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Accompagner les jeunes en rupture

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Aux marges de la société, certains adolescents et jeunes adultes empruntent des chemins peu balisés, qui peuvent devenir des chemins d'exclusion. Pour les aider à éviter ces culs-de-sac, des éducateurs de prévention spécialisée vont à la rencontre de ces publics, qui échappent aux catégories classiques de l'intervention publique.

Hippies, punks, travellers, jeunes SDF, zonards, squatters, migrants clandestins : depuis une vingtaine d'années, des « générations » de jeunes se succèdent sur les chemins d'une errance plus ou moins contrainte et/ou revendiquée. Ils ont commencé à apparaître à la fin des années 80 dans les grands rassemblements festivaliers (Avignon, Bourges, La Rochelle). Puis, de ponctuelle et localisée, leur visibilité sociale est devenue permanente et spatialement généralisée au cours de la décennie 90, comme l'explique François Chobeaux, responsable des secteurs social et jeunesse des Centres d'entraînement aux méthodes d'éducation active (CEMEA).

Compagnon de route de longue date de ces adolescents et jeunes adultes qui larguent les amarres pour « chercher leurs chimères ou fuir leurs démons » (1), il constate aujourd'hui une massification de l'errance, à laquelle contribuent largement les dynamiques d'exclusion sociale et professionnelle. Marqués par le rajeunissement et une féminisation accrue (2), les rangs actuels de « l'errance » juvénile se révèlent aussi relativement sédentarisés, comme le montrent les grappes de jeunes qui squattent les quartiers marchands et les abords des gares. Ils se différencient en outre de ceux du passé en adoptant très rapidement les conduites toxicomaniaques les plus destructrices.

En janvier 2009, quand Martin Hirsch, Haut Commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté, s'est vu confier le commissariat à la jeunesse, il a déclaré vouloir répondre au « lancinant problème des jeunes en errance ». Mais, si celui-ci ne laisse pas d'être préoccupant, il est difficile à appréhender par les politiques sociales. En effet, les catégories de l'action publique sont construites à partir d'une répartition des responsabilités entre l'Etat et les collectivités territoriales et certains publics peuvent glisser entre les différents domaines de compétences. « On a le sentiment que les jeunes en errance tombent dans ce genre d'interstice », estime Gilles Moncoudiol, directeur du service de prévention spécialisée de l'Association drômoise de la sauvegarde de l'enfance et de l'adolescence (3). Les départements, chargés de l'action sociale, ont ainsi tendance à appliquer à ces publics les critères de l'aide sociale à l'enfance (ASE) : leur appui va aux mineurs et aux jeunes majeurs jusqu'à 21 ans qui résident dans le département, avec une nette orientation - économies obligent - à limiter drastiquement les aides accordées aux 18-21 ans. Or le public en errance n'est pas uniquement composé de jeunes du cru et, s'il compte aussi des grands collégiens, il se situe plutôt dans la tranche d'âge des 17-30 ans.

Parmi ces jeunes, au moins un tiers a fait l'objet d'une mesure de protection durant l'enfance et/ou l'adolescence (4). Ce constat n'a rien de très étonnant, fait remarquer Olivier Chazy, chargé de mission au bureau de la protection de l'enfance et de l'adolescence à la direction générale de la cohésion sociale, qui soutient de longue date le réseau professionnel national « Jeunes en errance » (voir encadré, page 25). En effet, à 18-19 ans, 85 % des jeunes tout-venant vivent chez leurs parents, alors que ceux qui ont un parcours institutionnel voient se finir leur prise en charge. Aussi Olivier Chazy en appelle-t-il aux conseils généraux pour qu'ils renforcent leur appui aux 18-25 ans, ainsi qu'aux 16-18 ans - après la fin de la scolarité obligatoire et de fréquents décrochages. Il s'agit de mieux protéger les jeunes en rupture, qui sont un « angle mort de l'observation et de l'action publiques », résume cet expert, soulignant la « volonté forte du gouvernement d'avancer avec les conseils généraux sur ces questions ».

