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« Rentabilité et objectifs sociaux sont conciliables »

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L'idée de faire cohabiter rentabilité et utilité sociale a aujourd'hui le vent en poupe au sein des entreprises. Mais s'agit-il seulement d'une nouvelle façon d'augmenter les marges bénéficiaires ou, au contraire, d'un moyen d'utiliser la richesse créée au profit des populations qui en ont besoin ? Les réponses de Hugues Sibille, vice-président du Crédit coopératif, et du tout nouveau Mouvement des entrepreneurs sociaux.

On connaissait l'économie sociale, l'insertion par l'activité économique, le microcrédit... Voici que le social business, ou entrepreneuriat social, émerge. Toutes ces appellations recouvrent-elles la même chose ?

Une clarification est, certes, nécessaire. Pour résumer, il existe dans le monde trois grands courants qui convergent vers ce que l'on appelle désormais l'« entrepreneuriat social ». Le premier est européen. En France, c'est celui de l'économie sociale, qui se définit d'abord par ses statuts. On appartient à l'économie sociale si l'on est une association, une coopérative ou une mutuelle. Ce courant s'est enrichi voici une trentaine d'années des structures de l'économie solidaire, qui se préoccupent de l'insertion des chômeurs et des exclus. Le deuxième courant, anglo-saxon et surtout nord-américain, est issu d'une approche philanthropique. Il s'incarne dans des fondations et des ONG, et est représenté au niveau international par l'organisation Ashoka(1). Enfin, arrive le social business initié par Muhammad Yunus, fondateur de la Grameen Bank et promoteur du microcrédit. Ce courant, encore naissant, avec des expériences comme celle de Grameen Danone Food au Bangladesh, vise à apporter des réponses concrètes à la pauvreté massive des pays du Sud et aussi, demain peut-être, à celle des pays du Nord.

Certains se réfèrent au concept de « bottom of the pyramid ». Qu'est-ce que cela signifie ?

Dans la conception du social business défendue par Muhammad Yunus, il ne s'agit pas de s'enrichir. On crée du business, mais les excédents sont réinvestis au service de l'objectif social, qui est jugé aussi important que l'objectif économique. Dans la démarche de type « bottom of the pyramid », ou BOP, on considère que les très nombreux pauvres à travers le monde, situés au bas de la pyramide du marché, constituent un segment potentiellement rentable. On se trouve là dans une classique conquête de marché. Si cela marche, et que cela permet de rémunérer les actionnaires, pourquoi pas ?

De grands groupes tels que Danone et Essilor se sont lancés dans le social business. Quelles sont leurs motivations ?

C'est assez variable d'une entreprise à l'autre. Cela dépend de la culture d'entreprise et de la personnalité du PDG. Les sociétés qui s'engagent dans le social business espèrent sans doute que leur participation à la lutte contre la pauvreté améliorera leur image publique et leurs relations sociales internes. Il est plus valorisant de recevoir Muhammad Yunus, le Prix Nobel de la paix, comme le fait Danone cette semaine à Paris, que de fermer une raffinerie tout en annonçant de formidables bénéfices, à l'instar de Total. Une autre motivation consiste à détecter les marchés de demain et à tester les conditions locales de leur décollage. Avec son unité de fabrication de yaourts au Bangladesh, Danone expérimente de nouvelles façons de faire. Il s'agit d'une petite unité, alors qu'ils ont l'habitude de travailler dans de grandes unités de production. Les produits y ont des qualités nutritionnelles différentes de celles des produits commercialisés ailleurs, et le circuit de production se fait grâce aux populations locales. Avoir le souci de son image ou tester de nouveaux marchés n'est d'ailleurs pas répréhensible. La question est de savoir si, au-delà de l'effet de communication, on permet effectivement à des gens de sortir de la pauvreté.

Qualifier d'« entrepreneuriat social » une stratégie de conquête commerciale des populations pauvres, n'est-ce pas gênant ?

Je suis pragmatique. Je n'ai pas de souci avec le fait d'approcher un certain nombre de problèmes par le marché. Les organisations de l'économie sociale le font depuis longtemps. Il n'y a pas d'incompatibilité avec la poursuite d'un objectif social. En revanche, je défends clairement le principe qui veut que l'on réinvestisse les bénéfices au profit de la collectivité, et non d'un actionnariat. Cette différence demeure, à mes yeux, essentielle.

Mais peut-on concilier une rentabilité élevée avec la poursuite d'objectifs sociaux ?

