Un sentiment de confusion règne sur l'organisation des futurs « états généraux de l'enfance » qui, annoncés le 20 novembre dernier par le chef de l'Etat, viennent d'être lancés par la secrétaire d'Etat à la famille, Nadine Morano (voir ce numéro, page 5). Ce rendez-vous connu tardivement - précipitamment même, selon nombre d'acteurs, qui s'attendaient à davantage de concertation - a ajouté à la méfiance suscitée par l'un des objectifs fixés à l'automne par Nicolas Sarkozy : améliorer la transmission de l'information préoccupante « pour éviter que le nomadisme de certaines familles ne leur permette d'échapper au contrôle et à la surveillance des services sociaux ». Une orientation qui avait suscité un tollé des professionnels de l'action sociale, inquiets du rôle que le gouvernement chercherait à leur attribuer. Le soutien dans les fonctions parentales, l'accompagnement et l'aide aux familles ne sont pas conciliables avec une logique de surveillance, ont-ils fait valoir (1). Pourtant, cet objectif a été réaffirmé par la secrétaire d'Etat à la famille.
Dans ce contexte, l'Association nationale des assistants de service social, l'Organisation nationale des éducateurs spécialisés et le Syndicat national des médecins de PMI ont décidé de boycotter la démarche. « Il est à craindre que ces états généraux se placent bien sous l'égide de cette injonction faite à ces professionnels, faisant écho à des orientations générales qui ne sont pas favorables à la cause des enfants », écrivent-ils dans un courrier adressé le 10 février à Nadine Morano. Ils indiquent cependant être prêts à échanger, « dans un autre cadre, sur le rôle et la place du travail des professionnels de l'action sociale, de la santé et de l'enfance dans la protection de l'enfance et le soutien à la parentalité ». Le mouvement MP4-Champ social, lui, promeut l'idée d'organiser des « contre-états généraux », notamment avec le mouvement « Pas de zéro de conduite ».
La circonspection est également de mise parmi ceux qui n'ont pas opté pour la politique de la chaise vide. La méthode, tout d'abord, est critiquée, les thèmes des ateliers qui devront se réunir durant les prochaines semaines n'ayant pas fait l'objet de discussion avec les acteurs concernés. « L'Assemblée des départements de France a pris acte de l'invitation à participer, mais, contrairement aux engagements de Nadine Morano en janvier dernier, nous n'avons pas été associés en amont à la définition des thèmes abordés ou à la composition des ateliers », pointe Jean-Pierre Hardy, chef du service des politiques sociales de l'ADF (Assemblée des départements de France). Le calendrier s'annonce de surcroît très serré, entre début mars et fin avril, alors que les participants ne connaissent pas encore les modalités de leur participation aux ateliers.
Sur le fond, certains axes de travail, qui font plutôt écho à la loi sur la prévention de la délinquance, renforcent les inquiétudes. « Le gouvernement impose sa conception d'un service social rétrograde et normatif [...] contraire aux valeurs du travail social et à la déontologie des professionnels », proteste le Syndicat national unitaire des assistants sociaux de la fonction publique-FSU. Ainsi, l'atelier sur l'amélioration de la transmission d'informations relatives aux enfants en danger ou en risque de l'être visera à « garantir la collaboration entre communes et départements afin d'en finir avec un nomadisme de certaines familles ». Et celui sur le travail social, à permettre aux professionnels de « dégager du temps pour être concrètement dans les familles et non pas seulement dans leur bureau ». Des formulations pour le moins tendancieuses. « Si la qualité des présidents d'ateliers n'est pas en cause, on peut s'interroger sur la finalité du travail engagé, commente Fabienne Quiriau, directrice générale adjointe de la Convention nationale des associations de protection de l'enfant (ex-Unasea). J'ai peur qu'au lieu de chercher à renforcer l'application de la loi de réforme de la protection de l'enfance du 5 mars 2007, on en pervertisse l'esprit. » Aussi se félicite-t-elle qu'au moins Jacques Hintzy, président de l'Unicef-France, ait, lors de la matinée de lancement, réaffirmé l'importance de cette loi comme «base essentielle pour appuyer une politique de l'enfance» et ait appelé à une ambition globale fondée sur la Convention internationale des droits de l'enfant.
Malgré ces interrogations, « nous y allons en espérant faire avancer les choses, se rassure Fabienne Quiriau. Si les participants ont les marges de manoeuvre nécessaires, cela peut être l'occasion d'avancer dans l'application de la réforme de 2007. » Le Comité national de liaison des associations de prévention spécialisée a fait savoir qu'il « participera activement » aux « états généraux ». L'Uniopss (Union nationale interfédérale des oeuvres et organismes privés sanitaires et sociaux), qui regrette tout autant « des confusions et des amalgames », a demandé à participer aux ateliers sur la parentalité et sur la transmission des informations préoccupantes. « Les enjeux sont très importants, précise Karine Métayer, conseillère technique. Nous sommes vigilants, mais voulons être constructifs. »