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« Tout projet urbain devrait inclure le commerce »

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Les commerces de proximité ont-ils encore un avenir dans les quartiers en difficulté ? Le gouvernement semble y croire. Il vient de signer avec l'établissement public Epareca une convention visant à rénover une trentaine de centres commerciaux de proximité dans un délai de trois ans et demi. L'analyse de l'économiste et urbaniste Pascal Madry, directeur du tout nouvel Institut pour la ville et le commerce.

Quel est l'état du commerce dans les quartiers en difficulté ?

Il faut d'abord revenir sur l'histoire des équipements commerciaux des grands ensembles conçus depuis la fin des années 1950. A cette époque, la grande distribution n'existait pas en France. Le premier hypermarché ouvre en 1963, et le premier grand centre commercial régional, en 1969. Environ 80 % des dépenses alimentaires des ménages se faisaient alors dans les petits commerces, contre seulement 20 % aujourd'hui. Très vite, des critiques ont été formulées à l'encontre de ces équipements commerciaux. D'abord, le fait d'être sous-dimensionnés, avec une moyenne de 10 à 12 boutiques. Ensuite, leur isolement, qui ne leur permettait pas d'attirer une clientèle hors du quartier. Puis, dès la fin des années 1960, le commerce dans les quartiers a commencé à connaître des difficultés en raison du développement de la grande distribution, qui s'est implantée sur les mêmes terrains peu chers.

Aujourd'hui, où en est-on ?

A priori, ces défauts originels ont perduré, et l'activité de ces commerces devrait être encore plus fragilisée, du fait de la forte concurrence de la grande distribution. Or, même si le commerce n'est pas toujours florissant dans les quartiers sensibles, l'offre s'est maintenue. Une enquête que j'ai réalisée sur une cinquantaine de centres commerciaux franciliens montre que les supérettes et supermarchés tirent l'activité des autres commerces. Et, étonnamment, dans 80 % des cas, leur rendement est supérieur à la moyenne nationale des établissements de même type. L'une des explications est que la densité commerciale est moins forte dans ces quartiers, et que la concurrence y est donc moindre. Il est vrai que l'image du grand ensemble et des phénomènes d'insécurité qui y sont associés joue négativement. Des chaînes nationales ne seraient pas opposées à s'y implanter, mais refusent de prendre elles-mêmes le risque. Elles souhaitent donc le déléguer à un franchisé. Le problème est que celui-ci doit payer un droit d'entrée élevé à l'enseigne. Autant, pour lui, s'installer dans un environnement en principe plus sécurisé.

On pourrait pourtant penser que les faibles revenus de la population pèseraient sur les résultats de ces commerces...

Ma thèse, un peu paradoxale, est que le commerce dans les quartiers d'habitat social a pu, au contraire, se maintenir grâce à la paupérisation de la population. En effet, il s'agit d'une clientèle captive, car beaucoup moins motorisée que les autres ménages urbains. Ses possibilités de déplacement sont faibles, alors que les quartiers sont souvent enclavés, avec une offre de transport pas toujours adaptée. Ensuite, dans ces grands ensembles, on observe une plus forte concentration de populations de culture étrangère. Ce qui est un atout pour un commerce qui sait répondre à leurs besoins particuliers, même avec des prix plus élevés qu'ailleurs. Enfin, la moyenne d'âge y est plus élevée que dans d'autres secteurs urbains. Or les personnes âgées ont tendance à privilégier les commerces de proximité.

Outre le supermarché, quels sont les autres types de commerces dans ces quartiers ?

En premier lieu, la boulangerie. La pharmacie vient en second, puis, très souvent, la boucherie hallal. On trouve aussi parfois la laverie automatique, le coiffeur ou encore le primeur. Dans le trio de tête, les chiffres d'affaires sont parfois très surprenants. A La Duchère, à Lyon, il existe un boulanger qui fait plus de 700 000 € de chiffre d'affaires, alors que la moyenne en France est de 220 000 € . A Sarcelles, un boucher réalise plus de 1,5 million d'euros, contre 200 000 € en moyenne. De même pour les pharmacies. Dans ces quartiers, il n'est pas rare qu'elles doublent, voire triplent le chiffre d'affaires habituel. Toutefois, j'en connais qui plafonnent à 400 000 € , avec des pharmaciens complètement déprimés. J'ai aussi rencontré à Epinay-sur-Seine un fleuriste qui est cambriolé chaque année, et ne parvient pas à revendre son fonds de commerce. C'est cela également la réalité des quartiers. Mais à partir du moment où l'on a un bon commerçant, une taille critique de population et une sécurité à peu près assurée, les conditions du marché se révèlent plus favorables que dans un environnement davantage concurrentiel.

