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« La réforme unificatrice des retraites ne se décidera pas en catastrophe »

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L'avenir du système de retraite n'est pas assuré. Le gouvernement entend faire de sa réforme un chantier majeur pour 2010. Reste que les leviers ne sont pas nombreux : augmentation des cotisations, baisse des pensions ou allongement des durées de cotisation. D'autant qu'il faudra aussi prendre en compte la question de la dépendance. L'économiste Henri Sterdyniak détaille les enjeux de ce dossier brûlant.

Réformer le système de retraite est-il vraiment indispensable ?

Les retraites représentent actuellement 13 % du PIB, et si l'on ne fait rien, ce chiffre passera à 18 % vers 2035-2040. Soit une hausse de 5 points. D'autant que, si l'on y ajoute le financement de la santé et de la dépendance, cela représentera plutôt une augmentation de 8 points du PIB. On ne peut pas se contenter de dire que ce n'est pas grave, et regarder se creuser la dette publique.

Quels leviers cette réforme devrait-elle actionner ?

Il faut jouer sur plusieurs leviers. Si l'on ne modifie que les taux de cotisation, il faudra les augmenter de 20 %, ce qui est beaucoup. De toute façon, cela paraît fort improbable, alors que l'on sort à peine de la crise. Une deuxième stratégie consiste à baisser le niveau des pensions, d'environ 30 % pour maintenir le système. Elles passeraient alors de près de 70 % à 50 % du salaire. Mais de nombreux retraités se trouveraient dans la pauvreté. La troisième solution est de reculer l'âge moyen de fin d'activité. Le plus simple consistant à repousser l'âge légal de départ à la retraite de 60 à 62 ans. Le résultat serait une forte hausse du chômage, puisqu'un certain nombre de retraités potentiels resteraient en poste. Ce serait aussi partir à l'affrontement avec les syndicats. On peut enfin augmenter le nombre de trimestres de cotisations nécessaires. Déjà, en 2012, la durée de cotisation passera à 41 ans. C'est une bonne stratégie car les cadres, qui commencent leur carrière en moyenne à 23 ans, la termineront à 65 ans. Les ouvriers, eux, continueront à partir à 60 ans, car ils débutent en général plus jeunes. On peut aussi décider de passer cette durée à 42 ans dès 2016 plutôt qu'en 2020, mais cela n'aura pas d'impact immédiat sur le déficit. Prise séparément, chacune de ces solutions est difficilement acceptable. Il faut donc les mixer de manière utile. Mais quoi qu'il en soit, la grande réforme unificatrice ne pourra pas être décidée en catastrophe, car elle pose des problèmes ardus, comme l'avenir du paritarisme ou la reconstitution des droits des cotisants.

Le gouvernement semble déterminé à intégrer les retraites des fonctionnaires, très déficitaires, dans la réforme. Quels sont les enjeux ?

Le premier problème est celui des dispositifs qui, dans la fonction publique, autorisent le départ avant 60 ans. Je pense aux mères de familles ayant élevé trois enfants et qui peuvent partir après quinze années de carrière ou aux fonctionnaires qui peuvent cesser de travailler à 50 ans grâce à leurs années en service actif. Tout cela est aberrant, car rien ne prouve que ces gens occupent des fonctions plus pénibles que leurs équivalents du privé. La suppression de ces dispositifs spécifiques devrait néanmoins se faire dans le cadre de la négociation sur la pénibilité. La seconde difficulté est le calcul du niveau des retraites. Il n'existe actuellement aucune homogénéité entre le privé et le public. On a, d'un côté, le régime général avec l'ARRCO et l'AGIRC et, de l'autre, des pensions fixées immuablement à 75 % du dernier salaire. En matière de niveau des pensions, cela donne à peu près la même chose, dans la mesure où, dans le public, on ne cotise pas sur les primes. Mais il sera difficile d'harmoniser les deux systèmes, car si l'on veut toucher au privé, il faut d'abord remettre en cause les 75 % du public pour ne pas donner l'impression d'un traitement inéquitable. Ce qui revient à lancer une déclaration de guerre aux syndicats. On devrait donc éviter de toucher au niveau des pensions et mettre plutôt l'accent sur l'allongement de la durée d'activité. D'autant que les gens ne souhaitent pas avoir des retraites plus faibles, tandis qu'ils peuvent accepter de travailler plus longtemps.

Dans son rapport attendu pour avril, le Conseil d'orientation des retraites devrait donner son avis sur le système de retraite par points ou par comptes notionnels. De quoi s'agit-il ?

