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Il faut faire vivre le projet de vie !

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Le concept de « projet de vie » a encore du mal à trouver sa place dans l'accompagnement des personnes handicapées, regrettent Jean-René Loubat, psychosociologue, formateur et consultant en ressources humaines et ingénierie sociale, et Martine Bechtold, coach social. Alors que ce projet est central pour rendre effective la citoyenneté que la loi du 11 février 2005 vise à promouvoir.

«Consacré par la loi du 11 février 2005 et confié à la diligence des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), le concept de projet de vie a quelque mal à s'imposer et à ne pas être traité comme quantité négligeable. Ce projet de vie constitue pourtant la pierre angulaire de la nouvelle approche de la situation de handicap, la preuve la plus évidente que la personne est «au centre du dispositif». La page d'histoire paraît bien lourde à tourner. Le projet de vie serait-il mort-né ?

« Une révolution pour les gestionnaires »

L'article 11 de la loi de 2005 le présente comme une notion indispensable : «Les besoins de compensation sont inscrits dans un plan élaboré en considération des besoins et des aspirations de la personne handicapée tels qu'ils sont exprimés dans son projet de vie, formulé par la personne elle-même ou à défaut avec ou pour elle par son représentant légal lorsqu'elle ne peut exprimer son avis.» Plus loin, l'article 64, qui traite des MDPH, de leur création et de leur fonction, dispose que «la maison départementale des personnes handicapées assure à la personne handicapée et à sa famille l'aide nécessaire à la formulation de son projet de vie». L'engagement de la loi est des plus ardents, puisque le projet de vie y est mentionné dans plus de dix articles !

Quoi qu'il en soit, si le projet de vie a autant de difficultés à se mettre en place, comme l'a souligné en 2007, dans son rapport d'évaluation de l'application de la loi, la commission sénatoriale menée par Paul Blanc (1), c'est que «l'individualisation totale de la prestation de compensation et l'évaluation des besoins en fonction du projet de vie des personnes constituent une révolution pour les gestionnaires car elles supposent de sortir de la logique uniquement administrative et comptable qui préside encore trop souvent au calcul des droits des personnes concernées.»

Mais dans la réalité, entre le projet de service, le projet personnalisé, le plan personnalisé de compensation, voire le projet personnalisé de scolarisation, le projet de vie a visiblement quelques difficultés à faire sa place... centrale. Pourtant, nous aurons complètement adopté une posture de service rendu à la personne quand le projet de vie (du bénéficiaire) et le projet personnalisé (du prestataire) ne formeront plus qu'une continuité logique.

Le guide d'évaluation des besoins de compensation des personnes handicapées (GEVA) s'impose aux services par l'arrêté du 6 février 2008 (2) alors qu'aucun texte ne mentionne l'obligation impérative des services d'appliquer l'article 11 de la loi en ce qui concerne le projet de vie. Pourquoi ce dernier ne pourrait-il faire l'objet d'un guide d'entretien qualitatif comme le GEVA ? Malheureusement, le projet de vie est minimisé dans ce même arrêté relatif aux références et nomenclatures applicables au guide d'évaluation. Ainsi, l'article 1.1. mentionne : «Projet de vie : 1.1.1. La personne a formulé un projet de vie ; 1.1.2. La personne a exprimé un refus de formuler un projet de vie ; 1.1.3. Le projet de vie n'est pas présent dans le dossier.» Lorsque la réponse 1.1.3. est cochée, l'arrêté ne prévoit pas d'autres investigations... Il serait souhaitable de prolonger le questionnement, ne serait-ce que pour savoir à quoi est due cette absence et la pallier.

Par ailleurs, il est regrettable que dans le manuel d'accompagnement du GEVA de mai 2008, il soit écrit : «Le projet de vie peut concerner des aspects personnels, sociaux, de loisirs... Ce document, libre expression de la personne handicapée, n'est pas obligatoire. Dans la rubrique 'projet de vie' située au début du guide d'évaluation multidimensionnel sera mentionné le fait que la personne a ou non exprimé son projet de vie.»

