« Il est rare que l'on interroge le secteur de l'éducation spécialisée sur sa propre capacité à faire une place à la question du handicap dans l'organisation de son travail. Cela peut paraître paradoxal, mais l'article donne à ce sujet des éléments d'explication assez probants, notamment les «réserves» et les difficultés spécifiques d'un ensemble de professionnels à penser la question du handicap autrement que du point de vue des «usagers».
C'est justement ce changement de regard en cours que vient interroger la recherche actuellement menée par l'EFPP concernant les parcours professionnels des éducateurs sourds formés par cette école depuis 30 ans (4). Cette action de recherche est en elle-même l'occasion de briser un premier silence : comment se fait-il qu'un mouvement aussi important de formation d'éducateurs porteurs de handicap soit encore si peu connu et n'ait pas donné lieu à une multiplication d'initiatives et à une ouverture des formations du social vers d'autres handicaps, d'autres métiers, d'autres niveaux ?
Cette recherche est aujourd'hui largement avancée. Grâce à des financements de l'Uriopss lle-de-France, mais aussi privés, notre équipe a réalisé trois séries d'enquêtes et mène aujourd'hui une série d'entretiens auprès de ces professionnels ; elle aboutira, au mois de septembre 2010, à l'occasion d'une journée d'étude, à la remise d'un rapport, qui intégrera des recommandations.
Comme on pouvait sans doute s'y attendre, ses premiers enseignements bousculent les représentations spontanées : les éducateurs sourds, par exemple, semblent trouver plutôt facilement un premier emploi, et pas toujours dans le secteur de la surdité. De même, bon nombre d'établissements non seulement affirment ne pas rencontrer de difficultés particulières à travailler avec ces professionnels, mais au contraire insistent sur l'intérêt et la richesse que cela apporte à la dynamique de leur équipe. Par ailleurs, la complexification des problématiques des publics conduit certains de ces professionnels à évoluer dans leurs pratiques et à investir de nouveaux champs, auxquels ils ne se destinaient pas forcément. D'autres, encore, s'aventurent volontairement dans des secteurs où on les attendait moins (prévention...). Le travail «avec le handicap» n'est donc pas un travail «handicapé» en ce sens que les limites, les frontières et les représentations de ce qui serait difficile, voire impossible, reculent.
Il reste bien entendu des zones d'ombre, et certains témoignent de difficultés concernant non pas le handicap en soi ou son éventuel rejet, mais les dysfonctionnements dans la vie pratique et quotidienne des établissements : il s'agit, par exemple, des conditions d'accès aux informations, des modalités de concertation et de prise de décision. Le travail «avec le handicap» révèle au passage des difficultés et des dysfonctionnements qui concernent dans les faits tous les professionnels.
L'évolution des législations et réglementations supranationales comme nationales ainsi que l'évolution des mentalités préfigurent d'importantes transformations dans la façon d'aborder le handicap dans l'organisation même du travail social et de l'éducation spécialisée. La recherche actuelle montre qu'il ne doit pas être appréhendé comme une source de contraintes, mais comme une richesse, non pas comme une incapacité localisée dans un individu, mais comme un révélateur de nos propres limites collectives. »
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(4) Cette recherche est - sous l'égide d'un comité de pilotage composé de spécialistes et de professionnels (dont certains sont sourds) - menée pour l'EFPP par Laurent Ott et Alain Bonnami ; Stéphane Rullac est chercheur associé au titre du Centre d'études et de recherches appliquées (CERA).