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Sur un pied d'égalité

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A Nîmes, dans le quartier enclavé de Pissevin, l'association Paseo propose depuis 2007 à des familles en difficulté un accompagnement à domicile d'une durée d'environ un an, effectué par des bénévoles. Ces derniers étant eux-mêmes formés et encadrés par des travailleurs sociaux.

Dans une longue et triste barre d'immeuble des quartiers ouest de Nîmes, la porte s'ouvre sur Erwann, 2 ans et Sophie M., sa mère(1). A l'arrière-plan, Jerry, 7 ans, se frappe les mains et le visage. « Hum, ça sent bon la cuisine », remarque Isabelle Chabaud, la bénévole de l'association Paseo(2) qui rend visite chaque semaine à la famille. Les deux aînés sont scolarisés et leur papa, sans emploi, est sorti. « Comment ça va aujourd'hui ? », s'enquiert Isabelle en retirant son manteau. Jerry, lui, ne cesse de sauter sur les fauteuils du salon, passant du rire aux larmes. De temps en temps, sa mère hausse le ton pour qu'il se calme. L'enfant présente des troubles du comportement. Il ne peut être scolarisé qu'une heure par jour, complétée par quelques heures en hôpital de jour. Depuis que le petit garçon est suivi médicalement, son comportement semble s'être stabilisé. Erwann et Jerry passent tour à tour dans les bras d'Isabelle Chabaud pour un câlin. Mère également de deux enfants, elle est passée pour prendre des nouvelles. Mais il lui arrive aussi d'aider Sophie M. à remplir des documents administratifs, ou encore de l'accompagner au supermarché ou chez Gribouille, le lieu d'accueil parents-enfants récemment ouvert. « Il y a des choses que je ne faisais jamais avant, explique la mère de famille. Même sortir dans le quartier, je n'aimais pas, parce que certains enfants se moquent et sont agressifs avec Jerry. » C'est l'orthophoniste de sa fille aînée qui lui a parlé de Paseo. « Elle a vu que je ne sortais pratiquement jamais parce que je n'avais personne pour garder mes petits. »

Des visites comme celle-ci, Isabelle Chabaud en fait une par semaine. Infirmière de profession dans une unité pour traumatisés crâniens, elle consacre depuis deux ans une partie de son temps libre à Paseo. La famille de Sophie est la deuxième que suit la bénévole. Un accompagnement d'une année, pas plus, qui touche à sa fin. Créée en 2007, l'association nîmoise Paseo propose aux familles en difficulté du quartier de Pissevin qui le souhaitent un suivi bénévole à domicile. « L'objectif est d'apporter soutien et écoute, afin que les parents trouvent ou retrouvent l'autonomie et la confiance qui leur permettront de donner à leurs enfants tout le temps, l'amour et l'attention nécessaires à leur développement », résume Laurence Relin, directrice et fondatrice de l'association. Pour bénéficier de l'action de Paseo, les familles doivent avoir un enfant de moins de 5 ans, en exprimer la demande et témoigner d'un réel isolement. « Ce sont des parents qui n'ont aucune famille à proximité, résume Laurence Relin. Or élever des enfants, ça chamboule, ça perturbe. Ajoutez à cela la perte des repères habituellement liés au travail ou aux relations de voisinage, et les gens se sentent seuls. » En outre, une grande partie des familles suivies arrivent de l'étranger. Comme Sophie M., qui a quitté la République centrafricaine en 2001 et n'a pas revu ses parents depuis.

