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Cherche stage désespérément

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La loi sur l'égalité des chances de 2006 a obligé toute structure sociale et médico-sociale de droit privé à gratifier financièrement les étudiants pour des stages de plus de trois mois, durée qui vient d'être abaissée à deux mois. De ce fait, les élèves et les formateurs du secteur se voient confrontés à une raréfaction dramatique des terrains de stages. Une situation qui entraîne une mobilisation grandissante.

« Sur 65 étudiants, nous sommes 25 à n'avoir rien trouvé à trois semaines du début du stage. En novembre, une association pour familles en difficulté, que j'avais contactée grâce à mes parents, m'avait dit que c'était bon. Puis la directrice m'a appelée pour me dire qu'il n'y avait pas d'assistante sociale chez eux, et qu'un stage de trois mois et demi n'était pas possible. J'ai alors cherché en hôpital, mais j'ai cumulé une liste de refus pour des motifs sans queue ni tête : restructuration jusqu'en 2020, bureau trop petit, pas de 1re année, déjà des stagiaires, pas d'assistant social en poste, lieu d'habitation trop éloigné... J'ai élargi ma recherche à tous les secteurs, même si ça ne colle pas avec mon projet personnel, et j'ai prospecté jusqu'aux Alpes-Maritimes. C'est un peu flippant, parce que l'école nous laisse nous débrouiller assez seuls. »

Cette situation aberrante, Emilie Seiler, 23 ans, étudiante assistante de service social (ASS) en 1re année à l'IRTS PACA-Corse, n'est pas la seule à l'avoir vécue au début de l'année scolaire 2009-2010. Deux ans après le décret du 31 janvier 2008 - puis en application de la loi de 2006 sur l'égalité des chances - qui a permis l'entrée en vigueur de l'obligation pour les employeurs de droit privé de gratifier les stagiaires au-delà d'une certaine durée de stage (voir encadré page 35), et six mois après celui du 21 juillet 2009, qui a institué cette obligation pour la fonction publique d'Etat, les travailleurs sociaux en formation sont de plus en plus nombreux à rencontrer les pires difficultés pour trouver des terrains de stages qui veuillent bien les accueillir. Une situation que confirment les nombreux témoignages que nous avons recueillis ces dernières semaines à Paris, Angers, Lyon, Clermont-Ferrand et en PACA.

« Dans ma promotion en 1re année, raconte Delphine Barbe, étudiante éducatrice spécialisée (ES) en 1re année à l'Ecole de formation psychopédagogique (EFPP) de Paris, les stages ont duré trois mois moins un jour, si bien que tous les étudiants sont partis en stage. Mais en 2e année, quelques semaines avant le début des stages, 14 étudiants sur 50 n'avaient rien trouvé. Parfois, l'instauration de quota débouche sur la création de listes d'attente, sans place disponible avant 2011. D'autres acceptent le stagiaire, de bonne foi, pensant qu'ils parviendront à débloquer les moyens, puis annulent au dernier moment. Pour les étudiants, cela peut générer beaucoup d'angoisse. Certains étaient dans un état de stress avancé. » Même constat chez Thomas Edet, 28 ans, étudiant ES en 2e année à l'ARIFTS-Iframes, à Angers : « Au sein de ma promotion, le jour du départ en stage, 5 étudiants sur 54 n'avaient toujours pas trouvé de terrain. La plupart d'entre nous étaient gênés de démarrer leur stage alors que d'autres étaient obligés de suspendre, voire d'arrêter leur formation. Et pourtant, ils s'étaient donné du mal ! Certains avaient envoyé des candidatures dès le printemps pour un stage en novembre. Nous avons donc voté le non-départ en stage par geste de solidarité vis-à-vis de nos collègues, et aussi pour sensibiliser les structures à nos difficultés. Dans l'ensemble, les terrains de stages se sont montrés assez compréhensifs. Sur les 5 étudiants restés sur le carreau, tous ont fini par trouver, la dernière avec trois semaines de retard. Mais il a fallu multiplier les CV, les appels, les visites sur place, parfois au détriment des cours. On sentait une grande souffrance. »

