L'Assemblée nationale a rejeté le 26 janvier la proposition de loi du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche relative à la protection des missions d'intérêt général imparties aux services sociaux et à la transposition de la directive « services ». Une issue sans surprise, puisque sa commission des affaires sociales n'avait déjà pas adopté le texte le 13 janvier.
L'intensité des débats lors de la discussion de ce texte est révélatrice de l'importance des enjeux de la transposition de la directive « services ». Adoptée en décembre 2006, après un compromis obtenu non sans mal par le Parlement européen, celle-ci vise à assurer à tout prestataire de services d'un Etat membre la liberté d'établissement et de prestations sur tout le territoire de l'Union. Sont toutefois exclus les services sociaux relatifs au logement social, à l'aide à l'enfance et à l'aide aux familles et aux personnes se trouvant de manière permanente ou temporaire dans une situation de besoin assurés par l'Etat ou par des prestataires qu'il mandate. La façon dont les gouvernements transposent cette directive est donc déterminante pour la sécurisation de ces services.
Or, alors que la plupart des Etats membres ont choisi de soumettre une loi-cadre à leur représentation nationale, la France a décidé de procéder par secteur, par le biais de textes réglementaires et de projets de loi sectoriels, sans débat public. Une démarche peu lisible au cours de laquelle les associations rassemblées au sein du Collectif SSIG ou les collectivités locales ont elles-mêmes été peu consultées. Le « rapport » de transposition - constitué d'une série de fiches électroniques - que la France a transmis début janvier à la Commission européenne n'est d'ailleurs toujours pas public. Quant au rapport de synthèse qu'elle lui a adressé, le gouvernement vient tout juste de le mettre en ligne (1).
Cette opacité sur le sort des services sociaux suscite de fortes inquiétudes dans le secteur associatif. Il apparaît toutefois, malgré le peu d'informations disponibles, que, pour le secteur social et médico-social, la quasi-totalité des établissements et services faisant appel à des financements publics et le secteur de la protection judiciaire de la jeunesse sont exclus de la directive. En revanche resteraient dans son champ certains services dont les services d'aide et d'accompagnement à domicile qui relèvent ou optent pour le régime de l'agrément qualité et les établissements et services d'accueil des enfants de moins de 6 ans (2). Un choix fortement contesté par l'Uniopss, l'Association des maires de France et l'Union nationale des centres communaux et intercommunaux d'action sociale. Si la formation professionnelle à destination des demandeurs d'emploi et des salariés précaires devrait être aussi incluse, ce que certains jugent également regrettable, peu d'informations circulent sur l'insertion par l'activité économique. Elle serait néanmoins, selon certaines sources, exclue.
C'était donc pour faire échec à « ce déni de débat démocratique » que les députés du groupe socialiste, radical et citoyen avaient déposé le 9 décembre dernier une proposition de loi, soutenue par le Collectif SSIG et la Conférence permanente des coordinations associatives (3). Avec deux objectifs : exclure de manière large, à travers un instrument législatif, les services sociaux du champ de la directive, mais aussi sécuriser leur financement en introduisant dans la loi la convention de partenariat d'intérêt général qu'avait proposée Michel Thierry, dans son rapport (4), afin de régler les problèmes posés par le recours à la subvention par rapport à la réglementation européenne sur les aides d'Etat. Les députés souhaitaient ainsi aller plus loin que la convention d'objectifs présentée par le gouvernement lors de la conférence de la vie associative (5), qui, ne concernant que les associations, ne sécurise guère les établissements publics comme les centres communaux d'action sociale ou les sociétés d'économie mixte dans leurs relations contractuelles avec les collectivités locales, notamment par rapport au recours aux marchés publics.
La discussion qui a précédé le rejet de ce texte met bien en évidence que le débat, loin d'être purement technique, repose sur une divergence de vues entre le gouvernement et les députés du groupe socialiste, radical et citoyen, soutenus par les acteurs du secteur, sur la place des services sociaux dans le marché intérieur. Le gouvernement, proche de la vision libérale initiale de la Commission européenne, s'en tient à une application large de la directive « services » et à une interprétation étroite de la notion de mandatement exigé pour justifier l'exclusion des services sociaux. C'est ainsi, selon lui, que l'agrément accordé par le conseil général pour les établissements d'accueil de jeunes enfants ne vaut pas mandatement (6). Il balaie par ailleurs les inquiétudes relatives à l'inclusion de certains services en expliquant que les régimes d'autorisation et d'agrément ne sont nullement remis en cause par l'application de la directive puisqu'ils sont justifiés par des raisons impérieuses d'intérêt général.
Autant d'arguments réfutés par les partisans de la proposition de loi qui, se référant au compromis trouvé entre les groupes parlementaires au Parlement européen, défendent une vision beaucoup plus souple en estimant qu'il faut prendre en compte le mandatement des collectivités territoriales et des organismes habilités par l'Etat comme les caisses d'allocations familiales locales. « L'Allemagne et l'ensemble des Länder ont ainsi clairement exclu les crèches de la directive «services» », souligne Laurent Ghekiere, membre du Collectif SSIG et représentant de l'Union sociale pour l'habitat.
Par ailleurs, dénonçant la prétendue « absence d'incidences de la directive «services» sur les services sociaux », les élus et acteurs associatifs estiment que l'approche française risque au contraire à terme de déréguler les régimes d'encadrement. « En incluant la petite enfance dans son champ, le gouvernement semble valider le glissement progressif de ce secteur de l'acte éducatif vers l'aide à la personne : ce qui se traduira inévitablement par un abaissement des exigences de régulation en termes d'encadrement et de qualification des personnels », défend ainsi Jean-Patrick Gille, député (PS), rapporteur de la proposition de la loi. C'est en fait l'émergence progressive d'une dualisation du modèle social que redoutent les opposants à la doctrine française, avec, d'un côté, une offre rentable prise en charge par des opérateurs marchands et, de l'autre, une offre non rentable assurée par les services sociaux pour les plus démunis.
Quoi qu'il en soit, les élus ne désarment pas puisque le groupe socialiste du Sénat devrait prochainement déposer une proposition de loi similaire. Quant au groupe communiste, qui avait appelé à voter contre la proposition de loi, il appelle au reclassement des SSIG (reconnus aujourd'hui comme des services d'intérêt économique général) dans la catégorie des services non économiques d'intérêt général, rejoignant en cela la position défendue par l'association MP4-champ social. Au niveau communautaire, la procédure de transposition de la directive est elle-même loin d'être terminée. Les Etats vont en effet devoir évaluer mutuellement leurs rapports pour identifier les difficultés et prévenir les contentieux, sachant que la Commission européenne doit présenter à la fin 2010 un rapport de synthèse au Conseil et au Parlement européen. Par ailleurs, ce dernier vient de confier au député socialiste irlandais Proinsias De Rossa, ancien ministre des Affaires sociales, un rapport d'initiative sur les services sociaux d'intérêt général. Le débat sur le sort des services sociaux a encore de beaux jours devant lui.
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(2) Selon la liste communiquée par la DGAS, d'autres services relèvent également de la directive : les services et établissements sociaux et médico-sociaux autorisés sans appels à projets, les organismes habilités pour l'évaluation externe des établissements sociaux et médico-sociaux, les lieux de vie, l'accueil familial de personnes âgées et adultes handicapés.
(6) Il a aussi considéré que les crèches et les haltes-garderies ne relèvent pas de la politique de l'aide sociale à l'enfance et ne s'adressent pas aux personnes en situation de besoin au sens de la directive.