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Les enfants, « victimes collatérales » de la crise du logement

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Convaincre l'Etat de la nécessité d'une action forte et cohérente en matière de logement. C'est une nouvelle fois l'ambition du rapport de la Fondation Abbé-Pierre, qui place le sujet au coeur du débat sur les inégalités et dénonce la mise en danger de dizaines de milliers d'enfants.

Si elle est loin d'être nouvelle, la crise du logement, qui touche, selon ses estimations, 10 millions de personnes - dont 3,5 millions de mal-logés et plus de 600 000 privés de logement - est renforcée par les effets de la crise économique, analyse la Fondation Abbé-Pierre dans son XVe rapport annuel (1). Trois dimensions majeures de la situation, déjà très critique, sont ainsi exacerbées : le déficit d'offre de logements accessibles, l'exposition au risque de perdre son logement ainsi que la multiplication des formes d'habitat précaires ou indignes. De fait, tous les indicateurs sont au rouge : l'Office public d'HLM de la Ville de Paris enregistrait par exemple, à la fin du mois de septembre 2009, « un taux d'impayés provisoires de 4 %, en augmentation de 15 % en un an ». Il est à craindre que ces signaux d'alerte « ne fassent qu'annoncer des difficultés encore plus grandes dans les prochains mois », prévient la fondation, qui fustige l'aveuglement des pouvoirs publics à la réalité des besoins sociaux. « Nos responsables politiques continuent à faire comme si notre pays était composé d'une large classe moyenne et de seulement quelques pauvres ayant besoin d'une aide de la collectivité ou d'être mis à l'abri lorsque l'hiver redevient rigoureux », s'exaspère Christophe Robert, directeur des études de la fondation.

Creusement des écarts

La situation est d'autant plus grave qu'elle n'est pas seulement le simple reflet des inégalités sociales : elle les creuse. « Le coût du logement se retrouve, plus que jamais, au coeur des problématiques des inégalités », souligne le rapport, les plus pauvres faisant face à des contraintes proportionnellement plus importantes. Le poids des dépenses incontournables, essentiellement composées des coûts liés au logement, a ainsi doublé depuis 1979 dans le budget des ménages pauvres, passant de 24 % à 48 %, alors que, pour les ménages à hauts revenus, cette part a peu progressé, de 20 à 27 %. Autre démonstration : « si le rapport entre les ressources des ménages les plus riches et les plus pauvres est en moyenne de 6,7, il passe à 18,4 quand on considère ce qui reste aux mêmes ménages après paiement de leurs dépenses contraintes et incontournables. » Conséquence, la mobilité résidentielle s'amoindrit, ce qui réduit encore plus les capacités du secteur HLM : alors que plus de 11 % des locataires quittaient chaque année le parc social dans les années 80, ils ne sont plus que 7,5 % dans ce cas depuis 2002.

Autre source d'injustice flagrante : la situation faite aux enfants, que la fondation s'est particulièrement attachée à décrypter, à l'occasion du XXe anniversaire de la Convention internationale des droits de l'enfant. « Non pas pour faire du misérabilisme, mais pour montrer que le mal-logement a des conséquences durables, sanitaires, psychologiques, sociales, qui pénalisent les parcours », explique Patrick Doutreligne, délégué général de la Fondation Abbé-Pierre. Un constat qui n'a pas laissé sans réaction la défenseure des enfants. Rappelant les recommandations du Comité des droits de l'enfant de l'ONU et rejoignant les demandes d'ATD quart monde en novembre dernier, Dominique Versini appelle à faire du logement « une priorité nationale » en cette année européenne de lutte contre la pauvreté et l'exclusion.

