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De l'insertion sociale au développement local

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Loin d'être de simples « magasins pour pauvres », les épiceries sociales et solidaires ont développé tout un savoir-faire pour accompagner les bénéficiaires vers l'autonomie. Face aux difficultés d'approvisionnement, certaines élargissent aussi leur action à la redynamisation des territoires en recourant à des circuits alternatifs et de proximité.

L'objectif est le même : permettre aux personnes qui en ont besoin de se nourrir décemment. Mais la démarche est différente : alors que les structures d'aide alimentaire classiques, à l'instar des Restos du coeur (1), délivrent gratuitement des colis de denrées alimentaires, au contraire, dans les épiceries sociales ou solidaires, les personnes choisissent leurs produits au sein d'un vaste panel en échange d'une participation financière, certes modique. « Les gens en ont assez de l'assistanat, explique Véronique Blanchot, conseillère en économie sociale et familiale (CESF) et responsable du pôle « animation sud » à l'ANDES (Association nationale de développement des épiceries solidaires). Ils préfèrent qu'on leur apprenne à pêcher plutôt qu'on leur donne du poisson. » « Nous proposons le choix et la qualité, complète Guillaume Bapst, directeur de l'ANDES, ce qui permet aux personnes en difficulté de consommer comme tout le monde, ce à quoi elles aspirent plus que tout. »

En France, environ 500 épiceries s'emploient, sous des formes multiples, à rendre effectif ce droit à la diversité alimentaire, absent de l'aide alimentaire d'urgence et censé rendre leur dignité aux personnes. Très souvent dirigées par une conseillère en économie sociale et familiale, les épiceries peuvent être adossées à un centre communal d'action sociale (CCAS) ou à une association locale (parfois un centre social), ou cogérées par les deux. Dans le premier cas, on parle plutôt d'épiceries sociales et, dans le second, d'épiceries solidaires. Mais on trouve aussi des formes atypiques, par exemple une structure portée par un CCAS au sein d'un centre social et gérée par une CESF de la caisse d'allocations familiales (CAF). « Les CCAS sont parfois animateurs de l'épicerie sociale, mais ils travaillent souvent de façon moins visible avec le monde associatif sous la forme de subventions, d'aide humaine ou dans le cadre d'un soutien logistique en proposant un camion frigorifique par exemple », précise Daniel Zielinski, délégué général de l'Union nationale des centres communaux et intercommunaux d'action sociale (Unccas), qui dénombre environ un millier de CCAS travaillant avec les banques alimentaires (2).

L'hétérogénéité est toutefois de façade. Car, sur le fond, la plupart des épiceries prodiguent, au-delà de l'aide alimentaire, une action éducative et un accompagnement social adapté de façon à « recomposer les rapports entre l'économique et le social au travers des domaines de l'alimentation et de la nutrition », comme l'indique la charte du GESRA (Groupement des épiceries sociales et solidaires de Rhône-Alpes). Dans ce cadre, l'alimentation devient un support pour rompre avec l'isolement, amorcer un travail d'éducation et de redynamisation et appuyer les bénéficiaires dans la recherche de leur autonomie. « Se nourrir se transforme en outil d'insertion, explique Guillaume Bapst. D'autant que, pour être éligible, la personne doit non seulement répondre à des critères financiers précis fixés par chaque structure, mais aussi accepter de s'inscrire dans un projet individuel qui s'appuie sur les économies réalisées sur son budget alimentation - comme repeindre sa maison, se soigner, rembourser un prêt... » Outre cet engagement personnel pris par le bénéficiaire, souvent formalisé sous la forme d'un contrat, de nombreuses épiceries proposent des ateliers collectifs autour de thèmes comme la vie quotidienne (gestion du budget, logement, surendettement...) ou la santé (estime de soi, médicaments, sommeil...). Car « les personnes qui arrivent dans un CCAS pour de l'aide alimentaire cumulent souvent diverses problématiques, note Daniel Zielinski. Les ateliers permettent, via l'alimentation, de réaliser une prise en charge plus globale. » « C'est de l'insertion sociale, pas professionnelle, précise Véronique Blanchot. Il s'agit d'apprendre à se valoriser, à créer un réseau autour de soi, à reprendre confiance... »

