Les nombreuses réformes suscitent des craintes au sein des associations d'action sociale et médico-sociale. Si leurs inquiétudes sur les risques d'instrumentalisation ne sont pas nouvelles, leur alarmisme actuel est-il justifié ou excessif ?
Je pense qu'il est justifié, même s'il est sans doute excessif quand il prend la forme de récriminations ou de protestations véhémentes, qui parfois conduisent à de l'impuissance. Il y a, de fait, une sorte de réformisme exacerbé de la part de la puissance publique : les nouvelles législations et les réorganisations s'enchaînent à un rythme accéléré et entraînent des transformations qui ne sont guère propices à la stabilisation de l'environnement. Les acteurs ont le sentiment d'être soumis à un pilonnage constant de changements, d'adaptations, de mutations, dont ils ne perçoivent ni les tenants ni les aboutissants. La seule chose qu'ils ressentent, c'est l'alourdissement des sujétions comptables et financières et l'inflation des procédures qu'entraînent bon nombre de ces transformations.
Ces réformes semblent menées sans vision globale...
C'est la critique que l'on peut faire. Ce qui, si l'on peut dire, peut aussi rassurer les acteurs. Beaucoup suspectent en effet une sorte de complot « néolibéral » qui impulserait ces réformes selon un cours planifié à l'avance. Leur empilement et leur caractère hétéroclite me fait penser au contraire qu'il n'y a pas de vision d'ensemble. En même temps, si l'empirisme domine, sont quand même à l'oeuvre des mouvements souterrains qui échappent tout autant, et dans une certaine mesure, au promoteur de chaque réforme qu'aux acteurs de terrain. On assiste à une transformation fondamentale de nos sociétés et des logiques qui structurent les politiques publiques. Et l'action sociale, malgré sa spécificité, est embarquée dans cette mutation. Il faut d'ailleurs être attentif à ces changements, car c'est à partir de leur observation qu'on peut, indépendamment des symptômes, percevoir leurs dimensions négatives, mais aussi plus positives.
Justement, quel est leur sens ?
Pour le comprendre, il faut revenir aux modalités de construction de l'action publique au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. La protection sociale a atteint une forme de plénitude à la fin des années 1970, lorsqu'elle est parvenue à assurer un minimum de garanties à la quasi-totalité de la population. Parallèlement s'est mis en place un système assistanciel, qui a connu son apogée et sa stabilisation avec la loi du 30 juin 1975 sur les institutions sociales et médico-sociales et les réformes intervenues entre 1970 et 1980. Quelles étaient alors les modalités de l'action publique ? Chaque « inadapté » était référé à une catégorie qui lui permettait d'être accueilli dans une institution et confié à des professionnels spécialisés, l'essentiel de l'intervention se faisant sous forme de financement d'établissement et de structure de prise en charge. Ce modèle catégoriel, vertical, corporatiste, qui était régulé par l'Etat, a été remis en cause dans les années 1980-1990. Non seulement la raréfaction des ressources oblige alors à un contrôle plus serré des fonds publics, mais, plus fondamentalement, ce modèle se montre inadapté pour prendre en charge tous les nouveaux publics qui ne parviennent plus à rentrer sur le marché du travail.
Il faut donc passer à des logiques plus transversales. Le modèle de l'insertion va alors se développer à partir du RMI, avant de contaminer la lutte contre les exclusions, le handicap, la protection de l'enfance, la grande dépendance et l'ensemble de l'action sociale. Plutôt que de doter les personnes en difficulté d'un statut protecteur et de les confier à une organisation spécialisée, l'idée qui s'impose progressivement est d'engager les personnes dans une dynamique leur permettant de rejoindre le droit commun. Ce changement de représentation a un impact considérable sur la prise en charge institutionnelle. Les structures doivent désormais se connecter les unes aux autres pour faire droit au « projet de vie » ou au « contrat » en aménageant des « parcours » fluides et adaptés à chaque cas et se réorganiser en interne autour de l'usager et de sa demande. L'offre de services doit se structurer dans une logique de réseaux, de regroupements, de continuité des prises en charge, et chaque établissement est obligé d'ajuster constamment ses réponses. Ce n'est plus l'individu qui doit s'adapter à la structure, mais la structure à l'individu. La demande, c'est-à-dire les situations sociales conjoncturelles, devient le principe de mise en oeuvre du système.
Si l'on revient aux associations, comment ont-elles participé à la structuration du secteur social et médico-social ?
