Que se passe-t-il quand les personnes ne peuvent se déplacer ? La réponse d'Eric Le Breton, sociologue, est sans appel : « Les difficultés de mobilité, en les privant de l'accès au travail et à la formation, en les empêchant d'accomplir les gestes de la vie quotidienne, les maintiennent dans la précarité. Les pauvres sont pris dans un cercle vicieux : faire du surplace dans l'espace géographique les condamne à faire du surplace dans l'espace social » (1). Est-ce un hasard si la question de la mobilité devient un enjeu politique de premier plan ? Avec la crise économique, aucune piste ne doit être négligée, et le permis de conduire fait en quelque sorte figure de sésame pour l'emploi.
Considéré comme un critère indispensable par les employeurs (il suppose au moins l'acquisition de la lecture), c'est parfois le seul « diplôme » qui figure sur le curriculum vitae des candidats. Pour Maryse Esterle-Hedibel, socio-anthropologue, il « cumule des avantages pragmatiques et des qualités symboliques » (2) : atout dans la recherche d'emploi, la formation au permis familiarise avec l'activité d'apprentissage, renforce la confiance en soi et favorise l'intégration des normes de vie en collectivité. « Non seulement le permis est un vecteur d'égalité puisque c'est un examen accessible à tous, mais c'est aussi un mieux-disant social qui fonctionne comme un critère de recrutement même quand il n'est pas indispensable pour le poste visé », explique Pierre Verney, directeur du service de prévention spécialisée de l'ADSEA (Association départementale pour la sauvegarde de l'enfant et de l'adolescent) du Val-d'Oise. Lui-même a participé à la création d'une des premières auto-écoles sociales en France à la fin des années 70.
Depuis, le paysage institutionnel et social a changé et l'objectif des auto-écoles sociales s'est affiné : elles sont désormais une petite centaine en France à oeuvrer à l'insertion sociale et professionnelle par l'apprentissage de la conduite et par la formation aux règles de la sécurité routière. Rattachées à des structures diverses (services de prévention spécialisée, associations d'insertion, organismes de formation, services de la protection judiciaire de la jeunesse, foyers de jeunes travailleurs, centres d'hébergement et de réinsertion sociale, services d'animation, missions locales...), elles visent à promouvoir le permis auprès de publics fragiles, qu'ils soient illettrés, allocataires du revenu de solidarité active (RSA), jeunes aux prises avec la justice, femmes isolées... C'est dire si les auto-écoles sociales brassent des cultures professionnelles nombreuses et variées.
Dans ce foisonnement tous azimuts, un début de structuration a vu le jour en 1988 avec la création de la FARE (Fédération des associations de la route pour l'éducation et l'insertion sociale) (3), dont l'action a débouché, en 2001, sur la reconnaissance du statut spécifique d'ECSA (école de conduite de statut associatif) avec pour objet d'utiliser le permis de conduire comme outil d'insertion sociale et professionnelle pour un public en difficulté (voir encadré, page 29). De fait, et contrairement aux auto-écoles commerciales qui se focalisent uniquement sur le permis, les auto-écoles sociales accompagnent les personnes de façon globale, en prenant en compte leurs difficultés diverses. Ces dernières sont d'abord d'ordre économique : alors que, dans les auto-écoles commerciales, le coût du permis est rédhibitoire puisqu'il faut compter environ 1 200 € - auxquels il faut ajouter de 500 à 800 € en cas d'échec -, les auto-écoles associatives offrent une prise en charge financière de 85% en moyenne (4). Mais ces difficultés sont aussi et surtout d'ordre social, ce qui rend d'autant plus fondamental le suivi personnalisé de chaque candidat. « On repère les difficultés de chacun au début de la formation et on adapte celle-ci en conséquence avec du soutien individuel ou un travail sur la régularité, explique Philippe Chartier, chef de service de l'auto-école sociale de l'ADSEA du Val-d'Oise. S'il ne résout pas tout, le permis est un formidable moyen pour entrer en contact avec les jeunes et commencer un travail éducatif en évoquant leurs comportements, leurs habitudes, leurs addictions... » « C'est le seul examen qu' acceptent des jeunes en dehors des clous », explique Pierre Verney, qui relate son expérience de pionnier dans Se ranger des voitures (5). A l'ADSEA, six des huit équipes de prévention spécialisée ont un local de proximité où elles peuvent recevoir les jeunes pour des cours de code ou afin de fixer un rendez-vous pour des leçons de conduite. Cette présence au plus près du terrain favorise la régularité des cours et facilite l'obtention finale du permis, qui est en partie financé par les jeunes par le biais de chantiers éducatifs ou de missions