Des aides disparates

Pour l'heure, l'Etat s'est désengagé du financement de la prise en charge judiciaire des jeunes majeurs. Ce retrait ne s'étant accompagné d'aucun transfert financier, les départements n'ont pas pu absorber l'ensemble des mesures auparavant exercées par la protection judiciaire de la jeunesse (5). Par ailleurs, selon l'Assemblée des départements de France, l'absence de création du fonds national de financement de la protection de l'enfance cause un préjudice de 30 millions d'euros par an aux conseils généraux - soit 90 millions depuis l'adoption, en mars 2007, de la loi réformant la protection de l'enfance (6). « Les premières économies des départements pauvres portent sur l'aide sociale », témoigne Dominique D'Agostini, éducateur de prévention spécialisée à Sedan (Ardennes). Ainsi « fabrique-t-on l'exclusion et les phénomènes d'errance chez certains publics ». De fait, s'il n'y a pas un profil-type de « jeune en errance », mais des itinéraires et des problématiques diversifiés, les adolescents des milieux socio-économiques les moins favorisés sont les plus pénalisés par ces ping-pongs institutionnels.

Pour aller à la rencontre de cette « nouvelle marge juvénile » qui, selon François Chobeaux, se méfie encore plus que ses aînés des travailleurs sociaux, la prévention spécialisée constitue un outil privilégié. Mobile, souple et pragmatique, ce mode d'intervention est fondé sur des principes d'anonymat et de libre adhésion qui peuvent lever certaines défiances. Au-delà des découpages territoriaux et administratifs, la démarche permet de s'adresser à une grande diversité de jeunes et de composer avec les aléas de relations fluctuantes pour tenir le fil rouge d'une prise en compte généraliste des situations, estime Gilles Moncoudiol. Mais encore faut-il que les clubs de prévention - dont les objectifs sont fixés par les conseils généraux, souvent en concertation avec les municipalités - aient une commande explicite en ce sens. C'est loin d'être la règle. En effet, une forte proportion des équipes est conventionnée pour travailler dans les cités et les quartiers périphériques. Or, quelle que soit leur origine géographique, les jeunes errants se retrouvent essentiellement au coeur des villes, sur des espaces carrefours.

« Intervenir en centre-ville implique nécessairement de rencontrer un public différent de celui auquel on est habitué en prévention spécialisée », relève Karim Belmekki, éducateur au Groupement de prévention et d'accueil lillois (GPAL). En effet, les jeunes qui évoluent dans le centre-ville n'y résident pas ou peu. Ils viennent des différents quartiers lillois, du grand Lille et du reste du Nord, ainsi que d'autres départements et de l'étranger. Ce public est en perpétuel renouvellement : « Nous accompagnons environ 350 jeunes par an - parmi lesquels 40 % de jeunes femmes -, dont la moitié se renouvelle chaque année », précise Karim Belmekki.

Les jeunes rencontrés sont pris dans des processus d'exclusion multiples : ils ont souvent été rejetés ou se sont exclus de la famille, de l'école, du travail, des dispositifs de droit commun. Certains deviennent hostiles à tout ce qui peut représenter une institution et ils ne croient plus à la vie en société. La proposition qui leur est faite est celle d'une relation éducative dont l'acceptation, ou non, est de leur ressort. Cette liberté, dont ils sont peu coutumiers, se révèle essentielle : elle conditionne l'établissement d'un lien de confiance avec les intéressés, à partir duquel pourra s'amorcer un travail éducatif sur des objectifs qu'eux-mêmes auront fixés. « Il ne s'agit pas de chercher à normaliser les jeunes, mais de les aider à s'accomplir, à s'individuer », explique Karim Belmekki. S'il y a « des gens qui ne veulent pas ressembler aux autres, on respecte leur choix et on les accompagne dans ce sens ».

