Vous parlez de « révolution douce », pourquoi ?
« Révolution » parce qu'en dix ans, les différentes réformes ont, sinon renversé les piliers, au moins bouleversé les principes de la politique sanitaire et sociale. « Douce », parce que cette transformation s'est faite essentiellement par la loi avec une production de textes largement supérieure à celle de la dernière moitié du XXe siècle. Ce qui ne veut pas dire que la société civile n'y a pas participé. Que ce soit pour la loi 2002-2, celles sur le handicap du 11 février 2005 ou sur la protection de l'enfance de mars 2007, la loi « hôpital, patients, santé et territoires », les fédérations et leurs associations se sont impliquées à travers les nombreux débats et les propositions d'amendements, voire les pétitions, qui ont précédé et accompagné la rédaction des textes.
Ces réformes ne se sont donc pas faites dans le dos des professionnels...
Non, mais, en même temps, ces changements radicaux n'ont pas été précédé de mouvements sociaux permettant de débattre de la meilleure manière d'aborder la question sociale. Point de grandes grèves comme en mai 1936 avant le Font populaire, ou en 1968 avant les accords de Grenelle. Comme si les exécutifs successifs, en mobilisant les consciences sur l'urgence des transformations nécessaires, avaient demandé aux élus de faire leur « devoir » en mettant de côté les conséquences sociales, organisationnelles, professionnelles, de ces changements. D'où un certain paradoxe : si la société civile y a, au moins en partie, participé, cette révolution s'est effectuée sans quasiment toucher à l'organisation des politiques sanitaires et sociales. Certes on a fermé des enveloppes, proposé des contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens et des groupements de coopération sociale et médico-sociale. Mais les établissements, même s'ils sont bousculés par l'évaluation interne, fonctionnent sur les mêmes bases qu'à la fin des années 70. Dans ce contexte paradoxal, les intervenants n'y comprennent plus rien. Ils sont dans une incertitude quotidienne, qui produit plus de perplexité que d'innovation. Or, plus que de recommandations produites par les nouvelles agences - qui s'ajoutent à la masse de textes à assimiler -, ils ont besoin de comprendre le sens de ces bouleversements, d'en percevoir le fil rouge et la cohérence.
Comment leur permettre de s'approprier ces réformes ?
Dans l'ensemble des lois, on retrouve les mêmes principes « architectoniques ». Toutes renvoient à la compréhension personnalisée et partagée de situations de vulnérabilité, aux notions de « parcours » et de « plan personnalisé partagé », à une stratégie globale d'intervention dans des territoires de vie. On pourrait partir de ces principes pour impulser de la méthode et de l'accompagnement afin de réorganiser l'ensemble du dispositif social et médico-social et les organisations de travail. Il me semble ainsi urgent de développer une recherche appliquée aux territoires, mais également de réfléchir à la manière de prendre en compte effectivement les personnes dans les services (comment se décline leur autonomie dans les stratégies d'intervention ? quels changements organisationnels implique le projet de vie ?) et de définir une nouvelle gouvernance des institutions et administrations. Si on ne veut pas que ces réformes tournent court, il faut aller au-delà de la mise aux normes des pratiques et ne pas avoir peur de remettre en cause la place des travailleurs sociaux, des groupes d'usagers, des politiques. La « révolution organisationnelle » reste à mener, surtout si on souhaite que cette deuxième phase soit douce, elle aussi.
(1) Intervenu à la journée de valorisation DEIS/Cafdes, « Du sujet au projet : la double tension individualisation/territorialisation », le 11 février à l'IRTS de Bretagne.