Quelques centaines de kilomètres plus au sud, à Marseille, le problème est identique. « Fin décembre, on était 40 sur une soixantaine à avoir trouvé, alors qu'on devait partir en stage le 11 janvier, déplore Anaïs Lebon, étudiante assistante de service social en 1re année à l'IRTS PACA-Corse. La plupart de ceux qui ont trouvé un stage sont indemnisés par Pôle emploi(1) et ne sont donc pas concernés par la gratification. Mais même eux ont du mal. Pour moi aussi cela a été difficile, et pourtant j'ai travaillé dans l'insertion et je connais les techniques. Souvent, on ne parvient même pas à franchir la barrière du standard. Ceux qui ont trouvé en premier, c'est grâce à leur réseau. J'ai finalement déniché en novembre un stage non gratifié dans une maison départementale de la solidarité du conseil général. Cinq ou six ont trouvé en hôpital, quelques-uns en IME [institut médico-éducatif], plusieurs en MDS [maison départementale de la solidarité] et un dans une structure d'insertion. En revanche, l'Education nationale a refusé toutes les demandes. »

La raréfaction des terrains de stages n'est pas réservée aux seuls éducateurs spécialisés et assistants de service social. Les éducateurs de jeunes enfants (EJE) sont eux aussi touchés. « Dans ma promotion, nous avons eu d'autant plus de mal à trouver des terrains que, depuis décembre 2008, la mairie de Lyon a décidé de verser des gratifications aux stagiaires mais en limitant le nombre de places, soit cinq par an pour les EJE, contre une dizaine auparavant, témoigne Florent Brumelot, 36 ans, étudiant EJE en 3e année à l'Ecole santé-social du Sud-Est, à Lyon. Cela ferme la porte d'une multitude de structures municipales, alors que parallèlement les budgets se réduisent dans les associations. » Le futur EJE, secrétaire du Collectif rhônalpin des étudiants en travail social (Craets) et représentant de la coordination nationale d'étudiants en travail social, s'alarme pour les années à venir : « Cette année, les formateurs ont limité les effets de l'abaissement en faisant signer les conventions relatives aux stages de dix semaines dès le mois d'octobre, avant le décret abaissant la durée du stage gratifiable à deux mois, pour un départ mi-janvier. L'année prochaine, cela ne pourra évidemment pas fonctionner. Avec le raccourcissement à deux mois de la durée de stage soumise à gratification, les stages de huit et dix semaines en 2e année et le stage long de 3e année sont désormais concernés. Toutes les structures qui pouvaient encore accueillir des stagiaires cesseront probablement de le faire. »

Un refus aux causes multiples

Du côté des formateurs, on pointe aussi du doigt les conséquences de la gratification. « Certains invoquent des charges de travail trop importantes pour pouvoir accueillir des stagiaires, mais c'est marginal, observe Philippe Poirier, responsable de la formation initiale d'éducateurs spécialisés à l'EFPP de Paris. Nous avons adressé un questionnaire aux structures, pour connaître l'origine de leur refus. Sur 274 refus, le non-financement de la gratification était cité 114 fois, et le quota de stagiaires atteint du fait de la gratification à 91 reprises. Car même quand un financement est débloqué, le quota de stagiaires fixé par établissement entraîne moins de souplesse. Mais s'il n'y avait que cela, on s'en sortirait ! A Orly, une MECS [maison d'enfants à caractère social] s'est vu refuser l'accueil de stagiaires au motif que l'aide sociale à l'enfance lui donnait déjà une ligne budgétaire pour les apprentis ! »

La pénurie actuelle de terrains de stages a cependant d'autres explications que les seules gratifications. Ne serait-ce que la réforme du diplôme d'Etat d'éducateur spécialisé, avec la mise en place de terrains de stages qualifiants, qui a entraîné une baisse du nombre des stagiaires par structure, en raison de la mission plus importante attribuée aux équipes d'accueil. « Trouver dès juin des stages en temps et en heure pour un départ en septembre a toujours été compliqué, rappelle Régis Robin, formateur dans la filière ASS à l'ARIFTS-ENSO d'Angers. Le problème s'est simplement accentué avec la gratification, qui s'est ajoutée aux arguments déjà invoqués par les structures pour expliquer leur refus : le manque de temps, des dates de stages ne correspondant pas à leurs disponibilités, pas assez de place dans leurs locaux pour accueillir un stagiaire... » Un constat que dresse aussi Yolande Teychené, responsable du centre d'activités « interventions sociales » de l'IRTS PACA-Corse : « Quand je suis arrivée, nous avions un ou deux soucis pour des stages de 3e année du fait de retards de conventions ou de mauvaises méthodes de recherche. L'an dernier, nous avons commencé à avoir de réels problèmes du fait de la gratification. Mais les causes sont en réalité multiples. Dans certains services, ce sont les restructurations qui empêchent d'accueillir des stagiaires, ou encore la concurrence avec les demandes de stages d'étudiants d'université ou de lycéens qui se multiplient. Sans compter que certains CCAS ne prennent que des étudiants résidant sur leur commune. » Cette année, dans sa filière d'AS, les 2es et 3es années ont tous fini par trouver un terrain de stage, mais ce n'était le cas que de 19 stagiaires de 1re année sur une soixantaine à la fin décembre. « Ils sont très inquiets et un peu désespérés », s'alarme la formatrice.

