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Les mineurs étrangers isolés au coeur des impasses des politiques publiques

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La fermeture des campements de migrants clandestins à Calais a mis en lumière l'existence d'un nombre important de mineurs étrangers isolés. Alors que la loi prévoit leur protection au titre de l'enfance en danger, les acteurs du terrain témoignent que, quelques mois après, rien n'a changé pour eux. Pis, leur situation semble s'être dégradée. Face à l'immobilisme de l'Etat, les associations et les collectivités territoriales tirent le signal d'alarme.

Le 22 septembre 2009, plusieurs compagnies de CRS investissaient la « jungle » de Calais, cet espace de friches dans lequel jusqu'à 700 migrants campaient dans l'espoir de passer en Angleterre, jetant à terre les banderoles de protestation en anglais ou en pachtoun et multipliant les arrestations. Unanimement dénoncée par les associations, cette action allait néanmoins braquer les regards sur l'extrême jeunesse des migrants. Sur les 276 interpellations réalisées par les forces de l'ordre à cette occasion, 135 concernaient des mineurs, dont certains n'avaient pas 14 ans.

« On ne veut pas les voir »

La présence de ces publics - déjà visibles à Sangatte, entre 1999 et 2002, où, selon la Croix-Rouge, les femmes et les enfants ont compté pour plus du quart des 67 600 migrants ayant transité par ce camp - a ravivé la polémique autour de leur prise en charge. « Ces gamins ont été emmenés de force dans des bus à destination de foyers réquisitionnés, sans interprète, sans explication. Alors que c'était l'occasion de parler avec eux de leur situation, voire pour certains de pouvoir obtenir la protection de la France, on les a simplement éloignés. Cela a été un échec total », déplore Sylvie Copyans, secrétaire adjointe de SALAM, une association calaisienne née en 2002 au lendemain de la fermeture de Sangatte, alors que les migrants se retrouvaient dans les rues ou dans des blockhaus le long de la mer, au milieu de nulle part. Placés dans trois foyers de jeunes travailleurs en Moselle, dans l'Oise et dans le Pas-de-Calais, la plupart des 135 mineurs étrangers ont rapidement fugué. Fin 2009, à peine trois mois après leur placement, seulement 19 étaient toujours pris en charge dans l'établissement de Moselle, le plus éloigné des trois. « Les autres sont tous revenus à Calais, commente Sylvie Copyans. En réalité, on ne veut pas les voir. Tout est fait pour qu'ils n'aient pas envie de rester en France. »

Entre 5 000 et 6 000 mineurs étrangers isolés entreraient chaque année sur le territoire français, au terme d'un voyage de plusieurs milliers de kilomètres débuté le plus souvent en Afghanistan, en Irak ou en Erythrée. Certains ont pris seuls la route pour fuir une région dévastée par la guerre ou les conflits ethniques et religieux, d'autres, nombreux, y sont encouragés par leur famille. Quelle que soit leur motivation, le Calaisis constitue un centre de gravité vers lequel la plupart se dirigent en raison de la proximité avec l'Angleterre, dernière étape de cette migration. Résultat : « Ces jeunes multiplient les tentatives pour traverser la Manche et vivent pendant ce temps dans des conditions extrêmement difficiles. Ce sont donc des mineurs en danger qui relèvent de la protection de l'enfance. Pour autant, leur situation ponctuelle transfrontalière dépasse le cadre des dispositifs de droit commun », résume Alain Vogelweith, directeur général des services du conseil général du Pas-de-Calais (1).

