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Les relations Etat-administrés marquées par la défiance et la suspicion, selon le médiateur

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Le médiateur de la République, Jean-Paul Delevoye, dont le mandat arrive à échéance à la fin de l'année, pose un diagnostic d'une rare gravité sur la société française dans son rapport annuel.

En 2009, le médiateur de la République a été saisi de plus de 76 000 affaires (soit + 16 % par rapport à 2008), dont 33 000 demandes d'information et d'orientation (+ 7,5 %). L'institution a traité un peu plus de 43 000 réclamations et affiché un taux de médiations réussies de 93 % (contre 84 % en 2008). Son pôle santé et sécurité des soins mis en place en 2009 a, lui, reçu 2 806 appels faisant état de maltraitance de la part des personnels de santé. Tels sont les principaux chiffres à retenir du rapport annuel de 2009 du médiateur de la République, remis au chef de l'Etat le 23 février (1). Un rapport qui pourrait être le dernier du genre puisque le médiateur de la République devrait bientôt laisser sa place à un défenseur des droits, dont la création controversée doit encore être discutée au Parlement (2). Mais surtout, relève Jean-Paul Delevoye, c'est que, « finalement, notre système dans son ensemble se fragilise d'année en année. L'époque où le «vivre ensemble» se fondait sur l'existence de règles communes, sur des autorités de proximité les faisant respecter, et sur des citoyens qui les connaissaient et y adhéraient, semble révolue. » C'est pourquoi, il a déjà demandé à ses services de poursuivre leurs efforts en 2010 sur certains sujets, tels que la maltraitance des patients mais aussi les violences et incivilités des patients et de leurs proches envers les professionnels de santé ou encore l'amélioration des relations entre administrations et citoyens.

Une violence naissante dans les services de santé

Sur l'ensemble des 4 795 requêtes d'usagers du système de santé instruites en 2009, 8 % faisaient état directement d'un fait de maltraitance « ordinaire » (prise en compte insuffisante de la douleur, isolement des patients...). Un constat partagé par la Haute Autorité de santé qui a récemment rendu une étude à ce sujet (3). Au-delà, le médiateur relève un « accroissement des demandes d'information concernant l'accès au droit des usagers et, plus généralement, une exigence plus grande de transparence ». Par ailleurs, le problème des « délais de prise en charge trop longs dans les services d'urgence hospitaliers » revient sans cesse. Des services « sous pression permanente », reconnaît Jean-Paul Delevoye, mais qui ne sont pas toujours sollicités à bon escient. Ce qui soulève non seulement la question de l'organisation de l'hôpital - censée être réglée par la loi « HPST » du 21 juillet 2009 (4) - mais aussi celle, en amont, des difficultés de régulation par le SAMU. Autre grande tendance : « la judiciarisation croissante des conflits ».

Seul point positif : une baisse des réclamations portant sur les difficultés d'accès au dossier médical par l'usager. Alors que le délai moyen de communication allait de un à neuf mois, il est aujourd'hui de un mois.

Une méfiance accrue entre les administrations et les citoyens

Par ailleurs, le fossé se creuse entre l'Etat et les citoyens, notamment du fait de l'empilement et de la complexité croissante des lois, et de la difficulté rencontrée par les fonctionnaires pour les expliquer. Un peu plus de 50 % des demandes traitées concernaient des besoins d'éclaircissement. Selon le médiateur, l'usager fait bien souvent face à une « absence de réponse à ses demandes ou à des explications insuffisantes, voire contradictoires ». Une situation qui peut, entre autres, s'expliquer par le fait que « les lois [sont] mal appliquées faute d'instructions claires, longues à obtenir ». Autre point de blocage : « le cloisonnement volontaire dans leur domaine des différents acteurs et de leurs représentants ».