Pour les étudiants, ne pas pouvoir choisir son lieu de stage pose d'abord, bien souvent, des problèmes logistiques et financiers. « Certains 2es années logent à Marseille et ont dû retourner faire leur stage chez leurs parents, dans le Var, tout en continuant à payer leur loyer, car nous avons un regroupement à l'école une fois par mois », détaille Alicia Borghesi, élève AS en 2e année à l'IRTS PACA-Corse. Mais ce sont surtout les parcours de formation des élèves qui pâtissent de la crise de l'offre de stages, comme l'explique Marine Rolleri, déléguée des élèves EJE de 3e année dans le même IRTS : « En entrant en formation, on fait un projet qui doit se concrétiser dans le stage long et le mémoire. Certains étudiants voulaient aller en MECS, dans des foyers mère-enfant ou en IME. Ils se sont retrouvés en crèche. Aujourd'hui, on prend le stage où on est accepté. » Impossible, en effet, de faire la fine bouche, car ne pas avoir de terrain de stage du tout serait désastreux pour la poursuite de la formation. « Environ 20 % n'ont pas fait le stage dans le champ qui les intéressait en 3e année. Or ce stage est souvent support du mémoire. Ils se retrouvent avec un champ et une thématique qui ne correspondent pas à leur choix. Nous les incitons à s'adapter, mais la frustration est réelle de ne pas aller voir ce qu'ils voulaient voir, même si elle s'efface au bout de quelques mois », commente Hélène Bagnis, responsable du centre d'activités « éducateurs spécialisés, éducateurs techniques spécialisés et moniteurs d'activités » à l'IRTS PACA-Corse.

Bien au-delà des réseaux habituels

Pour limiter la casse, chaque école s'organise. « Depuis deux ans, nous avons assoupli les possibilités de stages hors région, explique Hélène Bagnis, Mais cela rend difficile la question des transports, car pendant les temps de stages il y a des temps de regroupement une semaine par mois. Cela entraîne en outre des difficultés croissantes pour accompagner les étudiants dans leurs choix de stages. Cet accompagnement a d'ailleurs pris une place croissante dans le travail pédagogique. » Dans la filière ASS de l'ARIFTS-ENSO, à Angers, les attributions de stages ont été repoussées le plus tard possible. « Tous nos étudiants ont pu partir en stage, certains à la dernière minute. Mais les formateurs ont dû chercher bien au-delà de leurs interlocuteurs habituels, et les étudiants se sont fortement mobilisés. Cela nous a néanmoins permis de développer des relations avec d'autres structures, comme le milieu hospitalier et psychiatrique, non soumis à la gratification, qui a ouvert de nouveaux terrains », raconte Régis Robin. A l'Ecole santé-social du Sud-Est de Lyon, dans la filière EJE, les étudiants s'impliquent eux aussi de plus en plus et prospectent des secteurs dans lesquels leur métier est habituellement peu connu, comme le handicap, la protection de l'enfance, la pédiatrie ou le milieu hospitalier. « Pour l'instant, cela ne débouche pas nécessairement sur des ouvertures mais contribue à mieux faire reconnaître notre profession. La mobilisation aussi a joué ce rôle : beaucoup d'étudiants éducateurs ou assistants sociaux ont appris à nous connaître, et nous considèrent désormais comme une filière du social à part entière », se félicite Florent Brumelot.