A la croisée de deux, voire de trois, régimes juridiques - celui des étrangers, celui des mineurs et, le cas échéant, celui des demandeurs d'asile -, leur présence reste plus que jamais une pomme de discorde entre l'Etat et les collectivités territoriales. Pour Laurent Delbos, chargé de mission à France terre d'asile, « les structures de l'aide sociale à l'enfance [ASE], gérées par les départements, se révèlent inadaptées pour faire face à une telle situation ». Une immense majorité des jeunes admis dans une structure d'accueil d'urgence à la suite d'une ordonnance provisoire de placement fuguent très rapidement. « Certains n'y rentrent même pas, d'autres restent pour prendre une douche, certains se posent une nuit ou deux au maximum », observe Laurent Delbos. Sur près de 2 500 placements d'urgence prononcés en 2008 sur des mineurs étrangers, seulement une douzaine ont débouché sur un accompagnement dans des établissements de l'aide sociale à l'enfance, soit un taux de fugue supérieur à 99 %. Autre problème : si l'attrait pour l'Angleterre s'explique par la forte présence des communautés d'origine et par la connaissance de la langue, les avantages imaginés par les jeunes migrants (possibilité d'être facilement régularisé, de travailler) relèvent du mythe plutôt que d'une évaluation raisonnée de la situation. « Or rien dans la prise en charge actuelle ne permet de contrecarrer ce projet migratoire, souligne Laurent Delbos. Par exemple, l'absence d'interprète dans les structures d'accueil d'urgence n'est pas de nature à apporter les éléments d'information permettant de stabiliser les quelques jeunes pour lesquels cela serait possible. »

Dans ce contexte, le démantèlement de la « jungle », qui parachève une logique entamée avec la fermeture de Sangatte en octobre 2002, a été perçu comme le refus brutal de l'Etat d'apporter des réponses. « Alors qu'il faudrait tendre au contraire vers des dispositifs spécialisés qui permettraient de donner de l'information aux mineurs et, dans certains cas, de travailler avec eux la possibilité d'un retour au pays », proteste Alain Vogelweith. Depuis deux ans, explique-t-il, le conseil général du Pas-de-Calais réclame la mise en place d'un dispositif partagé dans lequel l'Etat assurerait l'accueil d'urgence et la première évaluation, tandis que, dans un second temps, le département prendrait en charge sans réserve tous les mineurs. Calibré selon les besoins des jeunes migrants, ce dispositif de 25 places permettrait de délivrer une information en présence d'interprètes, tout en parant à l'urgence médicale, en particulier à travers un travail sur le trauma qu'ont pu connaître les adolescents dans leur pays d'origine. « Les réponses sont donc tout à fait possibles sans être forcément coûteuses, mais elles nécessitent une volonté politique. Pour l'instant, sans doute en raison des considérations qui ont entouré la fermeture du centre de Sangatte, l'Etat ne veut pas mettre le petit doigt dans une négociation », dénonce Alain Vogelweith.

Dans le département voisin du Nord, concerné lui aussi par l'affluence des mineurs étrangers, on mesure le fossé qui s'est creusé avec l'Etat. « Dans cette affaire, nous sommes face à deux politiques assez différentes. L'une vise la maîtrise de l'immigration, l'autre la protection des mineurs », constate Yves Schaeffer, directeur général adjoint au conseil général du Nord. Pourtant, ce département est à l'origine d'un dispositif unique en France organisant la coopération avec les services de l'Etat. Depuis 2005, un protocole réunissant le tribunal pour enfants, l'Education nationale, les acteurs associatifs et l'ASE permet d'associer à la mise à l'abri du mineur une évaluation pluridisciplinaire de sa situation, clé d'entrée dans un système de protection durable. Aussi exemplaire que soit ce protocole, son existence ne tient plus qu'à un fil. « D'une part, le public s'est durci, explique Yves Schaeffer. Certains des mineurs accueillis ont des problèmes de comportement très lourds, qui requièrent des soins d'ordre psychologique ou psychiatrique et qui se traduisent par une multiplication des actes de délinquance. Au point que de nombreux acteurs impliqués dans cette protection estiment qu'elle n'est plus adaptée. » A cela s'ajoute un délitement des dispositifs déjà en place. « Les moyens mis à disposition par la protection judiciaire de la jeunesse s'amenuisent, les modestes subventions jusqu'alors accordées pour l'interprétariat disparaissent. Non seulement il est urgent qu'un débat s'ouvre entre l'Etat et les collectivités territoriales, mais il est aussi indispensable que les équilibres trouvés sur le terrain soient préservés et que l'Etat ne se désengage pas », affirme Yves Schaeffer.