Des bénéficiaires impliqués

Dans cette perspective, les bénéficiaires de l'association « La passerelle d'eau de Robec » à Lyon sont incités à s'impliquer directement dans la vie de l'association : ils participent notamment aux collectes alimentaires, à l'étiquetage des produits ou à leur mise en rayon. A Longueau (Somme), les ateliers proposés par l'épicerie du CCAS dépendent souvent des compétences des bénéficiaires. « Le geste d'insertion d'une coiffeuse de métier, allocataire du RMI, a été de coiffer les autres personnes », raconte Pascale Kessler, directrice du CCAS. Une autre fois, c'est une bénéficiaire couturière qui a organisé un atelier couture. « Ce n'est pas parce qu'ils sont en situation de précarité que les gens ne savent rien faire, explique Véronique Blanchot. Il ne faut surtout pas avoir la prétention d'essayer de leur apprendre des choses : l'important, c'est de les faire échanger entre eux. »

Fabriquer du lien social : c'est justement le propos de l'épicerie solidaire « Le Marché Conté », à Bourg-en-Bresse, qui a développé, en parallèle de son épicerie solidaire et en partenariat avec la chambre d'agriculture de l'Ain, un marché paysan où se rencontrent une fois par mois des femmes des villes (bénéficiaires de l'épicerie), des femmes des champs (agricultrices) et des citoyens sensibilisés qui paient les produits un peu plus chers pour soutenir la démarche. « Cela permet aux familles d'accéder à des produits de qualité en circuit court avec une aide qui correspond à 50 % du prix des produits et aux agriculteurs d'avoir de nouveaux débouchés tout en favorisant la mixité des publics », explique Misette Baldo, directrice de l'épicerie.

Les épiceries sociales permettent également d'amorcer un travail autour de la nutrition par le biais d'ateliers diététiques visant la mise en oeuvre des repères nutritionnels fixés par le programme national nutrition santé (PNNS). Car, paradoxalement, c'est parfois le réseau de l'aide alimentaire d'urgence qui a déshabitué les bénéficiaires à manger des produits frais au profit de conserves et de plats préparés, présents en grand nombre dans les colis. Pour remédier à cet état de fait, l'ANDES a mis en place des chantiers d'insertion de récupération de fruits et légumes frais. D'abord créé sur le marché de Rungis (3), ce type de chantier a été dupliqué à Perpignan en octobre dernier. Il le sera bientôt à Nantes et à Marseille. Sur 100 kg de denrées récupérées, 30 kg sont conservées pour être redistribuées vers l'ensemble des réseaux d'aide alimentaire franciliens (4) et des Pyrénées-Orientales. Le reste est, depuis le début de l'année, transformé sous forme de soupes et de jus qui viendront grossir les rayonnages des épiceries adhérentes au réseau dans la ligne des recommandations du PNSS. « Quand on met à disposition des fruits et des légumes frais dans les épiceries, la fréquence de consommation augmente, il faut donc continuer, confirme Eric Birlouez, consultant au sein du cabinet d'études Epistème et auteur d'une étude sur le sujet, réalisée en partenariat avec l'ANDES et remise au Haut Commissariat aux solidarités actives contre les pauvretés à l'automne 2009 (5). On reste néanmoins loin du compte des cinq fruits et légumes par jour, ce qui signifie qu'il y a d'autres freins que le frein financier. Il faut donc coupler cette mise à disposition à des actions d'accompagnement, comme des ateliers culinaires, qui ont également une influence positive sur les problématiques d'insertion sociale. »

