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« Intégrons le fait que nous sommes divers et multiples »

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Demain plus encore qu'aujourd'hui, les enfants seront nomades et métis. Telle est la conviction affirmée par Marie Rose Moro, pédopsychiatre, ethnopsychiatre, chef de service à la Maison de Solenn à Paris, dans son ouvrage « Nos enfants demain. Pour une société multiculturelle ». A l'heure où le gouvernement cherche à mettre un terme au débat très contesté sur l'identité nationale, elle plaide pour que l'on appréhende vraiment la multiplicité culturelle de notre société.

La société française est-elle réellement pluriculturelle ou transculturelle ?

Certains estiment que ce n'est pas le cas, que cela ne correspond pas à notre modèle d'intégration et d'organisation sociale et familiale. Mais, sur le terrain, je constate le contraire. Dans notre société, les structurations familiales sont devenues extrêmement variées, avec de nombreux modèles venus d'autres cultures, certaines patrilinéaires, d'autres matrilinéaires. D'ailleurs, notre structuration autochtone elle-même se modifie énormément. Le modèle classique « maman, papa et les enfants », stable durant la période d'éducation des enfants, est en train de devenir minoritaire. Le père ou la mère se remarient, créent une nouvelle famille et les enfants circulent entre les deux. Constater que nous-mêmes nous évoluons devrait nous tranquilliser sur le fait que tous les modèles peuvent cohabiter. Cela devrait nous sortir de notre peur qui, sur les questions transculturelles, est mauvaise conseillère. Il faut cesser de croire que nous serions menacés dans notre manière de faire et nos valeurs. On peut apprendre d'autres modèles sans pour autant les adopter.

Mais une collectivité peut-elle fonctionner sans un modèle commun ?

Ce que nous avons en commun, c'est la valeur du lien. Je m'occupe de bébés, d'enfants et d'adolescents, et j'observe que, quelles que soient les familles, l'important est que l'enfant découvre, apprenne, réussisse à faire quelque chose... C'est l'enfant qui représente l'avenir de la cité, et la valeur qui lui est donnée est partagée par tous les parents, même si, au quotidien, nos modèles éducatifs, nos façons de faire et nos rituels familiaux et culturels peuvent être très différents. Nous avons ces valeurs communes, et nous n'avons pas besoin de nous ressembler pour vivre ensemble. Ce serait une ineptie, sauf à vouloir vivre dans une société totalitaire et uniforme.

Peut-on pour autant accepter toutes les traditions ? Je pense à la polygamie, ou encore aux châtiments corporels...

La polygamie n'est pas autorisée en France. C'est la loi, et je l'accepte sans difficulté. Mais cela ne nous autorise pas pour autant à considérer que la polygamie est en soi pathologique. Aucune étude ne va dans ce sens. Il ne faut pas lui imputer des problèmes qui n'ont rien à voir avec elle. Je trouve en outre choquant que, en raison de l'interdiction de la polygamie, on contraigne, et souvent de façon peu élégante, des couples à se séparer et des enfants à vivre éloignés de leur père. Au nom de l'intérêt de l'enfant, on impose des séparations très violentes. Séparer un enfant de son père n'est évidemment pas dans son intérêt. En ce qui concerne les châtiments corporels, on peut expliquer à des parents migrants qu'en France, on n'aime pas que les adultes donnent des coups sur les fesses des enfants. Mais s'ils le font, cela ne veut pas obligatoirement dire qu'ils sont maltraitants. La maltraitance, c'est l'intention de faire mal à des enfants, et cela existe malheureusement partout, chez nous comme dans d'autres pays et dans toutes les classes sociales. Attention, je ne dis pas qu'il faut relativiser les choses, mais il est nécessaire d'observer aussi notre propre fonctionnement. Certains parents de migrants considèrent que leur enfant est violenté à l'école car, disent-ils, on lui en demande trop. Ils ont l'impression que la scolarité maltraite leur enfant. Nous sommes peut-être moins fermes sur le plan physique, mais beaucoup plus durs sur les plans scolaire et intellectuel. Pour certains enfants, c'est une réelle violence. En réalité, sur ce type de questions, des périodes de transition me semblent nécessaires. Les positions théoriques sont peut-être satisfaisantes intellectuellement, mais elles sont peu efficaces. Il faut être pragmatique et, plutôt que d'agir brutalement, il est préférable de mettre en oeuvre un travail de prévention, notamment en soutenant les associations de proximité qui travaillent auprès des populations concernées et tentent de faire évoluer les mentalités. Malheureusement, comme dans le cas de la prévention de l'excision, nous ne les soutenons pas assez.