proposées par une association intermédiaire partenaire. « Le permis est un lien avec la société, explique Pierre Verney. Les jeunes n'ont pas toujours envie de respecter les règles sociales. Mais, sur les routes, ils sont d'accord pour accepter les règles communes. Passer son permis permet une forme de socialisation dans le respect des autres. » Avec à la clé, une dynamique vers l'autonomie, l'ouverture vers d'autres perspectives que le quartier, et l'acquisition de connaissances. L'apprentissage du code de la route sert en effet de support pour développer des compétences de lecture, de mémorisation ou, tout simplement, de respect des consignes. « Parfois, le permis n'est qu'une étape dans le projet du jeune, explique Philippe Chartier. D'autre fois, l'obtention du sésame met définitivement fin à la relation avec l'équipe éducative. »
Depuis une quinzaine d'années, l'insertion et la formation prennent toutefois peu à peu le pas sur la prévention spécialisée. Ce mouvement est repérable même au sein des auto-écoles associatives les plus anciennes, comme celle du PIJE (Promotion initiatives jeunes pour l'emploi) à Combes-la-Ville (Seine-et-Marne) : « A la base, nous avions une démarche d'éducation et de protection des jeunes dans une optique de sécurité routière, explique Esther Giband, sa directrice. Avec le développement de nos chantiers d'insertion, nous avons pris conscience que le permis était un diplôme obligatoire pour accéder à l'emploi, notamment dans certains secteurs comme l'environnement, l'aide à domicile ou le bâtiment. Aujourd'hui, quand on a une demande d'inscription à l'auto-école, une des clés d'entrée est que le permis s'inscrive dans un parcours d'insertion professionnelle. » Ce virage s'est effectué de concert avec l'évolution des sources de financement : de plus en plus de conseils généraux prennent en charge une partie du permis de conduire des jeunes sans formation ou des allocataires de minima sociaux dans le cadre d'actions d'insertion ou de remobilisation. Ce qui, par contre-coup, génère des activités et des partenariats nouveaux du côté des auto-écoles sociales. Celle de l'ADSEA du Val-d'Oise poursuit ainsi son action de prévention spécialisée soutenue par le conseil général, qui finance deux postes de moniteurs d'auto-école. Mais, incitée par le tout récent système d'aide financière au permis de conduire mis en place par le département (de 100 à 600 € pour les moins de 26 ans selon les revenus), elle travaille désormais étroitement avec la mission locale de Cergy-Pontoise (Val-d'Oise) pour favoriser la formation et l'emploi des jeunes en s'appuyant sur la dynamique créée par l'apprentissage du permis de conduire. Lors d'un entretien avec le jeune, le conseiller référent de la mission locale évalue ses besoins en termes de mobilité puis définit avec lui son projet d'insertion et élabore un plan d'action parallèle au passage du permis. « La préparation du code de la route et du permis de conduire est une fin en soi, explique Pierre Verney. Mais ce temps de travail est un moment qui permet aussi une progression dans d'autres domaines avec une remise à niveau ou des projections socioprofessionnelles positives. La formation au permis doit être considérée comme partie intégrante du projet professionnel. »
Reste que, pour les allocataires de minima sociaux, le pari est souvent plus difficile : « Contrairement aux jeunes pour qui le permis reste très attractif, ces personnes n'ont pas forcément envie de l'acquérir, note Pierre Verney. Vouloir le leur faire passer en trois mois est une gageure alors que, pour certains, il faudrait sans doute plus de un an pour y parvenir, et à condition que la démarche s'inscrive dans le cadre d'un projet global. » Alors que 20 heures de conduite suffisent pour les uns, il faut parfois en compter 150 pour d'autres ! « On laisse le temps aux personnes d'aller au bout de leur formation », note néanmoins Esther Giband du PIJE. Dans ce service de l'ADSEA de Seine-et-Marne, les cours de code durent 1 h 30 en présence d'un moniteur (contre une heure de DVD pour nombre d'auto-écoles commerciales). Et, pour les personnes illettrées ou en formation FLE (français langue étrangère), le cours de code se double d'un cours de soutien linguistique pour bien appréhender les nuances lexicales qui sont autant de pièges pendant l'examen. Dans le Bas-Rhin, l'association Mobilex (mobilité contre l'exclusion), qui organise des sessions de code en partenariat avec des centres de détention et des missions locales, table, quant à elle, sur une évaluation fine du public et sur la définition d'un projet professionnel cohérent pour mobiliser les usagers tout au long de l'apprentissage. « Quand on dit que l'objectif est l'emploi, on y arrive en quatre ou cinq mois », affirme Didier Luces, son directeur.