Parmi ces jeunes « victimes collatérales », dont le nombre est estimé par la fondation à 600 000, figurent ceux qui n'ont aucun toit. Selon l'enquête INSEE réalisée en 2001, 18 % de la population des sans-domicile fixe étaient composés de femmes, le plus souvent accompagnées d'enfants, et 13 % de couples, dont la moitié avec des enfants. A ce public s'ajoutent les mineurs en errance et ceux vivant dans des logements « atypiques » - campings, caravanes, abris de fortune, garages, caves, locaux commerciaux, squats -, dans des conditions très précaires de confort et d'hygiène. Il faut aussi compter les gens du voyage, dont les difficultés sont liées à l'insuffisance des aires d'accueil, ainsi que les 5 000 à 7 000 enfants roms présents sur le territoire, confrontés à l'exclusion scolaire et aux expulsions à répétition. Parmi les solutions précaires, comme les chambres d'hôtel, l'hébergement chez des tiers se banalise : « Dans certaines communes de Seine-Saint-Denis, ce sont entre 200 et 400 élèves qui connaissent une telle situation (c'est-à-dire l'équivalent d'une à deux écoles élémentaires !). » Les centres d'hébergement et de réinsertion sociale, souvent inadaptés pour les familles, accueilleraient par ailleurs 10 000 enfants, dont la moitié de moins de 6 ans, et les centres maternels 6 000 de moins de 3 ans. Et pour de nombreux ménages, la situation « peut nécessiter que chacun des membres vive dans un lieu différent ». Un choix par défaut, préjudiciable tant à l'équilibre des enfants qu'à l'exercice de la parentalité.

Moins pénalisantes que le non-logement, les mauvaises conditions de logement n'en nuisent pas moins à la santé, au développement et à la scolarité. Tandis que sont recensés de 400 000 à 600 000 logements indignes ou insalubres, l'intoxication au plomb toucherait 85 000 enfants de moins de 6 ans. Affections respiratoires, dermatologiques et accidents domestiques sont également le lot commun de nombreuses familles, comme en témoigne ce médecin de santé publique, racontant qu'une mère se refusait à poser le couffin de son bébé sur le sol à cause des cafards et des souris. « Elle a alors posé le couffin sur un meuble en hauteur, mais le bébé est tombé à trois reprises ». Alors que 400 000 enfants vivraient dans un logement suroccupé, la promiscuité, souvent à l'origine de perturbations du sommeil, hypothèque les capacités d'apprentissage, comme l'illustre le cas de cet enfant qui ne marchait pas à 22 mois. « A la maison, il reste dans son lit, je ne peux pas le mettre par terre car il n'y a pas de place », expliquait sa mère.

Les politiques défaillants

Malgré ce sombre tableau, « l'intervention politique n'est à l'évidence pas au rendez-vous », s'alarme la fondation, qui dénonce la restriction de la participation de l'Etat à la production de logements sociaux et le décalage entre l'offre et les ressources des ménages. « A l'Etat le rôle de soutenir le marché, aux collectivités locales la charge de la dimension sociale de la politique du logement qu'elles assument avec plus ou moins d'empressement », déplore-t-elle. Parmi ses nombreuses propositions, dont certaines formulées de longue date : imposer dans tout programme immobilier de plus de dix logements un quota minimum de 30 % de logements à loyer accessible, établir un nouveau plan de cohésion sociale fixant un objectif sur cinq ans de 150 000 logements vraiment sociaux par an, dont 30 000 PLAI familiaux (2) afin de pouvoir atteindre les objectifs du droit au logement opposable, encadrer les loyers de relocation et mettre en place un « bouclier énergétique » pour aider les ménages à faire face à leurs dépenses. Elle demande aussi d'élargir la taxe sur la vacance à toutes les communes comprises dans une agglomération de plus de 50 000 habitants et de permettre, à la fin de la progressivité de la taxe (soit après cinq ans de vacance), la réquisition par les pouvoirs publics de ces logements vacants.

Notes

(1) « L'état du mal-logement en France » - www.fondation-abbe-pierre.fr - Voir aussi l'ouvrage de photographies consacré la fondation, ce numéro, p. 39.

(2) Alors que 20 000 PLAI (prêt locatif aidé d'intégration, accordé également aux structures d'hébergement collectif) ont été financés en 2009, Benoist Apparu a indiqué le 3 février que 27 500 PLAI sont programmés pour 2010. Au total, une production de 140 000 logements locatifs sociaux est prévue.

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