne, sur 100 patients, un tiers quitte le groupe dans le premier mois, un autre dans les 12 mois suivants et le dernier va jusqu'en phase de réinsertion. Une étude de 1997 montrait que 68 % de ceux dépassant les 12 mois se portent toujours bien deux à cinq ans plus tard et que 16 % ont fait une rechute caractérisée. Chez ceux ayant interrompu leur suivi entre 6 et 12 mois, 21 % allaient bien deux à cinq ans après. Une analyse plus fine démontre que de profonds changements s'opèrent par rapport à leur fragilité face aux produits et, plus largement, sur le plan psychologique. De surcroît, maints résidents nous disent avoir fait des bonds spectaculaires, inenvisageables ailleurs, et n'avoir jamais travaillé aussi intensément. Ils ont acquis une maturité dans la connaissance d'eux-mêmes et avancé dans la gestion des émotions, la responsabilisation, le respect de soi et des autres.

PROPOS RECUEILLIS PAR F. R.

Notes

(1) Le plan gouvernemental de lutte contre les drogues illicites, le tabac et l'alcool 2004-2008 prévoyait la création de communautés thérapeutiques expérimentales ; le plan 2008-2011, envisage celle de trois structures, dont une dans les départements français d'Amérique.

(2) Circulaire du 24 octobre 2006 - Voir ASH n° 2483 du 8-12-06, p. 11.

(3) Voir ASH n° 2613 du 12-06-09, p. 38.

(4) www.ecett.eu.

(5) Dans « Communauté thérapeutique : quelle réponse française » - Revue Psychotropes , Vol. 12, n° 3-4 - De Boeck Université.

(6) « Politiques de sevrage en matière de toxicomanie : évaluation et propositions » - Voir ASH n° 2596 du 13-02-09, p. 11.

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