Sur le terrain, les choses se mettent en place petit à petit. Pour contribuer à modifier certaines mauvaises habitudes alimentaires, l'association « Un air de famille », qui accompagne des jeunes couples en difficulté en attente de leur premier enfant et en oriente certains vers l'épicerie « La courte échelle » à Paris, a choisi de fixer des limites à l'achat de boissons sucrées. Dorénavant les bénéficiaires ne sont autorisés à prendre que cinq euros de boissons par mois (sur un budget de 30 € ). Certaines épiceries accompagnent également les bénéficiaires dans leurs choix alimentaires, pendant les heures d'ouverture (en général, deux ou trois après-midi par semaine), ce qui permet de fournir des conseils diététiques tout en contribuant à créer du lien social. « Les gens se parlent, ça ramène de la sociabilité », explique Jean-Louis Clément, le directeur de l'association Entr'Act, qui gère une épicerie solidaire au Grand Mirail, à Toulouse. Mieux vaut toutefois, selon l'ANDES, que le travail éducatif se fasse en parallèle ou en amont plutôt que pendant le déroulement des courses. Il est, en effet, d'autant plus riche que les personnes ont la liberté de choix pendant leurs achats. De même, plutôt que fixer des quotas d'achat par famille de produits, l'association nationale privilégie l'organisation d'ateliers « cuisine » afin de montrer concrètement au public la façon dont se compose un menu équilibré.

Dans cette perspective, un projet de fiches de cuisine rédigées par des bénévoles est en cours au sein de l'épicerie « Le petit chariot ». Il devrait à terme être suivi par des dégustations et des ateliers cuisine. En attendant, Delphine Humbey, la conseillère en économie sociale et familiale qui coordonne cette épicerie itinérante, créée à l'initiative d'un syndicat intercommunal dans l'agglomération de Chalon-sur-Saône (Saône-et-Loire), réfléchit à des idées de recettes simples et appétissantes lorsqu'elle reçoit des produits atypiques. « Il y a toujours des familles qui ne vont prendre que des plats cuisinés ou des pâtes. Elles ne vont pas choisir spontanément d'acheter des betteraves rouges au motif qu'elles ne savent pas les cuisiner ou que leurs enfants n'aiment pas ça. A moi de lever les a priori et de trouver des astuces pour leur donner envie d'essayer. » Ailleurs, ce sont des ateliers « cuisine » parents/enfants qui sont organisés afin de réintroduire des fruits et des légumes dans des recettes simples.

Pour aider les bénéficiaires des épiceries sociales et solidaires à mieux gérer leur budget et à prendre de bonnes habitudes alimentaires, les CESF sont en première ligne. Ce sont d'ailleurs souvent elles qui dirigent les structures. Elles interviennent aussi en relais lors des ateliers. Et, bien que les bénévoles continuent à constituer une force d'appoint non négligeable, une dynamique de professionnalisation et de structuration apparaît dans les épiceries depuis une dizaine d'années (6) (voir encadré, page 30). Rares sont d'ailleurs celles qui se créent ex nihilo. « Pour se lancer, il faut d'abord être dans un réseau », explique Claire Salomon. Pour réfléchir à la faisabilité du projet, l'animatrice du secteur Grand-Ouest de l'ANDES, également CESF, réunit tous les partenaires potentiels autour de la table : CAF, caisse primaire d'assurance maladie, conseil général, associations d'aide alimentaire, Mutualité sociale agricole, CCAS, communautés de communes... Il n'est pas rare que les épiceries naissent à la suite d'un constat partagé d'insatisfaction quant au fonctionnement de la distribution des colis alimentaires. « Il y a quelques années, le CCAS distribuait des colis sans que les gens aient le choix, raconte Pascale Kessler, directrice du CCAS de Longueau, qui accueille une épicerie sociale depuis 2004. Certaines familles se retrouvaient avec des pots de bébé alors qu'elles n'avaient pas d'enfants en bas âge... »