Au ministère de l'Immigration, on dément vouloir se défausser du problème. Jean-Pierre Guardiola, chef du service « asile », qui a piloté la mise à l'abri des 135 mineurs après le démantèlement de la « jungle », rappelle qu'aucun d'entre eux n'était demandeur d'asile et que leur situation a donc bien été appréhendée « sous l'angle du besoin de protection, et non sous l'angle migratoire. Cette question du financement doit être posée de manière claire et sans langue de bois. La protection de l'enfance est une compétence que la loi du 5 mars 2007 a confiée aux conseils généraux, même s'il va de soi que, dans une situation d'urgence, l'Etat assure sa part. » Preuve, selon lui, de cette bonne volonté : 700 000 € pris sur le budget de l'Etat ont été mobilisés durant les trois premiers mois de la mise à l'abri des mineurs de Calais « à raison de 90 € par enfant et par jour ».

Un égal accès à la protection

Mais cette position apparaît de moins en moins tenable. « Parler uniquement de la loi du 5 mars 2007 qui aurait confié la protection des mineurs aux seuls départements n'a aucun objet si l'Etat ne remplit pas ses obligations dans le cadre de la protection judiciaire de la jeunesse et de l'éducation, réagit Claude Roméo, directeur de la protection des mineurs isolés étrangers à France terre d'asile. En outre, un traitement égal des mineurs étrangers isolés présents sur le territoire nécessiterait une coordination aux niveaux national et régional pour harmoniser les pratiques et identifier les besoins spécifiques de certains départements. » A cet égard, la promesse du ministre de l'Immigration de proposer au Conseil européen la mise en place d'un fonds européen pour les mineurs étrangers isolés - idée déjà proposée par les acteurs associatifs et reprise par France terre d'asile (voir encadré ci-contre) - semble bien insuffisante. « La multiplication du nombre de mineurs isolés est due autant à la situation politique de certains pays, comme l'Afghanistan, qu'au mouvement d'immigration récurrent lié à l'attrait de l'Occident. Nous sommes dans une situation de crise et il faut la traiter en tant que telle, ce qui suppose que chacun assume ses obligations », affirme Yves Ackermann, vice-président de l'Assemblée des départements de France.

Sur le terrain, l'engagement silencieux des bénévoles des associations qui sillonnent les rues de Calais et les plages du littoral a fait place à la colère. « Il faut savoir que, s'il n'y a pas chaque nuit plus d'adolescents qui dorment à la rue, c'est simplement parce que des familles les accueillent chez elles », affirme Monique Delannoy, présidente de la Belle Etoile, une des premières associations à s'être structurée sur le Calaisis. Dès le démantèlement de la « jungle », une majorité des associations, regroupées au sein du collectif C'Sur (Collectif de soutien d'urgence aux réfugiés de Calais), décidaient de cesser de capitaliser sur cette générosité muette. Le 15 novembre 2009, la distribution de repas et de vêtements aux réfugiés était arrêtée « pour créer un électrochoc au niveau de l'Etat et des responsables politiques », assurait le porte-parole du collectif. D'autres associations décidaient dans le même temps d'officialiser les actions qu'elles conduisaient en toute illégalité. « Plutôt que d'héberger des femmes et des enfants chez nous, ce qui contribuait à les rendre invisibles, nous leur avons payé des nuits d'hôtel en présentant la facture au préfet et à la mairie », explique Monique Delannoy. En montrant toute l'aide qu'il apporte, à défaut d'autres solutions, le collectif d'associations entend aboutir à un dénombrement des mineurs et des femmes et poser des bases pour une action plus solide. Parmi ses revendications, celle de la reconnaissance du primo-accueil qu'il assure auprès de ce public est la plus pressante. « Les premières personnes que rencontrent ces adolescents, c'est nous. Donnons-nous alors les moyens d'assurer ce primo-accueil dans de bonnes conditions, avec des locaux, des éducateurs, de façon à préparer ceux qui désirent se fixer en France en leur expliquant ce qui les attend et en leur laissant le temps d'entrer en contact avec leur famille au pays », explique Monique Delannoy.