Etayé par un comité de réflexion

Paseo s'inspire du programme Home Start, créé en Grande-Bretagne dans les années 1970. « J'ai expérimenté cette action lorsque je vivais à Londres, raconte Laurence Relin. Je suivais alors bénévolement une famille iranienne - la mère et ses deux enfants - qui avait dû quitter une bonne situation pour venir se réfugier en Europe et subsister grâce aux minima sociaux. Cela a été une expérience très forte. » De retour en France, cette journaliste de métier cherche à se reconvertir. « J'ai intégré un master en développement social et développement de projet, pendant lequel j'ai pu évaluer la possibilité d'implanter une initiative similaire en France. » La réalisation de son mémoire, complété par un stage auprès de la municipalité de Nîmes, l'amène alors à rencontrer les acteurs locaux du champ de la périnatalité. « J'ai vu quels étaient leurs besoins. Ils trouvaient mon projet intéressant. J'ai donc décidé de monter une structure en m'appuyant sur un comité de réflexion. » Ce comité décide d'implanter Paseo sur le quartier de Pissevin, à Nîmes-Ouest, le plus grand quartier prioritaire de la ville, avec 12 000 habitants. « Et puis c'était aussi un endroit où j'avais de bons contacts avec le centre médico-social, qui était prêt à nous laisser une place, explique la directrice de Paseo. D'autant que le quartier connaissait un fort déficit d'associations. » Grâce à cette localisation, l'association peut bénéficier des financements du contrat urbain de cohésion sociale. Le réseau d'écoute, d'appui et d'accompagnement à la parentalité du Gard constitue une autre source de financement. Sur les conseils de Home Start International (HSI) - un réseau d'associations développé autour de Home Start UK et dont Laurence Relin est devenue la représentante en France -, des fonds sont également récoltés auprès de fondations privées (Banque de France, AG2R-La Mondiale, SFR, etc.).

Dès le début, deux travailleuses sociales intègrent le comité de réflexion : Ghislaine Flandin, éducatrice spécialisée et adjointe du chef de service à l'aide sociale à l'enfance (ASE), et Safia Bennasr, monitrice-éducatrice dans une association de soutien à la parentalité. « Avoir des gens du social à mes côtés, c'était un gage de sérieux pour moi qui n'étais pas du milieu », reconnaît Laurence Relin. Il est vrai qu'au démarrage des professionnels ont exprimé leurs doutes sur la volonté des familles de recevoir des bénévoles à domicile, ainsi que sur l'articulation possible entre action sociale et volontariat. « Certains travailleurs sociaux s'inquiétaient aussi de la possible mise en difficulté des familles comme des bénévoles face à des situations psychosociales très complexes », se rappelle Fabienne Poilleux, responsable de la circonscription d'action sociale et de santé Nîmes-Ouest. « Paseo n'est pas là pour compléter un dispositif qui aurait des trous, plaide Ghislaine Flandin, aujourd'hui présidente de l'association. Il y a ce qu'il faut sur le terrain, mais c'est un petit plus qu'apporte Paseo. L'important est que nous n'ayons pas le même rôle et que les gens ne confondent pas le bénévole avec un travailleur social. » En fonction des situations, la présence du bénévole peut ainsi aider à assouplir les relations avec les travailleurs sociaux, soutenir la famille dans des démarches à réaliser, faciliter la reprise de contact avec des enseignants ou un centre médico-psycho-pédagogique... « Paseo offre un accompagnement par des pairs qui sont sur un pied d'égalité avec les familles. C'est très bénéfique pour elles », conclut Fabienne Poilleux. Un regret pourtant : que l'accompagnement ne puisse être proposé qu'à des familles avec un enfant de moins de 5 ans. Une règle fixée par HSI, qui juge plus efficace d'intervenir très tôt, au moment où se posent les bases éducatives. « Nous suivons parfois des familles où l'on se dit qu'un bénévole serait utile, mais leurs enfants sont trop âgés. »

Accorder familles et bénévoles

Les familles sont orientées vers l'association par des voies très variées : des associations, des professionnels de santé, des enseignants, etc. L'an dernier, 17 % des familles suivies ont été adressées par le centre médico-social, 24 % par l'école, 12 % par le dispositif de réussite éducative. « Et 30 % nous ont contactés de leur initiative, grâce aux tracts que nous laissons à disposition dans les lieux tels que la caisse d'allocations familiales. » Toute famille désireuse d'être suivie par Paseo rencontre d'abord la directrice. Celle-ci établit une fiche diagnostic sur laquelle sont précisés les objectifs définis avec la famille : rencontres avec d'autres parents, mises en contact avec des associations susceptibles d'aider à la gestion du budget, ou avec les institutions pouvant accueillir les enfants pendant les vacances... « Ensuite, je retourne voir la famille avec le bénévole que j'ai choisi, afin de vérifier que leurs personnalités se complètent. » Par la suite, chaque trimestre, elle rencontre la famille en présence du bénévole chargé de son accompagnement. « Je vérifie qu'elle apprécie notre présence et qu'elle progresse dans ses objectifs. Si les choses ne se passent pas bien - ce qui est rare -, je le comprends très vite, car la famille répond juste : «oui, c'est bien», sans entrer dans les détails. » Lors de ces entretiens, la directrice de Paseo rappelle systématiquement l'échéance de l'accompagnement au terme d'une année. « Au final, 80 % des personnes suivies se disent satisfaites ou très satisfaites des accompagnements, s'enorgueillit Laurence Relin. Et beaucoup aimeraient qu'ils se prolongent davantage. Nous pouvons accorder deux ou trois mois de plus, si la famille est dans une mauvaise période, mais cela n'arrive pas souvent. » A l'inverse, les abandons en cours de route sont rares. « Il est aussi arrivé qu'un bénévole ne se sente pas à sa place dans une famille et se retire, après discussion entre la famille et nous, bien sûr. »