Du sur-mesure

Un exemple de cet accompagnement sur mesure est l'action que le GPAL mène depuis deux ans auprès des propriétaires de chiens. Les « punks à chiens », qui sont les plus emblématiques des jeunes en rupture de ban, ne constituent toutefois qu'une faible proportion de ceux accompagnés chaque année : de l'ordre de 10 %, dont deux tiers de garçons. « Beaucoup de jeunes, qui refusaient notre offre de service, disaient que c'était par impossibilité de réaliser leurs démarches avec les chiens, explique Benoît Beulin, éducateur spécialisé. Nous avons donc été amenés à nous adapter. » Les maîtres sont accueillis avec leurs animaux dans la permanence des éducateurs, en mairie de quartier du centre-ville : s'ils ont besoin d'avoir les mains libres pour se rendre à un rendez-vous, ils peuvent laisser les chiens aux professionnels - qui en ont parfois quatre ou cinq à garder, « rarement dangereux, malgré un aspect parfois impressionnant ». Il y a eu également des achats de muselières, l'installation d'un point d'accroche devant la mairie, la mise en oeuvre d'un projet « cirque », qui a duré six mois, et l'obtention - après cinq années de tractations - d'une place en foyer pour un jeune accompagné de son ou de ses chiens. Une activité collective hygiéno-éducative a par ailleurs été réalisée en 2008 et en 2009, en partenariat avec des vétérinaires de l'association Anim'Aide. Il s'agit d'une consultation gratuite pour leurs animaux, qui a été proposée aux jeunes rencontrés par les éducateurs lors du travail de rue et à ceux qu'ils accompagnent de manière plus suivie. Vécues positivement par tous les participants, ces visites médicales ont permis de renforcer les liens entre les jeunes et les professionnels. « En prenant soin des chiens, on prend également soin des personnes. D'ailleurs, quand le maître ne va pas bien, son chien non plus », commente Benoît Beulin. Et comme les jeunes ont tendance à être plus attentifs au bien-être de leurs chiens qu'à leur santé, les impliquer dans le soin de l'animal, c'est aussi leur rappeler qu'ils doivent être bienveillants à leur propre égard.

Provoquer la relation

Pour apprivoiser les groupes de jeunes en errance et approcher les adolescents qui gravitent autour d'eux, les équipes de prévention spécialisée doivent souvent faire montre d'une grande créativité. Par exemple, en installant une table de camping et quelques tabourets dans un espace public que les intéressés fréquentent et en les invitant à participer à un jeu de société rapide, attractif et simple d'accès. Tel est le principe de l'action « Obviam Ludo », imaginée par le service de prévention spécialisée de l'association strasbourgeoise Entraide-Le Relais. « L'objectif n'est pas de proposer un moment d'animation en tant que tel, mais de susciter surprise et interrogations pour provoquer la relation et créer du lien », explique Béatrice Sigrist, chef de service. Et, effectivement, des jeunes s'arrêtent, certains pour jouer, d'autres pour entamer la conversation. « La caractéristique de ce «sit-in» est de pouvoir rester un temps certain sur le lieu : nous avons donc l'occasion de nous faire repérer par les jeunes, mais aussi d'observer tranquillement les alentours », ajoute Béatrice Sigrist. Pendant l'été 2009, des séances d'Obviam Ludo, organisées au coeur de la ville, ont permis d'entrer en contact avec des groupes de jeunes en errance active « classique » et de découvrir, parmi eux, des mineurs en fugue d'établissements de l'ASE, surtout des filles. Les jeunes se retrouvaient sur cette place de Strasbourg et dans un campement de tentes en cours d'installation aux abords du centre-ville. Repris par l'ASE, les mineurs ont été rapidement mis hors de danger - « ce qui n'en pose pas moins la question du désoeuvrement de ces adolescents en foyer l'été », commente Béatrice Sigrist. De leur côté, à l'invitation des jeunes adultes y résidant, les éducateurs sont de plus en plus souvent entrés dans le campement. Notamment, pour s'assurer que les branchements électriques n'étaient pas dangereux. A la demande des intéressés, les professionnels ont également très vite mis en place des actions d'échange de seringues avec les intervenants en toxicomanie de l'association Espace Indépendance. « On a une grande richesse, dans les équipes de prévention spécialisées, pour trouver des réponses adaptées », commente Béatrice Sigrist, qui évoque le double aspect de l'intervention auprès des jeunes marginalisés : une approche collective, pour comprendre comment les groupes se forment et fonctionnent ; et une prise en charge individuelle, car chacun doit pouvoir travailler sa propre histoire et se voir reconnaître son statut d'individu digne d'être accompagné de façon individualisée.