Le système par points existe déjà avec l'ARRCO et l'AGIRC. Il consiste à cumuler des points au fil de sa carrière, donnant droit à un niveau de pension. Certains ont proposé de créer un régime unique par points qui permettrait de simplifier le système actuel, il est vrai trop complexe et fractionné. Selon ses promoteurs, cela entraînerait en outre un équilibrage automatique du régime. S'il n'y a pas assez d'argent dans les caisses, on baisse la valeur du point. C'est d'ailleurs un peu ce que font déjà l'ARRCO et l'AGIRC. Je trouve cette solution dangereuse et scandaleuse, car tout l'ajustement porterait sur les retraités et déresponsabiliserait les entreprises et les salariés en activité. Et il n'y aurait aucune garantie du niveau des pensions. Il est encore préférable d'avoir un système déséquilibré. De toute façon, les syndicats ouvriers sont contre un système unique par points, qui porterait atteinte au paritarisme. Les comptes notionnels, eux, ont été inventés par les Suédois. Chacun dispose d'un compte personnalisé, avec la garantie que ses cotisations ont une rentabilité égale au taux de croissance des salaires, soit près de 1,5 % par an. Au moment de prendre sa retraite, le total est divisé par le nombre d'années d'espérance de vie restant au cotisant. C'est un système équilibré et séduisant, mais qui ne tient compte ni du sexe ni du métier, or on sait qu'il existe des inégalités d'espérance de vie entre les hommes et les femmes ainsi qu'entre les cadres et les ouvriers. Ce système me semble donc très injuste, car il accentue en réalité les différences de traitement entre les retraités.

L'allongement de la durée de vie au travail ne se heurte-t-il pas inévitablement au faible taux d'emploi des seniors ?

C'est vrai, mais avec la crise, la question des seniors vient un peu à contretemps. Les entreprises cherchent plutôt à réduire leurs effectifs. Ce n'est donc pas leur problème majeur. D'autant qu'on leur dit aussi d'embaucher des jeunes, des immigrés de seconde génération, des personnes handicapées... On observe cependant un certain changement dans les mentalités. Ainsi, 9,6 % des personnes prenant leur retraite bénéficient d'une surcote, c'est-à-dire qu'elles ont travaillé au-delà du nombre de trimestres nécessaires. On constate de plus que la crise n'a pas eu un impact massif sur l'emploi des seniors et qu'il n'y a pas eu de recours aux préretraites. Le résultat est que ce sont les jeunes qui souffrent. Depuis le début de la crise, le taux d'emploi des 55-64 ans a augmenté de 0,9 %, alors qu'il a diminué de 1,8 % chez les 15-24 ans.

Les centrales syndicales souhaitent voir prise en compte dans la réforme la question de la pénibilité au travail. Quels sont les scénarios possibles ?

En 2003, il était prévu que les négociations sur la pénibilité aboutissent dans les trois ans. Mais cela n'a débouché sur rien, notamment à cause du Medef, qui refuse toute mesure générale. Le premier scénario consisterait à créer une retraite par invalidité, ouverte, sur avis médical, aux personnes en mauvaise santé du fait de leur activité professionnelle passée et qui ne peuvent être reclassées. C'est ce qui se fait dans les pays scandinaves et en Grande-Bretagne, mais les syndicats sont contre de telles mesures individuelles. La deuxième solution, plébiscitée par les syndicats, serait de créer des caisses spéciales pour certaines professions considérées comme pénibles, tels les routiers ou encore les maçons... Elles seraient financées par les entreprises, et éventuellement par l'Etat pour les métiers jugés indispensables. Enfin, la troisième piste, celle de la SNCF et de la RATP, consiste à définir des métiers ou des tâches pénibles donnant droit à des bonifications. Cela peut se négocier au niveau des branches. L'avantage étant que l'entreprise est alors incitée à surveiller et à améliorer les conditions de travail.

Peut-on ne pas tenir compte de la dépendance dans le cadre de la réforme des retraites ?

Elle fait effectivement partie du problème. Bien évidemment, on peut créer un cinquième risque dépendance, financé par des cotisations qui ouvriraient droit à une prestation en cas de survenue de la dépendance, avec des dispositifs complémentaires financés par les entreprises et les ménages. Mais cela s'ajouterait aux cotisations retraite et poserait les mêmes problèmes de financement. Tous les besoins sont respectables : la retraite, la dépendance, la santé, les prestations familiales... Mais on ne peut pas laisser les dépenses filer pour chacun, autrement le coût total va exploser. Et on ne peut pas avoir des dépenses de retraite qui augmentent trop vite, car il faut laisser un taux de marge, notamment pour la dépendance.

REPÈRES

Henri Sterdyniak est économiste. Il dirige le département « Economie de la mondialisation » à l'Observatoire français des conjonctures économiques. Il est aussi professeur associé à l'université de Paris-Dauphine. Il a publié l'article « Retraites : à la recherche de solutions miracles », dans la Revue de l'OFCE n° 109 (Ed. Presses de Science Po, avril 2009).

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