Signe de cette volonté de s'engager dans une action plus institutionnelle, le 11 janvier dernier, le Secours catholique annonçait l'ouverture à Calais d'un centre d'accueil d'urgence destiné à répondre à « la situation sanitaire et humanitaire inquiétante » dans laquelle se trouvent nombre de femmes et d'enfants migrants. « Les femmes et les enfants présents à Calais constituent un public particulièrement vulnérable, très difficile à accompagner sur le terrain en raison du contrôle qu'exercent sur eux les passeurs », explique Emmanuelle Beaurain, animatrice du réseau de solidarité au Secours catholique à Calais. Grâce à ce centre, il devient possible de leur proposer un temps de répit mis à profit par l'association pour installer un suivi sanitaire et engager des actions de soutien, telles que l'alphabétisation ou une information sur le droit français de l'immigration. « Certains des jeunes que nous accueillons peuvent passer toute une journée avec des crayons de couleur, en oubliant la pression de devoir être des hommes avant l'âge, témoigne Emmanuelle Beaurain. Au fur et à mesure que la relation de confiance se tisse, il devient possible de discuter avec eux de leur projet et de l'éventualité d'être accueillis en France. » Placées sous le couperet des lois contre l'assistance aux clandestins, les solutions déployées restent toutefois discrètes et fragiles. Le Secours catholique indique ainsi que le centre d'urgence est ouvert « à titre expérimental » et « lorsque suffisamment de bénévoles compétents sont présents ». Marie-Véronique Devise, présidente du Secours catholique du Pas-de-Calais, rejette toute volonté de se substituer à l'Etat. « Ce que nous espérons, c'est une prise de conscience des pouvoirs publics sur leurs missions. Le sanitaire et l'assistance aux migrants sont du ressort de l'Etat, et à ce titre nous ne faisons que prendre en charge une carence. Mais ce n'est pas aux associations de le faire sur des années. »

Un problème européen

Pour Francisco Galindo Velez, représentant du Haut Commissariat aux réfugiés des Nations unies (HCR), les mineurs du Calaisis sont devenus un symbole : « On y voit le reflet de la mondialisation, le reflet du besoin de protection qu'ont beaucoup de personnes et le reflet d'un effort d'harmonisation au niveau européen qui n'est pas encore tout à fait abouti. » En 2009, le HCR a ouvert une antenne à Calais dans l'objectif de fournir « une information impartiale » aux personnes intéressées par l'asile en France. Près de 300 migrants de tous âges auraient déjà poussé sa porte. La position du HCR est sans ambiguïté : « Nous ne disons pas que tous les mineurs qui se trouvent à Calais ou sur le littoral ont nécessairement besoin de l'asile comme solution de protection, mais qu'au vu des nationalités que l'on y rencontre (Afghans, Somaliens, Erythréens...), certains en ont besoin. » Calais, dernière étape d'un long parcours, apparaît comme un problème européen et international dans lequel chaque pays doit prendre ses responsabilités : la France en premier lieu, mais aussi le pays de destination préféré qu'est le Royaume-uni et les pays de transit que sont, par exemple, la Grèce, la Hongrie ou l'Autriche. « Il est important de créer une chaîne de cohérence qui tienne compte de toutes les dimensions d'une situation extrêmement complexe. Dans cette chaîne, il y a la possibilité de demander l'asile et, avec elle, la nécessité que les demandeurs d'asile reçoivent un logement le plus vite possible pour les éloigner de l'emprise des passeurs », presse Francisco Galindo Velez.

Les regards se tournent du côté de Paris où des solutions ont pu être mises en place. Après l'onde de choc de la fermeture de Sangatte, la capitale a reçu en moyenne trois ou quatre mineurs par jour en provenance du Calaisis. Fin 2009, 950 mineurs étrangers isolés étaient pris en charge dans des établissements relevant de l'aide sociale à l'enfance, dans une centaine de familles d'accueil, ou encore à l'hôtel sous la supervision d'éducateurs. Une trentaine d'entre eux, ayant entamé des formations professionnelles, étaient par ailleurs protégés au titre de la protection jeunes majeurs. Clé d'entrée dans le dispositif parisien, des places d'accueil d'urgence, gérées par Enfants du monde-Droits de l'homme et France terre d'asile, permettent de soustraire les mineurs de la rue et de les accompagner dans l'élaboration d'un projet de vie. « La situation reste néanmoins critique, explique Myriam El Khomri, adjointe au maire de Paris chargée de la protection de l'enfance. Deux ou trois mois sont requis pour évaluer la situation d'un mineur et voir s'il veut rester en France. Il faut ensuite trouver des structures qui prendront le relais avec une dimension éducative et d'apprentissage de la langue. Or nous avons enregistré dans la dernière année 60 % d'arrivées de mineurs étrangers supplémentaires, tandis qu'il manque déjà dans la capitale près de 900 places d'accueil pour les adolescents en difficulté. » Pour fluidifier le système, la capitale s'est dotée, en janvier dernier, d'une plate-forme régionale d'orientation qui portait le dispositif des mineurs étrangers isolés à un total de 180 places d'hébergement d'urgence. Créée en partenariat avec France terre d'asile, cette structure permet de mieux travailler l'orientation des mineurs en intercalant, entre la première mise à l'abri et le relais dans un établissement de l'ASE, 25 places dans des petits studios. 45 jeunes pourront également y bénéficier d'activités de jour. Il reste qu'avec un coût de 38 millions d'euros à la charge du département et de 3 millions acquittés par l'Etat au titre de l'accueil d'urgence en hôtel, le dispositif parisien n'apparaît pas facilement duplicable. Selon Myriam El Khomri, la question de la régularisation des jeunes migrants doit en outre être posée, « faute de quoi les prises en charge ne déboucheront que sur des désillusions ».