L'absence des autorités de tutelle

Malheureusement, ces efforts ne sont pas toujours couronnés de succès. A l'Institut du travail social de la région Auvergne (ITSRA), à Clermont-Ferrand, les propositions de stages sont collectées par une commission composée de quatre formateurs afin de garantir l'égalité entre les étudiants. Cette année pourtant, une semaine avant les vacances de Noël, la moitié des étudiants ES de 1re année n'avaient pas de stage pour un départ le 11 janvier. « Nous n'avons pas réussi à trouver de solution pour tout le monde, déplore Gérald Gaschet, étudiant éducateur en 1re année, élu au conseil d'administration de l'école et représentant de la coordination nationale. Nous avons néanmoins obtenu que les étudiants en question ne soient pas pénalisés dans la présentation du diplôme parce qu'ils n'auraient pas effectué leur quota d'heures. »

S'ils déplorent cette situation, les responsables associatifs de services et d'établissements accueillant des stagiaires se disent souvent coincés entre les demandes des étudiants, les attentes des centres de formation et l'absence de mobilisation de leurs autorités de tutelle. « Quand nous avons posé la question à nos autorités de contrôle, la DASS de Paris et le conseil général de Paris, nous nous sommes aperçus que ni l'une ni l'autre n'avaient reçu de directive, explique Claude Magdelonnette, directeur de pôle à l'association Aurore, chargé des CHRS et des établissements pour adultes handicapés en Ile-de-France. La DASS a fini par nous donner son feu vert pour une gratification sans restriction, selon le volontariat des professionnels. Grâce à notre contrat d'objectifs et de moyens, le financement est versé dans l'enveloppe globale du budget. Le conseil général, lui, ne nous a autorisé qu'un seul stagiaire par structure et par année civile, soit ES, soit ASS, et a exclu les moniteurs-éducateurs et les psychologues. » Mais comment négocier le financement des gratifications lorsque l'on rencontre déjà des difficultés à obtenir une embauche ou des fonds pour rénover ses locaux ? Voire lorsque l'on tente tout simplement de maintenir en vie sa structure ? « Dans un contexte global tendu, avec par exemple l'instauration de tarifs plafonds pour les CHRS, les professionnels sont déjà assez préoccupés par l'avenir du travail social en général », reconnaît le responsable d'Aurore. L'accueil de stagiaires passe alors inévitablement au second plan. Sans compter que toutes les structures n'ont pas la même implication dans la formation ni la même habitude de recevoir des étudiants. « Aurore est assez liée aux écoles, mais je connais beaucoup de directeurs qui ne travaillent pas en direct avec les centres de formation », confirme Claude Magdelonnette.

Pour certains, la question des gratifications apparaît toutefois comme un faux problème. « La rémunération d'un stagiaire est d'environ 400 € par mois. C'est très peu sur un budget, et j'ai peine à croire qu'un établissement ne puisse pas trouver cette somme. C'est soit un signe de mauvaises relations avec ses financeurs, soit qu'il est vraiment très désargenté, estime Daniel Carlais, directeur général de l'Association départementale pour la sauvegarde de l'enfance, de l'adolescence et des adultes des Bouches-du-Rhône (ADSEA). Pour ma part, j'ai écrit à nos financeurs, le conseil général et la DDASS, pour les informer que nous appliquions la gratification. Nous n'avons pas eu d'opposition. » Dans le même département, Monique Cadène, directrice du service AEMO de l'Association du service social de sauvegarde de l'enfance, de l'adolescence et des jeunes adultes des Bouches-du-Rhône (ASSSEA 13), n'a pourtant pas eu les coudées aussi franches. « En 2007, nous avions 22 stagiaires par an. A partir des décrets de gratification, le conseil général nous a demandé de ne plus en prendre. Nous avons dû nous battre, et cette année nous en avons pris 8. » Car, pour de nombreux dirigeants associatifs, il n'est pas question d'abandonner la formation en alternance. Quitte à financer eux-mêmes les gratifications. Comme André Chatron-Colliet, directeur général de réseau de l'Association provençale d'aide familiale, qui n'a pas diminué le nombre de stagiaires accueillis. « Nous avons fait des demandes à nos financeurs, mais nous attendons encore la réponse. En attendant, c'est financé sur nos fonds propres, car se passer de stagiaires est un non-sens. C'est une position citoyenne afin d'intégrer la formation dans l'association et aussi de constituer un vivier. C'est, en outre, un apport pour nos collaborateurs en matière de pratiques professionnelles. »

