A l'issue de la table ronde organisée le 18 janvier sur « l'alternance dans les formations sociales » par la direction générale de l'action sociale (DGAS) avec l'ensemble des acteurs concernés - à l'exception des étudiants qui devraient être reçus très prochainement -, le sentiment est celui d'un immense décalage entre les acteurs de terrain et l'administration centrale. Alors que les centres de formation considèrent que « le compte n'y est pas », la DGAS estime, pour sa part, que cette réunion, « qui n'est pas conclusive », a permis de faire un état des lieux sur le fonctionnement du dispositif de formation et d'envisager des pistes de solution.
De fait, en choisissant d'élargir la réflexion à l'ensemble des difficultés de l'alternance et de ne pas la limiter à la question de la gratification - « une goutte d'eau qui fait déborder le vase » et dont le coût, évalué par ses services à 22 millions d'euros par an, « ne bouscule pas l'équilibre financier du secteur » -, Fabrice Heyriès, directeur général de l'action sociale, montrait qu'il prenait la mesure du problème. Mais avec le risque de donner le sentiment de minimiser les difficultés de financement des stages.
C'est pourquoi l'ensemble des acteurs se sont réjouis de le voir affirmer son attachement au dispositif de l'alternance, un système complexe à mettre en place en raison des contraintes liées à la réforme des diplômes et à la mise en place des sites qualifiants, et sa volonté de le conforter. Fabrice Heyriès a d'ailleurs promis que cette question serait prise en compte dans les orientations nationales sur les formations sociales que la DGAS doit arrêter en fin d'année avec l'Association des régions de France (ARF) pour la période 2011-2013.
Reste que « le problème urgent tient à la gratification », a tenu à rappeler Jean-Michel Godet, secrétaire général du GNI, (Groupement national des instituts régionaux du travail social), évoquant la baisse de 15 à 20 % de l'offre de stage. « Décidée sans concertation, la gratification est quand même venue polluer l'entrée en formation pratique des étudiants, obligés d'accepter des terrains de stage sans lien avec leur projet professionnel », affirme l'ARF. Pas question de mélanger deux objets distincts - alternance et gratification -, ont ainsi défendu Didier Tronche, chargé du service de la vie syndicale au Syneas (Syndicat des employeurs associatifs action sociale et santé), et Christian Chassériaud, président de l'Aforts (Association française des organismes de formation et de recherche en travail social).
Dans un tel contexte, il était difficile pour la DGAS de présenter ses propositions sans être suspectée de vouloir réduire l'impact financier de la gratification. C'est ainsi qu'elle a indiqué vouloir conforter la place de l'apprentissage, mais aussi examiner, dans le cadre de la Commission consultative professionnelle du travail social et de l'intervention sociale, la répartition des stages (entre stages d'observation et stages longs) pour certains diplômes, tout en insistant sur le fait qu'il ne s'agissait pas de réduire leur durée globale. Proposition qui a été rejetée par l'ensemble des acteurs, au motif que si l'on réduisait la durée des stages d'observation, on risquait de les dénaturer.
Par ailleurs, la DGAS a évoqué l'intérêt pour les associations de constituer des groupements de coopération sociale et médico-sociale avec les établissements de formation afin de mutualiser les coûts et le tutorat. Une piste qui ne fait guère l'unanimité, le GNI et la FEHAP, voyant surtout dans ces groupements des « usines à gaz », qui créent plus de contraintes qu'elles n'apportent de rationalité. En tout cas, la piste des groupements et de la mutualisation est fortement défendue par Jean-Pierre Hardy, chef du service des politiques sociales de l'Assemblée des départements de France (ADF). Il estime d'ailleurs nécessaire de ne plus flécher les crédits de la gratification sur les établissements mais sur les sièges des associations - ce qui reviendrait pour les autorités de tarification à discuter avec 2 000 organismes gestionnaires et non plus 34 000 établissements, et permettrait un meilleur suivi.
D'autres propositions ont également été évoquées lors de cette réunion. L'ARF demande ainsi que les étudiants en travail social soient traités sur un pied d'égalité avec leurs collègues du sanitaire (élèves infirmiers ou kinésithérapeutes, notamment). Et qu'ils bénéficient non plus de gratifications, mais d'indemnités de stages versées par l'Etat aux régions. Une piste jugée également intéressante par Didier Tronche : « A une époque où l'on veut rapprocher le secteur médico-social du sanitaire », il y voit un moyen de sortir des impasses d'une disposition qui, en outre, ne s'applique pas à la fonction publique territoriale et hospitalière.
La table ronde a également été l'occasion d'une passe d'armes entre l'ADF et l'Etat. « On ne peut pas continuer à raisonner dossier par dossier. L'Etat a convoqué les conseils généraux à une table ronde sur l'aide à domicile, maintenant c'est sur la gratification, sous prétexte que nous sommes des financeurs indirects via la tarification de certains établissements. Mais, dans le même temps, il refuse de payer ce qu'il doit aux départements dans le cadre de la protection de l'enfance », s'emporte Jean-Pierre Hardy. Et de demander que l'on arrête de « traiter des éventuelles dettes sans traiter des créances certaines ».
Enfin, la rencontre aura permis à la DGAS de préciser qu'elle attendait également les conclusions en avril de la mission d'évaluation de l'impact de la réforme de la réglementation des stages initiée par la loi du 31 mars 2006, notamment dans le champ social et médico-social, confiée à l'inspection générale des affaires sociales et à l'inspection générale de l'administration de l'Education nationale et de la recherche. Elle a également indiqué qu'elle allait réactualiser la circulaire du 21 avril 2008 adressée aux services déconcentrés pour qu'ils prennent en charge les dépenses de gratification des établissements privés financés par l'Etat et l'assurance maladie. La DGAS a aussi rappelé les dispositions qu'elle avait prises pour appliquer la gratification aux administrations et établissements publics de l'Etat (décret du 21 juillet 2009) et sensibiliser les collectivités territoriales à l'accueil des stagiaires (circulaire du 4 novembre 2009).
Au final, si la DGAS a indiqué qu'elle allait faire une synthèse des propositions et revenir vers les participants, elle n'a guère rassuré les acteurs sur le financement de la gratification. Certains, comme l'ONES (Organisation nationale des éducateurs spécialisés), le regrettent tout en considérant que « c'est le premier pas d'une réflexion » et en espérant « des engagements plus concrets ». D'autres, comme l'Aforts et le GNI, plus radicaux, dénoncent « le refus de la DGAS d'apporter des réponses concrètes et immédiates à la diminution de l'offre de stages et à son appauvrissement qualitatif du fait de l'obligation de gratification ». Estimant que la situation est « dans une impasse grave », ils prévoient d'organiser une journée nationale d'action. Et invitent l'ensemble des acteurs - employeurs, organisations professionnelles, conseils régionaux et généraux - à se mobiliser « pour défendre la qualité et le devenir des formations sociales ».