Pour Jean-Paul Delevoye, les choses vont même empirer. « Des problèmes d'envergure risquent de se poser avec la mise en oeuvre de la révision générale des politiques publiques dans les départements » (5), problèmes qui ne seront pas « sans conséquence pour les usagers ». En effet, explique-t-il, « même si cette réforme est réalisée pour gagner en efficacité et offrir un meilleur service, dans un premier temps les habitudes seront profondément bouleversées, avec de probables dysfonctionnements ». Des modifications qui, craint-il, n'ont « pas été suffisamment accompagnées d'informations et d'explications pour le public ».

Autre constat de l'ancien ministre de la Fonction publique, les liens entre l'administration et les citoyens sont désormais marqués par la « défiance et la suspicion ». Ainsi, par exemple, sous couvert de lutte contre la fraude, l'administration tend exagérément à être prudente dans la délivrance des documents d'identité aux Français nés à l'étranger ou dont l'un des parents est né à l'étranger (6).

Pour pacifier les relations et apaiser les tensions, il propose donc, fort de son expérience, de développer « la médiation pour faire prévaloir l'écoute et le dialogue ». Si elle ne permet pas toujours de trouver une solution au problème soulevé, « elle n'en parvient pas moins à remettre les difficultés de l'administration au centre des préoccupations de chaque administration, ce qui est déjà une victoire en soi ». Tel est le cas notamment en matière de santé ou dans les établissements pénitentiaires où la présence de ses délégués a été généralisé en 2010 (7). Sa connaissance des problèmes récurrents dans les prisons lui a d'ailleurs permis de contribuer à la rédaction de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 (8), notamment d'y faire inscrire la généralisation des points d'accès au droit. Autre objectif de Jean-Paul Delevoye : renforcer les partenariats au bénéfice de l'administré. Ce qui a été le cas en 2009 avec, entre autres, Pôle emploi et les régimes complémentaires de retraite AGIRC (cadres) et ARRCO (salariés). Plus généralement, depuis 2008, le médiateur de la République ne cesse de demander le renforcement, dans tous les services publics, de la fonction d'accueil et d'information, notamment des populations précaires et fragilisées, écartées de la technologie.

En 2010, l'institution entend aussi suivre les propositions de réformes qu'elle a soumises et qui sont restées sans réponse. C'est le cas par exemple du refus d'octroi des allocations familiales aux parents en situation régulière d'enfants étrangers entrés sur le territoire français en dehors de la procédure de regroupement familial. Elle souhaite également suggérer des améliorations à la loi du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs (9), notamment sur le financement de la prise en charge des majeurs protégés, le contrôle des comptes de tutelle et les modalités de l'inventaire du patrimoine, la situation des mandataires judiciaires bénévoles... Le médiateur de la République entend également être présent lors du rendez-vous 2010 sur les retraites, qui doit déboucher sur un projet de loi en septembre prochain (10).

Notes

(1) Rapport disponible sur www.mediateur-republique.fr.

(2) Voir respectivement ASH n° 2624 du 18-09-09, p. 5 et n° 2646 du 12-02-10, p. 15.

(3) Voir ASH n° 2645 du 5-02-10, p. 12.

(4) Voir entre autres ASH n° 2629 du 23-10-09, p. 47 et n° 2634 du 27-11-09, p. 45.

(5) Sur le troisième bilan d'étape de sa mise en oeuvre, voir ci-contre.

(6) La garde des Sceaux a assuré le 18 février que les services du ministre de l'Intérieur avait déjà donné des consignes d'assouplissement pour ces démarches. D'ailleurs, a-t-elle précisé, un projet de décret en ce sens devrait être soumis pour avis au Conseil d'Etat.

(7) Selon le rapport, au 1er janvier 2010, près de 59 000 détenus (soit 94 % de la population carcérale), répartis sur 164 sites pénitentiaires bénéficiaient d'un accès direct à un délégué du médiateur de la République.

(8) Voir en dernier lieu ASH n° 2635 du 4-12-09, p. 17 et n° 2636 du 11-12-09, p. 16 et 41.

(9) Voir ASH n° 2499 du 23-03-7, p. 19.

(10) Voir ASH n° 2647 du 19-02-10, p. 7.

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