L'une des règles de base de Paseo est la confidentialité absolue sur la relation entre le bénévole et la famille qu'il accompagne. « Avant le démarrage, certains travailleurs sociaux pensaient qu'ils pourraient orienter des familles vers nous et qu'ensuite nous leur rendrions compte du suivi réalisé, se souvient Laurence Relin. Or, chez HSI, on insiste beaucoup sur le fait que la relation de confiance avec la famille repose sur la confidentialité de ce qui peut se passer dans le cadre de l'accompagnement. » Ce qui ne signifie pas pour autant le silence absolu. « Il nous arrive d'échanger des informations au sujet d'une famille, précise Fabienne Poilleux, mais avec l'accord de celle-ci. » Sauf, évidemment, en cas de mise en danger d'un enfant. « Dans la première famille que j'ai accompagnée, raconte Martine Dupont, l'une des bénévoles, je me suis aperçue un matin que, depuis une semaine, les enfants n'avalaient rien d'autre qu'un jus de fruit. » Après concertation avec la responsable, la bénévole s'empresse de remplir le réfrigérateur. « Normalement, nous n'avons pas le droit », avoue-t-elle. Puis Paseo alerte le CCAS et l'ASE, et une prise en charge est mise en place, avec mesure éducative à la clé pour l'aîné des enfants, présence d'une technicienne de l'intervention sociale et familiale (TISF) et d'une puéricultrice à domicile (la jeune mère de famille étant enceinte) et mise sous tutelle des ressources. Malgré son opposition initiale au signalement - « j'avais l'impression de trahir cette maman », se souvient-elle -, la bénévole poursuit l'accompagnement. « Je choisissais une journée où elle n'avait aucun rendez-vous à domicile pour passer. On s'amusait avec les enfants, on se promenait, il y avait quand même une bonne relation mère-enfant, malgré la désorganisation complète de cette dame. » La bénévole contribue également, durant cette période, à expliquer le rôle de chacun des intervenants : « Les rapports de cette maman ont été, un moment, difficiles avec l'assistante sociale. Je lui ai alors expliqué que c'était quand même grâce à celle-ci qu'elle avait pu obtenir des aides indispensables. »

L'expression des ressentis

Dès le lancement de l'association, un groupe de parole a été mis en place pour les bénévoles. « C'est un temps pour permettre l'expression des émotions négatives, explique Sylvie Darras, psychothérapeute et administratrice de Paseo, qui anime ce groupe. Car s'il n'est pas envisageable que les bénévoles manifestent leur jugement au cours des situations rencontrées, ils n'en ont pas moins un ressenti. » Organisé chaque premier lundi du mois, ce groupe fournit aussi l'occasion d'échanger sur les expériences de chacun. Ce matin, par exemple, Francine Geider relate ses difficultés dans l'accompagnement d'une mère de famille qui ne parle pas français et refuse de sortir de chez elle. De son côté, Catherine Bessaguet se demande si elle peut emmener exceptionnellement sa fille de 9 ans à l'un de ses rendez-vous. Claire, une autre bénévole, s'inquiète du fait que, dans le foyer où elle intervient, ce soit une petite fille d'une dizaine d'années qui s'occupe de toutes les tâches ménagères pour ses frères. « Je pourrais peut-être leur parler de mon expérience, réfléchit-elle à haute voix. Moi aussi j'ai fait «travailler» ma fille davantage que mon fils, et aujourd'hui elle me le reproche. » Puis la conversation glisse sur les limites de l'investissement personnel des bénévoles. Trois d'entre elles ont déjà achevé des accompagnements, et deux ont conservé des contacts occasionnels avec la famille suivie. « C'est difficile de se séparer, surtout pour les enfants, affirme Claudine. Moi je suis retournée voir la famille une fois ou deux. » « Pourtant, l'intérêt est aussi de pouvoir se séparer des gens et réinvestir ailleurs l'engagement qu'on a pu avoir », rappelle Sylvie Darras.