Une vision positive et constructive

Que veut-on faire de sa vie ? Voilà la question que pose fondamentalement le projet de vie. Penser sa vie, c'est la projeter, c'est-à-dire tenter d'en maîtriser les ressorts, de l'orienter en tout cas vers des fins intéressantes, au lieu de simplement la subir au jour le jour. Bien sûr, cela suppose en quelque sorte une vision «entrepreneuriale», positive et constructive. Quelles que soient nos idées sur la vie, nous pouvons chercher à l'organiser pour lui donner un sens, mais aussi prosaïquement pour minimiser les inconforts et les déconvenues et favoriser les «moments intéressants».

Lorsque des problèmes de santé, des accidents de la vie, une situation de handicap, engendrent des difficultés et des limitations dans ses choix, le projet de vie devient une nécessité impérative pour permettre à la personne de se réapproprier sa vie, son avenir, son autonomie et sa citoyenneté. En mettant comme préalable au plan de compensation la prise en compte du projet de vie de la personne en situation de handicap, le législateur a mis au centre du dispositif la citoyenneté de la personne.

Si nous pouvons tous élaborer un projet de vie - et bien qu'il soit plus rare de le mettre par écrit -, l'exercice se révèle plus particulièrement nécessaire pour les personnes qui, du fait de leur situation de vulnérabilité ou de leur situation de handicap, disposent de possibilités moindres d'affirmer et de faire valoir leurs attentes auprès de leur environnement.

Attentes, objectifs, stratégies, évaluation

Selon nos recherches et expériences, un projet de vie peut se composer de quatre grands domaines déterminants de notre vie :

la santé (au sens le plus large de bien-être général) ;

l'activité (l'univers professionnel ou autres) ;

le mode de vie (l'environnement, le logement, le rythme de vie, la consommation, etc.) ;

les relations (affectives, sexuelles, familiales, amicales, publiques).

Ces domaines peuvent être à leur tour décomposés en catégories. Pour chacune de ces catégories, une personne peut donc fixer les attentes qui sont les siennes, ses objectifs pour modifier éventuellement la donne, les stratégies qu'elle compte adopter pour y parvenir, les modalités d'évaluation des résultats obtenus, et éventuellement, les modes de réajustement nécessaires. Par exemple, si une personne veut quitter un établissement d'hébergement pour vivre seule dans un appartement en centre-ville, que doit-elle faire pour y parvenir ? Quelles conditions doit-elle réunir ? Quelles étapes doit-elle mettre en place ? Ce faisant, l'acteur passe de la simple intentionnalité à la réalisation, c'est-à-dire du souhait au plan, qui constituent les deux phases de tout projet.

Bien entendu, la psychologie de l'acteur constitue un facteur clé, dans le sens où se fixer des attentes suppose de les reconnaître, se fixer des objectifs de prendre des décisions, se fixer des stratégies de passer à l'action, et d'évaluer le résultat d'oser dresser un constat... Bref, autant de choses qui sont les plus difficiles pour l'être humain.

Une adaptation permanente

Pour les personnes en situation de handicap, la notion de projet de vie est encore plus difficile à maîtriser. L'expression d'un projet peut être entravée soit par des difficultés de communication ou de conceptualisation, soit par une incapacité à se projeter dans l'avenir, soit enfin par une pudeur naturelle à révéler à un tiers des aspirations qui relèvent de l'intimité et de la vie privée. De plus, de nombreuses personnes en situation de handicap ont intériorisé les limitations que leur situation apporte à leurs activités et ne s'autorisent pas à exprimer des projets qui leur semblent inaccessibles. Ce qui est une raison de plus pour que les équipes pluridisciplinaires les y aident dans un souci de solidarité et de fraternité.

Car, dans de nombreux cas, l'évolution des aspects médicaux de la situation de handicap oblige la personne à modifier son projet de vie en l'adaptant aux circonstances et en dépassant les contraintes successives imposées par cette évolution. Le projet de vie d'une personne en situation de handicap suppose une acceptation et un dépassement continu de difficultés successives, ce qui est psychologiquement éprouvant. Le rôle des équipes pluridisciplinaires est de l'accompagner dans ces épreuves. »

Contacts : Martine Bechtold - hippocrateaccompagnement@laposte.net ; Jean-René Loubat - 14, quai Pierre-Scize - 69009 Lyon - Tél. 04 72 60 98 79 - jean-reneloubat@wanadoo.fr - www.jeanreneloubat.fr

Notes

(1) Voir ASH n° 2516 du 6-07-07, p. 11.

(2) Voir ASH n° 2557 du 9-05-08, p. 9.

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