L'action sociale, dans ses formes originaires, a procédé principalement de logiques d'auto-organisation, les problèmes sociaux étant pris en charge par des acteurs diversifiés, comme les congrégations ou les philanthropes. C'est à la fin du XIXe siècle et au début du XXe que la puissance publique, ne pouvant d'ailleurs guère faire autrement, a pris le parti de laisser la société civile, au travers de ce qu'on appelait les oeuvres, puis les associations de la loi 1901, s'occuper des questions d'indigence et d'inadaptation. Elle va ainsi s'engager dans une forme de marchandage avec les opérateurs privés en échangeant leur maintien contre leur acceptation d'un certain contrôle sur leurs activités. Il y a donc eu une sorte de partage au départ entre le sens de l'action, ses valeurs et ses finalités, qui étaient laissés aux acteurs de la société civile, et les activités, qui, elles, étaient encadrées et financées par les autorités publiques. C'est grâce à ce compromis originaire que les associations d'action sociale et médico-sociale ne sont pas devenues des services publics. Elles ont pu rester des personnes privées chargées d'un intérêt collectif ou d'une utilité sociale et censées produire la doctrine de leur intervention.
Un compromis toutefois très instable...
Cette épure théorique n'a, bien sûr, pas résisté à sa mise en oeuvre. La liberté et la légitimité associative ont commencé à souffrir avec l'accroissement du contrôle public des activités, la densification des normes d'équipement et de fonctionnement et surtout les exigences de formation des intervenants. Cette technicisation accrue a, dès les années 1960, produit un choc entre les bénévoles, chargés en principe des valeurs et des finalités de l'action, et les professionnels. Il y a eu une prise de pouvoir de ces derniers et, dans certains cas, une forte remise en cause de l'équilibre antérieur. En même temps, le soubassement éthico-moral, bien qu'éclipsé partiellement, n'a pas totalement disparu : les métiers du social ont construit leur identité professionnelle sur l'articulation du savoir et de la vocation et ont allié à la rationalité scientifique le souci du bien commun. Même si les associés ont été logiquement marginalisés, les corporations professionnelles, qui ont certes contribué à refaçonner la demande sociale, ont toujours gardé une certaine distance avec les pouvoirs publics. Aussi, si ce processus a entraîné des tensions avec les bénévoles, il n'a pas affecté en profondeur la nature des associations. Celles-ci ont pu rester des espaces relativement autonomes où l'on pouvait produire des visions alternatives de l'intérêt collectif ou de l'utilité sociale.
Qu'en est-il aujourd'hui ?
Je pense que la situation actuelle change radicalement les choses. C'est aujourd'hui l'institution associative et la pertinence même de son mode de gestion qui sont en question. Il s'agit d'un mouvement très profond qui est lié à ce qu'on ne sait plus dans notre société ce qu'est une institution et que les individus et les organisations sont enserrés dans des systèmes d'action. Cette évolution a été consacrée dans notre secteur par la loi 2002-2 : ce texte a été vécu, ce qui n'est pas sans fondement, comme un instrument accroissant les contraintes des structures, notamment financières, et comme une machinerie de reconfiguration de l'offre de service, voire comme le cheval de Troie de la marchandisation. A travers les regroupements forcés de gestionnaires - l'objectif serait de passer de 35 000 à 4 000 associations -, les droits des usagers et les procédures d'évaluation, on voit bien que ce qui importe désormais, c'est de répondre à la situation singulière de l'usager, quelle que soit la configuration institutionnelle : association, entreprise marchande ou un mixte des deux. Alors qu'avant on avait des institutions et qu'on leur confiait une activité, aujourd'hui l'activité est première, peu importe l'organe.
Faut-il voir dans la procédure d'appel à projets instaurée par la loi « hôpital, patients, santé et territoires » l'aboutissement de cette logique ?
Bien entendu. Si la notion d'« appel d'offres » a été écartée, il ne fait pas de doute que c'est l'imaginaire concurrentiel qui sous-tend cette disposition. Cette procédure met sur le même plan les associations, les entreprises et les structures publiques et parapubliques, puisque seule importe l'offre. L'appel à projets, qui constitue la nouvelle modalité dans le médico-social et le social du choix entre les initiatives des promoteurs, se situe dans la logique des marchés publics, et plus largement du marché : il s'agit d'autoriser les projets du « mieux-disant » en principe tant du point de vue qualitatif que des coûts de fonctionnement.