Pour être bénévole à Paseo, il faut être soi-même parent et disposer chaque semaine de deux à trois heures de temps libre. Martine Dupont a eu six enfants. Après avoir travaillé dans l'entreprise familiale d'installation de piscines, exercé à l'hôpital en tant qu'aide-soignante, puis suivi une formation de psychologue, elle a découvert Paseo. « J'aime les enfants, le social, et je savais que je pouvais donner dans ce domaine », souligne-t-elle. Martine Dupont accompagne en ce moment Yasmina C., mère de quatre enfants. Ce matin, la jeune femme tarde à répondre au coup de sonnette de la bénévole. Après quelques longues minutes d'attente et un coup de fil inquiet sur son portable, elle déboule finalement au bas de l'escalier, ses deux petits derniers dans la poussette. « J'étais chez Gribouille » (le lieu d'accueil parents-enfants), s'excuse-t-elle. Un mal pour un bien, en quelque sorte, l'incitation aux rencontres avec d'autres parents figurant parmi les objectifs de Paseo. Dans l'appartement, elle prépare un thé à la menthe, pendant que Martine joue avec les enfants. Pour Yasmina C., la visite hebdomadaire de Martine Dupont est une véritable bouffée d'oxygène. Elle a perdu son mari au printemps 2009, seulement un an après être venue le rejoindre en France. « Il y a beaucoup de monde qui est venu pour nous lorsque mon mari est décédé, mais personne n'est resté », raconte la jeune veuve. Pour rompre cet isolement, elle souhaite s'équiper d'une « box » pour pouvoir appeler gratuitement sa mère au pays. « Il faut que tu m'aides, insiste-t-elle à plusieurs reprises pendant le rendez-vous avec Martine Dupont. Parce que sans Internet, moi je ne peux pas avoir les infos. »

Des sessions courtes de formation

Il n'a pas été facile, au début, de recruter les dix bénévoles nécessaires à la première année de fonctionnement. Paseo a mis en place un site Internet et élaboré une plaquette déposée dans des lieux « stratégiques » pour se faire connaître. « Nous avons également compris qu'il nous fallait chouchouter ces bénévoles, souligne Laurence Relin. Leur apporter une écoute individuelle lorsque c'est nécessaire, répondre très vite aux difficultés, quelles qu'elles soient, qu'ils peuvent rencontrer dans les familles. » Tous les bénévoles suivent une formation de trente heures, étalée sur deux mois et demi. Des sessions de trois heures qui permettent de voir s'ils parviennent à respecter un rendez-vous hebdomadaire régulier. Leur contenu est fondé sur un référentiel fourni par Home Start International, mais que Paseo a progressivement adapté aux spécificités françaises, notamment en lui ajoutant des études de cas concrets. « Ce sont des exercices et des thèmes à aborder en groupe, qui n'expliquent pas comment se construit le soutien à la parentalité mais qui préparent aux visites à domicile et apprennent aux candidats à se connaître les uns les autres, à réfléchir sur le respect de l'autre dans ses valeurs et sa culture, ainsi que sur leurs motivations et sur les difficultés qu'ils ont rencontrées eux-mêmes dans leur parentalité. » Plusieurs travailleurs sociaux interviennent au cours de ses sessions de formation sur des thèmes tels que la confidentialité, la maltraitance, le lien mère-enfant, ou encore les dispositifs d'aide et d'action sociale. « Nous recrutons essentiellement des femmes, précise la coordinatrice. Peut-être parce que les hommes se sentent moins légitimes dans l'accompagnement à la parentalité quand les enfants sont petits. D'autant qu'environ 60 % de nos familles sont des foyers monoparentaux. » De fait, seuls 2 des 17 volontaires actuels de l'association sont des hommes. La moyenne d'âge se situe autour de 55 ans. « A cet âge, les mères ont fini d'élever leurs enfants et ont plus de temps disponible », justifie la fondatrice de Paseo, elle-même mère de famille. Pour l'heure, sa priorité est de consolider les financements. « En trois ans nous avons suivi 40 familles, mais si nous pouvions salarier une assistante, nous pourrions en accompagner 40 par an. »

Notes

(1) Les prénoms ont été changés.

(2) Paseo : Résidence Charles-Gide - 5, impasse Messager - 30900 Nîmes - Tél. 04 66 84 78 74.

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