Pour l'heure, les différents groupes de travail nationaux qui se succèdent n'ont débouché que sur des mesures superficielles, estiment les associations et les organisations non gouvernementales, sans aborder le problème central d'une application aux mineurs étrangers isolés de toutes les mesures de protection de l'enfance (2). Une mission confiée à Isabelle Debré, sénatrice (UMP) des Hauts-de-Seine, par le ministère de la Justice devrait préciser, avant le 31 mars, le cadre de cette protection et proposer des mesures de placement propres aux mineurs étrangers isolés (3). Depuis Calais, la prudence reste pourtant de rigueur. « Si la situation a atteint une telle dimension ici, c'est tout simplement parce que l'Angleterre est à 45 kilomètres, rappelle Monique Delannoy. C'est donc bien à un niveau national que doit être gérée la situation. Et si l'Etat avait eu une volonté réelle de prendre en compte le problème de ces gamins depuis la fermeture de Sangatte en 2002, il avait amplement le temps de faire des propositions et de créer des structures. »

L'ANGLETERRE : UNE DESTINATION FAUTE DE MIEUX ?

Par bien des aspects, l'image de pays grand ouvert que les jeunes migrants accolent au Royaume-Uni est entretenue par un flou des statistiques d'immigration. Ainsi en 2008, United Kingdom Border Agency (UKBA) (4), l'organisme britannique chargé des problèmes d'immigration et d'asile, a comptabilisé près de 4 000 mineurs isolés entrés illégalement sur le territoire, dont seulement 350 repérés aux postes frontières. Pour autant, UKBA ne communique pas sur le nombre de demandeurs d'asile parmi eux. De même, aucun élément ne permet de connaître la proportion de mineurs attendus à leur arrivée (regroupement familial « sauvage », réseaux divers), pas plus qu'il n'existe de données permettant d'évaluer l'impact global des filières d'immigration clandestine (UKBA a toutefois identifié 325 enfants arrivés par ces filières en 2008). Enfin, aucune statistique concernant le réacheminement de mineurs n'est établie. Tout au plus sait-on que 150 mineurs isolés interceptés en 2008 à la frontière auraient été reconduits immédiatement après leur refus d'entrée.

Sur le papier, la loi britannique reste dans l'ensemble plus favorable aux mineurs étrangers que la loi française. Ainsi, la détermination de l'âge d'un mineur se fait en s'appuyant sur les documents en sa possession, et sur la conviction personnelle des personnes en charge du dossier. Si le cas demeure incertain, la personne est considérée comme mineure au bénéfice du doute. Sa représentation légale est prévue par le Children Act de 1989, établissant les responsabilités et devoirs des autorités locales envers les enfants. En sus des avocats, des acteurs sociaux qualifiés sont responsables de l'enfant et doivent s'assurer de son traitement. Par ailleurs, UKBA ne poursuit pas les mineurs pour des délits liés à l'immigration : ceux-ci ne sont donc présentés à aucun moment à un juge. Seule une mesure d'appel au refus de demande d'asile entraîne la présentation du mineur au juge d'immigration.