Pourtant, malgré le suivi personnalisé, l'idée d'une universalité du permis a fait long feu : « Que ce soit pour des raisons linguistiques, cognitives ou encore pour des raisons liées à l'alcoolisme, nous avons fini par admettre que certaines personnes ne pourraient jamais accéder au permis de conduire, notamment parce que l'examen devient de plus en plus complexe », note Esther Giband. Cette prise de conscience a conduit le PIJE à replacer la question du permis dans une réflexion plus large. Désormais, il n'est qu'une réponse parmi d'autres au sein d'une palette de dispositifs, qui vont du chantier d'insertion de transport solidaire (avec cinq chauffeurs qui souhaitent s'orienter vers les métiers du transport et conduisent, sur prescription sociale, des allocataires du RSA à leurs rendez-vous socioprofessionnels) à la reconnaissance comme agence de proximité « Papa Charlie » (qui loue à prix modique des véhicules à des personnes en difficulté) en passant par un partenariat avec un établissement et service d'aide par le travail (ESAT) de réparation et de location de deux-roues. « L'entrée dans le parcours d'insertion débute par un diagnostic de mobilité où toutes les solutions sont envisagées, explique Esther Giband. Le permis est parfois nécessaire à terme mais, en attendant, nous pouvons proposer du transport solidaire ou la location d'un scooter, voire, tout simplement, l'élaboration d'un parcours en transport en commun pour se rendre en formation... »
Sortir du tout-permis : c'est d'ailleurs une des lignes de réflexion de la FARE. « Aujourd'hui nous ne sommes plus uniquement sur le permis mais bien sur la mobilité au sens large, précise Bernard Frasiak, son président, également directeur d'un organisme de formation au service des personnes en difficulté à Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme). Nous cherchons donc à nous rapprocher des plates-formes de mobilité qui existent sur le territoire et à être force de propositions en nous appuyant sur notre expérience de terrain. » Dans cette perspective, la plupart des auto-écoles sociales diversifient leur action : à l'instar du PIJE, l'ADSEA du Val-d'Oise propose, outre son activité d'auto-école associative, un dispositif de transport solidaire sous la forme d'un chantier d'insertion, « Roul'vers », qui emploie des jeunes chauffeurs en contrat aidé. Leur mission : conduire, à la demande des prescripteurs sociaux, des personnes en insertion qui ont besoin de se déplacer sur leur lieu de travail dans le département.