Ce travail de relation et de portage est aussi un exercice permanent de « réseautage », car les jeunes rencontrés cumulent blocages et difficultés. Action sociale, logement, santé, formation, emploi..., les professionnels des différents secteurs sont à la fois tous nécessaires et tous insuffisants lorsqu'ils sont réduits à leur propre périmètre d'intervention. Cependant, pour tirer dans le même sens - c'est-à-dire, aussi, pour ne pas se laisser trop instrumentaliser par les usagers -, les intervenants doivent réussir à harmoniser leurs efforts. C'est apparemment loin d'être gagné. « On est très clairement dans l'errance institutionnelle pour ces publics-là, avec des suivis multiples et parfois redondants, des ruptures de parcours entre les champs de l'urgence et de l'insertion - mais aussi dans l'urgence même, avec des sorties d'hébergement vers l'errance -, et des suites de trajectoires non connues (sauf pour les «intermittents» de l'errance) », constate le Comité d'action pour l'éducation permanente (CAPEP), organisme valenciennois de formation et club de prévention, au terme d'une recherche-action sur les personnes (de tous âges) en errance dans la gare de Valenciennes et en centre ville.

Réalisé entre 2006 et 2008 à la demande de la communauté d'agglomération, de la ville de Valenciennes et de la SNCF, le diagnostic que le CAPEP a coproduit avec les acteurs locaux de la lutte contre l'exclusion met en évidence la richesse des réponses sociales à la grande précarité, mais aussi leur manque de synergie. « L'accompagnement global des personnes reste défaillant en l'absence de référents chargés de la cohérence des suivis », analyse Dominique Hernie, chef de service du club de prévention du CAPEP. Les divers partenaires s'accordent pour souhaiter la mise en place d'un pilote de projet - mais aucun d'entre eux n'estime avoir une compétence suffisamment large pour être légitime dans cette fonction. L'idée serait pourtant de ne pas créer une structure supplémentaire pour ne pas retomber dans les mêmes travers, explique Dominique Hernie. Un travailleur social unique serait choisi par l'usager parmi les acteurs de son accompagnement ; outre sa propre intervention, ce référent global ferait office de pont entre les différents protagonistes et la personne concernée (7). Pour l'heure, cette proposition reste en pointillé. Il est vrai que le financement des institutions, très centré sur le quantitatif, ne favorise pas le travail chronophage de partenariat qu'implique un tel pilotage. Celui-ci, en outre, suppose d'accepter de travailler sous le regard d'une autre institution, ce qui bouscule pratiques et esprits.

UNE DÉMARCHE RÉSOLUMENT EMPIRIQUE

De retour du festival de Bourges, au printemps 1991, François Chobeaux, travailleur social, formateur et sociologue, met sur la place publique l'expression « jeunes en errance ». « On avait rencontré à Bourges quelques dizaines de jeunes de 16 à 25-30 ans, qui vivaient une situation de marginalité et disaient avoir choisi la zone », explique-t-il. Ces premières observations, qui avaient été effectuées dans le cadre des Centres d'entraînement aux méthodes d'éducation active (CEMEA), conduisent cette association à créer un groupe de recherche ad hoc avec des professionnels de la jeunesse et de l'action sociale et quelques universitaires. A partir de 1997, ce réseau national « Jeunes en errance » prend son essor grâce au soutien financier de la direction générale de l'action sociale, jamais démenti depuis. Aujourd'hui, environ 200 structures de terrain et institutions, ainsi que plusieurs chercheurs, participent à ses travaux, rythmés par la tenue de rencontres annuelles (8).

Pierre Coupiat, éducateur spécialisé et sociologue qui fait partie du groupe de pilotage du réseau animé par François Chobeaux, a analysé les modalités d'action des intervenants qui travaillent auprès des jeunes en rupture sociale. « Ici, point de savoirs surplombants ou de dispositifs définis auparavant, mais des réponses élaborées avec les personnes rencontrées », explique-t-il. A l'instar d'ouverture de lieux d'accueil à bas seuil d'exigence dans les festivals, ou d'accompagnement de jeunes vivant en squat, « il s'agit d'un bricolage sans cesse remis en question par le terrain et dont la qualité réside précisément dans sa confrontation au réel éprouvé par les individus ». Le maître-mot de cette « intervention participante » sans tracé ni contours précis est l'immersion. Celle-ci a non seulement des effets de connaissance de la culture des jeunes en errance, mais également des effets d'accommodement de ces publics aux professionnels et de changement de leurs comportements vis-à-vis de leur environnement. « L'immersion est alors opératoire au sens de l'action sociale, car permettant de faire évoluer les lignes, les réactions, voire les représentations », souligne le sociologue.