Nécessaire, la concertation

Dans le diagnostic mené en amont de la création de l'épicerie solidaire du centre social cantonal « Les Trèfles » de La-Chartre-sur-le-Loir (Sarthe), il s'est avéré que des colis distribués par la banque alimentaire étaient parfois déposés à même le sol des mairies, que les bénéficiaires entraient par la petite porte pour les récupérer ou encore qu'ils jetaient une partie des produits à la poubelle à cause de leur piètre qualité. « Ça ne fonctionnait pas bien, explique Maryvonne Noue, directrice du centre social. Il n'y avait ni suivi, ni critères communs d'attribution de l'aide alimentaire. » Après une réflexion collective avec les différents partenaires (Croix-Rouge, CCAS, Familles rurales, le Secours catholique, les assistantes sociales de secteur, la CAF, la banque alimentaire...), l'épicerie est née en octobre 2006 afin de répondre de façon plus pertinente aux difficultés alimentaires des usagers : comme dans la plupart des épiceries, des conditions de ressources sont désormais établies pour les bénéficiaires (7), ce qui n'empêche pas la prise en compte de difficultés temporaires et/ou imprévues (déménagement, naissance, etc.). En outre, une commission se réunit désormais tous les quatre mois pour faire le point sur l'évolution des familles et renouveler, ou pas, l'accès à l'épicerie. Et les décisions concernant la famille sont, dans la mesure du possible, prises collectivement, associant l'assistante sociale qui instruit le dossier, la CESF, voire la puéricultrice de secteur. « L'épicerie peut être un point d'entrée pour qu'une famille soit prise en charge de façon globale, explique Maryvonne Noue. En tout cas, ça lui est proposé. Libre à elle, ensuite, de refuser ou d'accepter. »

A Longueau, c'est la même logique de concertation qui a abouti à l'aménagement d'une véritable boutique avec des rayonnages et des bacs réfrigérés. Car l'expérience prouve que l'apparence du lieu est important : une épicerie, ce n'est pas un hangar ! Ainsi l'ancien logement de fonction qui accueille désormais l'« espace solidaire » de la ville a été rénové par un chantier d'insertion de rénovation du bâtiment. Il comprend une épicerie sociale au rez-de-chaussée, qui a l'apparence d'un magasin, et une grande cuisine à l'étage pour les ateliers « cuisine » organisés à destination des bénéficiaires. « Nous voulions créer un pôle social regroupant tous les acteurs de l'insertion de la commune avec l'épicerie, la crèche, l'assistante sociale... afin de favoriser la mixité des publics et la resocialisation des personnes », précise Pascale Kessler, directrice du CCAS.

Outre la mutualisation des pratiques et des savoir-faire qui évite de « réinventer la poudre » à chaque fois, comme le note Maryvonne Noue, la structuration du secteur a permis d'amorcer une réflexion sur l'approvisionnement des épiceries. Un problème de taille car, face à la demande, les épiceries n'arrivent pas à fournir les quantités nécessaires. Non seulement le maillage du territoire est incomplet (et les villes limitent généralement l'accès à leurs habitants) mais les épiceries manquent de stocks. Les banques alimentaires, pionnières dans le secteur de l'aide alimentaire, fournissent certes une partie des épiceries mais à certaines conditions. En Ile-de France, les produits ne doivent pas être vendus plus de 10 % de leur valeur sur le marché et les épiceries doivent reposer sur une pluralité d'acteurs de l'aide sociale, garantie d'une plus grande efficacité. Mais, même avec l'appui des banques alimentaires, il arrive fréquemment que les épiceries connaissent une pénurie pour certains produits de base. Que faire quand il manque du lait ou de l'huile ? Certaines continuent d'acheter à prix coûtant les produits manquants via le système classique de la grande distribution. D'autres profitent des regroupements opérés au niveau national via l'ANDES et le GESRA pour diversifier leurs sources d'approvisionnement et faire des économies d'échelle qui rendent possible in fine l'amélioration de la qualité des produits. En tant que tête de réseau associative, l'ANDES se tourne notamment vers les secteurs en surproduction (comme la pêche ou le lait). En 2009, elle a déjà récupéré 40 000 litres de lait en provenance des vaches du salon de l'agriculture lors d'une opération intitulée « On fait lait malin ». « Il faut être à l'affût de toutes les possibilités », note Guillaume Bapst. Grâce à la subvention versée par la direction générale de l'action sociale (DGAS) (8), elle propose une enveloppe financière à ses épiceries adhérentes afin qu'elles se fournissent, en fonction des besoins et des possibilités locales, soit auprès des grandes enseignes avec lesquelles l'ANDES a négocié des prix très bas (Carrefour, Champion et Auchan), soit auprès de circuits courts locaux (agriculteurs, artisans boulangers, bouchers...), s'orientant ainsi vers d'autres modèles de consommation de proximité et souvent de grande qualité, soit auprès des deux types de circuits. Avantage : pallier le manque de variété des denrées alimentaires fournies par les banques alimentaires plutôt habituées aux fins de série.