D'autres structures, adhérentes ou proches de la FARE, se situent dans cette approche visant la mobilité globale de la personne. C'est le cas de l'association TMS (Transport mobilité solidarité) à Salon-de-Provence (Bouches-du-Rhône) : les « conseillers mobilité », qui reçoivent le public orienté par les partenaires prescripteurs, posent un diagnostic de mobilité avant d'élaborer un parcours individualisé. « L'accompagnement sera très différent selon que la personne a le permis ou non, selon qu'elle est illettrée ou pas, explique Bertrand Schaller, directeur de TMS. Il pourra s'agir d'apprendre simplement à la personne à se déplacer vers l'emploi en travaillant sur les zones d'employabilité et la façon dont on peut s'y rendre, ou de suivre une formation linguistique en amont de l'inscription à l'examen du code de la route. » Dans le cas où les personnes ont besoin de passer leur permis, TMS - qui n'a pas d'auto-école sociale - a noué des partenariats avec des auto-écoles commerciales. Les « conseillers mobilité » les accompagnent alors pendant la durée de leur formation et jouent un rôle de régulateur en anticipant les tensions et les éventuelles difficultés. C'est également la mobilité globale des personnes que poursuit l'association Mobilex, à ceci près que le public peut bénéficier d'un dispositif de microcrédit personnel pour acquérir un véhicule après avoir été accompagné dans le passage du permis de conduire. Avant d'en arriver là, encore faut-il déjà avoir franchi quelques étapes, analyse Didier Luces : « La mobilité n'est pas qu'une question matérielle, elle a aussi une dimension intellectuelle et psychologique. Du coup, nous avons dû réfléchir à des outils capables de mobiliser les gens autour de la question : qu'est-ce que la mobilité pour mon autonomie et pour mon projet professionnel ? » La réflexion a débouché sur la création d'« ateliers mobilité » collectifs, puis sur la mise en place de prestations d'accompagnement à l'autonomie, qui associent parcours de mobilité et parcours d'accès à l'emploi en lien avec les missions locales ou Pôle emploi.
Fortes de leurs actions multiples, de plus en plus de structures, à l'instar de Mobilex ou du PIJE, se définissent comme « pôles de mobilité », terme général qui désigne la mise à disposition d'une gamme d'outils liés aux transports. Se pose alors la question de leur articulation avec d'autres services de mobilité, notamment publics. « Les structures de l'insertion travaillent souvent dans l'ignorance des collectivités chargées du transport, déplore Jean-Paul Birchen, chargé de projet « mobilité et cohésion » au CERTU (Centre d'études sur les réseaux, les transports, l'urbanisme et les constructions publiques). Or, si certaines comprennent l'intérêt de s'en rapprocher, toutes n'ont pas encore cette démarche. Pourtant, les auto-écoles sociales ne sont qu'un outil parmi d'autres ! Il y a un enjeu d'information à leur égard en termes d'efficacité et de meilleure coordination entre tous les services de mobilité. » Facteur non négligeable, cette articulation avec les politiques mises en place par les autorités organisatrices de transport urbain (AOTU) pourrait, du côté des auto-écoles sociales, s'accompagner d'un élargissement de leurs sources de financement et, du côté des dispositifs de transport de droit commun, les pousser à prendre en compte les personnes les plus fragiles. Plus largement, c'est vers une dynamique de développement durable où la voiture pour tous ne serait plus l'unique solution qu'il faudrait aller, avance Bernard Frasiak : « Ce n'est toutefois pas une mince affaire. Car sensibiliser à des alternatives à la voiture reste une gageure pour une population dont la priorité n'est pas le respect de l'environnement mais la recherche d'un emploi, et pour laquelle le permis de conduire reste un gage d'intégration. »
Pour l'heure, la FARE affine ses outils pédagogiques pour améliorer le suivi personnalisé des publics en difficulté dans le cadre d'un label de qualité. Objectif ? Améliorer, par une démarche participative, la qualité des auto-écoles associatives tout en définissant une identité commune garante d'une meilleure lisibilité auprès des partenaires et d'une plus grande efficience dans l'utilisation des fonds publics. « C'est un cadre commun de référence », explique Catherine Lestre de Rey, directrice de la FARE. « Grâce au label, qui a commencé à être délivré en décembre dernier, nous veillons à ce que les professionnels poursuivent continuellement cette double mission qui fait la particularité de notre action, à savoir l'accompagnement dans le parcours d'insertion et le conseil en mobilité, notamment à travers le permis », précise Bernard Frasiak. L'entreprise de labellisation semble d'autant plus urgente que les auto-écoles associatives voient leur environnement évoluer rapidement.