Les taux de régularisation démentent toutefois cette première impression. En 2008, seulement 375 mineurs étrangers isolés ont été admis au titre de l'asile, dont 330 étaient déjà présents sur le territoire, et 1 885 ont bénéficié d'un accueil « gracieux » (discretionary leave) jusqu'à leur majorité, dont 1 795 déjà sur le territoire. Les autres ont retrouvé la situation de clandestinité qu'ils connaissaient auparavant en France. Pour la Coordination française pour le droit de l'asile (CFDA), ni la souplesse toute relative de loi britannique, ni la présence de nombreuses communautés de migrants ne suffisent à expliquer l'attractivité actuelle du Royaume-Uni (5). Selon le collectif d'associations, les mauvaises conditions d'accueil rencontrées par les mineurs dans les différents pays européens traversés contribuent également à alimenter ce processus. « Comme par hasard, dans chaque pays traversé et jusqu'à la France, terre de transit, l'accueil est à peu près le même : le refus violent ou poli de leur présence », observe la CFDA. En France, « le manque de visibilité et d'accessibilité de la demande d'asile », ainsi que « la rareté des places d'hébergement qui condamne les éventuels requérants à l'attente dans des conditions d'hygiène épouvantables », apparaissent comme autant de facteurs supplémentaires incitant à « aller jusqu'au bout du voyage », c'est-à-dire à traverser la Manche.

250 ORGANISATIONS APPELLENT À UNE PROTECTION EUROPÉENNE DES MINEURS ÉTRANGERS

L'appel pour une protection européenne des mineurs étrangers isolés, lancé en décembre dernier à l'initiative de France terre d'asile et des départements du Nord et du Pas-de-Calais (6), entraîne une très forte mobilisation associative et politique au sein de l'espace européen. Début février, près de 250 organisations, dont l'Unicef et plusieurs réseaux européens, issues de 11 pays de l'Union (7), ainsi qu'une centaine de parlementaires et de présidents de conseils généraux, s'étaient déjà portés signataires. Plaidant pour une protection effective des mineurs isolés étrangers à tous les stades de leur parcours, « ce texte vise à présenter aux institutions européennes les positions de la société civile qui permettront d'aboutir à une véritable prise en compte des droits fondamentaux reconnus à ces enfants », indique France terre d'asile. Ses initiateurs espèrent un alignement de l'Union européenne sur les normes de protection internationalement reconnues, et en particulier la convention relative aux droits de l'enfant. Une quinzaine de propositions visent à uniformiser les conditions d'entrée dans les pays membres et à réguler le droit d'asile. Notamment, en garantissant l'accès aux dispositifs d'éducation et de soins médicaux « sans considération de la régularité du séjour », et en créant un fonds européen pour la protection des mineurs isolés étrangers « par redéploiement des fonds attribués à la sécurisation des frontières ».

L'appel intervient alors que la Commission européenne s'apprête à présenter, sous la présidence espagnole, un plan d'action pour les mineurs étrangers isolés. Pour Pierre Henry, directeur général de France terre d'asile, « la question du retour au pays et du contrôle migratoire ne doivent pas être les seules directives retenues par l'Union européenne. Il faut qu'en Europe la liberté prévale sur l'enfermement, l'éducation sur la loi des jungles, et la protection sur le délaissement. Nous ne devons pas nous habituer au spectacle de ces mineurs dans les rues de nos capitales ».

Notes

(1) Lors des Ires assises européennes sur les mineurs isolés étrangers, organisées à Lille, le 17 décembre 2009, par France terre d'asile et les conseils généraux du Nord et du Pas-de-Calais.

(2) Voir ASH n° 2634 du 27-11-09, p. 17 et 22.

(3) Voir ASH n° 2638 du 25-12-09, p. 20.

(4) Reprises dans le rapport d'octobre 2009 du groupe de travail sur la situation des mineurs étrangers isolés, installé par le ministère de l'Immigration, de l'Intégration, de l'Identité nationale et du Développement solidaire.

(5) La situation des exilés sur le littoral de la Manche et de la Mer du Nord - Rapport de mission d'observation, CFDA, mai-juillet 2008.

(6) Voir ASH n° 2637 du 18-12-09, p. 27.

(7) Belgique, Chypre, Danemark, Espagne, Finlande, France, Grande-Bretagne, Grèce, Hongrie, Italie, Portugal.

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