On peut certes faire remarquer qu'il est sans doute nécessaire aujourd'hui de comparer les initiatives dans un contexte non plus de pénurie de l'offre et d'abondance des ressources comme en 1975, mais d'abondance des projets et de limitation des moyens ; on peut aussi se féliciter d'une certaine transparence dans un secteur qui a longtemps fonctionné dans une certaine opacité. Mais, en sens inverse, on doit s'inquiéter de la nouvelle conception de l'action sociale que recouvrent les appels à projets. Ce ne sont plus les associations qui définissent des actions et demandent à l'Etat de les soutenir dans une logique ascendante. C'est désormais la puissance publique qui définit les besoins sociaux et sollicite des opérateurs pour prendre en charge telle ou telle activité qu'elle aura elle-même déterminée, dans une logique descendante. On entre dans un système de délégation de service public à des prestataires.
Les associations ont donc tout lieu d'être inquiètes ?
Oui, car la ligne générale des transformations à l'oeuvre conduit à banaliser les montages institutionnels et à les purger de leur substance propre pour les muer en purs opérateurs fonctionnels. C'est bien d'ailleurs ainsi que répond l'Union européenne aux besoins sociaux. Intéressée par tradition seulement aux activités et non aux organes, elle pousse à privatiser des pans entiers de l'action collective, car elle part du principe qu'une entreprise privée peut remplir des missions du service public, pour peu qu'on lui impose quelques obligations dans ce sens. D'où d'ailleurs la bagarre des associations pour faire reconnaître la spécificité des services sociaux d'intérêt général. Pourtant, est-ce qu'il est sans conséquence, sous prétexte que ce serait tout aussi efficace, de faire gérer une activité sociale par une entreprise marchande ou une association ? La tendance dominante est aujourd'hui de répondre oui. Je crois qu'il n'en est rien : les associations ne sont ni des sociétés privées, ni des personnes publiques, ni des opérateurs délégués du service public. Leur spécificité est de constituer des groupements intermédiaires capables de construire, à distance de l'Etat, du marché et des intérêts purement individualisés, une demande et une offre collectives.
Quel est le risque à terme ?
Si les associations ne parviennent pas à se maintenir dans ce qu'elles ont de substantiel, deux scénarios, déjà en cours, pourraient bien se profiler. On pourrait assister à une forme de publicisation de l'action sociale pour les activités non solvables comme la protection de l'enfance ou une partie de la lutte contre l'exclusion. L'Etat, qui se garde une forte capacité de contrôle, délègue alors à des opérateurs divers le soin de mener des politiques qu'il aura définies. Et la régulation se fait par le degré de satisfaction de l'administré et surtout du « donneur d'ordre » par rapport au service délégué par la puissance publique. A côté, l'Etat pourrait concéder des pans entiers d'activités qui peuvent être privatisées, comme la prise en charge des personnes âgées ou des personnes handicapées, à des entreprises marchandes. Seule compte alors la satisfaction du client par rapport à l'offreur de service, la puissance publique n'étant chargée que de la régulation des opérateurs.
En même temps, les associations continuent à être considérées comme des partenaires de l'Etat au travers de multiples instances de concertation...
Il y a, en effet, comme un paradoxe. En même temps qu'il y a un mouvement tendant à réduire l'action sociale à un simple service mettant face à face un prestataire et un client/consommateur, on voit bien que cela ne peut pas fonctionner. Par héritage et par nécessité, l'Etat est obligé de trouver des médiations et d'associer les associations en amont et en aval de la décision - même s'il a tendance à vouloir garder la maîtrise. Par exemple, la puissance publique ne peut pas fabriquer toute seule les appels à projets. Même si on n'en connaît pas encore les modalités, elle va devoir s'appuyer sur des commissions où seront probablement présentes les associations. De même, il est prévu que ces dernières soient présentes dans les conseils de surveillance des agences régionales de santé (ARS). En revanche, on a supprimé les CROSMS (comités régionaux de l'organisation sociale et médico-sociale), qui constituaient pourtant un système de régulation avec les associations, permettant d'aboutir à des consensus collectifs. On ne sait pas ce qui va en tenir lieu, mais l'Etat sera bien obligé de les remplacer.
Autre illustration de cette ambivalence : alors que l'Etat prétend maîtriser l'action avec les appels d'offres, il intègre aussi l'idée d'évaluation et des droits des usagers à travers les projets d'établissements, les règlements de fonctionnement, les contrats de séjour... Or tous ces mécanismes poussent inéluctablement les gestionnaires et les professionnels à produire par eux-mêmes de la normalisation. Il y a un appel à la capacité des acteurs à élaborer en permanence le sens de leur action et à légitimer leurs méthodes afin que les organisations puissent s'adapter constamment aux individus et négocier avec eux leur retour aux standards de vie communs. J'y vois un grand chantier pour les associations, à condition qu'elles soient capables d'agir de façon positive et créative.