La multiplication des appels d'offres prouve l'intérêt des pouvoirs publics pour les problématiques liées à la mobilité et poussent le secteur à se structurer et à se professionnaliser. Le Haut Commissariat à la jeunesse a lancé en juin 2009 un appel à projets intitulé « expérimentations pour les jeunes, 10 000 permis pour réussir » auquel ont répondu de nombreuses auto-écoles sociales. Quant à l'appel à projets « Des quartiers vers l'emploi : une nouvelle mobilité » lancé en janvier 2009 par le ministère du Développement durable et la délégation interministérielle à la ville, il a fait émerger des propositions qui soit émanent directement d'auto-écoles sociales, soit les intègrent au projet. « C'est intéressant, mais il faut voir ce qui va effectivement ressortir de tout ça, note Bernard Frasiak. Si on compte bien, l'appel à projets de Martin Hirsch met sur la table 1 000 € par permis. Or, avec notre public, il faudrait au moins le double ! » « Et demain ?, s'inquiète pour sa part Didier Luces. Il est de notre responsabilité, au-delà des coups politiques, de travailler à la pérennité des dispositifs. »
Dans ce contexte et alors que 35 000 jeunes circuleraient sans permis en France, la réforme du permis de conduire annoncée par le Premier ministre en janvier 2009 va-t-elle changer la donne ? Elle vise en tout cas à mettre en place un permis « moins long, moins cher et plus sûr », indiquait le comité interministériel de la sécurité routière du 13 janvier 2009. D'ici à 2012, plusieurs dispositions devraient soutenir les candidats les plus en difficulté ayant besoin d'une aide financière ou d'un accompagnement particulier. Outre la promotion de la « bourse aux permis » au niveau des communes (5) et des aides déjà mises en place au niveau des départements, la réforme devrait doubler les aides à la mobilité en direction des demandeurs d'emploi et consacrer 15 millions d'euros à l'accès au permis de conduire pour les titulaires du RSA. « C'est une estimation de la valorisation de fonds qui, de toute façon, étaient déjà destinés aux permis de conduire », tempère toutefois Catherine Lestre de Rey. Sans compter que les associations de terrain sont assez mal informées des appels d'offres permettant d'accéder à ces fonds. Autre annonce : l'accès aux écoles de conduite associatives devrait être facilité pour les personnes qui ont besoin d'un accompagnement spécifique. Aujourd'hui, ces écoles prennent en charge entre 8 000 et 10 000 candidats chaque année. Le gouvernement souhaiterait en augmenter le nombre de moitié. « J'espère que ce n'est pas un effet d'annonce, même si nous prenons cette effervescence plutôt comme une reconnaissance de notre travail », commente Esther Giband. « Qui va payer ? Les collectivités locales ? », s'inquiète Bernard Frasiak. Sans compter que « tout ça ne tient que si le nombre d'inspecteurs augmente pour démultiplier les places d'examens », précise Pierre Verney. Or celles-ci sont déjà limitées du fait de la pénurie d'inspecteurs et d'une attribution des places qui pénalise les auto-écoles sociales. « Si le permis n'est qu'un prétexte et que la formation ne débouche sur rien, c'est un jeu de dupes et nos structures risquent de perdre leur crédibilité auprès des bénéficiaires », poursuit Pierre Verney. De quoi rester vigilant. Sans compter que la pérennisation - voire le développement - des auto-écoles sociales pose également la question de la formation des enseignants de conduite. La perle rare - un moniteur qui a aussi une formation de travailleur social - reste difficile à trouver. Et si la voie sociale peut constituer une étape dans l'évolution de carrière des moniteurs d'auto-écoles commerciales, elle se fait rarement sans perte de salaire, ce qui suppose une forte motivation personnelle. C'est pourquoi la FARE milite pour la création d'un module d'approfondissement des techniques pédagogiques en direction des personnes handicapées ou précaires pour les moniteurs d'auto-école. « Ces professionnels allient l'enseignement de la conduite et l'accompagnement social, note Catherine Lestre de Rey. Ils s'impliquent dans la relation de formation avec des méthodes et une posture qui ne sont pas les mêmes que dans un cadre commercial. Cela ne s'invente pas et, même, ça se qualifie. »
Les auto-écoles à statut associatif (ou auto-écoles sociales) sont régies par la loi du 18 juin 1999 portant diverses mesures relatives à la sécurité routière, complétée par le décret du 26 décembre 2000 qui aborde notamment « l'enseignement de la conduite et de la sécurité routière par les associations d'insertion ou de réinsertion sociale ou professionnelle » et par l'arrêté du 8 janvier 2001 définissant les conditions d'agrément d'une auto-école sociale. Le décret du 26 décembre 2000 stipule en particulier que les auto-écoles associatives « mettent en oeuvre des modalités spécifiques d'accueil, d'accompagnement et de suivi social et professionnel » au bénéfice « des personnes qui relèvent soit des dispositifs d'insertion, soit de situation de marginalité ou de grande difficulté sociale, soit d'une prise en charge au titre de l'aide sociale » (article. R. 246).