Etroitement lié à l'immersion, le deuxième moment de la démarche est celui où l'intervenant s'autorise à formuler des hypothèses concrètes sur tel ou tel aspect d'une pratique de consommation de psychotropes, de l'usage de l'espace public ou de la vie en squat.

Ces éléments de compréhension s'adressent d'abord et avant tout aux jeunes, qui réagissent et valident ou non les propositions qui leur sont faites, par exemple d'intégrer des dimensions de prévention à leur prise de substances psychoactives. Il y a ensuite une mise en commun des réflexions des équipes dans le cadre du réseau. Ce troisième temps, qui est celui des échanges autour d'expériences localisées, favorise l'émergence d'un sens plus général, partagé à plusieurs, tout comme la survenue de conflits théoriques et la mise à jour de divergence de pratiques. Dans tous les cas, commente Pierre Coupiat, cette phase de distanciation restitue un niveau de compréhension des terrains - c'est-à-dire des relations avec les jeunes - qui permet d'éloigner les expériences douteuses et hasardeuses.

UN GRAND ISOLEMENT

Au vu de l'augmentation sensible du nombre de jeunes en errance, la mission locale de Nantes Métropole - qui gère le Fonds d'aide aux jeunes (FAJ) - a réalisé entre 2005 et 2007 une enquête approfondie pour mieux connaître ce public. Il s'est agi, dans un premier temps, de recenser les 18-24 ans qui avaient bénéficié au moins une fois du FAJ en 2005 et qui s'étaient domiciliés au centre communal d'action sociale (CCAS) ou à l'association d'aide Francisco-Ferrer, c'est-à-dire qui avaient déclaré, de fait, aux institutions leur situation de sans domicile fixe (SDF).

Sur 2 700 dossiers de FAJ traités en 2005, 276 concernaient des jeunes sans abri ou en difficulté de logement, parmi lesquels 182 étaient domiciliés au CCAS ou à Francisco-Ferrer.

100 de ces 182 jeunes ont ensuite participé à une étude détaillée sur leurs parcours, effectuée sous forme d'entretien avec leur conseillère attitrée lors de la remise de l'aide (9). Globalement, ces jeunes en errance présentent plusieurs traits qui les distinguent de l'ensemble de ceux accueillis à la mission locale pendant la même période : ce sont surtout des garçons (61 %), alors que le public de la mission locale est majoritairement féminin (53 %) ; ils sont deux fois plus nombreux à être nés hors de France (15 % contre 6,4 %), principalement en Afrique du Nord ou subsaharienne ; enfin, il y a, parmi eux, plus de jeunes vivant en couple que dans l'ensemble du public (19 % contre 13 %).

A la date de l'entretien, 53 % des jeunes étaient âgés de 18 à 21 ans. Pour une part importante d'entre eux, l'âge de la majorité est déterminant dans la rupture familiale et/ou de logement : soit les parents, soit les enfants attendent cette échéance pour rompre les liens. Les autres ont connu cette rupture plus précocement et certains vivent déjà l'errance depuis un moment. Lors de l'entrevue d'enquête, 43 % des jeunes étaient sans domicile depuis moins de six mois (dont 25 % depuis moins de un mois), 21 % depuis six à dix-huit mois, 34 % depuis deux à six ans.

Majoritairement issus de milieux défavorisés et peu souvent de Nantes (25 %), les jeunes SDF sont nombreux à avoir eu un passé institutionnel, notamment dans le cadre de l'aide sociale à l'enfance : c'est le cas de 35 % d'entre eux - surtout des jeunes hommes. En termes de parcours scolaire, les jeunes interrogés ont un faible niveau : ceux de niveau VI et V bis représentent plus de 40 % de la population étudiée, alors que ce taux est inférieur à 30 % pour l'ensemble du public de la mission locale. Les jeunes ayant un passé institutionnel sont deux fois plus nombreux que les autres sans-domicile fixe à avoir quitté l'école avant 18 ans, parfois même avant l'âge légal de fin de scolarité. Peu ou pas diplômés (un quart, seulement, possède un diplôme de niveau V ou plus), les jeunes errants sont 81 % à déclarer avoir vécu difficilement leur scolarité. Depuis que celle-ci est terminée, 63 % ont suivi au moins une formation, principalement dans l'hôtellerie-restauration, le secteur bâtiment-travaux publics ou les industries de process (comme l'agro-alimentaire ou la chimie) et 95 % ont eu au moins une expérience professionnelle - quasi-exclusivement avec des contrats précaires ou aidés de courte durée.