Outre son approvisionnement auprès de la banque alimentaire et d'une supérette, l'épicerie solidaire du centre social « Les Trèfles » se fournit ainsi auprès d'un producteur de porcs local proche de la filière bio et achète les légumes bio produits par le chantier d'insertion du centre social. D'autres préfèrent se tourner vers les associations pour le maintien d'une agriculture paysanne (AMAP), qui soutiennent l'activité d'agriculteurs locaux, ou vers le réseau des Jardins de cocagne qui proposent des produits bio cultivés par des personnes en insertion. « Favoriser les petits producteurs de proximité est une démarche particulièrement intéressante car on fait alors une double insertion », commente Véronique Blanchot. Ce sont d'ailleurs aussi les circuits courts que promeut le GESRA. L'épicerie « La passerelle d'eau de Robec » a poussé encore plus loin la démarche en s'ouvrant à des produits du terroir, bio et/ou équitable pour attirer un autre type de public. « A la base, notre projet était tourné vers les personnes en difficulté financière, mais on ne voulait pas cloisonner les publics, explique Sophie Robert, coordinatrice de l'épicerie. Cela nous semblait extrêmement important qu'on ait une mixité des publics pour favoriser le lien social. » Ainsi, depuis 2005, « adhérents bénéficiaires » et « adhérents solidaires » se rencontrent dans l'épicerie. Les premiers ont accès à tous les produits à prix préférentiels ; les seconds n'ont accès qu'aux produits du terroir, bio ou équitables à des prix ordinaires.

Des pratiques tarifaires différentes

Cette diversité des approches, lisibles dans les produits et les modes d'approvisionnement différents, se concrétise dans des pratiques tarifaires variables qui ont une incidence sur les publics visés. Certaines épiceries sociales, comme celle de Longueau, ont renoncé à toute contrepartie financière en proposant aux bénéficiaires un crédit hebdomadaire de 20 € à 30 € (mais avec obligation de s'inscrire à un atelier par semaine). Les structures reliées à l'ANDES ne peuvent, quant à elles, vendre leurs produits au-delà de 30 %, quel que soit le fournisseur. Mais, au GESRA, on accepte d'aller au-delà du seuil de 30 % afin de générer davantage d'autofinancement. « Le surplus est réinjecté dans le projet social et les actions d'accompagnement », justifie Sophie Robert de la « Passerelle d'eau de Robec ». Une position qui fait bondir certains : « Au-delà d'un certain pourcentage, ce n'est plus du caritatif mais du social business ! », réprouve Franck Mandefield, président de la banque alimentaire d'Ile-de-France. « Quelle est, alors, la différence avec la vente promotionnelle ? », se demande pour sa part Claire Salomon de l'ANDES. En général, toutefois, les produits sont vendus entre 10 et 30 % du prix du marché. Une moyenne qui marque clairement la frontière entre, d'une part, l'aide alimentaire d'urgence, gratuite, et, d'autre part, des pratiques commerciales qui ne disent pas leur nom.