Le maintien d'un tissu commercial favorise-t-il le lien social ?

Les enquêtes montrent que, quel que soit le type d'habitat, le commerce est perçu comme le premier facteur de qualité de la vie. On dit d'ailleurs d'un quartier sans commerces qu'il est mort. Et certains commerçants vont au-delà d'une démarche purement mercantile. Je me rappelle un buraliste implanté dans un centre commercial du quartier de la Croix-Rouge, à Reims. Il était très fortement impliqué dans la vie associative locale et, en plus de son activité commerciale, il proposait un service d'écrivain public gratuit. Autre exemple à Rosny-sous-Bois, dans un quartier de grand ensemble, où le coiffeur du centre commercial va coiffer les pensionnaires de la résidence pour personnes âgées.

Existe-t-il des exemples de quartiers d'habitat social qui aient su maintenir une réelle vitalité commerciale ?

Sarcelles est un cas assez atypique, avec son marché de plus de 200 étals - l'un des plus grands d'Ile-de-France. On cite souvent Vaulx-en-Velin comme exemple de restructuration commerciale réussie. Dans les années 1980, il existait dans cette ville une zone commerciale avec un Ikea, un Auchan et environ 80 boutiques. Tout cela a périclité, et la ville a lancé un projet ambitieux. Le centre commercial a été démoli et les commerces, rétablis en pied d'immeuble. Il existe aujourd'hui une rue commerçante, avec un supermarché et une trentaine de commerces. On a perdu en substance par rapport à la situation antérieure, mais recréé un vrai coeur marchand. Cela dit, il s'agit du centre-ville. Au Mas-du-Taureau situé juste à côté, on trouve un centre commercial qu'il est impossible de faire renaître.

Quel rôle tient l'Etablissement public national d'aménagement et de restructuration des espaces commerciaux et artisanaux (Epareca) dans la revitalisation commerciale des quartiers en difficulté ?

L'Epareca a été créé dans le cadre du pacte de relance pour la ville, en 1995. Son rôle est de conseiller les villes qui souhaitent restructurer un centre commercial. Il réalise les études de faisabilité puis, si le projet est économiquement viable, il fait du portage temporaire, en participant à l'investissement de départ et en prenant des parts dans la société immobilière chargée de porter l'équipement commercial. L'objectif est que, une fois le centre commercial rétabli (au bout de trois à cinq ans, selon les cas), l'Epareca se défasse de ses parts auprès d'investisseurs privés. L'établissement a déjà à son actif une centaine d'interventions : 8 ont été menées à terme, jusqu'à la revente au secteur privé, 16 autres centres commerciaux sont en exploitation après travaux, 21 sont dans la phase de restructuration et 53 font l'objet d'une étude de faisabilité. Le protocole signé en décembre avec Hervé Novelli et Xavier Darcos fixe l'objectif d'une trentaine de nouveaux centres commerciaux et artisanaux de proximité.

Dans son rapport remis en 2008 au ministre du Logement et de la Ville, le Credoc proposait d'inclure dans chaque projet de rénovation urbaine un volet « activité commerciale ». Y êtes-vous favorable ?

Très favorable. Jusqu'à présent, l'Epareca intervient dans les quartiers de façon assez isolée, pendant que l'Agence nationale pour la rénovation urbaine [ANRU] travaille de son côté sur la question du logement. Il n'y a pas de confrontation entre les deux logiques. Or, dans tous projets urbains, on devrait essayer d'articuler ces thématiques. D'autant plus dans les quartiers sensibles, où l'on est en général très attentif aux équipements collectifs qui peuvent dynamiser le tissu social. Je souscris à la proposition du Crédoc, mais on n'y est pas encore, même si cette volonté est désormais affichée par l'ANRU. Cependant, les projets de rénovation urbaine risquent d'avoir des conséquences. On désenclave les grands ensembles et on démolit des immeubles en réduisant le nombre d'habitants. On tente, en outre, de développer la mixité sociale. Tout cela peut affaiblir la rente qui a permis au commerce de se maintenir dans ces quartiers. L'enjeu, pour demain, n'est donc pas tant le développement que le maintien du commerce de proximité dans ces secteurs.

REPÈRES

Pascal Madry est économiste et urbaniste. Il dirige l'Institut pour la ville et le commerce, créé à la fin de 2009 avec le soutien de Procos, fédération du commerce spécialisé, et du Cabinet Bérénice pour la ville et le commerce. Il a travaillé auparavant dans l'évaluation de la politique de la ville, au Crédoc, puis des contrats de ville, à la Caisse des dépôts et consignations.

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