Beaucoup voient pourtant dans ces procédures une forme d'instrumentalisation...
C'est tout le problème de ces instruments : l'évaluation, le contrat de séjour, mais aussi tous les contrats avec l'Etat peuvent charrier le pire comme le meilleur. Si vous prenez l'évaluation, vous avez une alternative. Vous pouvez verser dans une évaluation technocratique, qui nous vient du new management public avec des systèmes hypernormalisés conçus par des agences extérieures aux acteurs et avec un découpage des tâches, qui aboutit à un nouveau taylorisme de l'action collective. Mais partout où de telles techniques ont été développées - et la France, qui fait cela avec retard, ferait bien de s'en préoccuper -, elles ont abouti à des impasses.
Vous pouvez aussi envisager l'évaluation comme un instrument de production de l'intelligence collective où l'on introduit non pas l'individu pris en charge, mais les formes collectives de pensée. Mais cette mayonnaise ne prendra que si les cadres dirigeants d'établissement deviennent des « intégrateurs et producteurs de sens ». Ils doivent accepter de quitter l'ancien modèle hiérarchique et pyramidal pour mobiliser l'ensemble des acteurs - professionnels, militants, bénéficiaires - et faire converger les cultures et représentations vers une conception commune de l'action, de ses finalités et des résultats attendus. C'est, au fond, une nouvelle culture professionnelle qui doit se mettre en gestation.
Cette possibilité de produire de l'intelligence collective est quand même très encadrée : il y a les contraintes financières, mais aussi les normes produites par l'ANESM et bientôt l'ANAP (1)...
Il faut en tenir compte. Cependant, je ne suis pas pessimiste, je pense que la logique technocratique est porteuse d'échecs et de désillusions très grandes. Peut-être faudra-t-il en passer par là dans certains secteurs, mais on en reviendra.
Après quelques pertes et fracas...
Je ne suis pas un défenseur du modèle antérieur avec ses statuts prédéterminés, ses cloisonnements, ses rigidités. Ce système a eu sa grandeur, mais aussi ses limites. Le monde nous oblige à bouger et peut-être y aura-t-il des erreurs et des impasses. Cependant, je suis assez confiant : l'évaluation, les contrats, la logique des parcours d'insertion, toutes ces procédures charrient, certes, des dimensions technocratiques et de manipulation des individus, mais elles ont aussi une substance positive, à condition d'ouvrir des espaces d'intelligence collective, de favoriser les innovations. Elles permettent au fond - et c'est pour cela que les associations ont un rôle central - de renvoyer une action sociale qui, quand même, s'était fortement bureaucratisée et technicisée, à une certaine fraîcheur de ses origines. Et, au fond, à la capacité pour la société de s'occuper elle-même des problèmes qu'elle rencontre.
On voit bien à travers votre raisonnement que, pas plus aujourd'hui qu'hier, l'Etat n'a de politique d'action sociale. Ce qui, finalement, est une aubaine pour les acteurs...
En fait, la politique d'action sociale, si tant est qu'on puisse considérer qu'il y en ait jamais eu une, a été fabriquée par les corporations professionnelles au sein des associations. Ce qui a été effectivement une aubaine et a permis à ces acteurs d'inventer et de transformer la quasi-totalité des formes d'intervention qu'on a aujourd'hui. De fait, l'Etat continue à n'imposer aucun modèle d'action sociale, c'est pourquoi la conjoncture, aussi troublée et incertaine qu'elle puisse paraître, constitue une occasion pour les associations de se revivifier.
Leur marge de manoeuvre va être tout de même sérieusement entravée avec le basculement du secteur médico-social dans le champ des ARS...
C'est vrai que ce contexte n'est guère porteur. Autant le secteur social et médico-social est resté relativement ouvert, diversifié et indéterminé dans ses formes d'intervention, autant le secteur sanitaire est fortement normé et cadré à partir du système hospitalo-universitaire. Le grand problème, c'est que, basculant dans le sanitaire, le médico-social risque de s'hypermédicaliser en se construisant comme un élément du modèle médical et de perdre une large part de sa dimension sociale. Je ne pense pas que le système des ARS va supprimer du jour au lendemain les services de soins à domicile pour les enfants handicapés, mais on va les faire passer dans les mêmes cadres régulateurs, notamment l'accréditation ou les modalités de financement, que le système hospitalier. La marge de manoeuvre des associations est donc beaucoup plus étroite dans le secteur médico-social, mais elle existe quand même. Par exemple, les ARS doivent faire des régulations de territoire, coordonner les acteurs. Or cela ne se décrète pas. Elles ne pourront le faire que si les acteurs sont eux-même impliqués.