L'Education nationale touchée

Le secteur public est lui aussi touché, notamment l'Education nationale, comme l'explique Samuel Delépine, AS à l'inspection académique du Maine-et-Loire et cosecrétaire du Syndicat national unitaire des assistants sociaux de la fonction publique-FSU : « Dans plusieurs académies, des stages ont été annulés ou suspendus, faute de moyens pour la gratification. Pourtant, l'accueil des stagiaires est une pratique bien ancrée dans les établissements scolaires, qui constituent eux-mêmes des lieux de formation et de transmission du savoir. »

Même chose en PACA, où les rectorats ont été pris au dépourvu. « Personne n'avait prévu la gratification dans le budget 2009. Il n'y a donc pas eu de politique académique uniforme. Chaque inspection a réagi à sa manière. Celle des Bouches-du-Rhône a tout bloqué, alors que celle du Vaucluse a pris 12 stagiaires n'ouvrant pas droit à gratification », se souvient Christine Roux, conseillère technique au service social du rectorat, chargée de la formation et référente pour les sites qualifiants. Certains étudiants ont fait les frais de cette transition mal gérée. Marie Fuzeau, étudiante AS en 2e année à l'ARIFTS-ENSO d'Angers, a ainsi été contrainte d'arrêter brutalement le stage long qu'elle avait commencé en service social scolaire. « Il m'a fallu abandonner les accompagnements d'élèves que j'avais entamés. J'avais commencé une action de prévention sur l'alcool et la drogue. J'ai dû négocier avec l'école et l'inspection académique pour aller au bout, parce que je ne voulais pas avoir travaillé pour rien. L'autre difficulté, c'est qu'avec un stage raboté de six semaines, j'ai eu peu de temps pour m'acclimater à mon nouveau terrain. Heureusement, je connaissais déjà la circonscription pour y avoir été accueillie en 1re année, mais j'ai commencé à prendre des situations en charge alors que j'étais encore en train de découvrir le poste. J'ai l'impression d'être un peu décalée par rapport à la progression des autres stagiaires. »

Les choses pourraient toutefois s'améliorer dans l'avenir, selon Samuel Delépine. « Dans l'Education nationale, les budgets sont votés par année civile. Or les décrets et la circulaire étendant la gratification à la fonction publique sont parus en juillet. Tout le monde peut comprendre qu'il y ait une période d'adaptation, mais attention à ce qu'elle ne soit pas trop longue. » Reste que, là aussi, les gratifications n'expliquent pas tout. Confrontés à des charges de travail croissantes, notamment à cause de la réorganisation des services de l'Etat, les professionnels disposent de moins en moins de temps à consacrer aux stagiaires. « Aucun aménagement n'est prévu pour que les tuteurs puissent dégager du temps pour s'investir dans le stage, précise Samuel Delépine. Avant, le volontariat des formateurs de terrain déterminait le nombre de places. Désormais, ce sont les institutions qui définissent un quota de stagiaires. »

Baisser le montant de la gratification ?

Dans la fonction publique territoriale, la situation est un peu moins tendue, dans la mesure où les collectivités territoriales ne sont pas tenues de verser des gratifications. « C'est pourquoi nous n'avons pas accusé de baisse significative de stagiaires, explique Annie Riccio, directrice de la cohésion sociale du conseil général des Bouches-du-Rhône. Mais nous avons vu arriver des demandes de stages dans l'urgence, suite au désistement de terrains pressentis. Nous souhaitons maintenir un accueil de qualité des stagiaires, et on ne pourra pas absorber ce que les autres ne font plus. » Pour les départements, la circulaire du 4 novembre 2009 incite toutefois à verser des gratifications. Dans les Bouches-du-Rhône, par exemple, un schéma départemental devrait prendre effet au printemps 2010. « Notre objectif est de maintenir notre offre, avec une enveloppe dédiée, précise Annie Riccio. Mais rien ne nous dit quel doit être le montant de la gratification. Peut-être peut-on payer moins et offrir plus de terrains de stages ? Quoi qu'il en soit, nous avons une vraie responsabilité dans la qualité de l'apprentissage et nous nous devons de transférer nos connaissances aux nouvelles générations. »