Concilier rentabilité et objectifs sociaux n'est pas un problème. Tout dépend du niveau de rentabilité. Une organisation, quelle qu'elle soit, ne peut pas tenir longtemps si elle n'arrive pas à équilibrer son compte de résultats. Il lui faut dégager des marges pour survivre et investir dans des projets d'avenir. Tout entrepreneur social passe son temps à gérer cette tension entre rentabilité et objectif social. En revanche, si l'on parle d'une rentabilité élevée, de l'ordre de 15 % à 20 %, ce n'est plus la même philosophie. C'est celle que l'on connaît depuis près de trente ans et qui a débouché, au moins dans le domaine financier, sur la crise actuelle.

Ne faut-il pas se méfier d'un effet de mode autour de l'entrepreneuriat social ?

Je ne peux qu'être content du « buzz » actuel, car cela fait plusieurs années que nous nous battons pour défendre l'entreprise sociale. Mais il faut se garder de survendre cette idée, comme cela s'est produit pour le microcrédit, qui était vu comme une solution miracle. L'entrepreneuriat social n'est qu'une solution parmi d'autres, avec ses avantages et ses inconvénients. Je suis néanmoins convaincu que l'on peut faire bouger un certain nombre de choses de l'intérieur de l'économie de marché, et j'espère que cette démarche influencera les autres entreprises. Si la publicité dont bénéficie actuellement le social business les conduit à se poser des questions et à adopter des comportements différents, ce sera une bonne chose.

En France, où se situe l'entrepreneuriat social ?

Le Mouvement des entrepreneurs sociaux, que nous créons cette semaine, prône une définition de l'entreprise sociale assez proche de celle de l'économie sociale classique. Le premier critère est que l'entreprise sociale doit relever d'une initiative privée, et pas d'une structure publique ou parapublique. Ensuite, son objet social doit être clairement inscrit dans ses statuts. Enfin, ses excédents sont obligatoirement réinvestis dans l'entreprise, au service de son objet social. On pourrait d'ailleurs ajouter un quatrième critère, inspiré de l'économie solidaire et de l'insertion, qui est que l'écart des rémunérations au sein de la structure doit être limité. Le mouvement que nous créons vise à représenter les entrepreneurs sociaux auprès des décideurs, des pouvoirs publics et de l'opinion. Il a pour mission de faire du lobbying sur certains dossiers - par exemple, l'utilisation des 100 millions d'euros consacrés à l'entrepreneuriat social et solidaire dans le cadre du grand emprunt lancé par l'Etat.

Plusieurs des fondateurs du Mouvement des entrepreneurs sociaux ont des liens avec le secteur social. Le social business est-il un nouveau champ d'action pour les travailleurs sociaux ?

Je pense qu'avec les difficultés financières que rencontre l'Etat, nous allons voir émerger des entrepreneurs, dont des travailleurs sociaux, qui chercheront à faire fonctionner autrement les services et établissements sociaux. Il y aura progressivement, dans les domaines du social, de la santé, de l'éducation, des services qui ne seront plus rendus en direct par la puissance publique. Des Jean-Marc Borello - le fondateur du groupe SOS, et initialement éducateur -, on en verra apparaître d'autres. Cela pose des questions de modèle économique de ces structures, et de délégation de service public. Mais cela vaut mieux que de voir des établissements rachetés par des grands groupes financiers ou des fonds de pension, comme c'est le cas actuellement pour des maisons de retraite et des cliniques privées.

Souhaitez-vous la création d'un statut particulier pour les entreprises sociales ?

A titre personnel, je suis plutôt réservé sur cette idée. Il existe déjà de nombreux statuts : associatif, coopératif, commercial... Et il est possible de les adapter selon les besoins. Alors, qu'apporterait de plus un nouveau statut, qui aurait pour inconvénient d'enfermer les entreprises sociales dans un ghetto ? En revanche, je suis favorable à la création d'un label qui aiderait à veiller au respect de certains critères. Mon souhait est, en tout cas, que l'émergence de l'entrepreneuriat social français soit l'occasion de revitaliser l'économie sociale, et non de la concurrencer.

REPÈRES

Hugues Sibille est vice-président du Crédit coopératif. A ce titre, il préside l'Institut de développement de l'économie sociale (ESFIN-IDES) et l'Agence de valorisation des initiatives socio-économiques (AVISE). Il a occupé, de 1998 à 2001, la fonction de délégué interministériel à l'innovation et à l'économie sociale (DIES). Il est vice-président du tout jeune Mouvement des entrepreneurs sociaux, créé le 2 février.

Notes

(1) Ashoka est une organisation internationale à but non lucratif, créée en 1980, qui a pour objectif de favoriser le développement de l'entrepreneuriat social.

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