Quel est l'enjeu pour les associations ?
Il est double. En interne, il faut, me semble-t-il, redonner de la substance, de la capacité à produire du sens collectif aux structures associatives, en aménageant les conseils d'administration, en mettant en oeuvre des dispositifs de réflexion collective et en instaurant des mécanismes de contrôle et de garantie par rapport à la gestion des professionnels. Il s'agit de leur redonner une densité politique en en faisant des acteurs de la cité capables de façonner une certaine vision des problèmes et des évolutions souhaitables. Cela pose donc la question des membres de l'association (qui représentent-ils ? Quelle est leur légitimité ?) et de la gouvernance (comment parvient-on à faire circuler et façonner une parole ?). Une association, c'est une médiation qui permet, comme le ferait un entonnoir, de fédérer des individus atomisés autour d'un projet commun.
Du point de vue externe, on peut se demander si les associations, massivement centrées sur la gestion des activités - avec le danger de devenir de purs opérateurs -, ne gagneraient pas à se situer aussi à d'autres niveaux. Elles pourraient ainsi investir l'échelon régional pour produire un discours collectif, siéger dans certaines instances publiques, faire de la médiation. Actuellement, ce sont surtout les fédérations nationales associatives qui organisent les formes de représentation et de mobilisation collective, parfois dans une logique de simple lobbying. Or le niveau régional devient un niveau pertinent. Le problème, évidemment, c'est que lorsque les associations ne gèrent pas d'activités, elles n'ont pas de ressources. Mais je ne suis pas persuadé qu'on ne peut pas régler cette question.
Je crois qu'il y a, aux niveaux interne et externe, des réflexions à mener. L'idée de base, c'est que la structure associative est une des façons qu'a la société de se dire à elle-même ce qu'elle est.
Les évolutions actuelles ne visent pas à éliminer les associations d'action sociale. La menace est plus perverse, puisque celles-ci tendent à ne plus être reconnues dans leur qualité de groupement intermédiaire. Tel est le constat qui se dégage de l'ouvrage collectif Faire société : les associations de solidarité par temps de crise (2), publié par l'Uniopss à l'occasion de son XXXe congrès (3). Coordonné par Robert Lafore, président du conseil de prospective de l'union et professeur de droit public à l'université de Bordeaux, il analyse les transformations en cours et tente de repérer les contraintes, mais aussi les opportunités qui peuvent être saisies par le secteur. Les auteurs reviennent ainsi sur la place des associations de solidarité dans la construction du système politico-administratif français et, plus largement, dans la démocratie. Et analysent la spécificité du fait associatif, dont l'apport est insuffisamment reconnu. Sachant que le redéploiement de l'Etat social, qui de « réparateur » deviendrait « investisseur social », réinterroge le rôle des associations.
Reste que la tâche n'est guère facile pour elles dans un environnement bousculé par les logiques de concurrence, la recomposition des politiques sanitaires et sociales et les nouvelles formes de régulation, la territorialisation de l'action publique et la construction européenne. Quel est alors l'enjeu pour les associations ? Outre leur présence « pertinente » au sein des instances européennes, il s'agit pour elles, avec le futur pilotage régional de la décision publique, d'organiser une prise de parole commune sur les territoires. Mais à cet enjeu politique s'en ajoute un autre de taille : la gestion des ressources humaines. Face aux injonctions de qualité, aux nouvelles procédures, à la gestion prévisionnelle des emplois, l'employeur associatif ne peut plus se limiter à l'application d'une convention collective. D'où la nécessité d'élaborer des outils adaptés à la gestion associative.
I. S.
(1) Respectivement Agence nationale de l'évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux et Agence nationale d'appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux.
(2) Les auteurs sont des membres du conseil de prospective de l'Uniopss et de son réseau, des chercheurs et des professionnels de terrain. Ed. Dunod - 25 (en librairie début février).
(3) « Les solidarités à l'épreuve de la crise : intérêt général ou compétition ? » - Les 27, 28 et 29 janvier à Lyon.