Une mobilisation qui renaît

En attendant, les étudiants se mobilisent, à l'image de ceux de Clermont-Ferrand, qui tentent de se faire entendre. « Le 7 janvier, une assemblée générale a réuni 200 étudiants sur 1000 inscrits, toutes filières confondues, détaille Gérald Gaschet, de l'ITSRA. Plusieurs officiels nous ont apporté leur soutien, et une délégation a été reçue par un représentant du préfet, qui a pris note de l'urgence de la situation. Je lui ai remis la liste des étudiants dépourvus de stage afin de faire passer ce message : vous êtes les représentants de l'Etat, lequel vote une loi et ne la respecte pas, c'est à vous de régler la situation. » A Lyon, où le Craets a été créé en 2008, la mobilisation est forte : manifestation devant le rectorat, rencontres avec les directeurs des centres de formation, rendez-vous à la DRASS... « Nous avons ainsi obtenu la réintégration des élèves AS dont les stages avaient été interrompus au sein de l'académie de Lyon, souligne Florent Brumelot. Et le 4 janvier, c'est nous qui avons accueilli les représentants des différentes écoles, à l'appel des étudiants d'Angers. » Marie Fuzeau confirme : « Cette année, nous avons réenclenché le mouvement dès la rentrée sur le campus social d'Angers, qui regroupe l'ENSO, l'Iframes et l'Iforis. Une délégation a été reçue à la préfecture et à la DRASS, où on nous répond invariablement la même chose : «On entend vos doléances mais on ne peut rien faire à notre niveau.» Nous avons adressé des dizaines de courriers aux professionnels - car certains ignorent encore nos difficultés -, obtenu des articles dans la presse locale et contacté les étudiants de Nantes ou de Rhône-Alpes. Mais c'est quand même incroyable que cette mesure, qui devrait nous aider, nous pénalise à ce point ! »

, AVEC

ET

CLÉMENCE DELLANGNOL

CATHERINE STERN

DILEMME
Face à la précarité, une gratification pourtant bienvenue...

En cherchant à mieux encadrer et sécuriser les stages en milieu professionnel, longtemps utilisés comme variables d'ajustement par des entreprises peu scrupuleuses, la loi du 31 mars 2006 pour l'égalité des chances a allumé une bombe dont le souffle se fait sentir aujourd'hui. En effet, ce texte impose qu'une gratification soit versée à tous les étudiants de l'enseignement supérieur effectuant un stage d'une durée supérieure à trois mois consécutifs en entreprise. Une obligation qui, au regard du décret du 31 janvier 2008(2), s'applique aussi aux stages effectués au sein d'une association, d'une entreprise publique ou d'un établissement public à caractère industriel et commercial. Cette durée minimale a été ramenée à deux mois par la loi du 24 novembre 2009 sur l'orientation et la formation professionnelle tout au long de la vie. Une disposition qui entre en vigueur ce mois-ci. La fonction publique de l'Etat, de son côté, est soumise à l'obligation de gratification des stages de plus de deux mois depuis le décret du 21 juillet 2009(3). Pour la fonction publique territoriale, en revanche, il ne s'agit que de recommandations précisées par la circulaire du 4 novembre 2009(4). La fonction publique hospitalière, quant à elle, n'est pas concernée. Pour les établissements soumis à cette obligation, la gratification minimale est fixée à 12,5 % du plafond horaire de la sécurité sociale, soit 417,09 € mensuels en 2010.