Reste que, dans tous les cas, les épiceries sociales ou solidaires ne remplacent pas l'aide d'urgence mais s'inscrivent en complémentarité. « Nous répondons à un nouveau besoin, ce qui permet de désengorger les structures d'aide alimentaire d'urgence », analyse Jean-Baptiste Chiodi. « Nous sommes la marche d'après », commente Guillaume Bapst. D'où la nécessité de travailler sur le maillage des dispositifs d'aide alimentaire avec la possibilité, pour une même personne, de bénéficier à certains moments de l'aide d'urgence - quand les difficultés sont persistantes - et à d'autres, de l'épicerie sociale - notamment en cas de difficultés passagères. Car une épicerie sociale ou solidaire n'a pas vocation à prendre en charge les personnes à faibles ressources dans la durée. Elle doit être une étape de quelques mois, éventuellement renouvelable, pour sortir d'un épisode difficile. « On ne travaille pas assez sur la sortie du dispositif, regrette d'ailleurs Véronique Blanchot, à l'ANDES. Or elle est déterminante et il faut l'avoir en tête dès l'entrée dans l'épicerie. Car son rôle consiste à redynamiser la personne, pas à l'enfermer dans un droit. »

Pourtant, avec la crise, certaines familles voient leur accès reconduit d'année en année. « On pensait que ce serait une escale dans leur vie, mais certaines sont là depuis l'ouverture de l'épicerie, en 2001 », se désespère Marie-France Collot, maire adjointe chargée de la solidarité à Sainte-Savine (Aube). Ce phénomène se double d'une évolution du public. Il est plus nombreux : + 20 % en 2009 par rapport à 2008, selon l'ANDES. Et différent dans sa typologie puisqu'il dépasse désormais largement le cercle traditionnel des titulaires de minima sociaux et des familles monoparentales pour toucher des personnes considérées jusque là comme « insérées » : travailleurs pauvres, jeunes - notamment des étudiants (9) - et retraités au minimum vieillesse. Adressé la plupart du temps sur prescription sociale, via le CCAS ou les assistantes sociales de secteur, le public frappe parfois aussi directement à la porte de l'épicerie. « Avec la crise économique, de nouvelles personnes se tournent vers les CCAS et une de leurs premières demandes concerne l'aide alimentaire, constate Daniel Zielinski. Contrairement aux bénéficiaires des Restos du coeur, ceux qui accèdent aux épiceries sociales ont souvent un logement et même un salaire. Ils préfèrent ce système-là, moins stigmatisant que l'aide d'urgence. » « C'est un public nouveau, pour qui tendre la main et faire la queue dans un système redistributif est difficile », renchérit Guillaume Bapst. Selon lui, impossible, pourtant, de savoir si cette arrivée massive de nouveaux usagers est liée à la crise ou à la médiatisation croissante des épiceries. « Ça se paupérise, remarque, pour sa part, Pascale Kessler du CCAS de Longueau. On voit de plus en plus de problèmes de surendettement et de dépendance aux médicaments, à l'alcool..., des dépressions aussi. » A l'épicerie du centre social « Les Trèfles », on s'attend même à une recrudescence des demandes cet hiver, période où il y a moins d'emplois saisonniers et où la production des jardins familiaux ne peut plus compenser le manque d'argent. « Une fois enlevées leurs charges, 25 % des personnes qui fréquentent notre épicerie n'ont aucun revenu pour l'alimentation », note Maryvonne Noue.