Questionnés sur leurs ressources, près de sept jeunes sur dix déclarent vivre du système D (en particulier la manche), 16 % d'allocations (allocation d'insertion, Assedic, CIVIS), 12 % travaillent de manière régulière ou non. Par ailleurs, 85 % des jeunes déclarent que le FAJ constitue le seul secours reçu. En ce qui concerne leurs conditions de vie, plus d'un quart des jeunes ont dormi dans un lieu non prévu pour l'habitation la nuit précédant l'entretien (rue, voiture, hall d'immeuble), 35 % en foyer d'urgence ou centre d'hébergement, 20 % chez un ami. La fréquence de changement de logement est quotidienne pour la grande majorité des interviewés. Près de la moitié d'entre eux ne prend qu'un repas par jour, essentiellement dans le cadre d'un restaurant social, d'un foyer ou CHRS, ou d'associations caritatives. Mais si le recours aux distributions gratuites de repas est répandu, les autres services (bons douche ou lavomatique, par exemple) sont peu connus et/ou utilisés.

L'isolement de ces jeunes est grand. S'agissant de leurs parents, 18 % des interviewés ont un père inconnu, décédé ou qui s'est évanoui dans la nature ; quand ce n'est pas le cas, ils sont 54 % à n'entretenir aucun contact avec lui. Plus nombreux à avoir encore leur mère (93 %), les jeunes sont 30 % à ne plus être en relation avec elle. Enfin, souvent issus de familles nombreuses, les intéressés ont quatre fois sur dix rompu les ponts avec leurs frères et soeurs. Quant aux amis, potes ou copains de galère, ils se comptent souvent sur les doigts d'une main. Enfin, les huit jeunes errants qui ont des enfants vivent douloureusement d'être séparés d'eux.

Comment les jeunes interrogés se projettent-ils dans l'avenir ? Indépendamment de l'emploi et de la formation, les trois quarts d'entre eux déclarent avoir d'autre(s) aspiration(s) : sept fois sur dix, ils voudraient disposer d'un logement autonome. Pour la quasi-totalité des jeunes rencontrés (94 %), l'errance ne constitue pas un choix de vie.

Notes

(1) Intervenir auprès des jeunes en errance (Ed. La Découverte, 2009), ouvrage dans lequel François Chobeaux tire les leçons d'une expérience engrangée depuis 20 ans - Voir ASH n° 2622 du 4-09-09, p. 38.

(2) Estimée à 15 % en 1995, la proportion de jeunes filles et jeunes femmes représenterait aujourd'hui de 30 à 40 % des jeunes errants.

(3) Lors d'un séminaire sur « L'errance des jeunes en prévention spécialisée », organisé les 23 et 24 novembre dernier par l'Union nationale des associations de sauvegarde de l'enfance, de l'adolescence et des adultes (devenue, depuis le 22 janvier, la CNAPE) : 118, rue du Château-des-Rentiers - 75013 Paris - Tél. 01 45 83 50 60.

(4) Les sans-domicile - C. Brousse, J.-M. Firdion et M. Marpsat - Ed. La Découverte, 2008.

(5) Le rapport d'octobre 2009 de la Cour des comptes sur La protection de l'enfance - Voir ASH n° 2627 du 9-10-09, p. 7.

(6) Voir ASH n° 2627 du 9-10-09, p. 7. Par une décision rendue le 30 décembre, le Conseil d'Etat a fixé au gouvernement un délai de quatre mois pour créer le Fonds national de la protection de l'enfance - Voir ASH n° 2640-2641 du 8-01-10, p. 5.

(7) La mise en place d'un « référent personnel » unique pour toute personne sans domicile qui le souhaite fait partie des propositions faites, le 10 novembre, par le gouvernement pour refonder l'accueil des sans-abri - Voir ASH n° 2632 du 13-11-09, p. 5.

(8) Les coordonnées des membres du réseau « Jeunes en errance » et les comptes rendus de leurs rencontres sont consultables sur le site des CEMEA : www.cemea.asso.fr.

(9) Cf. 100 pages sur 100 jeunes en errance de la mission locale Nantes Métropole 2005-2007 - Mission locale de Nantes Métropole, juin 2008.

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