Anthropologue et auteur d'une étude sur les auto-écoles associatives (6).
Les auto-écoles sociales proposent désormais un ensemble d'outils d'insertion. Comment l'expliquer ?
Les auto-écoles associatives ont été peu à peu amenées à mettre en place une éducation autour du permis de conduire pour répondre aux besoins des personnes les plus fragiles. Cela va des ateliers linguistiques, proches de l'alphabétisation, pour préparer le code, à des ateliers d'aide au budget pour accéder à l'achat d'une voiture ou encore à des « ateliers santé » pour sensibiliser à l'alcool au volant par exemple. En s'appuyant sur un contenu (le code de la route) et un objectif fort (le permis de conduire), les auto-écoles sociales réalisent depuis une vingtaine d'années un travail d'insertion sociale qui peut s'adresser à des publics très différents.
Qu'apporte le permis pour les personnes les plus fragiles ?
Il permet d'insérer des personnes même quand il n'y a pas d'emploi au bout. C'est en effet un aboutissement qui engendre une grande fierté et, parfois, une assurance nouvelle qui peut aider dans la recherche future d'un emploi. Certes le parcours peut être assez long, parfois six mois ou plus, ce qui a un coût pour la collectivité. L'avantage, c'est qu'on ne perd pas de vue les personnes suivies pendant toute la période de formation. Lorsque l'auto-école travaille avec la mission locale par exemple, les deux structures peuvent rester en contact pour savoir comment évoluent les jeunes. Il y a d'ailleurs tout un travail de partenariat à renforcer entre les structures d'insertion, les acteurs institutionnels (missions locales, pôle emploi...) et les auto-écoles associatives. Ces partenariats n'ont pas forcément vocation à se généraliser pour tous mais ils ont un impact et des résultats probants pour les plus fragiles. Ils sont néanmoins difficiles à mettre en place du fait de cultures professionnelles différentes.
Que faire pour ceux qui sont trop éloignés du permis ?
Il y a effectivement des personnes qui n'auront jamais le permis de conduire, ou du moins pas à brève échéance. Pour celles-là, souvent plus âgées, il faut trouver des solutions différentes pour qu'elles puissent aussi accéder à la mobilité sinon elles resteront au bord du chemin, sans possibilité d'intégration sociale et professionnelle. C'est pourquoi de plus en plus d'auto-écoles associatives proposent des dispositifs complémentaires comme la location de deux-roues, du transport solidaire, etc. Dans cette perspective, elles ont des efforts à faire pour s'adapter aux besoins du territoire et à la demande sociale, ainsi qu'aux politiques de mobilité menées par les collectivités locales.
PROPOS RECUEILLIS PAR C. S.-D.
(1) In Bouger pour s'en sortir : mobilité quotidienne et intégration sociale - Ed. Armand Colin, 2005.
(2) In Sur la route de l'insertion - La Documentation française, 1998.
(3) FARE : 21, rue Lagille - 75018 Paris - Tél. 01 58 59 14 21 -
(4) Source : comité interministériel de la sécurité routière, janvier 2009.
(5) Co-écrit avec Maurizio Catani - Ed. Méridiens Klincksieck, 1986.
(6) La « bourse aux permis » permet, depuis 2008, la prise en charge par la commune d'une partie du coût du permis de conduire en échange d'une activité bénévole d'intérêt collectif effectuée par des jeunes âgés de 18 à 25 ans et sans ressources. Elle complète le « permis à un euro par jour », prêt dont les intérêts sont pris en charge par l'Etat, destiné aux jeunes de 16 à 25 ans qui s'inscrivent pour la première fois à une formation au permis de conduire.
(7) Une approche socio-anthropologique de l'apprentissage de la conduite dans les auto-écoles associatives, co-écrit avec Gérard Dubey - Disponible sur demande à la FARE :