SE PROFESSIONNALISER POUR MIEUX SE DÉVELOPPER

Les premières épiceries sociales et solidaires sont nées dans les années 1990, souvent à l'initiative de centres communaux d'action sociale (CCAS) sur des financements municipaux, mais aussi portées par des associations avec l'aide de financements croisés. Certaines d'entre elles affichent désormais clairement leur volonté de rupture avec la logique de distribution et d'assistance de l'aide alimentaire classique. Dès 2000, l'ANDES (Association nationale de développement des épiceries solidaires) (10) est créée pour fédérer le mouvement avec le soutien de l'éphémère secrétariat d'Etat à l'économie solidaire. Aujourd'hui cinquième réseau français d'aide alimentaire agréé par les pouvoirs publics (aux côtés des Restos du coeur, du Secours populaire, de la Fédération française des banques alimentaires et de la Croix-rouge), cette tête de réseau associative soutient le développement des épiceries sociales et solidaires sur le territoire national « avec l'objectif d'apporter du qualitatif dans les épiceries », indique Claire Salomon, responsable du pôle animation Grand-Ouest à l'ANDES. L'association nationale propose notamment des formations gratuite à ses adhérents autour de thèmes comme l'accueil des personnes, la traçabilité des produits, la mise en place d'ateliers de cuisine parents/enfants, la gestion d'un budget ou la consommation de fruits et légumes. « Nous sommes un réseau, pas une fédération, ce qui fait qu'on respecte le choix des structures et que nous essayons, dans la mesure du possible, de laisser le temps aux épiceries d'améliorer leurs pratiques », précise Claire Salomon. Démarche similaire au GESRA (Groupement des épiceries sociales et solidaires de Rhône-Alpes) (11), né en 2004 à l'initiative de six épiceries souhaitant mutualiser leurs pratiques dans un esprit coopératif. Aujourd'hui, l'ANDES et le GESRA proposent leurs conseils à la création d'épiceries sociales et solidaires. Et la demande est forte : « J'ai quatre ou cinq demandes par mois de la part de CCAS et d'associations qui ont des projets concrets, mais aussi de la part de groupes d'étudiants qui doivent faire face à la dégradation de leur situation financière », constate Claire Salomon. Dans le sud de la France, l'ANDES a une dizaine de projets en cours. « Le concept a mis du temps à arriver dans le sud, ce qui explique le boom actuel, largement impulsé par les municipalités », remarque Véronique Blanchot, responsable du pôle animation Sud à l'ANDES. Même dynamique au GESRA où les épiceries moteurs, comme « La passerelle d'eau de Robec » à Lyon, sont fortement sollicitées pour transférer leur savoir-faire auprès de nouveaux porteurs de projet.

Notes

(1) Mais aussi du Secours populaire, du Secours catholique, de la Croix-Rouge, des banques alimentaires... Pour plus d'informations : www.aide-alimentaire.org.

(2) Une enquête sur les formes prises par l'aide alimentaire dans les CCAS est en cours. Conclusions prévues au printemps 2010.

(3) Voir ASH n° 2626 du 2-10-09, p. 32.

(4) Notamment auprès de la banque alimentaire Paris-Ile-de-France et des Restos du coeur-Paris.

(5) Intitulée « Evaluation de l'impact de la mise à disposition de fruits et de légumes frais auprès des bénéficiaires de l'aide alimentaire » - Disponible sur www.epiceries-solidaires.org/news/syntheses-des-intervenants-et-retranscriptions.

(6) Parfois aux dépens de petites épiceries historiques, comme à Paris, où l'Etat vient de supprimer la subvention de l'épicerie sociale « La courte échelle », principalement portée par des bénévoles.

(7) Peut accéder à l'épicerie une personne dont le reste à vivre est inférieur à 6,50 par jour et par personne, ou qui a un dossier de surendettement en cours.

(8) En 2009, l'ANDES a reçu 2,5 millions d'euros de la DGAS. Elle ne devrait recevoir que 1,2 million d'euros par an en 2010 et 2011.

(9) A tel point que des épiceries sociales se créent à l'initiative d'étudiants en partenariat avec des CROUS et des universités.

(10) ANDES : 7, rue de Damrémy - 75013 Paris - Tél. 01 44 24 09 50 - www.epiceries-solidaires.org.

(11) GESRA : 6, rue du Champ-Perrier - 69320 Feyzin - Tél. 04 78 01 89 42 -www.gesra.org.

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