On a tendance à penser que la maîtrise du français dès le plus jeune âge devrait être une priorité pour les enfants de migrants. Or, dans votre ouvrage, vous soulignez qu'il est important pour eux de s'imprégner d'abord de leur langue maternelle...

Je suis moi-même une enfant de migrants, et il est vrai que l'appropriation du français est fondamentale. C'est grâce à cet acquis que l'on va pouvoir trouver sa place dans cette société. Mais, de fait, il faut d'abord intégrer sa langue maternelle, celle de ses parents. Il est essentiel que la mère réponde au désir de langue de son enfant et soit heureuse de transmettre cette langue. Une fois à l'école maternelle, l'apprentissage du français s'effectuera alors sans problème, de même que celui d'autres langues. Toutes les études montrent en effet que les enfants qui s'approprient leur langue maternelle réussissent mieux ensuite à l'école. J'ai d'ailleurs l'impression que les choses commencent à bouger sur ces questions, et que l'on ne juge plus négativement ces parents qui transmettent leur langue à leurs enfants. Certains, en essayant de se transformer à tout prix en Français, perdent l'accès à toute une partie d'eux-mêmes. Et cette absence de transmission peut se révéler la cause de réelle difficulté chez leurs enfants.

Les travailleurs sociaux ne se trouvent-ils pas dans une position délicate à l'égard des familles migrantes, étant tenus de respecter leur histoire et leur culture, tout en les incitant à intégrer notre modèle ?

Les travailleurs sociaux, comme les cliniciens, ne sont ni des juges ni des agents du contrôle de la normalité. Leur fonction a trait au collectif et au lien social. Et pour que ce lien social soit véritablement efficient, il faut qu'il intègre tout le monde et qu'il ne laisse pas de côté ceux qui sont différents. Les choses se font par le désir, non par la contrainte et la norme. L'expérience montre qu'à partir du moment où l'on respecte les personnes dans leur langue, leur diversité et leur manière de penser, elles sont tout à fait prêtes à intégrer notre société. Ce n'est pas pour rien que tous ces gens sont venus ici, en France. Mais s'ils se sentent considérés comme des individus de seconde zone, cela ne peut être que négatif et contre-productif. Par exemple, je rencontre dans ma consultation des pères complètement rigidifiés. Ils ont peur de tout et nourrissent le sentiment que plus rien ne tient, en dehors de deux ou trois principes d'éducation qu'ils tentent d'inculquer à leurs enfants. De même, lorsque vous êtes un garçon et que vos parents viennent du Maghreb, même si vous n'avez pas de lien avec leur culture, la société projette sur vous une identité d'enfant de la « seconde génération ». Ces jeunes pensaient être comme les autres, et ils se rendent compte qu'on les voit différemment. Du coup, ils vont intérioriser une vision d'eux-mêmes négative ou développer de la colère et de la rancoeur. Je crois qu'il faut leur permettre de se métisser en prenant dans les deux mondes.

Ce plaidoyer pour la diversité n'est-il pas un peu utopique dans une société qui en est à s'interroger sur son identité nationale ?

Je ne crois pas que cela soit utopique. Au contraire. La véritable modernité réside dans les échanges et dans le brassage. Nous sommes, de toute façon, bien obligés de nous interroger sur ces questions, et je pense que cela va s'accentuer. Simplement, il serait certainement plus facile de poser la question de notre identité collective si on l'abordait sous l'angle du lien qui nous unit les uns aux autres, plutôt qu'en voulant poser la prescription de ce que serait une identité qui s'imposerait à tous. L'identité n'est pas une sorte de pierre précieuse figée à jamais. Une société ne marche pas comme ça. Cela fonctionne dans un lien en constante évolution. Nous devons intégrer le fait que nous sommes divers et multiples. Et en abordant les choses ainsi de façon pragmatique, on aurait sans doute moins peur et on éviterait la tentation de s'enfermer dans des pseudo-citadelles identitaires.

REPÈRES

Marie Rose Moro est pédopsychiatre et ethnopsychiatre. Elle est chef de service à la maison des adolescents de Cochin et enseigne à l'université Paris-Descartes. Elle est également chargée, à Médecins sans frontières, d'un programme de santé mentale destiné aux enfants. Elle vient de publier Nos enfants demain. Pour une société multiculturelle (Ed. Odile Jacob, 2010).

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