Pour le secteur social et médico-social, dont les formations privilégient l'alternance et comportent des temps de stages très longs, l'obligation de gratifier les stagiaires constitue un véritable séisme. D'ailleurs, dès le printemps 2008, les étudiants en travail social s'étaient mobilisés, craignant que cette mesure ne réduise le nombre des terrains de stages, déjà en baisse depuis plusieurs années. Une inquiétude relayée par les responsables associatifs et les conseils généraux, soucieux de ne pas grever les budgets de fonctionnement de leurs services et établissements. En lui-même, le principe de la gratification n'est pas contesté. Au contraire. Beaucoup d'étudiants en travail social peinent à financer leurs études et doivent travailler à côté. « La majorité des étudiants y est plutôt favorable. La précarité existe et la gratification des stages permet de soutenir les étudiants sans créer de relation employeur-employé », confirme Delphine Barbe, étudiante éducatrice spécialisée en 1re année à l'EFPP (Paris). Cadre pédagogique au sein de la filière ASS du centre d'activités « interventions sociales » de l'IRTS PACA-Corse, Sylvie Ucciani constate, elle aussi, les difficultés financières des étudiants. « Ma surprise, en arrivant à l'IRTS il y a cinq ans, a été la grande précarité des étudiants. Quand j'ai fait mes études, il y a vingt-cinq ans, nous étions aidés par nos parents ou en reconversion professionnelle. Actuellement, un quart des étudiants de la promotion doivent travailler et très peu sont aidés par leurs parents, d'où un surmenage, une fatigue et l'arrêt des études pour certains. De plus, le stage entraîne des frais de déplacement pas remboursés. La gratification est donc positive. »

Positive, mais pas satisfaisante. « Elle a braqué les projecteurs sur la précarité des étudiants, et c'est plutôt cette question-là qu'il faudrait traiter, afin que personne ne soit obligé d'interrompre ses études pour des questions d'argent », plaide Bernard Fily, directeur du service prévention spécialisée pour le Val-de-Marne à l'association Espoir. Pour l'heure, la question du financement des gratifications demeure entière et avec des budgets déjà serrés, voire en berne, bon nombre de services et d'établissements sont tentés de renoncer à accueillir des stagiaires. Les organisations représentants les centres de formation (l'Aforts et le GNI), les organisations professionnelles (l'ANAS, l'ONES, la FNEJE et France ESF) et plusieurs collectifs d'étudiants (notamment le Craets) sont récemment revenus à la charge auprès de l'Etat pour lui demander, une nouvelle fois, d'assumer la charge financière de cette décision et, ainsi, de juguler la baisse actuelle du nombre de l'offre de stages, qu'ils évaluent entre 15 et 20 %. Une table ronde était organisée le 18 janvier à Paris, à l'initiative de la DGAS, au terme de laquelle le sentiment dominant était celui d'un décalage entre les acteurs de terrain et l'administration centrale(5). Quant aux représentants des étudiants, qui n'étaient pas présents, ils devraient être reçus prochainement.

LES DURÉES DES STAGES

Diplôme d'Etat d'éducateur spécialisé (DEES)

La formation pratique se déroule au sein de sites qualifiants sous la forme de stages d'une durée cumulée de 60 semaines. Les candidats effectuant sur trois ans la totalité de la formation doivent faire un stage d'une durée de 28 à 36 semaines et au moins deux stages de 8 semaines au minimum.

Diplôme d'Etat d'assistant de service social (DEASS)

La formation pratique se déroule au total sur 12 mois de stage professionnel, sur les trois ans que dure le cursus. Au moins la moitié de la durée des stages doit être effectuée sous la conduite d'un référent AS. Les stages doivent être organisés sur deux ou trois « sites qualifiants ». La durée du stage obligatoire de 1re année est nécessairement comprise entre 4 et 6 semaines.

Diplôme d'Etat d'éducateur de jeunes enfants (DEEJE)

La formation pratique se déroule sous la forme de quatre stages au minimum, d'une durée totale de 60 semaines. Chaque domaine de formation doit faire l'objet de stages : un stage de 24 à 32 semaines pour l'accueil et l'accompagnement du jeune enfant et de sa famille ; deux stages au maximum d'au moins 8 semaines pour l'action éducative en direction du jeune enfant ; un stage de 10 semaines pour la communication professionnelle ; un stage de 6 semaines pour les dynamiques institutionnelles, interinstitutionnelles et partenariales.

Notes

(1) Une convention avec Pôle Emploi permet d'être indemnisé pendant la période de recherche d'emploi et de prolonger ses indemnités durant trois ans lorsque l'on suit une formation en vue d'exercer un métier ayant besoin de recruter.

(2) Voir ASH n° 2544 du 8-02-08, p. 17.(2) Les modalités d'application sont précisées par la circulaire du 23 juillet 2009 - Voir ASH n° 2620 du 21-08-09, p. 17. (3) Voir ASH n° 2633 du 20-11-09, p. 9.(4) Voir ASH n° 2643 du 22-01-10, p. 18.

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